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COMMENT MENER LA BATAILLE POUR L'ORGANISATION :
"Protégez moi de mes amis,…!"

"Le 'centre' - les gens qui hésitent entre les social-chauvins et les vrais internationalistes.

Le 'centre' jure ses grands dieux qu'il est marxiste, internationaliste, pour la paix, pour toutes sortes de 'pressions' et de 'revendications' obligeant les gouvernements à 'exprimer la volonté de paix des peuples', pour toutes sortes de campagnes en faveur de la paix, pour la paix sans annexion, etc., etc., et pour la paix avec les social-chauvins. Le 'centre' est pour l' 'unité', le 'centre' est l'ennemi de la scission.

Le 'centre' est le règne de la bonne phrase petite-bourgeoise, de l'internationalisme en paroles et, en réalité, de l'opportunisme pusillanime et des complaisances envers les social-chauvins.

Mais surtout, le 'centre', dans chaque pays, n'est pas convaincu de la nécessité d'une révolution contre son gouvernement, ne la prêche pas, ne mène pas de lutte révolutionnaire décidée, invente des excuses misérables, mais 'archimarxistes', pour s'y soustraire.

(...)

Le 'centre' est composé d'hommes de routine, rongés par une légalité pourrie, gâtés par l'atmosphère du parlementarisme, de fonctionnaires habitués aux bonnes places et au travail 'dans le calme'. (souligné par nous)" (Lenine, "Les objectifs du prolétariat dans notre révolution" avril 1917)

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- Après le déclenchement de la guerre notamment, Liebknecht ne cessera de fustiger les centristes et leurs hésitations. Il apparaît que c'est son expérience malheureuse du 4 août 1914 (son vote pour les crédits militaires) qui l'a marqué au fer rouge et qui l'a amené à rejeter avec la plus grande fermeté toute attitude de compromis, de demi-mesure, d'hésitation face à la "droite", ce qu'il confirme en disant dès le lendemain : "A Stuttgart, on me reproche pour la première fois de ne pas avoir fait suffisamment preuve de décision [...]. Ces mots m'ont bouleversé et réjoui. Vos critiques sont absolument justifiées [...j'aurais dû] crier mon 'Non!' en plein Reichstag [...] J'ai commis une faute grave [...] Il ne me reste qu'à vous promettre que je mènerai à l'avenir une lutte sans compromis contre la guerre wilhelminienne et les socialistes de Sa Majesté."

- La réunion de l'opposition du 5 mars 1915 ne réunit pas que des futurs spartakistes mais aussi des éléments qui fonderont le parti socialiste indépendant. Cette réunion décide la publication d'une revue mensuelle, L'Internationale, dont le premier et seul numéro paraîtra à la mi-avril 1915. Le premier article de cette revue est de Rosa Luxemburg et s'intitule "La reconstruction de l'Internationale". L'article s'attaque bien sur à la droite mais aussi à Kautsky qui avait défendu l'idée selon laquelle l'Internationale n'était bonne qu'en temps de paix.

Un article de Clara Zetkin se concluait par un appel aux sociaux-démocrates à lutter énergiquement contre la guerre "avec les dirigeants, si ceux-ci finissent par se décider; sans eux, s'ils continuent à hésiter et à se montrer irrésolus; contre eux, s'ils veulent freiner."

[Dans tous les combats pour la défense des principes révolutionnaires prolétariens, c-à-d les combats politiques contre ceux qui les renient, ceux qui représentent la droite, l'opportunisme, il apparaît clairement qu'un danger majeur provient aussi du centrisme qui tend "à hésiter et à se montrer irrésolu" et qui va même jusqu'à chercher à "freiner". En ce sens, il ne faut pas hésiter à mener la bataille "contre eux"].

La direction du SPD réagit très vivement à la publication de L'Internationale. A l'attitude de Rosa Luxemburg et de ses amis, sur le sort desquels il est prévu que le prochain congrès du parti aura à statuer, on oppose le comportement discipliné de Kautsky et de Haase qui poursuivent eux aussi une discussion interne, mais sans violences ni invectives. [Est-il nécessaire de dire qu'il y a un parallèle évident, toute proportion gardée, à faire avec ce qui se passe dans le CCI aujourd'hui? Une gauche qui est attaquée et dénoncée pour son "indiscipline", ses "violences"..., un centre qui exprime des divergences mais dans les règles, "dans le cadre" décidé par la droite.]

Début 1915, Rosa Luxemburg rédige en prison "La crise de la social-démocratie" (La brochure de Junius) qui dirige ses coups surtout contre la direction du SPD (la droite). Tout en saluant cette brochure, Lénine dira : "On ne peut comprendre ni surmonter 'la crise de la social-démocratie' sans mettre à nu l'importance et le rôle des deux tendances : la tendance ouvertement opportuniste (Legien, David, etc.) et la tendance qui masque son opportunisme (Kautsky et consorts)." [Pour Lenine, le centrisme est aussi de l'opportunisme mais... masqué] Ce qu'il ne sait pas au moment où il lit cette brochure, c-à-d au début de 1916, c'est que tous les spartakistes dénoncent avec vigueur la mollesse des centristes.

- Durant l'année 1915, il y a plusieurs tentatives notamment de la part de Liebknecht de rallier les centristes à la politique de la gauche. De leur côté, les centristes - Haase, Kautsky, Bernstein - sentent qu'il ne faut surtout pas laisser la gauche seule dénoncer la politique d'Union sacrée préconisée par la direction de droite. Ils publient à leur tour un manifeste, L'exigence de l'heure, qui constitue la plate-forme du centrisme. Ils s'en prennent à la direction du parti, critiquent l'Union sacrée, préconisent une paix démocratique mais rejettent toute action de masse. Kautsky précisera plus tard : "Le danger qui nous menace du côté de Spartakus est grand. Leur extrémisme correspond aux besoins actuels des larges couches inéduquées (...) Si la gauche du groupe parlementaire (les centristes) s'était manifestée en affirmant son autonomie il y a un an, comme je le souhaitais, le groupe Spartakus n'aurait acquis aucune importance (...) Nous sommes le centre; de sa force dépend que soient surmontées les forces centrifuges de droite et de gauche ou qu'elles ne le soient pas." [Kautsky met en évidence ici que le développement du centre se fait au détriment de la gauche, que son rôle essentiel est d'étouffer l'influence que peut avoir la gauche.]

- Quand Liebknecht a refusé de voter les crédits militaires en décembre 1914, à Ledebour qui le critiquait il a répondu que ce qu'il fallait faire aujourd'hui c'était secouer les masses et les éclairer et non chercher à "susciter des regroupements sur une ligne moyenne". [N'est-ce pas ce que certains préconisent aujourd'hui : l'unité sur des positions de compromis?]

Au Reichstag où il poursuit son combat contre la guerre, il n'est pas seulement attaqué par les "va-t-en-guerre" mais aussi par ses "amis" du centre qui l'excluent des délibérations du groupe parlementaire de l'opposition. "Ainsi, note-t-il, cette minorité encore à l'état de fœtus commença à excommunier. Sa première action fut, avant même qu'elle eût commencé sa carrière historique, mon excommunication." [Il est intéressant de noter que le centrisme peut aller jusqu'à poignarder la gauche dans le dos.]

- Liebknecht précisera sa position vis à vis du centrisme dans une lettre qu'il adressera à la conférence de Zimmerwald : il y affirme qu'il ne veut pas rompre avec "les hésitants" mais il pense nécessaire de "les faire avancer à coups de fouet."

[C'est ainsi qu'il faut définir la politique à mener vis à vis du centrisme aujourd'hui :

* ne pas avoir d'illusion à son propos et même être particulièrement vigilant par rapport au danger mortel potentiel qu'il représente pour la gauche;

* maintenir des liens, voire assumer un travail politique commun avec lui;

* mais, pour le faire évoluer vers la gauche, ne pas hésiter à le soumettre à la critique la plus intransigeante.]

Le 1er janvier 1916 se tient à Berlin une conférence qui est l'acte de naissance du groupe Spartakus. C'est un texte écrit par Rosa Luxemburg en prison qui est au centre des débats. Ces Thèses représentent une sorte de proposition de plate-forme. Bien qu'elles soient soumises à la discussion, pour Rosa, il n'était pas question qu'elles soient transformées en "bouillie pour toutes les bouches". [Encore une fois, l’expérience historique nous montre que les positions et la démarche de la gauche sont déterminées par la clarté, par le caractère tranché et exempt d’ambiguïté. C’est le contraire d’une “ bouillie pour toutes les bouches ”.]

- A la suite de la conférence de Zimmerwald et de la publication des Thèses, l'opposition social-démocrate se scinde en deux groupes bien distincts. A partir de là, les Spartakistes s'opposent très violemment à la majorité de l'opposition conduite par Ledebour, Haase et Cie.

Le 21 décembre 1915, plusieurs députés de l'opposition (les centristes) refusent à leur tour de voter les crédits de guerre. Quelque temps plus tard, dans un article intitulé "Les décembristes de 1915", Liebknecht, tout en reconnaissant que ce vote représente un pas en avant, développe une violente critique contre les centristes et décrit leur attitude ainsi : "On s'est conduit gentiment et avec distinction, comme il sied, en ces temps de guerre mondiale et d'état de siège, à des sociaux-démocrates bien élevés; c'est toujours l'Union sacrée!" [Liebknecht met en évidence que, malgré leur opposition, les centristes ont eu une complicité objective avec la droite. Cette remarque doit être prise comme leçon dans le combat politique que mènent aujourd'hui les "minoritaires" du CCI. Les centristes peuvent les abandonner pour s'entendre avec la direction de droite "afin de sauver l'unité de l'organisation".]

Au sein de l'opposition, Haase, Ledebour et leurs amis cherchent à interdire toute démarche ou action autonome aux spartakistes. C'est ainsi qu'ils leurs font grief d'avoir diffusé les Thèses en Suisse "avant que [toute] l'opposition ait pu en discuter". [Une telle façon d'agir, de retarder, voire d'empêcher la divulgation de textes importants n'est-elle pas à rapprocher de ce que fait la “ direction ” actuelle du CCI mais aussi de ce qu’ont fait les centristes au sein d’une opposition qui tentait de se constituer au début du mois d'août 2001?]

- De leur côté, les spartakistes sont contraints de reconnaître qu'il est impossible de collaborer avec ces opposants "timorés" et "tièdes". C'est ce que dit clairement Käthe Duncker dans une lettre adressée à son mari : "Je crains pourtant que nous soyons obligés de rompre avec eux. Ce sont des freins pour n'importe quelle, vraiment n'importe quelle activité."

Quelques semaines plus tard, Liebknecht est encore plus précis, plus décidé dans la mise en avant d'une nécessaire rupture : "Ce qu'il faut par-dessus tout ce n'est pas 'l'unité' mais la clarté (...) Le chemin de l'unanimité théorique et tactique, et partant de la capacité d'action et partant de l'unité, passe par une révélation implacable des divergences."

Le 19 mars 1916, à la conférence nationale du groupe Spartakus, il définit, dans une intervention marquée par la clarté politique et la détermination, les tâches de l'opposition :

"L'Internationale s'est effondrée. Pourquoi ? Parce que se sont effondrées ses diverses sections. La section allemande en premier lieu. Ce qui s'est effondré, c'est la position de principe de la social-démocratie allemande. Les chefs ont trahi les principes. Mais la masse non plus n'a pas fait son devoir. Toute notre belle organisation a transformé les masses en un troupeau désemparé, qui ne sait que faire sans bélier qui le mène. Toutes les fautes sont apparues clairement dans cet effondrement du parti allemand : véritable résumé des péchés commis par le parti dans le passé. (...)

De là résultent les conclusions que nous devons tirer. Nous devons d'abord nous persuader que la capacité d'action d'un parti ne dépend nullement du nombre de ses partisans, mais qu'elle est en rapport avec le degré d'accord de ses membres sur les principes, la tactique et en rapport direct avec l'énergie, la volonté opiniâtre qui a été inculquée aux masses elles-mêmes. De là découlent nos tâches pour l'avenir. La faiblesse de notre parti réside dans le fait qu'on a voulu toujours accorder tous les violons. L'essentiel, c'était l'unité, disait-on, et en fait, c'était là que résidait le mal, le cancer. Cette unité n'était que la marque de notre faiblesse, elle n'était nullement un motif de gloire. Il faut en tirer cette conclusion : la tâche qu'il nous faut mettre au premier plan, c'est éclairer crûment les oppositions. Il ne faut pas que le sentiment de l'autorité contraigne à suivre un tel ou un tel; chacun doit penser, réfléchir, agir par lui-même, par libre décision. (...)

Les 'petites questions' (parmi les moyens d'agitation utilisés par Liebknecht depuis le début de la guerre, il y avait ces 'petites questions' qu'il ne cessait de poser au Reichstag)? Qui m'a gêné? Ledebour. On ne veut pas de conflit avec la majorité du groupe. Fustiger des types comme Noske et Heine, l'opposition vous en empêche. (...) Il est bien évident que ces demi-mesures, cette faiblesse sur le plan des principes rendent difficile notre tactique vis à vis de cette opposition. Nous n'avons pas le droit de collaborer avec ces gens-là : ils nous écraseraient. Dans l'intérêt d'un développement sain du parti, il nous faut suivre notre chemin, tout droit, même avec le risque, provisoirement, d'être mis sous le boisseau." (souligné par nous) [Au niveau de la méthode à adopter, Liebknecht fournit ici des éléments précieux que, collectivement et même individuellement, nous devons être capable d'assimiler et de mettre en pratique quand, dans l'organisation, il faut mener la bataille contre une dérive droitière, quand les principes et les fondements marxistes sont remis en cause. Ce qu'il nous indique c'est que la gauche, seule fraction capable de mener cette bataille de façon déterminée, n'a pas à se laisser aller à l'hésitation, à une politique de demi-mesures, comme le centre l'y encourage ni à redouter l'isolement, voire même d'être coupé, pendant tout un temps, de la majorité des militants de l'organisation. C'est dans ces moments, dans ces batailles que se mesurent réellement les qualités qui sont nécessaires aux révolutionnaires : le courage politique, la détermination et la patience.]

Dans une brochure intitulée De deux choses l'une, Rosa Luxemburg met en avant la même nécessité et fustige les centristes en ces termes : "Pas trace de logique, de volonté d'action, de style, de rigueur théorique. Rien que demi-mesures, faiblesses et illusions." L'union pour laquelle elle appelle à se battre c'est "l'union des convictions profondes et fermes, non pas le rassemblement mécanique d'éléments séparés par des divergences internes. La force ne réside pas dans le nombre mais dans l'esprit, dans la clarté, la volonté d'agir qui nous animent." (souligné par nous) [Voilà bien la seule réponse à donner aux imbéciles et aux ignares en matière d’histoire du mouvement ouvrier qui se permettent aujourd’hui de nier l’existence de la fraction sous prétexte qu’elle est ultra-minoritaire. N’oublions pas que, le soir du 4 août 1914, 7 militants du SPD (nous disons bien 7) se réunissaient chez Rosa Luxemburg pour se déclarer en opposition avec la politique du parti. Et qu’en est-il des participants de la conférence de Zimmerwald qui, selon Trotsky, pouvait “ contenir dans un taxi ” ?]

En juin 1916, toutes les directions des huit circonscriptions de Berlin tombent entre les mains de l'opposition du SPD : une seule pour la gauche, les autres pour les centristes, "couleur Ledebour". Toutes les directions de droite qui ont été évincées refusent, manifestement par provocation, de remettre les caisses et les listes d'adhérents aux nouvelles directions qui non seulement ne réagissent pas mais sont prêtes à toutes les concessions. Kathe Duncker écrit le 16 juillet : "Huit jours plus tard, on nous conjura de céder encore. Paul Hoffmann, Heichhorn et trois autres héros (il s'agit là d'opposants centristes) cherchèrent à nous convaincre que c'était agir sagement. Il fallait, disaient-ils, faire savoir à la direction du parti que l'on allait convoquer la nouvelle assemblée générale d'ici le 23 juin. Si la direction refusait, eh bien on céderait encore. Eberlein et moi, nous ne leur avons pas fait de cadeaux. J'étais si pleine de rage et si écœurée devant la lâcheté de cette racaille qui se fait traiter 'd'opposition' que je n'ai pas été très tendre avec eux. Notre direction [c'est la seule direction de circonscription qui est détenue par la gauche] avait décidé de ne pas reculer davantage; aussi ai-je planté là ces grenouilles de marais car je n'en pouvais plus de fatigue et de dégoût. " [Il semble nécessaire de souligner ici que le courage politique est une qualité dont doivent faire preuve les militants communistes dignes de ce nom. L’histoire nous montre que, malheureusement, ce n’est pas ce qui caractérise le mieux les centristes.]

- Une conférence spartakiste se tient en secret le 19 mars 1916, après celle de janvier qui avait adopté les Thèses. Rosa Luxemburg, dans l'exposé qu'elle fait sur la nécessité de construire une nouvelle Internationale, critique les centristes qui, selon elle, n'ont "rien appris et rien oublié" et ne rêvent que de la 2ème Internationale. Elle appelle les spartakistes à participer à la conférence de Kienthal, en tant que "véritable opposition en Allemagne", pour défendre les Thèses et dénoncer l'attitude des Ledebour et Hoffmann.

Dans le même sens, Liebknecht demande aux spartakistes de se démarquer nettement par rapport à "toutes les tendances opportunistes, même lorsqu'elles naviguent sous le pavillon de l'opposition" et même de repousser toute collaboration avec les centristes. [Les divergences politiques et tactiques ont accentué l'éloignement entre les deux tendances oppositionnelles et abouti à une rupture.

C'est une fin qu'il ne faut ni écarter ni redouter dans toute bataille politique dont l'enjeu est la défense des "principes" et "fondements" du marxisme révolutionnaire. La rupture avec le centrisme est souvent une décision difficile à prendre, c'est pour cela qu'elle exige un certain courage politique. Par contre, hésiter à la prendre ou, pire, reculer peut avoir des conséquences dramatiques pour le mouvement révolutionnaire voire pour le combat général de la classe. Face à ce type de situation, la gauche doit être consciente qu'elle a une responsabilité énorme.]

- Les centristes ayant refusé d'y participer pour des raisons peu claires, les spartakistes sont contraints de lancer seuls l'appel à manifester contre la guerre pour le 1er mai 1916. Lors de la manifestation à Berlin, Liebknecht est arrêté. Son procès qui se tient durant l'été suivant aboutit à une condamnation de 4 ans de bagne. Plusieurs grèves ouvrières de solidarité sont immédiatement déclenchées et plusieurs tracts spartakistes (souvent écrits par Rosa Luxemburg) sont diffusés. La propagande spartakiste, la popularité renforcée de Liebknecht et surtout les réactions ouvrières inquiètent de plus en plus la bourgeoisie, ses complices du SPD et même les dirigeants centristes.

- Une conférence nationale du SPD se tient du 21 au 23 septembre 1916 et permet à l'opposition de s'exprimer et de se compter : 169 délégués (dont la grande majorité représente le centrisme) sur 450. Deux semaines plus tard éclate "l'affaire du Worwärts" qui permet à la droite d'avoir la mainmise totale sur le journal. L'opposition dominée par les centristes se contente de protestations verbales et refuse les propositions des spartakistes d'appeler à une manifestation pour défendre l'ancienne équipe rédactionnelle, puis de boycotter le Worwärts et fonder un nouveau journal. [Comme on le voit déjà, le centrisme se prononce en paroles contre la droite mais l'appuie par ses actes.]

- Une conférence nationale de l'opposition est appelée par Ledebour et Haase pour janvier 1917. L'objectif des centristes est d'aboutir à une plate-forme commune aux différentes tendances oppositionnelles [ce qui manifestement doit permettre de museler la gauche]. Quant aux spartakistes, s'ils ne se font aucune illusion sur les résultats de cette conférence au niveau politique, leur but, en y participant, est de toucher et gagner à la gauche le plus grand nombre de militants oppositionnels. En leur nom, Léo Jogiches définit le travail de l'opposition ainsi : "L'opposition ne doit continuer à appartenir au parti social-démocrate actuel qu'aussi longtemps que celui-ci ne gène pas son action politique autonome. L'opposition demeure dans le parti uniquement pour combattre et contrecarrer pas à pas la politique de la majorité, protéger les masses contre la politique impérialiste pratiquée sous le couvert de la social-démocratie et utiliser le parti comme lieu de recrutement pour la lutte de classes prolétarienne anti-impérialiste." [Comme on peut le constater, il n'est pas question pour les spartakistes de ménager un tant soit peu la droite, de lui faire des concessions, de la laisser agir; il n'est question que de la combattre DE L'INTERIEUR. Ce n'est pas la position des centristes qui sont prêts à des concessions "au nom de l'unité". Pour les spartakistes, travailler à l'intérieur du parti est aussi une nécessité pour le "recrutement" de forces pour la cause révolutionnaire. Les centristes ont apparemment la même démarche de recrutement de forces mais dans le seul but de les empêcher de rejoindre la gauche et, plus tard, de les rabattre sur la droite.

Aujourd'hui, dans la bataille qui se mène dans le CCI, le centrisme en est au moins aux "concessions" et à vouloir "calmer le jeu". Il a déjà commencé à "reconnaître" ouvertement les "fautes" de l'opposition", ce qui l'a notamment amené à dénoncer à la droite ceux qui auraient commis ces "fautes", c-à-d ceux qui veulent mener le combat politique avec clarté et intransigeance, c-à-d des membres de la gauche. Voilà pourquoi, sans renoncer à travailler avec le centrisme, il ne faut pas hésiter à lui dire son fait chaque fois que c'est nécessaire parce que c'est le seul moyen de l'empêcher de continuer dans cette voie et c'est le seul moyen d'avoir une chance de l'attirer vers la gauche.]

Cette position n'est pas partagée par tout le monde; une partie de la gauche préconise immédiatement une politique plus radicale vis à vis du centrisme. Ainsi les délégués de Brême demandent une rupture totale et encouragent la gauche à ne "compter que sur ses seules forces". Borchardt, au nom de son groupe, ne conçoit pas la lutte contre la droite "sans une lutte parallèle contre les conceptions du camarade Kautsky".

La conférence de l'opposition se tient le 7/01/1917 et ne suit pas la proposition des spartakistes de ne plus verser les cotisations à la direction de droite. Elle adopte une résolution "tiède" contre cette même direction. [C'est un exemple typique d'une attitude centriste : faire de grandiloquentes dénonciations de la droite mais ne rien faire concrètement qui puisse lui faire du tort.]

- Le 8/01/1917 la direction du SPD décide l'exclusion de toute l'opposition. On comprend aisément que la direction exclut la gauche dans la mesure où l'opposition politique est totale entre elles mais aussi dans la mesure où la gauche connaît une influence grandissante dans le parti et dans la classe. Cependant, comment comprendre l'exclusion des centristes qui ne sont pas très éloignés politiquement de la droite? La seule explication est que ceux-ci doivent jouer un rôle spécifique vis à vis de la gauche (freiner voire bloquer sa dynamique et son influence) et, pour cela, ils doivent "coller" à elle. C'est ce qui explique qu'à ce moment-là ils adoptent un langage plus radical, plus "révolutionnaire" afin d'éviter que les ouvriers - dont le mécontentement est en train de se développer et va rapidement s'exprimer dans des grèves importantes - n'aillent en masse vers la gauche. Kautsky le dit clairement : "Si notre groupe ne s'était pas constitué, Berlin eût été conquis par les spartakistes et se serait placé en dehors du parti." Ce qui, de son point de vue, signifie que les masses auraient été exclusivement sous l'influence de la gauche et qu'elles auraient donc échappé au contrôle de l'opportunisme.

Du 6 au 8 avril, à Gotha, un congrès de l'opposition donne naissance à l'USPD. Les spartakistes décident d'en faire partie mais en conservant leur autonomie. Cependant, une minorité d'entre eux ainsi que Borchardt et la gauche de Brême refusent de s'y intégrer. Toute la gauche se retrouvera en décembre 1918 lors de la formation du KPD.

Les spartakistes constituent donc un groupe à l’intérieur de l’USPD - groupe qui publiera, en son nom, des tracts ainsi que les fameuses “ Lettres de Spartakus ” - mais ne disposent pas d’une organisation autonome. Ils sont, de ce fait, très dépendants de la structure organisationnelle de l’USPD. Leur groupe s’apparente plus à une “ tendance ” qu’à une “ fraction ”.

[Pour juger de la validité de cette politique des spartakistes, il est important de prendre en considération un certain nombre d’éléments :

- Le but qu’ils poursuivent en intégrant l’USPD est tout à fait valable dans la mesure où il s’agit, pour eux, d’avoir les moyens d’influer sur la politique des centristes et, de ce fait, de pousser ce parti dans une direction révolutionnaire. La question qui reste posée est : est-ce que, en intégrant l’USPD, ils se sont donnés les meilleurs moyens d’aller dans le sens de la révolution ?

- La situation qu’ils ont créée ainsi semble avoir eu plusieurs conséquences négatives non seulement pour eux mais aussi sur le mouvement même de la classe :

1- Les spartakistes ont servi de caution révolutionnaire à l’USPD, qui est intrinsèquement centriste, et cela aux yeux mêmes des parties les plus radicales et les plus combatives de la classe ouvrière. Celles-ci ne sauront malheureusement pas faire la différence entre les centristes et la gauche et accorderont souvent leur confiance à la direction du parti qui est justement aux mains des centristes ;

2- La politique et les mots d’ordre révolutionnaires, bien que clairement mis en avant par les spartakistes, vont être étouffés sous la politique hésitante et faite de compromis de l’USPD, notamment dans des moments décisifs comme lors des mouvements de lutte dans la marine de guerre au milieu de l’année 1917 ou lors des puissantes grèves ouvrières de janvier 1918. Dans cette lutte, le conseil ouvrier de Berlin invitera l’USPD à y être représenté par une délégation de 3 membres. Non seulement, l’USPD y enverra 3 centristes notoires (Ledebour, Dittmann et Haase) mais, plus grave, il arrivera à convaincre les ouvriers, pourtant très réticents, d’accepter 3 autres délégués, ceux-là du SPD (Sheidemann, Ebert et Braun). On voit clairement que le centrisme profite de la confiance que lui accorde les ouvriers pour les rabattre sur la droite.]

- La guerre, les mesures de restrictions aggravées mais aussi les nouvelles venant de Russie font que des grèves massives et importantes se déclenchent à partir du 16/04/1917 notamment à Berlin. Quelques jours auparavant, un rapport de police déclarait : "Rien n'indique qu'on puisse amener une fraction importante des ouvriers à cesser le travail, à manifester dans la rue ou à entreprendre quelque action révolutionnaire. L'influence de l'Arbeitgemeinschaft est trop forte et trop faible celle de l'extrême-gauche. L'arrestation de ses chefs (Liebknecht, Luxemburg) a privé celle-ci à peu près totalement d'une direction énergique." [Ce qui est remarquable c'est que l'Etat bourgeois ne redoute que la gauche. Pour lui, le centre a plutôt une influence modératrice sur la classe, pour ne pas dire plus.]

A Berlin, une grande assemblée de grévistes nomme une délégation (à laquelle sont adjoints des membres de l'USPD) chargée de transmettre ses revendications (de nature économique et politique) au gouvernement. Les syndicats et le SPD s'opposent ouvertement au mouvement. Mais cette situation inquiète particulièrement la bourgeoisie qui redoute ce qui peut advenir "si le gouvernement, dans sa lutte contre le mouvement de grèves, ne peut plus avoir recours à l'aide des syndicats." Le secrétaire d'Etat Delbrück résume la pensée de la classe dominante : "... si nous devons supporter un nouvel hiver de guerre, il y a tout lieu de craindre une grave crise interne, presque une catastrophe. Le seul moyen de la prévenir, c'est une grande concession à la social-démocratie." De son côté, le SPD, alerté par ces grèves et par le mécontentement qui se généralise contre la guerre, modifie, sinon sa politique, du moins sa propagande dans un sens pacifiste.

Durant l'été 1917; des luttes ont lieu sur les navires de guerre des ports de la Mer du Nord. La bourgeoisie riposte par une répression féroce et, par ailleurs, fait appel aux conseils du SPD. Ainsi en août, au ministre de la marine qui l'informe de l'existence de tracts de l'USPD, Ebert défend les centristes. Pour lui, "une telle action est en contradiction formelle avec les conceptions de Haase et de Ledebour ... Il est sûr que ceux-ci "ne prêteront jamais la main à une entreprise de haute trahison caractérisée." Quant aux tracts saisis, ils ne peuvent être que "l'œuvre d'un groupe d'enragés." [Il est clair que, dans les moments où il faut trancher, dans les situations où chaque camp se compte, l'opportunisme et le centrisme se retrouvent ensembles et se soutiennent.]

Entre la fin décembre 1917 et janvier 1918 se déroulent les négociations de paix à Brest-Litovsk. Les spartakistes diffusent un tract qui met en avant la révolution ouvrière comme seul moyen d'arrêter la guerre et de sauver la révolution russe. Quant aux centristes, encore une fois, ils tergiversent. Voilà ce qu'en pense Jogiches : "Dans les masses, disaient-ils, le climat n'est pas favorable à une telle action. On sait bien que ces gens-là, chaque fois qu'ils ont la diarrhée, prétendent que les masses ont mal au ventre. (...)

Du 14 au 20 janvier, la classe ouvrière en Autriche mène une grève générale dont un des objectifs premiers est de soutenir la délégation russe dans les négociations de Brest-Litovsk.

Des grèves massives se développent à travers toute l’Allemagne en janvier 1918 ; elles se poursuivent même en février contre les privations et pour l’arrêt de la guerre. Le 28 janvier et les jours suivants, il y a 400.000 grévistes à Berlin (1 million dans toute l’Allemagne). L’assemblée des délégués élit un Comité d’action de 11 membres dont la majorité est sympathisante de l’USPD.

Durant ces journées de lutte, les spartakistes publient 8 documents (surtout des tracts) appelant à des luttes massives insurrectionnelles avec formation de Conseils ouvriers et alertant les ouvriers contre le SPD et les syndicats qu’ils traitent de “ loups déguisés en agneaux (qui) représentent, pour le mouvement, un péril bien plus grand que la police prussienne. ” Sans le moindre scrupule, Ebert dira plus tard : “ La grève éclata sans que nous en sachions rien. Sous la pression de nos camarades (...) je suis entré au Comité de grève avec l’intention délibérée de finir la grève le plus tôt possible et d’empêcher qu’il en résulte quelque dommage pour le pays. ” Ce sont ces “ loups ” que les indépendants vont faire entrer dans le Comité et ainsi leur permettre de “ participer ” à la direction de la lutte. [Il s’agit là d’un cas exemplaire qui montre clairement le rôle particulièrement néfaste du centrisme consistant à profiter de la confiance qu’il suscite pour ouvrir la porte à la droite et même à l’ennemi de classe.]

Les indépendants vont aussi faire beaucoup de mal au mouvement par leur propre politique. Selon le témoignage d’un spartakiste : “ Le Comité, avec à sa tête les députés indépendants, ne savait non plus que faire de cette énergie révolutionnaire de la masse. (...) Le Comité se borna ... à tenter d’entrer en pourparlers avec le gouvernement . (...) lorsque le gouvernement refusa la négociation, le Comité se trouva au bout de son latin. ”

La faiblesse de la direction de la lutte, due aux manoeuvres des uns et à la mollesse des autres, à laquelle il faut ajouter la répression féroce qu’abat sur les ouvriers la bourgeoisie vont aboutir à l’arrêt de ce formidable mouvement de lutte et à sa défaite.

Une des conséquence non négligeable de cette défaite est que la bourgeoisie allemande va en profiter pour accentuer sa pression contre la Russie révolutionnaire à Brest-Litovsk et lui imposer les pires conditions.

- Cependant, la classe dominante n’en est pas moins consciente qu’il lui faut cesser la guerre car le danger intérieur reste toujours majeur. De plus, elle place le SPD au gouvernement qui lui promet de provoquer “ une révolution d’en haut ” pour éviter l’effondrement total de l’Allemagne.

Les indépendants, dans un appel publié le 5 octobre 1918, définissent leur politique qui privilégie l’action parlementaire au détriment de l’action des masses et, par rapport à la guerre, développent un pacifisme de la pire espèce (soutien aux thèses de Wilson).

La dernière “ Lettre de Spartakus ”, quant à elle, appelle les ouvriers à combattre le SPD en tant qu’ennemi et dénonce violemment la politique de l’USPD : “ A quoi bon ces discours ‘durs’ de Haase et Cie contre les Scheidemann, puisqu’au fond ils disent presque la même chose qu’eux. ” Les Spartakistes sont de plus en plus conscients qu’il leur est indispensable de rompre avec les Indépendants. Cependant, jusqu'à la fondation du KPD, c’est-à-dire jusqu’au bout, ils vont faire partie de l’USPD et participer aux délibérations de tous ses organismes. Et même après, ils auront des contacts et travailleront, malgré les profondes divergences qui les séparent tant au niveau politique que tactique, avec des Indépendants de gauche.

La révolution de novembre accélère le processus de rupture au sein de l’USPD (les positions officielles du parti sont de plus en plus en accord avec celles du SPD et il y a même des ministres indépendants au gouvernement). Malgré tout, les Spartakistes refusent de quitter le parti sans avoir jouer toutes leurs cartes. Ainsi, dans la première partie de décembre, ils ne cessent de réclamer la convocation d’un congrès dans lequel ils espèrent gagner la majorité de l’organisation à leurs positions. Bien évidemment, la direction de l’USPD ne veut pas de ce congrès et utilise les pires méthodes et arguments pour rejeter la proposition des Spartakistes. Mais ces derniers ne baissent pas les bras et soumettent la question du congrès à une assemblée extraordinaire des militants du Grand-Berlin réunie le 15 décembre. C’est Rosa Luxemburg qui présente la question et affirme : “ La situation est intenable au sein de l’USPD, car y sont réunis des éléments qui ne vont pas ensemble. De deux choses l’une, ou bien on est décidé à faire cause commune avec les sociaux-patriotes ou alors il faut marcher avec la Ligue spartakiste. C’est le congrès qui devrait nous départager. Mais quand nous réclamons la tenue d’un congrès, Haase fait la sourde oreille, tout comme Scheidemann, pendant la guerre, devant une revendication analogue. ” Elle va même jusqu'à exiger un changement d’orientation radicale pour le parti qui passe notamment par la démission des ministres indépendants et la remise de tout le pouvoir aux conseils ouvriers. Toutes ces exigences sont bien sur rejetées par l’assemblée. Ce nouvel échec n’empêche pas le secrétariat de la Ligue spartakiste de continuer à solliciter la tenue d’un congrès à travers une lettre-ultimatum adressée le 22 décembre à la direction de l’USPD. Cette démarche sera la dernière. [Ici, il nous faut retenir 2 leçons essentielles :

- Tant que le combat politique est possible dans une organisation (c-à-d tant que cette dernière ne l’empêche pas ou qu’elle n’a pas exclu les oppositionnels), il faut le mener à l’intérieur le plus longtemps possible. Même si le processus de dégénérescence de l’organisation est très avancé, il faut toujours considérer que, bien qu’étouffée, une lueur de vie prolétarienne peut encore y exister et qu’il faut continuer à se battre soit pour l’amener à une position dominante soit pour l’extraire de la gangue mortelle qui l’enserre. C’est la démarche que le CCI a toujours défendu, l’ayant lui-même appris notamment de Lenine, de la Ligue spartakiste et, bien sur, de la Gauche italienne.

- Le combat politique d’opposition ou de fraction interne nécessite une forte dose de courage politique car son chemin est truffé d’obstacles et de pièges ainsi que beaucoup de ténacité car les échecs sont plus que nombreux. Si, parmi nos “ anciens ”, nombreux étaient ceux qui faisaient preuve de ces qualités, il faut bien reconnaître que nos générations en manquent cruellement.]

Le congrès de fondation du parti communiste se tient à Berlin les 30 et 31 décembre 1918 et le 1er janvier 1919. La veille, une conférence à huis clos de la Ligue Spartakiste avait décidé sa rupture avec l’USPD. Le 24 décembre les IKD (les Communistes Internationalistes d’Allemagne) - regroupant le petit groupe de Borchardt, les Gauches de Brème (Knief, Radek), le groupe de Hambourg (Laufenberg, Wolffheim) ainsi que quelques noyaux dispersés en Saxe - s’étaient prononcés pour la formation d’un nouveau parti avec les spartakistes. Quant aux Indépendants, ils ont essayé jusqu’au bout de peser sur la politique des Spartakistes. Il en fut ainsi jusque pendant le congrès même de fondation du KPD durant lequel se tinrent des discussions entre les Spartakistes et une délégation des “ Délégués révolutionnaires ” qui étaient en majorité sous l’influence des Indépendants.

L’ordre du jour du congrès commence par la question de “ La crise de l’USPD ” présentée par Liebknecht. Celui-ci rappelle “ les perpétuels louvoiements ” de ce parti qui ne cherchent que “ les chemins battus du parlementarisme ” puis il dénonce encore plus violemment les Commissaires du peuple indépendants qui, depuis le 9 novembre, sont complices “ des infamies du gouvernement ” et soutiennent “ la campagne de haine contre la Ligue spartakiste ”. Malgré cela, Liebknecht défend la politique de son groupe au sein de l’USPD : “ Ce parti était encore le champ d’activité le plus acceptable pour les Spartakistes ” car, en y entrant, ils pouvaient “ tenter d’en gagner les meilleurs éléments. ” Même si cette question ne va pas donner lieu à des débats au sein du congrès, on sait que la position de Liebknecht n’est pas partagée par tous les Spartakistes. Ainsi, il est important de savoir que, dans une lettre qu’il avait envoyé aux bolcheviks, lors de l’été 1918, Mehring lui-même arrivait à la conclusion que la participation des Spartakistes à l’USPD avait été un échec. [Il serait intéressant de savoir si cette critique concernait le principe ou la tactique ?]

Durant cette première période insurrectionnelle, les spartakistes (le KPD) développent une forte influence dans plusieurs grandes villes et centres industriels. A la mi-décembre, à Berlin, sur 7 militants de l’USPD, 2 sont Spartakistes. Malgré la fondation du KPD et leur rupture “ officielle ” avec les Indépendants deux semaines plus tard, ils ne vont pas se démarquer clairement de ces derniers. Ainsi, par exemple, le 17 janvier 1919, lors de l’élection au Comité exécutif des Conseils ouvriers du Grand-Berlin, les communistes ne sont pas représentés en tant que tels mais sous l’étiquette de l’USPD. Dans bon nombre de villes, les Spartakistes n’ont pas récusé cette appellation et il semble même que ce type de situation va perdurer jusqu'à la fin 1920. Ce manque de clarté de la part de la Gauche a sûrement été un facteur qui a aggravé la confusion au sein de la classe notamment dans des moments aussi décisifs que cette période insurrectionnelle. L’exemple le plus parlant nous est donné par l’attitude des ouvriers des principales usines berlinoises durant les journées des 9, 10 et 11 janvier. Ceux-ci ne cessent de se prononcer pour l’arrêt des hostilités entre les communistes, les Indépendants et les Majoritaires ; ils vont même jusqu'à demander que “ les trois tendances socialistes ” forment ensembles un nouveau gouvernement.

[L’histoire du mouvement révolutionnaire montre que, dans le combat contre l’opportunisme, la gauche a souvent été amenée à avoir, à juste raison, des activités communes avec le centrisme. Cependant, ce que l’on peut retenir de l’expérience des Spartakistes pendant la guerre c’est que, dans ce cadre, la Gauche doit constamment mettre en avant et défendre avec clarté ses positions, c’est-à-dire qu’elle ne doit jamais laisser planer la moindre ambiguïté ou confusion entre ses positions et celles du centrisme. Quand elle développe une tactique qui l’amène notamment à avoir une politique organisationnelle commune avec les centristes, celle-ci ne doit en aucun cas faire que, face à la classe ouvrière, les deux tendances se confondent. L’expérience des Spartakistes dans l’USPD montre que la Gauche s’est même laissée “ étouffer ” par le centrisme dans une organisation commune, ce qui a eu des implications graves pour son développement ultérieur et même pour le mouvement ouvrier dans son ensemble.

Nous devons donc retenir la leçon essentielle selon laquelle la tactique ne doit jamais s’opposer aux positions et principes politiques ainsi qu’à leur défense claire et intransigeante. Au contraire, elle doit constamment être à leur service. La perte de vue même partielle de cette leçon mène inévitablement, pour le moins, à un affaiblissement du camp révolutionnaire.]

La Fraction


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