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Il y a maintenant trois mois qu’une nouvelle phase s’est ouverte dans la situation mondiale.
Avec le 11 septembre, la guerre impérialiste - mode de vie du capitalisme décadent et réalité permanente sur la planète depuis la seconde guerre mondiale -, est revenue comme un boomerang au cœur des pays développés, et ce pour la première fois depuis 1945 (en tout cas avec un tel degré, une telle violence). Depuis le 11 septembre 2001, la guerre n’est plus seulement, pour les prolétaires des pays centraux, quelque chose de « lointain » dans l’espace, ni quelque chose de « lointain » dans le temps hantant la mémoire de leurs grands parents. Elle est désormais terriblement présente, ici et maintenant. Telle est la nouvelle donne de la situation mondiale.
Avec ce qui apparaît comme un véritable bombardement de la ville de New York, l’atteinte au territoire américain et à sa population civile est sans précédent dans toute l’histoire des Etats-Unis. Même Pearl Harbour n’avait pas représenté une attaque aussi significative, et pourtant Pearl Harbour avait servi de mobile à l’entrée en guerre des Etats-Unis. Cela seul fait déjà du 11 septembre un tournant historique majeur. Mais ce n’est pas tant en fait avec « l’acte de guerre » qu’ont constitué les attaques sur New-York et Washington que la question de la guerre a fait irruption dans les pays centraux dans sa réalité crue. C’est surtout dans ce qui s’en est suivi : la politique de mobilisation de la population derrière l’union sacrée, l’installation de la terreur d’Etat au nom de la menace terroriste, les appels aux sacrifices économiques, à l’effort de tous et à l’acceptation de la mort de soldats américains au nom d’une guerre qui sera longue, permanente et n’épargnant aucun Etat, comme l’a annoncé Bush dès les premiers jours.
De tels événements ne sont pas un simple « pas de plus dans le chaos mondial » ni « un condensé caractéristique de la période de décomposition », selon l’explication dont s’est contenté le CCI ou en tout cas ses organes exécutifs à Paris. C’est en effet cette analyse qui est à la base du «supplément de RI » du 17 septembre comme du tract international du 8 octobre. C’est encore elle qu’on retrouve dans l’éditorial de la Revue internationale, comme des trois numéros de RI parus depuis les événements. C’est encore cette manière de voir (ou plutôt de ne pas vouloir voir) qui déterminera le choix du thème de la « décomposition » pour les réunions publiques en novembre en France.
Si la brutale accélération mondiale de la situation depuis trois mois révèle et confirme quelque chose, c’est d’abord et avant tout : la nature impérialiste de tous les Etats, la faillite du mode de production capitaliste, sa plongée dans une crise mortelle face à laquelle la bourgeoisie n’a qu’une réponse, qu’une politique possible : la marche à la guerre, et enfin le fait que pour imposer la guerre à la société, notamment dans les pays centraux, la classe dominante doit affronter son ennemi mortel : la classe ouvrière. Tous ces éléments sont présents dans la situation d’aujourd’hui comme peut être jamais la génération actuelle de révolutionnaires n’avait pu le vivre. Tous ces éléments ne sont pas particulièrement des manifestations de la décomposition, ils sont des manifestations de quelque chose qui est depuis toujours un socle de granit dans les analyses du CCI, de la Gauche communiste, et du courant marxiste au sein du mouvement ouvrier, mais que malheureusement le CCI d’aujourd’hui tend à oublier : la décadence du mode de production capitaliste.
L’actuelle accélération est donc d’abord un tournant qualitatif majeur sur le plan de l’offensive impérialiste du premier de tous : les USA. Dès le lendemain du 11/9, le BIPR a publié un tract très justement titré « les Etats-Unis déclarent la guerre au monde ». Il faut au moins saluer cette lucidité du BIPR, une lucidité que n’a pas eue le CCI. Car cette offensive américaine n’est effectivement ni une nouvelle guerre du Golfe, ni une nouvelle guerre du Kosovo, elle est beaucoup plus que cela.
Cette déclaration de guerre au monde entier de la part des Etats-Unis est représentative de la fuite en avant militariste propre à l’essence du capitalisme décadent. La principale puissance – et de loin - de ce système a vu depuis 10 ans s’éroder son contrôle impérialiste sur le monde et ses intérêts de plus en plus menacés. Cette politique militariste tous azimuts est le produit des contradictions insurmontables qu’affronte le premier Etat capitaliste du monde, sur le plan économique comme sur le plan impérialiste.
Et c’est là que le parallèle entre le 11 septembre et Pearl Harbour s’impose à nouveau. En guise d’aveu que l’Etat américain avait sciemment laissé faire les Japonais à Pearl Harbour, Roosevelt avait déclaré : « pour qu’une démocratie fasse la guerre, il faut qu’elle soit une victime ». Il fallait à l’Etat américain bien plus que la justification d’un abstrait « droit international » ni celui d’une « guerre humanitaire » contre un lointain dictateur, pour s’engager dans cette nouvelle étape : celle d’une guerre de longue haleine à l’extérieur. Il fallait que l’Amérique soit bafouée, attaquée. Que les attentats du 11/9 soit la manifestation du chaos mondial n’est pas faux, mais s’arrêter là, c’est ne pas voir que Washington avait tout intérêt à laisser faire ce massacre monstrueux, car les véritables forces fondamentalement à l’œuvre dans ces événements ne sont pas « les forces incontrôlables du chaos terroriste » (comme se contente de dire le CCI, ne faisant que répéter la justification guerrière des Etats occidentaux), mais les intérêts impérialistes vitaux des grandes puissances et en premier des Etats-Unis.
Il n’a pas été question ce coup-ci pour les USA de négocier pendant 6 mois pour obtenir un assentiment de leurs « alliés » derrière eux comme en 1990. En quelques jours, la guerre était déclarée, sans aucun égard vis à vis des rivaux des USA, et l’ONU a immédiatement oublié ses belles résolutions humanitaires pour valider la politique de guerre américaine. Ce n’est pas pour rien que contrairement à la guerre du Golfe et du Kosovo, il n’a nullement été question pour les USA de faire appel à la coopération militaire des Etats européens sur le terrain. Au contraire ce sont ces derniers qui ont supplié les USA de bien vouloir leur laisser une petite place dans les opérations militaires. A peine ceux-ci ont-ils concédé un rôle subalterne à la Grande-Bretagne, qui seule, effectivement s’aligne sans état d’âme sur la politique américaine depuis le début des événements. Les autres, -malgré leur volonté, cette fois-ci comme les précédentes, de participer à la curée pour ne pas être marginalisés- seront gentiment gardés à distance, comme l’a montré le confinement des contingents français en Ouzbekistan tant que les USA ne s’étaient pas rendus maîtres du terrain. Cette fois-ci, les Etats-Unis entendent bien dire et faire dire que cette guerre est une guerre spécifiquement américaine, une guerre de l’Amérique contre le monde, et y compris contre tous ceux qui seraient tentés de se mettre en travers de leur route, à commencer par les grands rivaux des USA. Une guerre qui vise à leur montrer que l’Amérique ne fera pas de quartier.
C'est aussi une guerre longue, une guerre qui ne s’arrêtera pas à l’Afghanistan mais dont on annonce d’emblée l’ambition de s’attaquer l’un après l’autre à tous ceux que la bourgeoisie US estimera être des « Etats voyous » et des « protecteurs du terrorisme », l’Irak, la Somalie sont les premiers en ligne de mire.
Et plus cette offensive américaine avance, et plus on voit se dessiner les contours des affrontements futurs et le jeu des contradictions entre les grandes puissances. Très vite les bourgeoisies européennes ont marqué leur différence avec la politique américaine : critiques des méthodes américaines, protestations et doutes sur « l’efficacité » du bombardement de populations civiles, puis rappels appuyés du fait que les Talibans, comme Ben Laden, ont été instrumentalisés par les USA quand cela les arrangeait. Le nouveau pas franchi par les USA qui élargit encore la zone de leur offensive vers l’Est, dans cette région du monde qui n’est plus le Moyen-Orient, mais déjà l’Asie, ne peut que heurter violemment les intérêts des Etats européens continentaux.
Le nouveau pas franchi par les USA se mesure aussi dans la poussée de la guerre israëlo-palestinienne. La guerre du Golfe avait débouché sur la « pax americana » d’Oslo, celle d’Afghanistan débouche sur la transformation du conflit israelo-palestinien en guerre totale : Israël se sent des ailes et, tout comme les USA vis à vis de ses « alliés » européens, choisit d’en finir avec la recherche de compromis pour aller à l’affrontement direct avec l’Autorité palestinienne. Sharon sait que les Etats-Unis sont derrière lui, comme le confirme le nouveau veto américain à la résolution de l’ONU et la manière dont Bush piétine ainsi toute velléité européenne de s’opposer à l’offensive de Tsahal et de soutenir Arafat.
C‘est ainsi que les Vivats pour la Paix sont vivement jetés aux oubliettes de l’hypocrisie diplomatique et laissent place aux Vivats pour la guerre. Les discours sur les « droits de l’homme » qui habillaient les grandes opérations impérialistes de la fin du XX° siècle ont sans pudeur laissé la place au droit de la « justice immanente et sans limite », autrement dit au « droit de punir les hommes », de «les tuer tous» comme le clament haut et fort les dirigeants américains, c’est-à-dire de réprimer des nations déjà reléguées par la crise en deçà de la période pré-capitaliste et au droit de bombardement tous azimuts des populations.
On assiste à une véritable mise en état de guerre de la société capitaliste dans les pays centraux, avec son lot de sacrifices économiques, d’hystérie nationaliste et le déploiement d’un Etat totalitaire et répressif plus omniprésent que jamais. Aux Etats-Unis, le déchaînement de l'hystérie nationaliste et démocratique bat son plein avec comme but l’union sacrée derrière l'Etat bourgeois. A cela, répond dans les autres pays centraux – même si c’est dans une moindre mesure - la même politique d’appel aux sacrifices et la soumission des prolétaires aux nécessités de « la lutte contre la menace terroriste ». Autant les avancées impérialistes américaines sur les champs de bataille du Moyen-Orient et de l’Asie centrale viennent heurter violemment les intérêts européens, autant la bourgeoisie européenne ne se prive pas de monter son opinion publique contre la fuite en avant de Washington, autant il est une chose sur laquelle tous ces Etats sont d’accord, sur laquelle ils sont bel et bien sur la même longueur d’onde : à Londres, à Paris ou à Berlin, la classe dominante mène, tout comme à Washington, une politique qui cherche désormais ouvertement à embarquer la classe ouvrière derrière sa propre bourgeoisie et à lui faire accepter la guerre. C’est pourquoi, les événements récents ne montrent pas seulement des Etats-Unis qui déclarent la guerre impérialiste au monde, mais ils montrent en même temps une bourgeoisie qui partout déclare la guerre de classe à son ennemi mortel, le prolétariat. Et cela non dans le sens où Vercesi l'entendait, c'est-à-dire dans laquelle les rivalités impérialistes auraient disparu, mais parce qu'elle n'a d'autre choix, vu l'impasse historique dans laquelle elle se trouve sur tous les plans, que de tenter d'imposer au prolétariat – non battu historiquement – la guerre impérialiste permanente et généralisée.
Sur le fond, sinon sur la forme, les autres Etats européens sont sur la même ligne de mobilisation de leur opinion derrière l’Etat au nom de la menace terroriste. Le discours d’appel direct à l’effort de guerre de Blair est carrément calqué sur celui de Bush : fin octobre Tony Blair en appelle à la « fibre morale » des britanniques pour qu’ils acceptent un « conflit périlleux et de longue haleine ». Un chef d’état major anglais est même allé encore plus loin, déclarant que « la guerre en Afghanistan pourrait durer trois ou quatre ans et, plus généralement, que la lutte générale contre le terrorisme, comparable à la lutte contre le communisme durant la guerre froide, pourrait prendre un demi-siècle » (dépêche AFP 28/10). Ailleurs, si le discours est moins directement guerrier, la volonté d'offensive contre le prolétariat est tout aussi présente.
Le renforcement ouvert des moyens de répression de l’Etat en France n’est pas seulement une série de mesures concrètes permettant à l’Etat de renforcer ses contrôles sur la société civile (car en fait ces moyens existaient déjà officieusement au moins), ce ne sont pas seulement des moyens de répression que la bourgeoisie met en place pour l’avenir, pour les besoins de l’affrontement futur avec la classe ouvrière –comme se contente de le dire le dernier numéro de RI par exemple (1). C’est surtout une véritable offensive idéologique et politique vis-à-vis des populations et au premier chef de la classe ouvrière, surtout des pays centraux du capitalisme visant à développer les sentiments nationalistes, d'union avec l'Etat démocratique, de sacrifices et de guerre et visant aussi à faire accepter le durcissement de l’Etat, le renforcement de son emprise totalitaire et répressive. La politique sécuritaire, qui cherche à faire assimiler l’insécurité des banlieues aux menaces terroristes, les campagnes télévisées attisant les haines entre prolétaires d'origine juive et arabe, tout cela participe de cette offensive directe contre la classe ouvrière.
La guerre déclarée contre la classe ouvrière par la bourgeoisie sur le plan idéologique et politique vient accompagner et marquer un pas qualitatif dans l’attaque ouverte que la bourgeoisie avait déjà commencé à mettre en œuvre, dès avant le 11/9, contre les conditions d’existence de la classe ouvrière et qui, depuis un an, prend la forme de violents plans de licenciements partout dans le monde. Déjà ce passage à l’offensive directe et massive sur le plan économique contre la classe ouvrière révélait que les contradictions de son système poussent la classe dominante, qu’elle le veuille ou non, à s’attaquer frontalement à son ennemi mortel, contraignant celui-ci à développer plus largement ses luttes de résistance et sa conscience. Le nouveau pas franchi aujourd’hui dans l’actuelle offensive politique de la bourgeoisie contre le prolétariat ajoute un nouveau défi pour la classe ouvrière, dans lequel le lien crise-guerre va se révéler plus clairement que jamais.
L’Etat bourgeois est au cœur de l’ensemble de cette offensive. Un hebdomadaire français constatait, au lendemain du discours de Bush, "on attendait Rambo, et on a eu Roosevelt" (Marianne, de mémoire). Les organes centraux n'ont vu que Rambo luttant contre le chaos et n'ont pas vu Roosevelt et l’Etat œuvrant à mobiliser la société au plan politique et économique pour la guerre.
Dans cette situation, la classe ouvrière n’est pas une simple « victime » de la crise, de la guerre et du « chaos » comme se complaît à simplement répéter le CCI dans ses dernières publications. Dans cet affrontement, la classe ouvrière est l’enjeu de cette offensive, et elle est le protagoniste essentiel du combat. Loin de se lamenter sur « la classe ouvrière première victime de la guerre » ou de la crise, qui n’est qu’une façon de se placer en observateur de la lutte des classes et de ne voir dans la misère que la misère, les révolutionnaires doivent dire à la classe ouvrière qu’elle n’est pas une victime mais un combattant, que c’est l’affrontement entre le capital et le travail qui se joue sous nos yeux
Non, nous ne sommes pas simplement devant « un pas de plus dans la décomposition sanglante du capitalisme » (cf. le titre en page 2 du Supplément de RI). Ce que renvoie une telle explication, c’est l’idée que de tels événements n’obéiraient qu’à la logique du chaos, qu’à un processus de décomposition auquel personne ne peut rien et qu’aucune force ne saurait contrôler. Un processus qui aurait sa propre dynamique, dépassant la volonté de tous les Etats et face auquel toutes les classes de la société seraient tout simplement impuissantes. Un processus étranger donc au rapport de forces entre les classes. Avec une telle vision, il y aurait rien de changé au point de vue de l'affrontement entre les classes. En fait cela implique une grave sous-estimation de la nouvelle situation qui s’est créée et de l’enjeu qui est devant nous.
Ce qui se passe aujourd’hui est la manifestation ouverte, criante, hurlante de vérité, de quelque chose que le CCI sait pourtant depuis longtemps : dans la décadence du capitalisme et face à la faillite de son système, la bourgeoisie n’a qu’une politique : la marche à la guerre. Elle sait de plus, pour l’avoir appris de l’histoire, que pour imposer la guerre dans les pays centraux, il lui faut affronter la classe ouvrière, s’assurer de sa défaite, de sa soumission. C’est pourquoi, la crise mortelle du capitalisme a mis, depuis 1968, la société devant l’alternative : guerre ou révolution. Les deux issues de cette alternative s’opposent, comme manifestation du conflit irréconciliable entre les deux classes de la société, entre le capital et le travail. Et cela reste vrai, indépendamment du changement historique de 1989 qui a vu disparaître les blocs constitués à Yalta. Lorsque nous avons identifié la période actuelle comme étant celle de la décomposition, nous ne l’avons jamais définie autrement que comme « la phase ultime de la décadence », une période où toutes les caractéristiques de la décadence se concentrent comme jamais.
Cette tendance confirmée, dans le CCI, à ne plus appuyer ses analyses sur la décadence mais sur la décomposition (qui au fur et à mesure perd tout lien avec la décadence) fait, par exemple, que la crise économique, ses évolutions et son aggravation ne sont plus prises en considération, voire n'ont plus aucune importance, aucun poids, que ce soit pour la politique globale de la bourgeoisie ou pour le combat de la classe ouvrière. La crise n'est prise en considération qu'en tant que signe de la faillite du système. D'ailleurs, depuis quelques années, il apparaît que le CCI tend de plus en plus à défendre l'idée que la classe ouvrière ne pourra avancer dans le sens de sa perspective que si "elle prend conscience de la faillite du capitalisme". Le processus qui, du fait des attaques quotidiennes de plus en plus lourdes, va dans le sens de développer les luttes et la conscience ouvrières, menant cette dernière jusqu'à la conscience de la faillite, n'existe plus. En tout cas, il semble que ce "processus quotidien" ne fait pas "avancer le Schmilblik". De ce fait, pourquoi prendre en considération la crise économique et ses implications pour la classe ouvrière ? Enfin, cette absence de prise en considération de la crise économique a une conséquence très grave sur l'intervention, surtout dans la période actuelle.
Il en va de même avec la question du terrorisme qui n'est vu que comme la manifestation de la décomposition. C'est vraiment ne rien comprendre à ce qui se passe. Le terrorisme d'aujourd'hui est plus clairement que jamais une arme des Etats (moyens militaires, logistiques, financiers) capitalistes, c'est-à-dire des pions de l'impérialisme mondial. On n'a pas affaire à quelques pelés fanatiques, incontrôlables mais à des structures politico-militaires utilisées directement dans le cadre des tensions entre les grands (et même les moins grands). Ce n'est pas la vision de la décomposition qui permet de voir et de poser clairement cela, c'est la vision de la décadence dont il ne faut surtout pas s'éloigner.
Aujourd'hui la situation que nous avons appelée "blocage historique" entre les classes est devenue pour la bourgeoisie absolument insupportable, du fait même de la profondeur de la crise économique. La bourgeoisie ne peut pas se contenter de cette situation de blocage, son système s'effondre de plus en plus dans la faillite et dans l'étranglement. Pour elle, c'est de plus en plus insupportable. Elle a supporté cette situation tant qu'elle a pu et elle a évité, à cause de la classe ouvrière, de s'engager dans la marche à la guerre. Donc la bourgeoisie a, pendant toutes ces années, essayé de se sortir de cette impasse. Et là, elle a pris la décision, (et là dessus il y a unanimité entre les grands rivaux impérialistes) de passer outre à sa peur d'une classe non battue, de s'engager malgré tout dans une "marche forcée" à la guerre, et cela avec tous les risques que cela comporte. Si cela marche, c'est tout bénéfice pour elle et on ne peut écarter qu'elle réussisse à imposer sa perspective de guerre au prolétariat international. D'une certaine manière, on peut dire que, contrainte et forcée par la crise de son système, la bourgeoisie est en train de débloquer la situation, en s'engageant ouvertement dans une stratégie de marche consciente à la guerre. Mais en faisant cela, elle montre et va montrer de plus en plus ouvertement sa nature barbare, en engageant de plus en plus toute la société dans la guerre. Et en même temps, elle n'a plus les moyens de masquer la crise de son système.
Il faut être lucide : il s'agit d'une accélération, une clarification de la question du cours historique et des enjeux. Donc on est dans une situation gravissime, non pas parce que le cours aurait été inversé, mais parce que les enjeux historiques vont commencer à réapparaître clairement, que les perspectives contradictoires des deux classes vont se poser ouvertement. La bourgeoisie a décidé de s'engager vers les affrontements décisifs de classe car elle n'a pas d'autre issue aujourd'hui. C'est dans ce sens que le cours historique n'est pas renversé et reste bien aux affrontements décisifs.
Nous vivons un moment où les phénomènes de crise et de guerre apparaissent clairement et simultanément dans toute leur splendeur. Le CCI n'a jamais eu une telle opportunité d'intervention, on peut même dire qu'il l'attendait depuis sa fondation.
«La situation du CCI est d’autant plus dramatique que la brutale accélération de la situation mondiale met comme jamais le milieu politique prolétarien -et le CCI y compris- devant ses responsabilités. C’est le moment, comme jamais peut-être dans notre histoire, de « faire la preuve du pudding », de montrer que 25 ans de combat et d’efforts pour construire et renforcer l’organisation n’ont pas été menés en vain » (introduction du bulletin n°1 de la fraction).
Le moins qu’on puisse dire est que la réponse qui a été celle du CCI face aux événements de la situation mondiale ouverte par le 11 septembre a révélé - peut-être plus encore que la dégradation gravissime de son régime intérieur - l’ampleur de la dérive dans laquelle l’actuelle direction liquidatrice parvient de plus en plus à entraîner notre organisation.
Deux jours après le BI plénier extraordinaire, les attentats de New York sont venus mettre toutes les organisations, tous les militants internationalistes devant leur responsabilité, comme peut-être jamais depuis la seconde guerre mondiale. Malheureusement, les organes exécutifs à Paris vont rapidement montrer leur refus crasse de prendre la mesure de la signification gravissime de cet événement et leur refus encore plus crasse d’assumer leurs responsabilités.
Comme on sait, le SI rejettera la proposition, émise par de nombreuses parties de l’organisation dès le lendemain des événements du 11/9, de publier immédiatement un tract international (2).Il rejettera tout autant les insistances de plusieurs camarades pour que l’organisation prenne contact immédiatement avec les groupes du milieu politique prolétarien. Et la seule explication qui sera donnée après coup pour rejeter cette proposition de rencontrer le milieu fut de la justifier au nom « des leçons de l’échec de notre appel au MPP lors de la guerre du Kosovo » !
De fait, alors que le 11 septembre représente un événement majeur, sans précédent dans l’histoire du CCI, par lequel la guerre impérialiste fait irruption dans le quotidien des prolétaires des pays centraux, le SI estimera qu’il est "trop tôt" pour faire un tract sous prétexte qu’il vaut mieux attendre le début des représailles américaines. Il attend l'occasion de dénoncer Rambo alors qu'il s'agit au plus vite de dénoncer Roosevelt. Il attend les victimes des bombardements américains au loin alors qu'il s'agit d'armer notre classe ici contre l'offensive idéologique qui s'abat sur elle.
Le tract international du CCI
Le tract qui sera finalement publié ne verra donc dans les événements que des manifestations de cette vision de la décomposition pour laquelle le capitalisme s'englue dans une anarchie totale, dans des conflits totalement irrationnels et incontrôlables. Cet aspect de l'irrationalité que le CCI a eu raison de mettre en évidence au niveau global et historique, est pour le CCI d'aujourd'hui applicable à chaque conflit pris séparément et dans son immédiateté. On a l'impression que tout événement qu'il soit politique, diplomatique ou guerrier, est irrationnel, aberrant, n'est qu'une manifestation du chaos. On a la sensation que les différentes bourgeoisies n'ont plus la capacité de mettre en place des politiques, des stratégies. Par contre, ce qui apparaît dans l'intervention avec le tract, c'est que tout est l'œuvre de fous, de déséquilibrés, qui n'ont même plus des intérêts bien compris à défendre. C'est ce qu’exprime la phrase du tract "mais Ben Laden et ses acolytes, en entreprenant délibérément de massacrer autant de civils que possible, ne font que suivre l'exemple que nous donnent les soi-disant Etats civilisés". Donc la bourgeoisie tue pour tuer sans raison, qu'il s'agisse de Ben Laden ou de Bush.
Tout cela fait que non seulement l'analyse mise en avant dans le tract du CCI est à côté de la plaque mais l'intervention est ratée au niveau de son axe principal (appel à une prise de conscience abstraite, ou morale, d'un système qui s'enfonce dans le chaos, au lieu de montrer le lien crise-guerre, le vrai visage du système au lieu de dénoncer la bourgeoisie et son Etat).
Le supplément de RI
En attendant donc le tract, le SI laissera chaque section territoriale se contenter des moyens de sa presse locale. En France, le supplément de RI, publié le 17 septembre, est une caricature. Le chapeau qui fait à juste titre le parallèle avec Pearl Harbour, n’en tire rien d’autre que de répéter ce que disent tous les médias : c’est un acte de guerre. Et comme eux, il ne fait que se scandaliser sur les victimes civiles sans défense en ouvrant la porte à une vision lamentablement opportuniste : "Ces morts sont nos morts. Et nous nions tout droit à la bourgeoisie hypocrite et ses médias aux ordres de pleurer nos morts. (…) La classe dirigeante de ce système pourrissant (…) verse aujourd’hui encore des larmes de crocodiles sur ces morts. Nos morts". Il s'agit là d'une idée qui traverse l'article et qui, en revendiquant tous les morts ("nos morts"), ne voit dans les cadavres que des ouvriers, comme pour donner une image de "radicalisme prolétarien" de cette intervention. N'est-ce pas la marque de l’ouvriérisme, voire de l'opportunisme ? Non, ces morts ne sont pas « nos morts », ils sont des victimes de la guerre impérialiste comme le sont les populations d’Afghanistan, et non pas des prolétaires tués au combat de classe.
Cette idée est poussée un peu plus loin jusqu'à l'absurde : "C'est aujourd'hui et toujours la classe ouvrière qui est la première victime de la guerre. Victime d'abord dans sa chair. Mais victime surtout dans sa conscience. Alors que seule la classe ouvrière a la capacité de mettre fin au système responsable de la guerre, la bourgeoisie se sert de celle-ci encore et toujours pour appeler à l'union sacrée". Qui celle-ci ? La classe ouvrière ? La guerre ? Dans les deux cas de figure, tout cela amène à ne renvoyer à la classe ouvrière qu'une image d'elle-même comme une masse de pauvres victimes, impuissantes, passives, totalement manipulables par la bourgeoisie ; à ne voir dans la misère que la misère. Le supplément voit bien l'attaque contre la classe ouvrière, mais induit que cette bataille est déjà perdue pour le prolétariat. Au lieu d'armer notre classe, elle tend à la désespérer : "les Etats-Unis se trouvent donc libres sur le plan intérieur et extérieur pour frapper très fort afin de réaffirmer leur domination militaire impérialiste totale sur la planète" (souligné par nous). C'est une position totalement défaitiste.
Ensuite, sans doute brillamment éclairé par l'excellence théorique du Texte d'Orientation sur la confiance et la solidarité, le supplément développe une conception bourgeoise de la "solidarité" : "A New York, la solidarité spontanée de la population voulant venir en aide aux victimes s'est exprimée dans des dons du sang,dans des milliers d'actes individuels ; elle a trouvé un écho dans les populations à travers le monde. Mais cette solidarité humaine, qui est à la base même de l'existence sociale de notre espèce (on croirait entendre Taly voire pire), est détournée vers la solidarité "humanitaire" utilisée par l'Etat au profit de la mobilisation militaire…" (1ère page, 2ème colonne, souligné par nous). Ce dérapage par rapport à la question de la solidarité prolétarienne transpire tout au long de cet article.
N'ayant pu lire toute la presse du CCI, il nous est impossible de savoir si la majorité des sections territoriales ont repris ces visions opportunistes. Nous savons que la presse anglo-saxonne n'a pas toujours eu la même tonalité comme nous allons le voir dans la dernière partie. Pour nous, cette intervention lamentable, largement en-deça de la situation, est aussi la conséquence de la mainmise actuelle de la tendance liquidationniste dans les organes centraux parisiens. Ces derniers ne trouvent plus depuis le congrès de contre-poids à cette tendance défaitiste du point de vue de l'analyse de la situation et du rapport de forces entre les classes, marquée particulièrement par l'omniprésence de la décomposition comme phénomène absolu. Comme catégorie abstraite à laquelle tous les éléments de la situation historique actuelle sont rapportés et déformés.
Pour notre part, nous préférons, et de loin, ce que la section aux Etats-Unis écrit dans Internationalism 119, qui rejette l'idée que la bataille serait déjà perdue et appelle à mener cette bataille : "le succès potentiel de cette campagne capitaliste et les implications qu'elle pourrait avoir à long terme pour la lutte de la classe ouvrière soulève des questions vraiment sérieuses pour le mouvement ouvrier et le futur de l'humanité lui-même. La situation présente pose clairement l'alternative de la barbarie ou socialisme avec une clarté incontournable" (traduit par nos soins). N'y a-t-il pas là toute la différence entre les militants déterminés de la classe ouvrière et l'opportunisme ? Mais surtout les camarades, conséquents, montrent la voie au CCI et à tout le milieu prolétarien : "Aujourd'hui comme jamais auparavant, les révolutionnaires et les ouvriers conscients doivent parler haut et fort, et unitairement contre la psychose de guerre propagée par les gangsters sanglants qui exercent le pouvoir". C'est dans ce sens que la section avait fait un appel déterminé au milieu aux Etats-Unis. Appel malheureusement, que le SI actuel s'est refusé de relayer alors même que la section américaine du BIPR, Internationalist Notes, avait répondu qu'il appartenait aux deux organisations internationales, le BIPR et le CCI, de prendre contact de manière centralisée.
Là aussi, il y a un renoncement lourd de conséquences de la politique de toujours du CCI et de sa conception du MPP, et de la lutte contre le sectarisme. Les liquidationnistes commencent à réussir à enfermer le CCI dans un esprit de "forteresse assiégée" tant du point de vue interne qu'externe.
Nous aurons bien évidemment l'occasion de revenir sur notre appréciation de la situation internationale actuelle et même de la préciser dans d'autres contributions.
La Fraction, le 15/12/01.
1 "Ce bond en avant impressionnant de l'Etat policier à l'échelle internationale sous prétexte de lutte contre le terrorisme vise, in fine, tout autre chose. Demain, il permettra à la bourgeoisie d'affronter plus efficacement une classe ouvrière en lutte ainsi que ses organisations révolutionnaires. La bourgeoisie anticipe, dès à présent, l'effet possible de l'approfondissement de la crise et la dégradation des conditions de vie du prolétariat sur la lutte de classe" (RI 318 de décembre 2001, L'antiterrorisme, un prétexte pour blinder l'Etat policier).
2 C’est le cas de la camarade Sarah qui –souffrante à ce moment là- a fait passer une prise de position écrite à la RS du 12/9 porteuse de ces deux insistances. Le lendemain 13/9, Sarah ayant appris par Michel que la proposition tant d’un tract que de prise de contact avec le milieu a été rejetée lors la discussion en section, appellera Peter pour insister auprès de lui afin que la réunion du SI du soir même revienne sur cette décision. Peter lui répondra par des insultes, refusera d’écouter ses arguments et finira par lui raccrocher au nez, au point que Sarah a du appeler ensuite Elise pour lui demander d’entendre ses arguments et de bien vouloir les faire connaître au SI. Le 18/9, Olivier transmettra également au SI une prise de position insistant sur le bouleversement de la situation mondiale, relevant que l’organisation avait hélas déjà manqué le meilleur moment pour un tract mais qu’il fallait se donner les moyens d’intervenir largement, par presse, nos réunions, celles du milieu, pour dénoncer la mise en état de guerre de la société dans les pays développés.Tout cela fera plouf. Notons qu’à ce moment là, il n’y avait pas encore de fraction, que le «collectif de travail » était dissous et que Sarah et Olivier parlaient en leurs noms propres. En tout cas, le désaccord était bien là et le refus du SI de prendre la mesure de la gravité de la situation aussi.
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