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Nous avons déjà amplement cité la vision d'Internationalisme développée dans la "Lettre à tous les militants de la Gauche Communiste internationale" (novembre 1946) sur l'atttitude et la politique à mener en cas de divergences et de crise organisationnelles [1] . Internationalisme met en avant 3 méthodes différentes pouvant être « employées pour surmonter les difficultés » : « 1) la méthode révolutionnaire (…), 2) la méthode de l'opportunisme (…), 3) la méthode sectaire et bureaucratique (…) ». La première est précisée ainsi : « La méthode révolutionnaire consiste à porter le débat politique dans toute l'organisation et ouvertement devant le prolétariat. ». Nous n'avons pas besoin de rappeler le contenu de la méthode trois, visée ici, car elle est décrite à longueur de nos articles [2] comme étant celle du CCI actuel.
Nous voulons maintenant citer Bordiga qui apporte des éléments de réflexion sur la question dans Il Comunista n° 3 en 1920 [3] . En premier, il met en évidence les vrais objectifs qui se cachent derrière la "discipline" telle que la mettent en avant les "unitaires" et qu'ils imposent dans l'IC : celle-ci permet à la « droite » de continuer à demeurer dans le parti tout en servant de cheval de bataille contre la « gauche ».
« Avant de justifier l'attitude des abstentionnistes, disons quelques mots sur le zèle improvisé des unitaires pour la discipline de fer, militaire, féroce, et sur leur thèse selon laquelle ils sont ainsi aussi extrémistes et orthodoxes que nous, et même davantage que nous.
La résolution de leur sophisme contient, je crois, des éléments utiles de discussion pour les camarades de notre tendance, elle peut être utile et pas seulement pour la défense de la légitimité du comportement passé et présent des abstentionnistes.
Les unitaires exagèrent formellement le concept de discipline afin de le déformer en substance. Ils en font un argument spécieux pour conserver dans le parti les anti-communistes en soutenant que grâce à la discipline envers la majorité et les organes centraux, il sera possible de les faire travailler dans un sens communiste et d'utiliser leur action pour les objectifs révolutionnaires auxquels ils ne croient pas subjectivement. »
Dans un second temps, Bordiga rappelle ce qu'est la véritable discipline communiste :
« A l'inverse, du point de vue théorique du marxisme comme du point de vue des critères pratiques d'organisation suivis par l'Internationale Communiste, avant de poser la question de la discipline dans l'action, il faut résoudre au préalable la question du programme.
La discipline ne peut avoir de sens que dans un parti programmatiquement homogène, un parti dans lequel tous les adhérents sont en accord sur les positions de principe générales et sur les buts programmatiques - non seulement dans le sens de partager un lointain but final, ce qui pourrait suffire pour un regroupement de partisans d'une doctrine non fondée comme la nôtre sur l'histoire et la dialectique - mais dans le sens précis d'accepter une vision commune du processus historique révolutionnaire. C'est pourquoi il ne suffit pas, pour être communiste, d'admettre tendanciellement le communisme des biens et des moyens de production; il est nécessaire d'accepter les différentes phases du développement historique : lutte de classe, utilisation de la violence armée contre le pouvoir bourgeois, dictature du prolétariat, système des conseils.
La Troisième Internationale est constituée sur ces bases, dans le sens que chacun de ses membres doit accepter en principe ces fondements programmatiques. C'est une position très équivoque que de dire : un parti a adopté à la majorité le programme communiste, il est donc en règle avec la Troisième Internationale. Non ! Le programme n'est pas la pensée d'une majorité mais la base constitutive de l'organisation du Parti, la pensée commune à chacun de ses composants. La minorité qui suit d'autres programmes opposés - même si elle prend l'engagement absurde de la discipline - doit être éloignée du Parti. La discipline n'a rien à voir avec la question du programme: c'est là l'ambiguïté qu'il faut dissiper [4] .
Voilà la signification précise de la vingt-et-unième condition d'admission à l'Internationale, si valent quelque chose le témoignage de celui qui l'a proposée, ainsi que les déclarations éminemment autorisées faites à Halle par le camarade Zinoviev, qui a tiré de ce Congrès un argument pour démontrer la justesse de cette proposition, en évoquant la «séparation des esprits», à savoir la scission des partis encore divisés sur le contenu du programme [5] .
Le problème de la discipline se pose après la résolution de ce point fondamental : étant entendu que tous les membres du Parti sont communistes de par leur libre acceptation du programme (c'est-à-dire volontairement, subjectivement, non pas dans le sens, chers amis unitaires, qu'ils soient libres de... ne pas l'accepter et de rester «disciplinés» envers le Parti), une fois ceci établi - et la scission du congrès n'est qu'un premier pas vers cette rénovation intime du parti - il reste inévitablement, utilement, des divergences sur les questions de tactique. Si nous sommes d'accord sur la conception générale du processus historique révolutionnaire, déterminé d'une façon générale par l'action des grandes forces historiques supérieures aux volontés et aux consciences des individus, ces forces elles-mêmes déterminant les consciences et les volontés collectives, comment s'insère dans ce processus l'action, la préparation du parti révolutionnaire de classe? Quels sont les points d'application de ses efforts? Quelle est l'intensité de ceux-ci sur les différents points? Quels sont donc les mouvements et les initiatives des forces encadrées par et dans le Parti? »
Il précise alors quelles étaient les questions tactiques, de son point de vue, en 1920 : la question des syndicats jaunes ou l'abstentionnisme et l'électoralisme.
« Voilà les rouages, le mécanisme de la discipline, de la centralisation dans l'action, qui doit être de fer, qui doit avoir un caractère militaire comme les structures de commandement d'une armée, la lutte de classe étant aujourd'hui de fait une guerre ouverte.
Mais aucune discipline n'est concevable ou applicable là où fait défaut l'homogénéité programmatique du Parti. »
Nous tenons à souligner particulièrement cette dernière phrase et la question de l'homogénéité politique dans une organisation prolétarienne.
« Ce n'est pas tout : il faut dire que notre manière de poser le problème est en fait la seule qui respecte la liberté d'opinion. L'autre, celle absurde des unitaires, si elle pouvait dans la pratique ne pas se dissoudre dans le je-m'en-foutisme de la minorité, serait l'étouffement de cette liberté.
Le principe de la liberté d'opinion n'a aucune valeur du point de vue marxiste. Le prolétariat au pouvoir le niera à ses adversaires de classe, tandis que sa lutte et son travail prépareront le seul principe qui a un sens communiste : le droit à l'existence, à travers la disparition des classes, qui permettra l'épanouissement de rapports spirituels supérieurs. Mais ces rapports supérieurs, en dehors de toute formulette petite-bourgeoise, peuvent et doivent vivre dans le Parti, tel que nous le concevons. Une fois les adversaires du programme communiste mis à la porte - afin qu'ils puissent jouir momentanément de la liberté de parole et de propagande... anti-révolutionnaire -, le parti connaîtra le respect des opinions et des tendances et de leurs féconds débats internes, parallèlement à l'obéissance absolue dans l'action : obéissance aux décisions de la majorité, aux organes centraux. C'est pourquoi Moscou dit : centralisme démocratique. »
Nous soulignons notre plein accord avec cette conclusion de Bordiga qui représente la quintessence des idées de la Gauche communiste : « Une fois les adversaires du programme communiste mis à la porte - afin qu'ils puissent jouir momentanément de la liberté de parole et de propagande... anti-révolutionnaire -, le parti connaîtra le respect des opinions et des tendances et de leurs féconds débats internes. »
« La 'démocratie', dans l'absolu, ne peut exister dans la société hétérogène divisée en classes; elle peut et doit vivre à l'intérieur du véritable parti de classe - ceci en dehors du fait que, dans le sens historique, 'démocratie' signifie le mensonge de l'égalité des droits dans une société divisée en classes; et qu'elle doit être dépassée dans le système de représentation de classe, la dictature du prolétariat, avant même l'apparition des nouveaux rapports de vie de la société future.
Les unitaires veulent garder dans le parti ceux qui ne doivent ni ne peuvent y être parce qu'ils ne veulent ni ne peuvent agir dans le sens communiste; et pour y arriver, ils comptent sur la discipline. Ainsi s'explique leur zèle à vanter celle-ci, en paroles, mais en déformant en réalité toute la question.
Après avoir montré du point de vue théorique l'inconsistance de leur point de vue, ajoutons que les démonstrations de son caractère fallacieux existent aussi dans la pratique. Nous ne les trouvons pas seulement dans l'histoire instructive de toutes les scissions des partis étrangers, mais aussi dans les péripéties de notre mouvement.
L'équivoque unitaire, avec son argument boiteux de la discipline, l'a emporté à Bologne. Les résultats fournissent la preuve expérimentale de ce que nous avons exposé sur le plan théorique. La minorité de droite, après avoir rejeté le programme et accepté librement (!) la discipline, resta dans le parti : elle y a fait de la manière la plus éhontée un travail opposé au programme même du parti, sans que ne servent à rien les freins de la Direction maximaliste. Au contraire elle a fait capituler le maximalisme en dépit de toute sa puissance numérique, dans tous les épisodes de l'action parlementaire et syndicale et des luttes politique en général.
C'est pourquoi nombreux sont ceux qui, après avoir été pour l'unité à Bologne, sont aujourd'hui d'accord avec nous, les abstentionnistes, sur la nécessité de la scission. »
Le fonctionnement d'une organisation politique est une question politique à part entière et l'on voit bien que derrière des déviations organisationnelles, il y a toujours la défense d'une autre conception politique générale. Dans ce domaine le CCI se retrouve du côté de Bakounine et non du côté du marxisme. L'ultimatisme, le formalisme, la discipline pour la discipline, l'individualisme n'ont rien à voir avec le marxisme.
Les marxistes opposent à cette conception, le nécessaire besoin que « le parti connai[sse] le respect des opinions et des tendances et de leurs féconds débats internes. » (Bordiga, op.cit). Une fois encore, nous tenons à dire que le CCI actuel se réclame en parole de l'héritage de la Gauche communiste italienne alors que, dans les faits, il ne fait que le trahir.
Nous avons à faire à deux méthodes complètement opposées, celle de la Gauche communiste italienne qui met sans arrêt la valeur du débat politique en premier, bien au-dessus des questions organisationnelles, et la vision du CCI qui met au premier plan les questions "organisationnelles" pour mieux imposer sa "discipline". Cette attitude, si elle semble "répondre" de façon immédiate aux problèmes internes, ne le fait qu'en apparence. Fondamentalement, non seulement elle ne règle rien (à un terme plus ou moins long, la crise organisationnelle resurgit avec encore plus de force) mais surtout elle place l'organisation sur une pente mortelle.
Notes
[Note 1] Déjà cité dans nos Bulletins, notamment dans le Bulletin 16, page 16.
[Note 2] Idem. Les camarades se reporteront au Bulletin 16.
[Note 3] Texte republié dans Programme Communiste , n° 97, septembre 2000
[Note 4] La question des rapports entre programme et discipline avait déjà été traitée par la Gauche à travers la voix d'Amadeo Bordiga au 2ème Congrès de l'Internationale: «En matière de programme il n'existe pas de discipline; ou on l'accepte, ou on ne l'accepte pas, et dans ce dernier cas on quitte le Parti. Le programme est une chose commune à tous, non une chose établie par une majorité de militants.» (Cf. Les conditions d'adhésion à l'Internationale Communiste - Programme Communiste n° 43-44)
[Note 5] Le Congrès de Halle des socialistes indépendants (USPD) en octobre 1920 où Zinoviev était présent, avait vu la majorité accepter les conditions d'admission à L'Internationale.
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