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QUELQUES DOCUMENTS HISTORIQUES

Qu’on le veuille ou non, qu’on s’évertue à le nier ou qu’on veuille bien ouvrir un peu les yeux, la ressemblance entre ce qui se passe aujourd’hui dans le CCI et ce qui s’est passé dans les années 20 dans l’IC et le PCUS dégénérescents est saisissante. Et il ne s’agit pas là seulement d’une analogie formelle, ponctuelle entre des phénomènes considérés isolément et hors de leur contexte, mais bel et bien d’une dynamique de même nature au sein de laquelle les différents phénomènes s’enchaînent dans un processus toujours plus destructeur qu’on peut résumer ainsi : dès lors qu’une organisation prolétarienne s’interdit de résoudre les problèmes politiques qui se posent à elle et les désaccords politiques qui surgissent en son sein par le seul moyen qu’elle ait : la confrontation franche et ouverte des divergences dans le débat le plus large et sur le terrain strictement politique, non seulement elle se prive de ses propres armes contre l’influence de l’idéologie bourgeoise et de l’opportunisme, mais elle est entraînée dans une fuite en avant disciplinaire qui la conduit à détruire elle-même ses propres forces militantes et à abandonner tous ses principes en matière de vie prolétarienne en son sein.
Les quelques documents historiques que nous publions ci-dessous et qui, tous, portent sur la période des années 20 en Russie et dans les PC sont un rappel de la manière dont un tel processus s’est engagé, approfondi, aggravé jusqu’à ce qu’aucun retour en arrière ne soit plus possible. Certes le CCI des années 1990-2000 n’est pas l’IC des années 20 avec ses dizaines de milliers de membres, son influence sur des millions de prolétaires et sa position à la tête d’un Etat surgi de l’insurrection dans un pays immense, le tout dans un contexte extérieur qui n’est certainement pas celui d’aujourd’hui. Certes, il reste encore à établir quelles sont les causes “ extérieures ” (c’est à dire liées aux conditions historiques actuelles et à la manière dont le CCI a été ou non à la hauteur de celles-ci du point de vue de ses tâches dans notre classe) qui ont contribué à ce que s’engage un tel processus destructeur en son sein. Mais on n’a plus aujourd’hui le droit de nier que ce processus s’est engagé et qu’il est en train d’arriver aujourd’hui à son terme, c’est à dire au point où tout espoir de retour en arrière est réduit à néant, au point où ce n’est plus l’organisme formel qu’on peut encore espérer raisonnablement sauver, mais seulement ses principes, ses acquis, son histoire et le plus possible de ses forces militantes.


De la discipline formelle en général et de l’étouffement des débats en particulier
Extraits de l’intervention de Zinoviev au plénum du CC du PCUS et de la CCC, OCTOBRE 1927(1)

Ce plénum du Comité central et de la Commission centrale de contrôle sera la dernière occasion pour Trotski et Zinoviev de s’exprimer devant le parti avant d'être exclus. Et, comme nous, ils n'assisteront pas au 15 ème congrès du PCUS (décembre 1927) , ils en seront exclus avant. Rappelons également que ce 15ème Congrès sera celui où Staline exigera des membres de l’opposition qui ne sont pas encore exclus la plus complète capitulation comme condition de leur maintien dans le parti : “ L’opposition, dit Staline, doit capituler entièrement et sans condition tant sur le plan politique que sur celui de l’organisation […] Ils doivent renoncer à leurs vues antibolcheviques, ouvertement et honnêtement, devant le monde entier. Ils doivent dénoncer les fautes qu’ils ont commises et qui sont devenues des crimes contre le parti, ouvertement et honnêtement, devant le monde entier ” 2. N’est-ce pas là exactement ce que le dernier SI mensuel exige de nous comme condition de notre participation à la prochaine Conférence et au Congrès de RI ?

La décision d'exclusion du CC et de la CCC de Trotski et de Zinoviev est publiée dans l'Humanité du 16 novembre 1927 : "Pour assurer la préparation du 15 ème congrès du Parti, le Comité central a donné à l'Opposition la possibilité entière de défendre ses idées." Et la résolution ajoute que "ni Zinoviev, ni Trotski ne jugèrent utile de prendre la parole dans les réunions du Parti." (l'Humanité du 16 novembre 1927)

Et ce qui est risible c'est ce que déclare de son côté Staline (Correspondance Internationale du 12 novembre 1927) : "Au mois d'août de cette année, après la séance du CC et de la CCC. Trotski et Zinoviev nous envoyèrent une lettre demandant au CC la permission de s’adresser à l'Assemblée des fonctionnaires du Parti de Moscou. Le CC a répondu qu'il ne s'opposait pas à l'intervention de Trotski et Zinoviev, à condition qu'ils parlent comme membres du Comité central et défendant la résolution du CC. Et, qu'est-il arrivé? Ils ont renoncé à leur intervention". C'est comme nous, on est invité au Congrès, mais il faut que l'on abandonne toutes nos idées et positions politiques. Parce que nous refusons cet ultimatum, parce que nous ne voulons pas être des Kamenev et des Bakaiev (qui acceptèrent de capituler et de renoncer à leurs opinions pour rester dans le parti) et que nous préférons la voie choisi par Racovski (qui s’y refusa et fut, pour cela, chassé de la tribune), pour tout cela ne doutons pas qu’on nous accusera de “ nous êtres mis nous mêmes en dehors ” ou de “ n’avoir pas jugé utile de prendre la parole devant les réunions de l’organisation ”.

Quant à cette dernière intervention qu’il fut donné à Zinoviev de faire, elle est particulièrement éclairante, parce qu’elle montre comment l’opposition a été confrontée comme nous le sommes aujourd’hui à “ la discipline pour la discipline ”. Zinoviev y montre à quel point la politique du PCUS piétinait les conceptions de Lénine qui étaient celles de toujours du parti bolchévique en matière de régime intérieur. Il montre déjà comment la politique du “ scandale ” et de “ l’indignation ” était un moyen particulièrement efficace d’empêcher les militants de prendre connaissance des véritables divergences. Il montre enfin comment l’étouffement du débat engageait le parti dans un engrenage infernal, dans une fuite en avant suicidaire où “ Staline est obligé de servir des mets de plus en plus poivrés ”.




(…) Zinoviev    Au moment du Xe Congrès du Parti, Lénine écrivait (Tome 8 1° Partie, Page 47) 3: “ Mais, nous dira-t-on; s'il existe des divergences essentielles, foncières, profondes, ces divergences ne doivent elles pas justifier des interventions violentes et fractionnelles? Certainement. De telles interventions sont justifiées, si les divergences sont vraiment extrêmement profondes, et s'il n'existe pas de possibilité de corriger autrement la fausse direction de la politique du Parti ou de la classe ouvrière ”.

Une voix.   Tu as menti, hier, au sujet de Lénine !

Autre voix. – Réponds-nous, pourquoi as-tu menti au dernier Plénum?

Zinoviev.   L'idée de Lénine est claire. Il est des circonstances dans lesquelles les interventions fractionnelles sont justifiées. Auparavant encore, Lénine écrivait : “ A la question, que ne faut il pas faire? (que ne faut-il pas faire en général, et que ne faut-il pas faire pour ne pas provoquer de scission?) je répondrais avant tout : Ne pas dissimuler au Parti les raisons naissantes et croissantes d'une scission, ne rien dissimuler des circonstances et des événements constituant ces raisons ”. (Vol. IV. P. 318.) Cela ne vous ferait pas de mal de retenir aussi ce passage.

Je vous ai déjà cité hier les interventions de Lénine au X ° Congrès pour l'admission du vote par plates-formes. Sur un amendement de Riazanov : “ Condamnant de la façon la plus catégorique la création de fractions, le Congrès déclare se prononcer d'une façon aussi catégorique contre les élections au Congrès par plate-forme ”. (Page 292.) Lénine dit : “  Je le regrette, mais je crois que la suggestion du camarade Riazanov n'est pas réalisable. Nous ne pouvons priver la masse du Parti et les membres du Comité Central du droit de s'adresser au Parti si une question capitale provoque des différends. Je ne me figure pas comment nous pourrions le faire. Le Congrès actuel ne peut engager en quoi que ce soit les élections au prochain Congrès”. Tandis que vous faites actuellement le contraire. Et Lénine poursuit : Et si l'on se trouve par exemple en présence d'une question comme la question de la conclusion de la paix de Brest, pouvez-vous garantir que de telles questions ne se présenteront pas? On ne peut pas répondre de cela. Il se peut qu'on soit à ce moment amené à intervenir par plates-formes (P. 292) ”.

C'est tout à fait clair.

(…) Zinoviev.   Que faut il dire, alors, de l'état de choses actuel, où le noyau fondamental dès Bolcheviks  est prêt à se briser, où l'influence prépondérante se trouve aux mains de personnalités absolument incapables de maintenir une ligne de classe juste, au milieu de l'élément petit-bourgeois qui commence à se déchaîner?

Nous nous heurtons, sur notre route, à des difficultés de trois sortes ; ce sont ces difficultés qui empêchent, pour le moment, l'opposition de conquérir la majorité dans le Parti russe par les voies normales. (Mouvements dans la salle)

1° Les membres du Parti n'ont pas connaissance de nos véritables divergences ; l'Appareil fait le possible et l'impossible pour défigurer le sens de nos divergences. Même aujourd'hui, voyez dans la Pravda la bibliographie de la littérature destinée à la préparation du Congrès. Pas un livre d'un Oppositionnel ! (Rires.) Un seul oppositionnel y figure, : Lénine, et encore en extraits, avec des œuvres falsifiées.

2° L'étouffement et les répressions empêchent chacun des membres du Parti de voter librement. Avant de lever la main pour l'Opposition, il est nécessaire d'écrire son testament de membre du Parti, d'être prêt à rendre sa carte du Parti et de s'apprêter à prendre le chemin de la Bourse du Travail.

Une voix.   Voilà qui n'est pas fort ! (Bruit dans la salle.)

Zinoviev. – 3° Une partie des membres du Parti, consciencieux, envisagent les choses sous l'angle de la discipline la plus formelle, précisément parce qu’ils ne connaissent pas le sens exact de nos divergences, et de ce point de vue, il leur semble que l'Opposition enfreint la discipline. Ceux-là sont des camarades honnêtes. Ils se fâchent parfois contre nous. “ Pourquoi luttez-vous contre la majorité du Comité Central? Pourquoi imprimez-vous, pourquoi diffusez-vous des documents contre cette majorité? Est-ce qu'en agissant ainsi vous n'aggravez pas noire situation internationale? etc. ”

La discipline est une grande chose, Sans discipline, un Parti prolétarien ne saurait exister, mais à condition d'avoir une ligne politique juste. Écoutez ce que dit Lénine dans la “ Maladie Infantile du Communisme ” : “ Sur quoi repose la discipline du Parti révolutionnaire du prolétariat? Comment est-elle contrôlée? Par quoi est elle soutenue? En premier lieu, c'est le caractère conscient de l'avant-garde prolétarienne, son dévouement à la Révolution, sa maîtrise de soi, son esprit de sacrifice, son héroïsme. En second lieu, c'est son aptitude, à se lier, à fusionner, dans une certaine mesure, si vous voulez, avec la plus grande masse des travailleurs, et, avant tout, avec la masse prolétarienne, mais aussi avec les travailleurs non prolétariens. En troisième lieu, c'est la justesse de la direction politique réalisée par cette avant garde, la justesse de sa stratégie et de sa tactique politique, à la condition que les masses soient convaincues de cette justesse par leur propre expérience. Sans ces conditions, pas de discipline réalisable dans un Parti révolutionnaire vraiment capable d'être le Parti de la classe avancée et qui se donne pour but de renverser la bourgeoisie et de réorganiser la Société. Sans ces conditions, tout essai de créer cette discipline se change immanquablement en graines vides de contenu, en phrases et en grimaces ”. (Lénine. Tome 17. P. 119.)

Ces derniers mots sur les “ graines vides de contenu ”, les “ phrases ”, les “ grimaces ”, il nous faut les bien retenir. (Bruit ininterrompu dans la salle. Exclamations.)

Or, cette troisième catégorie de camarades est la majorité dans le Parti, ce sont, je le répète des camarades consciencieux.

Une voix.   Les plus courageux ! Les plus dévoués ! (Bruit ininterrompu dans la salle.)

Zinoviev.   Ils ont raison, sans doute, de penser que, sans discipline, il ne peut exister de Parti, mais ce n'est pas leur faute, c'est leur malheur s'ils ne se rendent pas compte de la profondeur des divergences et s'ils sont dans l'impossibilité de savoir qui, vraiment, enfreint la discipline bolchevik.

Les fautes politiques commises par la direction stalinienne, au cours de ces deux dernières années sont énormes.

(…)

[dans ce qui suit Zinoviev développe sur la faillite de la politique de Staline sur les différents plans, en premier lieu sur sa politique en tant qu’exécutif de l’Etat soviétique, tant en politique internationale qu’en politique intérieure russe. Nous reprenons le moment où il en vient à la faillite de cette politique sur le plan du régime intérieur du parti ]

Zinoviev.   Dans le domaine intérieur du Parti, voici le passif de Staline : le Parti est amené au bord de la scission. Autrefois, du temps d'Illitch, la lutte acharnée des plates-formes se poursuivait aussi devant les Congrès. Mais l'exclusion de certains des meilleurs ouvriers bolcheviks enracinés dans le Parti, l'exclusion de militants comme Preobrajensky, Charov, Serebriakov, Sarkis, Vouyovitch, Mratatchkovski...

Une voix. – Dachkovski!

Zinoviev. - Est ce que de telles choses se passaient autrefois, surtout avant les Congrès? Je ne parle même pas des perquisitions et des arrestations que le Parti et toute la classe ouvrière connaîtront bientôt.

Voilà le bilan des deux dernières années. Au XIV° Congrès, les divergences ont été étouffées. N'eut-il pas été plus honnête de discuter un ou deux mois et, après la discussion de résoudre les questions comme cela se passait du temps d'Illich?

Depuis deux ans que vous nous empêchez de parler au Parti, est-ce que cela a servi au Parti? Non. Le Parti a souffert pendant ces deux années. Ce n'est pas seulement l'Opposition qui a souffert, mais tout le Parti. Et vous voulez répéter, cela pour deux années encore ! Entre temps ­les divergences se sont approfondies, elles sont sorties, si l'on peut s'exprimer ainsi dans la rue dans les masses, elles ont débordé le Parti, elles se sont écoulées du Parti dans la classe ouvrière, dans de larges masses de travailleurs, du pays. C'est de cet état de choses, c'est d'une politique foncièrement fausse dans le domaine intérieur et dans le domaine international, que sont sortis vos moyens actuels de lutte. Je comprends que la fausse ligne de classe de Staline l'oblige à des mesures exceptionnelles, à des mesures d'état de siège. (Rires. Bruits.)

Voix.   Quelle bêtise! Va-t-en ! N'as-tu pas honte !

Zinoviev.   On a dit depuis longtemps qu'avec des mesures exceptionnelles, les moins intelligents eux mêmes peuvent gouverner. (Bruit.)

Lomov. C'est Dan qui parle!

Zinoviev. Staline est obligé de servir des mets de plus en plus poivrés, qui ne peuvent plus être absorbés par le Parti. (Bruit.). Le meilleur exemple en est cette histoire du complot militaire avec l'ancien officier wranglerien. (4) (Le bruit et les rires s'élèvent si fort qu'on n'entend plus l'orateur.) Ah ! vous n'aimez pas qu'on vous parle ici de ces choses ! Mais c'est pourtant un fait que Staline emploie de tels trucs. On a parlé ici des “ imprimeries illégales ” du “ travail fractionnel ”, etc. Les questions qu'un bolchevik doit se poser sont les suivantes : “ D'où tout cela vient-il ? Quelles en sont les causes? Est-ce que tout cela s'explique par le mauvais caractère des uns et des autres? ” (Bruit.) Non. (Bruit.) Vous demanderez : Qu'est-ce qu'on a imprimé dans ces “ imprimeries ”? Pourquoi, par exemple, le testament de Lénine est il devenu un document illégal? (Bruit.)

Voix.   Insolent !

Zinoviev.   J'ai eu connaissance de plusieurs procès verbaux des perquisitions faites par le Guépéou chez des communistes. Parmi les pièces à conviction saisies, figure presque toujours le Testament de Lénine. C est un fait éloquent par lui-même. (Bruit.) Lorsqu'en 1918 ou en 1921, Boukharine rédigeait de fausses plates-formes, Lénine ne le forçait pas à les imprimer sur un duplicateur ni dans une imprimerie clandestine. Lénine ne cachait pas ces plates-formes; pourtant, en 1918, Boukharine faisait un vrai bloc avec les S.R. de gauche contre le Comité Central de notre Parti. Or, Lénine faisait imprimer les plates-formes de Boukharine dans nos journaux, sur nos machines rotatives ; il les imprimait puis persuadait les ouvriers, il persuadait même finalement Boukharine (pas cependant sur tous les points ni pour longtemps). Et vous, aujourd’hui que faites-vous ? Vous cachez notre plate-forme aux membres du Parti qui s’émeuvent honnêtement de notre prétendue infraction à la discipline. Nous répondons : “ Comprenez que, dans la situation actuelle, il y a pas d'autre moyen de lutter pour la ligne de Lénine, de rectifier la ligne de classe du parti, de lutter contre les infractions contre la discipline commise par Staline. Les moyens que nous employons. (Bruit.) Il faut bien qu'il se trouve des camarades qui reçoivent des coups et qui luttent pour rectifier les erreurs de la direction actuelle. (Bruit). Ne vous laissez donc pas effrayer par l' "officier wranglérien", (Bruit) par les nouvelles sensationnelles ni par la calomnie. On cache notre plate-forme. Tous les ouvriers diront, ils disent déjà que vous craignez la vérité. Que peuvent-ils dire d’autres ? Vous avez essayez de nous arracher des masses ouvrières, vous tentez de nous représenter aux yeux des ouvriers comme des scissionnistes, des apostats, des "agents de Chamberlain". Cela vous a-t-il réussi ?

(…)


Vous avez dit “ réunions secrètes ” ?
“ Où va la révolution russe? ”
(article de Souvarine, paru dans La révolution prolétarienne du 20 août 1926 )

Le document que nous publions ci-dessous montre deux choses : que dans le PCUS, la clique de Staline, la première, avait adopté la méthode de la conspiration afin de mieux s’attaquer à ceux qui dans le Parti s’opposaient à sa politique. Et que c’est en retour, les oppositions qui à leur tour ont été contraintes à se réunir dans les bois, exactement comme aux temps où le travail illégal sous le tsarisme imposait aux militants de tenter d’échapper à la surveillance de l’Okhrana. Troisièmement que ce fait a servi à jeter le discrédit sur l’opposition au nom de l’infraction à la discipline.
D’où vient qu’il se tient des réunions secrètes ? D’où est venu que l’Opposition soit contrainte de se cacher dans les bois pour se réunir, en cachette des investigations de la Guépéou et autres commissions de contrôle ? Est-ce que, lorsque dans la réunion du 20 août du collectif, le camarade Michel (car c’est lui) suggère “ qu’est-ce qu’on va dire si on nous interroge ? ” , il n’y a pas DEJA dans le CCI une Guépéou qui surveille et condamne ? Une CI qui est notamment à l’affût de tout ce qui pourrait lui servir de “ preuve ” pour alimenter sa thèse du “ clan pavillon bis ” et qui cherche à nourrir le dossier qu’elle est chargée de monter contre les membres de l’ancien SI, dossier qui est désespérément vide. Si l’opposition se réunit en secret de l’appareil de contrôle du parti, ce n’est pas parce qu’elle fomente des complots contre le parti, mais bien parce que ce même appareil a rendu impossible la lutte politique sur le terrain normal de la confrontation franche et ouverte des divergences. Cela était la situation déjà depuis le lendemain du 14e Congrès du CCI : la politique de discrédit contre les militants en lieu et place de la réponse politique à leurs positions battait déjà allègrement son plein. Mais comme l’Opposition, notre collectif de travail ne cherchait pas autre chose que, non pas se cacher des militants, mais au contraire de se donner les moyens de s’adresser à eux, puisque la direction et la CI œuvrait déjà à “ filtrer ” et à interdire toute publication qui contredisait ses assertions.


Un tel conflit en dit long sur l'atmosphère des sphères dirigeantes et sur les relations entre militants, groupes et tendances. La majorité, non contente de disposer de l'appareil du Parti, de l'État, des syndicats, etc., éprouva le besoin de s'organiser en fraction pour mener la lutte contre toute opposition. Les oppositions de toutes nuances, à leur tour, s'organisèrent clandestinement. Et dans le Parti “ monolithique ”, ce fut, c'est encore aujourd'hui un pullulement de cercles secrets, de groupes conspiratifs, de réunions souterraines. Des documents se colportent sous le manteau. Le régime intérieur du Parti, après avoir produit la stérilité intellectuelle et favorisé les dégénérescences de toutes sortes menace de provoquer la scission organique prévue par Lénine.

Un jour, dans un bois des environs de Moscou, se tint une massovka (5), une réunion de partisans de Zinoviev, organisée par Bielenky (6) et où prit la parole Lachévitch, vice-commissaire du peuple à la Guerre. Il s'y trouva, naturellement, un mouchard. Le prétexte d'une nouvelle répression était trouvé.

L'espionnage, les dénonciations, les investigations policières avaient fourni à la Commission centrale de contrôle du Parti assez de matériaux pour impliquer un bon nombre de notables opposants dans une " affaire ”. Il s'agissait d'intimider le gros de l'opposition en frappant quelques-uns de ses membres marquants. Des serviteurs du pouvoir, dûment excités, se mirent à préconiser des sanctions exemplaires. On entendait réclamer l'exclusion de Zinoviev et de Kamenev du Parti. Certains allaient même plus loin...

Du 14 au 23 juillet, le Comité central et la Commission centrale de contrôle furent réunis en séance plénière pour condamner une fois de plus la nouvelle opposition et prendre des mesures de rigueur contre les moins prudents.

Oû conduit le “ monolithisme ”

(..) "Il est indispensable de constater que tous les fils de ces menées fractionnelles de l'opposition conduisent à l'appareil de l'Exécutif de l'I.C. à la tête duquel se trouve Zinoviev, membre du Bureau politique.

On doit particulièrement remarquer une réunion fractionnelle illégale, dans un bois près de Moscou, organisée par un collaborateur de l'Exécutif de l'IC., Bielenky, comme un acte scissionniste sans précédent dans la vie de notre Parti. Organisée selon toutes les règles de la conspiration (patrouilles, sélection sévère des invités, etc.), elle n'a pas seulement été menée et présidée par un collaborateur de l'Exécutif, mais ce qui est également inouï dans notre parti, un rapport y a été fait par Lachévitch, membre suppléant du C.C., qui a appelé les assistants à s'organiser pour la lutte contre le Parti et le C.C. élu par lui.

Suivent, naturellement, les accusations connues : scissionnisme, anti parti-isme et autres ismes à faire bâiller. Il manque, hélas, l'essentiel, et même la seule chose qui compte, à savoir la réponse à la question suivante : Comment se fait-il que le président de l'Inter­nationale communiste, que le vice-commissaire du peuple à la Guerre, que deux bolcheviks à toute épreuve, en soient réduits à se réunir dans les bois, ou ailleurs, sous la protection de patrouilles, etc. ? Voilà l'inexpliqué, voilà l'explicable. Est-ce parce que Zinoviev est un méchant, Lachévitch un désobéissant, Bielenky un polisson? Mais alors, depuis quand?

Comment, en un plomb vil, l'or pur s'est-il changé?

Il y a seulement six mois, il fallait approuver par ordre, admirer par ordre, flagorner par ordre ce même Zinoviev qu'il faut maintenant flétrir, toujours par ordre? Encore quelques mois de “ bolchevisation ” de cette sorte et il ne restera plus grand chose à bolcheviser.

Accusations et sanctions

La résolution accuse encore un camarade Mikhaïlov de l'ancien “ groupe ouvrier ” de Miasnikov, d'avoir reproduit des documents secrets avec l'aide de dactylos sans parti.. ; un camarade Chougaiev, de l'ancienne “ Opposition ouvrière ”, d'avoir fait de l'agitation antisoviétique parmi les spécialistes... (?); un camarade Iatsek, de l'ancien groupe “ Vérité ouvrière ”, d'avoir diffusé des documents, etc.

Parmi tous les péchés dont se trouve chargée la nouvelle opposition (la plupart déjà imputés à l'opposition de 1923, comme le “ pessimisme ”, la sous-estimation du paysan moyen, etc.) on trouve celui de “ protéger et de couvrir ” le groupe de Medvediev (ce qui donne tout son sens à l'article cité plus haut) et enfin le suivant, qui a au moins le mérite de l'inattendu.

(…)

La résolution parle encore “ de tentatives d'engager dans la lutte l'appareil de l'Exécutif de l'IC ” Dans tout cela, il n'y a qu'histoire d'appareils. Les ouvriers, dont on a plein la bouche, y sont bien étrangers. Il est fait allusion à une affaire Gouralsky Vouiovitch, maladroits auxiliaires de Zinoviev qui se sont fait pincer dans l'exercice de leurs manigances (7), et à des sanctions prises le 12 juin dernier par la Commission de contrôle contre Bielenky, 1. S. Tchernichev, B. G. Schapiro, M. V. Vassilieva, N. M. Vlassov et K. A. Volguina.

Zinoviev est exlu du Bureau politique, c'est à dire du seul organisme qui compte, et son élimination officielle de la présidence de l'IC n'est plus qu'une question de semaines; Lachévitch est exclu du Comité central et révoqué de ses fonctions de vice commissaire à la Guerre. De fidèles staliniens reçoivent de l'avancement: un Roudzoutak entre au Bureau politique et les suppléants de celui ci, portés à huit, seront, dans l'ordre hiérarchique : Pétrovsky, Ouglanov, Ordjonikidzé, Andréiev, Kirov, Mikoyan, Kaganovitch et Kamenev.


“ Eux ” et “ nous ”

La fraction interne du CCI n'est pas la seule dans l'histoire du mouvement ouvrier à être condamnée pour avoir parlé de "Eux" et "nous". Et cela n'a rien à voir avec la loyauté que l'on peut avoir avec notre organisation. On se souvient par exemple que les OD ont fait grand cas des fameux “ Ils ”, “ Nous ” et “ Eux ” découverts par nos investigateurs/fouilleurs de poubelle dans les notes du 20 août. Ils se sont acharnés à leur faire dire que le collectif de travail “ considérait les militants du CCI comme des ennemis ”. Alors qu’il est parfaitement clair, pour qui veut bien lire, que ce “ Ils ” désigne la faction liquidatrice très précisément et que, d’ailleurs, celle-ci se définit bien moins par les personnes qui la compose que comme tendance politique et notamment par la politique terriblement destructrice et suicidaire pour l’organisation et ses militants qu’elle menait déjà alors et qui s’est tragiquement aggravée depuis.

Oui nous sommes loyaux avec les orientations politiques fondamentales du CCI,

Oui, nous sommes loyaux envers tous les acquis du CCI qui sont les nôtres.

Non, nous ne sommes pas loyaux envers les OD actuels du CCI et leurs méthodes, comme ont refusé de l’être les oppositions qui ont tenté de résister à la dégénérescence de l’IC.

Première fois

En février 1922 "l'opposition ouvrière" fait appel devant l'IC contre le parti communiste russe dans un document qui a pris le nom de "déclaration des 22" et adressé à l'exécutif. Il était signé des camarades suivants Chliapnikov, Medvedev, Kouznetsov, Tchelychev, Miasnikov et ensuite par Kollontai.

En plus de la discussion politique, la discussion fut portée devant une Commission d'enquête avec des méthodes répressives portées contre le groupe avec des perquisitions et l'interception du courrier et l'usage d'agents provocateurs. Trotski a représenté le Ministère public8 devant la Commission d'enquête. Trotski attaquait l'Opposition ouvrière car dans leurs rapports avec le parti ils parlaient de "eux" et "nous".

Deuxième fois

Et ensuite, la condamnation s’est retourné contre Trotski lui-même. En octobre 1926, Kaganovic à la XV° Conférence du parti, utilise le même argument contre Trotski et l'Opposition de Gauche.

"Pourquoi à l'époque camarade Trotski tu avais le droit de parler ainsi à Medvedev et à Chliapnikov quand il ont commis une faute (et il s'agissait de 2 vieux bolcheviks) ?.."


Où il est question de publication clandestines et de représailles disciplinaires
(Correspondance autour de l’exclusion de Monatte et Rosmer,
publiée dans Bulletin Communiste n° 2, 1925 )

Notre fraction a été accusée de “ développer des circuits parallèles ” parce qu’elle publie son propre bulletin à l’adresse des militants du CCI. L’accusation est des plus ridicules pour qui veut bien se rappeler la raison pour laquelle une organisation prolétarienne condamne en effet les “ circuits parallèles ”. Ce qu’elle condamne et rejette, c’est justement la politique qui consiste, au lieu d’exposer au grand jour ses points de vue et arguments, à les chuchoter à quelques uns, de préférence “ ceux de confiance ” et bien à l’abri des oreilles et des regards de ceux qui pourraient démentir leurs assertions et contredire leurs argumentations. Ce procédé indigne c’est celui là même qui a permis, par exemple, à la faction liquidationniste de répandre ses ragots contre l’ancien SI, la section Nord de RI , et contre tous ceux qui n’étaient pas d’accord avec sa politique : ragots qui furent instillés dans la période qui a précédé le 14ème congrès par toutes sortes de voies parallèles dans le CCI mais loin des oreilles des premiers concernés. Evidemment les adeptes de tels circuits parallèles détestent la lumière et tout ce qui est publié au vu et au su de tous. Ce n’est pas par hasard si ce sont les mêmes qui se sont opposés de toutes leurs forces à l’ouverture à l’ensemble du CCI du désaccord politique surgi au sein des OC à Paris en 2000.
En vérité, ce qu’insupportent les liquidateurs ce n’est nullement le caractère “ parallèle ” de notre bulletin, mais bien au contraire son caractère public, et le fait, justement, qu’en s’adressant à tous les militants, il expose au grand jour -et en faisant appel à la responsabilité de chacun- les gravissimes questions politiques posées par la situation tragique que vit actuellement le CCI.
Cela aussi a de tristes précédents dans l’histoire. Le document que nous publions ci-dessous traite de l’exclusion de trois militants du PCF : Rosmer, Monatte et Delagarde qui furent exclus du Parti français pour avoir publié par leurs propres moyens des textes que la direction avait refusé de publier. N’est-ce pas la décision inique des OD du CCI qui se sont crus permis de nous interdire l’accès aux bulletins internes tant que nous ne renions pas nos convictions en condamnant le collectif de travail, nous a contraint à développer notre propre bulletin ?
Signalons que cet exemple montre qu’à l’époque les bolchévisateurs n’excluaient officiellement jamais les opposants pour “ désaccord politique ” mais, bien sûr, pour “ manquement à la discipline ”, tout comme le fera ensuite Staline contre Troski et les vieux bolchéviks et exactement comme le fait le CCI d’aujourd’hui. Il n’y a là rien de nouveau sous le soleil.
Enfin l’épisode rapporté ci-dessous montre qu’un autre aspect de la situation actuelle a des précédents saisissants : bien que la direction du PCF se soit fait “ redresser les bretelles ” par l’Executif de l’IC pour sa conduite malhonnête dans cette affaire (refus de publier et exclusion), malgré tout Rosmer, Monatte et Delagarde ne seront pas réintégrés et resteront exclus. De même au BI plénier de janvier, malgré qu’il ait été établi devant tous que les motifs de la suspension de Juan étaient injustifiés, le BI non seulement ne lèvera pas la sanction mais la prolongera ! Dans les deux cas, revenir en arrière, aurait été désavouer la direction qui avait commis ces manipulations. L’IC n’a pas voulu réintégrer les exclus, parce que cela aurait été “ balayer la direction actuelle du parti ”, ce qu’elle ne voulait pas. Pas plus que le BI n’a voulu faire marche arrière, tout simplement parce qu’il ne veut pas désavouer la politique de la faction liquidationniste à qui il laisse lâchement faire la pluie et le beau temps dans le CCI.


FRANCE. – Bulletin communiste n° 2 30 octobre 1925
L'EXÉCUTIF ET LE PARTI FRANÇAIS

Beaucoup de camarades s'étonnent de la tolérance qui parait caractériser l'attitude de l'Exécutif de l'I. C. envers la politique insensée des dirigeants du P. C. français.

En attendant que toute. la lumière soit faite là-dessus, il nous paraît utile de reproduire les documents ci-dessous, publiés par la Révolution Prolétarienne. Ce sont des lettres du camarade Herclet, représentant officiel de la C. G. T. U. à Moscou.

Que les militants sérieux du Parti les lisent et les fassent lire autour d'eux,   et qu'ils nous disent ce qu'ils en pensent.

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MOSCOU, le 12 janvier 1925,

Mon cher Monatte,

Le camarade Rosmer vous a certainement donné à lire ma précédente lettre envoyée par plusieurs courriers, dans laquelle je lui disais qu'il est absolument nécessaire que vous vous adressiez à l'I.C. et que vous fassiez appel auprès d'elle contre votre exclusion du Parti français. Vous devez également demander à être entendus par l'Exécutif élargi qui est renvoyé au 27 février. UNE DÉMARCHE SEMBLABLE DE VOTRE PART SERA TRÈS BIEN ACCUEILLIE, ON EST ÉTONNÉ ICI QU'ELLE NE SE SOIT PAS ENCORE PRODUITE. Je ne puis vous donner des détails, mais enfin, comme je suis assez près des sources, je crois savoir que bien des choses seront changées si vous vous adressez à l'I.C. Si j'insiste encore, c'est parce que votre silence vis-à-vis de l'I.C constituerait une grosse faute, cela de l'avis même de tous les camarades avec qui je suis en contact journalier.

Marrane se trouvait à Moscou ou lorsque vous avez été exclus ; son rapport devant l'Exécutif a été jugé insuffisant et un télégramme a été envoyé demandant des explications. Treint est venu à son tour, et, malgré tout ce qu'il a dit, Zinoviev a déclaré, pour commencer, que c'était TRÈS REGRETTABLE d'exclure des ouvriers, QUE LE RÉGIME INSTAURÉ DANS LE PARTI FRANÇAIS NE PEUT PAS DURER et qu'il faudra le dire au Congrès du Parti.

J'ai eu connaissance du contenu des décisions prises par la Commission française, nommée par l'Exécutif, en ce qui concerne votre exclusion. C'est un VÉRITABLE BLAME qui fut adressé au B. P. du Parti français pour avoir provoqué votre exclusion en étouffant votre lettre du 5 octobre, qui devait être publiée puisqu'elle constituait une déclaration de fidélité aux décisions du 5e Congrès.

Elle n'a été publiée par la presse du Parti qu'après l'avoir été par votre brochure dont la publication ne fut évidemment provoquée que par la non-insertion (le votre déclaration du 5 octobre.

Evidemment. 1'I. C. ne peut pas dire que vous avez bien fait de publier une brochure de critiques négatives (la moindre thèse, le moindre bout de programme eussent été préférables) qui ont profité aux ennemis du communisme. L'I. C. ne pouvait pas non plus vous réintégrer immédiatement, car cela voulait dire balayer la direction actuelle du Parti ; Zinoviev n'est pas encore prêt à accomplir ce geste, d'autant plus que M. C. ne voit pas actuellement une autre équipe de remplaçants dans la ligne tracée par le 5e Congrès

Jamais Treint n'a eu un lavage de tête aussi complet que celui qu'il a obtenu ces jours derniers à Moscou. On a dit que ses thèses et celles de Sellier sont DE MAUVAIS ARTICLES DE JOURNAL ÉCRITS AVEC LÉGÉRETE. Je n'ai pas le temps aujourd'hui de vous donner tous les détails (demandez à Tomasi de vous faire lire la lettre que je lui adresse par le même courrier), mais H. C. a corrigé les thèses de telle façon que vous ne les reconnaîtrez plus et elle a regretté de ne pouvoir les refaire entièrement, faute de temps.

Sur la tactique de l'unité syndicale, la lettre de front unique adressée aux Trade-Unions anglaises, les mots d'ordre démagogiques comme celui du “ tribunal révolutionnaire ”, la définition du fascisme par Sellier et Treint, la proposition de créer un bloc permanent avec les paysans, etc., sur toutes ces questions et sur bien d'autres encore, 1'I. C. a fait des corrections et des remontrances au Bureau politique du Parti français.

Pourquoi les camarades, nombreux, paraît-il, qui n'étaient pas d'accord sur toute l'orientation prise par le Bureau politique., n'ont-ils pas rédigé des thèses pour les adresser à l'I.C. et pour essayer de les faire triompher dans le Parti

Mon cher Monatte, je vous le répète, vous devez au plus tôt vous adresser à l'Internationale et demander à être entendus tous les trois devant le prochain Exécutif élargi de 1'l. C.

Bonne poignée de mains.

HERCLET.


DU BON USAGE DES PROCES-VERBAUX
Lettre de Trotski à l'institut historique du Parti.
(Bulletin communiste n° 29/30 d'août/décembre 1928)

Il n’y a qu’une seule et unique raison pour laquelle la “ question des notes ” est pour la faction liquidatrice une idée fixe et lancinante. Qu’il s’agisse de l’acharnement à récupérer les notes du SI. Qu’il s’agisse des accusations condamnant la camarade Aglaé au mois d’août dernier pour avoir cité le procès-verbal d’une réunion du SI mensuel à laquelle elle avait participé. Qu’il s’agisse des sanctions contre Juan et Olivier en septembre pour… prise de notes. Qu’il s’agisse enfin de l’ultimatum exigeant de tous les militants de la fraction qu’ils s’engagent “  explicitement, et par écrit, à ne pas publier des documents internes de l'organisation pendant une période de cinq ans ”, comme condition de leur participation au Congrès et à la Conférence. Un tel acharnement à cacher l’histoire réelle du CCI, à ses propres militants comme à notre classe a de tristes précédents dans l’histoire du mouvement ouvrier. Ce ne peut-être là que la politique de ceux qui ont de bonnes raisons de vouloir falsifier l’histoire. Ce n’est jamais la défense de l’organisation qui peut motiver une telle crainte que sa propre histoire concrète ne soit connue, révélée, discutée. Si réellement la politique de la direction actuelle du CCI était une politique prolétarienne contre une véritable menace contre l’organisation et le milieu prolétarien, elle n’aurait rien à cacher de ce qu’elle a fait, au contraire.
Non les “ protecteurs de procès-verbaux ”, ceux qui en refusent la publication et font des pieds et des mains pour les escamoter ne protègent qu’une chose : leurs propres intérêts personnels, leur propre opportunisme et leur propre indignité. Ce qu’ils veulent cacher c’est qu’ils ont effectivement, à des fins personnelles, pris le contrôle d’une organisation du prolétariat, qu’ils en ont fait leur chose et ils veulent camoufler leur forfait.
Voilà ce que Trotski dénonçait dans la politique d’escamotage des procès-verbaux par Staline dans sa Lettre à l’institut historique du Parti dont nous publions ci-dessous des extraits.


(…) 19.   .Maintenant, permettez qu'on vous demande, camarades dirigeants de la Section Historique du  Parti, pourquoi les procès-verbaux de la conférence du Parti de mars 1917 n'ont pas été publiés jusqu'ici ? Vous envoyez des feuilles d'enquête pourvues de colonnes et de rubriques innombrables. Vous rassemblez les moindres détails, certains sont parfois même dénués de tout intérêt. Pourquoi donc tenez-vous sous le boisseau les procès-verbaux de la conférence de Mars qui, pour l'histoire du Parti, sont d'une importance immense ? Ces procès-verbaux nous montrent les dispositions des éléments dirigeants du Parti à la veille du retour de Lénine en Russie J'ai' demandé à plusieurs reprises au Secrétariat du Comité Central et au Bureau de la Commission Centrale de Contrôle pourquoi la Section Historique cache au Parti ce document d'une importance unique ? Vous connaissez ce document. Vous le détenez. On ne le publie pas parce qu'il compromet de la façon la plus cruelle la ligne politique de Staline à la fin de Mars et au début d'Avril, c'est-à-dire dans la période où Staline s'efforçait par lui-même d'élaborer une ligne politique.

20.    Dans le même discours, que Lénine prononça à la Conférence du 4 Avril, il déclarait :

La Pravda réclame du Gouvernement qu'il renonce aux annexions. C'est une ineptie, une criante dérision de... ”

Le procès-verbal n'a pas été mis au point. Il renferme des lacunes, mais l'idée générale et le sens des discours sont absolument clairs. Staline était un des rédacteurs de la Pravda, il y écrivait des articles semi-jusqu'auboutistes, et soutenait le Gouvernement Provisoire   “pour autant” qu'il le jugeait nécessaire dans ce sens. Tout en faisant certaines réserves, Staline se félicita du Manifeste de Kérensky Tsérételli à tous les peuples, document social  patriote e mensonger qui ne provoqua qu'indignation chez Lénine.

Voilà pourquoi   et uniquement pourquoi, camarades de l'Institut Historique du Parti vous ne publiez pas les procès-verbaux de la conférence de Mars 1927 du Parti, et les dissimulez au Parti.

21.   J'ai cité ci-dessus le discours de Lénine à la séance du Comité de Petrograd du Parti, les 11 1.4 novembre. Où ce procès-verbal a-t-il été publié? Nulle part. Pourquoi ? Parce que vous l'avez interdit. Récemment, un recueil des procès-verbaux du premier Comité légal  de Petrograd  en 1917 a été édité. Tout d'abord, ce recueil renfermait le procès-verbal de la séance des 11 14 novembre, ainsi que le mentionne le sommaire déjà composé. Par la suite, sur l'ordre de l'Institut Historique, le procès-verbal fut  supprimé, sous le plaisant prétexte que “visiblement”, le discours de Lénine avait été déformé lors de la transcription par le secrétaire. En quoi consiste cette “visible” déformation ? En ce que le discours de Lénine est une impitoyable réfutation des fausses assertions de l'école historique actuelle de Staline Yaroslavsky au sujet de Trotski. Tous ceux qui connaissent la manière oratoire de Lénine reconnaîtront sans hésiter I'authenticité des phrasera transcrites. Sous les paroles de Lénine à propos de l'entente, derrière sa menace : “ Nous, nous irons aux marins ”, on sent vivre le Lénine d'alors. Vous l'avez caché au Parti. Pourquoi ? A cause de l'opinion de Lénine sur Trotski. Pas davantage.

Vous dissimulez les procès-verbaux de la conférence de Mars 1917 parce qu'ils compromettent Staline. Vous dissimulez le procès-verbal de la séance du Comité de Petrograd, uniquement parce qu'il gêne le travail de falsification dirigé contre Trotski.


Notes:

1 Publiée dans la Pravda du 2 novembre 27 et traduit en français dans le premier numéro de “ Contre le Courant ” du 20 novembre.

2 Cité par Broué, “ Le parti bolchévique ”, p. 268. L’ensemble du chapitre est instructif d’ailleurs.

3. Il s’agit du Congrès de mars 1921 qui met en avant la nécessité de revenir à plus de démocratie ouvrière dans le parti (“ qui assure à tous les membres une participation active à la vie du parti, aux discussions sur toutes les questions qui s’y posent et à leur solution ”, cf. Broué p.159 et suivantes). Mais c’est en même temps également celui qui ouvre la porte à l’interdiction des fractions, puisque deux motions y seront adoptées contre l’opposition ouvrière de Chliapnikov et Kollontai, dont l’une condamne son attitude “ fractionniste ” et prévoit des mesures d’exclusion contre ceux qui seraient tentés de “ créer leur propre discipline de groupe ”. Lénine qui propose ses deux motions, est en même temps très conscient qu’elles sont dictées par les dangers immédiats de la situation en Russie et il prend garde en même temps d’avertir contre toute tentative d’en faire une loi générale, un précédent qui , demain pourrait interdire à des divergences extrêmement profondes de s’exprimer.

4 . La Guépéou avait monté toute une opération pour accuser l'Opposition d’avoir imprimé ses textes en ayant recours à un imprimeur qui était un ancien officier wranglérien. En fait il s'est avéré qu’il était surtout devenu un membre du Guépéou et que ses offres de service à l’Opposition était une provocation calculée par l’appareil stalinien. Ainsi le scandale de “ l’officier Wranglérien ” avait servi à détourner l’attention sur le contenu de ce qui était publié, sur CE qui était dit….

5 . On appelait ainsi, sous le tarisme, les assemblées secrétes de révolutionnaires dans le sbois;

6 . Ancien secrétaire du rayon de Kranaïa-Presnia, il fut un des plus sévères adversaires de l'Opposition de 1923.

7 . Gouralsky, sous le nom de Klein en Allemagne, de Lepetit (et de Lep) en France, a saboté les deux partis de son mieux et s'est livré à des besognes dont la nature défie toute qualification. C'est lui qui, en 1924, se permettait d'assimiler Trotski à Danton, révélant à la fois son ignorance crasse de l'histoire et la laideur de son âme, et qui a constitué en France le “ ramassis de valets ” qui a déshonoré le Parti que nous avions eu tant de mal à fonder. Quant à Vouiovitch, c'est celui qui est venu accomplir, dans les jeunesses, la besogne faite par l'autre dans le Parti, et qui répandait la légende d'une tentative d'insurrection des élèves officiers du Kremlin organisée par Antonov-Ovsénko pour soutenir Trotski. Et l'on se plaint des racontars de la presse bourgeoise.

8 . C'est le procureur qui fait office de Ministère public en justice.

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