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CONTRIBUTION DU BIPR SUR LA CRISE DU CCI (reçue le 02/03/2002)

Eléments de réflexion sur les crises du CCI

Nous nous trouvons devant une nouvelle, la énième crise politico-organisative du CCI, dont on ne connaît pas encore les conclusions. Elle survient à un moment délicat aussi bien de la dynamique capitaliste que du mouvement prolétarien. Du côté bourgeois, la marche à la guerre vient tout juste de subir une importante accélération avec l’initiative belliqueuse des USA suite à l’attentat contre le World Trade Center. Du côté prolétarien, l’Argentine est le premier grand épisode de révolte de classe qui, malgré ou plutôt à cause des ses grandes limites, pose d’énormes problèmes aux avant-gardes prolétariennes ou à celles qui se prétendent telles.

Le Bureau, simultanément à la rédaction de ce document, diffuse à l’échelle internationale, sur les événements argentins, un document/manifeste qui veut être, au delà du rappel de l’urgence du parti international, une invitation au sérieux de la part de tous ceux qui se prétendent avant-garde de la classe.

Face à cela, que fait le CCI ? A ce que l’on constate, au lieu de mettre à l’étude et en discussion les événements qui, visiblement, se présentent au prolétariat international, il convoque des réunions plénières pour … régler ses problèmes d’organisation et il emploie toutes sortes de pratiques pour s’opposer aux dissidences internes, allant jusqu’à écrire à tout le prétendu milieu pour les dénoncer.

Il ne nous appartient pas de donner tort ou raison dans les querelles organisatives/disciplinaires du CCI. Nous nous bornons à constater qu’elles arrivent – et ce n’est pas la première fois – au moment où la réalité des rapports économiques et sociaux et leur dynamique remet en question les fondements méthodologiques et théoriques du CCI lui-même.

Il est naturel, inévitable, qu’une organisation dont les bases méthodologiques et politiques situées hors du matérialisme historique et impuissantes à expliquer la succession des événements du “ monde externe ”, soit amenée à se fermer, à se replier sur elle-même pour se défendre comme organisation, tendant ainsi à exaspérer les aspects formels de l’organisation et du militantisme, et en conséquence la défiance et les tensions personnelles.

Ceci dit, il reste à montrer la fausseté de ces positions.

Nous pouvons remonter à l’époque où le PCInt convoqua les Conférences Internationales de la Gauche Communiste (1976), qui servirent, entre autres, à mettre en évidence la profonde divergence entre le CCI et les organisations qui allaient fonder le Bureau.

Parmi ces divergences, retenons les thèmes clefs : analyse de la crise capitaliste, conception des périodes historiques, phase de transition, rôle et fonction du parti.

Pour ce qui est de la crise, nous dénoncions déjà l’extériorité du CCI à la méthode marxiste, mal dissimulée par une adhésion formelle à la théorie luxembourgiste de l’épuisement des marchés pré-capitalistes, mais qui manifestait une évidente incapacité à expliquer les phénomènes relativement nouveaux du maintien du capitalisme, les résumant commodément dans le concept aussi universel que confus de décadence.

Comme nous le verrons, de là découle par la suite les faciles mais inconsistantes généralisations, les “ désagrégation et chaos ” avec lesquelles on prétend aujourd’hui expliquer tous les faits, de la guerre en Afghanistan à la révolte argentine. La conception schématique des périodes historiques, qui historiquement appartient au courant original de la gauche communiste française qui fut ensuite à l’origine du CCI, caractérise les périodes historiques comme révolutionnaire ou contre-révolutionnaires sur la base de considérations abstraites sur la condition de la classe ouvrière. Ainsi, pour la Gauche Communiste de France, il était erroné (complètement opportuniste) de construire le Partito Comunista Internazionalista d’Italie en 1943, pendant la IIème guerre impérialiste, parce qu’on était en pleine période contre-révolutionnaire. Cette période contre-révolutionnaire se serait terminée, pour le CCI des Conférences Internationales, en 1968, et donc suivie par une période qui désormais interdisait la guerre impérialiste et permettait au contraire la révolution prolétarienne. Le prolétariat, “ nullement battu ” était de nouveau debout, “ nullement disposé à se laisser enrégimenter dans la guerre ” et donc en mesure d'interdire la solution bourgeoise à la crise (pas mieux définie). Peu importe qu’à côté de la paix dans les métropoles, soient conduites de meurtrières guerres locales dans lesquelles les masses prolétariennes, semi- prolétariennes et sous- prolétariennes se massacraient et se faisaient massacrer au nom de leurs mandants impérialistes. Peu importe que le prolétariat à l’échelle mondiale (dans les périphéries comme dans les métropoles) subisse, sans pratiquement réagir, une des plus puissantes attaques de la part du capital contre son salaire et contre ses conditions de vie, mesures de contre-tendance à la crise (de chute du taux de profit) . Pour le CCI, le prolétariat était debout pour arrêter la guerre !

L’implosion du bloc soviétique a un peu changé la situation : selon le CCI, tandis que le prolétariat, toujours invaincu, pouvait interdire que le monde ne se précipite dans la guerre, la rupture des équilibres impérialistes de la guerre froide “ aboutit à un phénomène de décomposition généralisée, de putréfaction sur pied de la société ” ( dans “ La décomposition, phase ultime de la décadence du capitalisme” Rev.Int. 62 ”) ou bien une succession de convulsions violentes, dans lesquelles les appétits de tous les états, grands et petits explosent. Voilà la décomposition, un cadre où on fait rentrer tout et n’importe quoi.

C’est l’utilisation de tels concepts généraux dans lesquels on veut contraindre la réalité, qui rapproche le CCI de Saint Bruno (Bauer) qui “  comme tous les philosophes et idéologues, prend les pensées, les idées, l’expression conceptuelle, rendue autonome, du monde existant pour le fondement du monde existant ” (Marx Engels, “ l’idéologie allemande ” II Saint Bruno)

Il est évident que cette méthode – qui remplace la réalité par son expression conceptuelle prise arbitrairement – ne contribue pas à l’armement du prolétariat avec l’arme de la critique, ni ne dote nos organisations des instruments vitaux de la confrontation avec la réalité.

Revenons au concept fondateur de décadence. Soulignons qu’il n’a de sens que si l’on se réfère à l’état général de la société, mais n’a aucun sens quand on se réfère à la capacité de survivre du mode de production. En d’autres termes, on ne peut parler de décadence si l’on entend par là une présumée incapacité croissante du capitalisme à faire succéder un cycle d’accumulation à un autre. On peut aussi considérer comme un phénomène de la “ décadence ” le raccourcissement des phases d’ascension de l’accumulation, mais l’expérience du dernier cycle montre que cette brièveté de la phase d’ascension n’entraîne pas nécessairement l’accélération du cycle complet accumulation/crise/guerre/nouvelle accumulation. Quel rôle joue donc le concept de décadence sur le terrain de la critique de l’économie politique militante, c’est à dire de l’analyse approfondie des phénomènes et des dynamiques du capitalisme dans la période que nous vivons ? Aucun. Au point que le mot lui-même n’apparaît jamais dans les trois volumes qui composent le Capital.

Ce n’est pas avec le concept de décadence que l’on peut expliquer les mécanismes de la crise, ni dénoncer le rapport entre la crise et la financiarisation, le rapport entre celle-ci et les politiques des super-puissances pour le contrôle de la rente financière et de ses sources.

Il paraît donc pour le moins singulier, et en tout cas inopportun sur le terrain politique, de faire dériver d’un concept pour le moins imprécis et étranger à la critique de l’économie politique, un autre concept – ici complètement abstrait – comme “ décomposition et chaos ”.

Etant établi que ces concepts sont étrangers à la méthode et à l'arsenal de la critique de l’économie politique, une mauvaise compréhension de l’agitation et de la propagande révolutionnaire pourrait accepter ces notions comme des éléments utiles à la dénonciation du capitalisme, nécessaire pour l’organisation des avant-gardes de la lutte. Mais ce serait une conception tout à fait erronée de l’agitation et de la propagande, en tant que bases de l’organisation des avant-gardes révolutionnaires.

Ces dernières doivent être armées par la critique de l’économie politique, par la compréhension et par les instruments réels de dénonciation des véritables mécanismes du capitalisme, de ses contradictions réelles, parce que c’est en elles que réside son infamie.

Le rôle et la fonction du parti constituent l’autre gros nœud de divergences entre le CCI et nous dans toute son histoire. En fait, le CCI a beaucoup évolué à partir de ses positions originelles sur le parti. Ainsi, c’est à l’occasion du premier tournant qu’eut lieu la première scission significative dans le noyau fondateur du CCI, avec la naissance de la FECCI (maintenant Perspective Internationaliste).

L’autre tournant (défini comme léniniste par certains) du CCI sur le sujet du parti a entraîné ce que l’on appelle la lutte contre le clanisme, l’esprit de cercle etc… à l’origine de l’expulsion d’un autre membre fondateur (RV). Il est caractéristique qu’à l’occasion de ce tournant, certains aspects des thèses léninistes au cours du Congrès de 1903 du POSDR et de la polémique Lénine-Martov aient été utilisés. Paradoxalement, au cours de la IIième Conférence Internationale, nous mêmes avions eus recours à ces thèmes et polémiques, contre le conseillisme de fond du CCI.

Encore aujourd’hui, la lettre du CCI du 6/2 fait référence à ce Congrès pour comparer le comportement actuel de le FI avec celui des mencheviks de l’époque.

Nous pensons ne pensons pas nous tromper en affirmant que le tournant “ partitiste ” rentre dans la logique du repli sur soi, dans sa carapace, au moment où la vie réelle démentit et ridiculise sans appel ses schémas abstraits sur les thèmes développés ci-dessus.

On ne peut expliquer autrement la nature “ léniniste ” du CCI d’un côté et son refus parallèle de la conception marxiste, plus encore que léniniste, de la dictature du prolétariat. Le CCI considère en fait la dictature du prolétariat comme une réalité différente et externe à l’état de la période de transition. Pour lui, l’organisation des conseils ouvriers et de leurs délégués ne constituerait pas le tissu réel de l’état ouvrier, mais plutôt l’instrument de contrôle d’un état constitué autrement. Franchement, nous ne connaissons pas s’il y a des variations par rapport à la position originale contre laquelle nous avons eu l’occasion de polémiquer en 1979 (déjà !) ( voir “Elementi per la critica alla risoluzione della CCI sul periodo di transizione” - “ Eléments pour une critique de la résolution du CCI sur la période de transition ”, dans Prometeo IV Série n3, décembre 1979), mais, à l époque, ses positions pouvaient se synthétiser dans une phrase de la résolution citée : “ cet (état) ne peut s’identifier avec aucune classe dominante, parce qu’une telle classe n’existe pas dans la société dans la période de transition ” en substance, cela signifie pour le CCI :

L’état de transition n’est pas la dictature du prolétariat.

L’état de transition … transite au socialisme par la force et la vertu du saint esprit, incarné ici dans l’alliance de toutes les classes non exploiteuses, qui au même titre, sans que l’une compte plus que l’autre, sont aussi au même niveau que les résidus bourgeois.

La dictature du prolétariat ne revêt aucun rôle dictatorial (spécifique à qui domine)

Pour nous, il est évident que le CCI s’était placé depuis lors en dehors de la tradition de la Gauche Communiste, malgré ses fameuses revendications, et que ce sont les points et les problèmes avec lesquels ceux qui, en interne, vivent les situations de crise de cette organisation doivent “ faire les comptes ”. Autrement, il continuera à arriver ce qu’on a vu avec les crises du CCI ( qui font dramatiquement penser à Programme Communiste, origine de son côté de multiples filiations revendiquant l’orthodoxie bordiguiste) : l’apparition de nouveaux groupes polémiquant avec le CCI, accusé de dévier de … ses origines.


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