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Le CCI réécrit l’histoire du bolchevisme, comme Staline

Dans sa Revue Internationale, le CCI actuel commence une série d’articles sur le parti bolchevik, intitulée « Naissance du bolchevisme », qui sur l’essentiel semble correcte quant à l’histoire des désaccords politiques mais qui est totalement fausse quant à l’histoire des scissions entre les deux fractions politiques principales du POSDR et surtout quand il s'agit d'en tirer des leçons politiques.

I – Rétablissement de l’histoire du bolchevisme

Le CCI réécrit l’histoire à sa manière

Il faut commencer par rétablir la vérité historique sur la supposée « scission » de 1903 entre les bolcheviks et les mencheviks. On retrouve cette idée de scission dans l’historiographie stalinienne ; elle est largement admise et exploitée par la bourgeoisie et ses historiens bourgeois, et maintenant par le CCI. Par exemple, dans l'article du numéro 116 de janvier 2004, « 1903-1904 : la naissance du bolchevisme » première partie, il est dit :

Lorsque les organisations communistes ne sont pas considérées par l'idéologie bourgeoise et son reflet anarchiste petit-bourgeois comme des conspirations diaboliques et toutes puissantes ayant porté d'énormes préjudices aux intérêts de l'humanité, elles sont vues comme des cultes risibles, impuissants, bizarres, semi-religieux que, de toutes façons, personne ne suit ; des théoriciens en chambre utopistes et coupés de la réalité ; d'incurables sectaires prêts à scissionner et à se poignarder dans le dos entre eux à la moindre occasion. Le Congrès de 1903 apporte en abondance de l'eau au moulin de ce genre d'arguments : le bolchevisme ne trouve-t-il pas son origine dans un obscur débat autour d'une simple phrase dans les statuts du parti à propos de qui est et qui n'est pas membre du parti ; pire encore, la rupture : une querelle de personnes sur qui devait ou ne devait pas faire partie du Comité de rédaction de l'Iskra, qui a provoqué la séparation finale entre bolcheviks et mencheviks. Ceci devrait constituer une preuve suffisante de la futilité et même de l'impossibilité de construire un parti révolutionnaire qui ne soit pas dominé par les factions, et ne devienne le champ de bataille d'ambitions égoïstes, ce que sont tous les partis bourgeois." (souligné par nous).

Le CCI cherche ici à combattre, tout à fait justement, la vision sectaire que la bourgeoisie cherche à accoler au bolchevisme ; mais, malheureusement, il finit par donner totalement corps à cette thèse, en situant la rupture définitive entre les deux courants dès 1903 et en mettant en son centre une "querelle de personnes". En opposition à cela, il est important de mettre en évidence tout le travail effectué par Lénine et les bolcheviks pour préserver l’unité du parti : le POSDR. C’est en effet, et pour le moins, méconnaître le bolchevisme que de défendre le contraire ; en effet, il ne s’est en aucune manière agi d’une scission au sens séparation mais de la création d’une fraction, au sein de la même organisation, qui s’est effectuée clairement sur des questions politiques ; avant tout, pour les bolcheviks, il a toujours été question de préserver l’unité et de gagner le maximum d’énergies à la « gauche » et à ses idées.

De la part du CCI, il ne s'agit pas d'une erreur ponctuelle, d'un dérapage accidentel ou d'une phrase non maîtrisée puisque cette idée de "scission dès 1903" entre les deux fractions est mise en avant à plusieurs reprises dans l’article et, par exemple, dans la phrase : "Cette scission devait ensuite s'approfondir dans de profondes divergences programmatiques sur la nature de la révolution russe à venir."

Laissons Lénine lui-même répondre au CCI à travers une « Lettre ouverte à tous les social-démocrates proparti » adressée à la rédaction de la Rabotchaïa Gazéta le 22 novembre 1910, à la suite de la session plénière d’unification du CC du POSDR de janvier 1910, sur la nécessité du renforcement du parti. Cette lettre nous enseigne que les différentes fractions de la social-démocratie cohabitaient dans le même parti. Il existe de très nombreux autres textes qui le montrent mais celui que nous avons choisi, pour en tirer cet extrait, décrit de façon très vivante les différentes fractions et montre les efforts faits par Lénine pour favoriser leur unification à l’intérieur du POSDR :

"Admettre de semblables scissionnistes dans les centres du parti (1) équivaudrait à sacrifier définitivement la cause de ce parti. Laisser subsister l'ancienne situation, alors que ces scissionnistes ont profité de leur présence dans les centres du parti pour freiner tout travail, pour décomposer le parti par l'intérieur au profit de M. Potressov ou des chefs de l'école «machiste» (2), cela reviendrait à causer un préjudice énorme et irréparable à la cause de l'unification du parti.

C'est chose connue depuis longtemps : il ne suffit pas de dire «Seigneur, Seigneur» pour entrer dans le royaume des cieux. Nous aussi, après l'expérience du plénum, nous devons répéter : il ne suffit pas de prononcer de belles phrases sur l'esprit de parti pour être proparti (3). Les gens du Goloss et de «Vpériod» (4) ont provoqué la scission du parti après le plénum. C'est un fait. Trotski a été leur défenseur dans cette affaire. C'est également un fait.

Pour enrayer cette scission, pour empêcher son extension, il n'y a pas d'autre moyen que de consolider, de renforcer, de sanctionner dans les formes le rapprochement de ceux qui ont effectivement oeuvré pour le parti après le plénum, c'est-à-dire, les mencheviks proparti et les bolcheviks.

* * *

En exposant nos idées sur la situation dans le parti à tous les mencheviks proparti, aux social-démocrates proparti non fractionnistes et aux bolcheviks, ainsi qu'à toutes les organisations social-démocratiques nationales (5), nous invitons les groupes bolcheviques de Russie à commencer sans retard à se rassembler autour de la «Rabotchaïa Gazéta» et à entreprendre la préparation des colloques et conférences qui sont indispensables à la restauration du parti et qui, étant donné la situation, doivent inévitablement revêtir d'abord les apparences les plus modestes, les moins officielles et les moins formelles. Il est impossible de préciser davantage dans la presse quel sera le caractère de ces premiers essais.

Nous engageons les groupes de bolcheviks à l'étranger à se réorganiser de telle sorte que soient rompues toutes relations avec les partisans de «Vpériod» qui ont suffisamment prouvé leur esprit antiparti et, débarrassés de ces défenseurs de l'otzovisme, à commencer à travailler systématiquement à la consolidation du parti, au rapprochement avec les éléments proparti des autres fractions, à la création de clubs communs, de cours, d'exposés, etc., nous les invitons à se préparer à l'unification réelle à l'étranger de tous ceux qui ne suivent ni Vpériod ni Goloss. Si là où il y a des adeptes du Goloss, la coexistence de deux groupes parallèles est inévitable, il serait inconvenant que les bolcheviks supportent davantage dans leurs groupes la présence de partisans de «Vpériod» antiparti. Ils n'ont qu'à chercher refuge parmi les amis du Goloss."

Nous n’avons rien à rajouter à la réponse que Lénine fait ici au CCI actuel car elle fait comprendre aux lecteurs que le CCI interprète l’histoire à sa façon ; en 1903, il n’est question aucunement de scission entre les 2 fractions, bolchevik et menchevik. Toutefois, si l’on veut résumer l’histoire du bolchevisme avant la guerre de 1914, l’on peut citer un historiographe de Lénine :

"Dans les différends politiques entre bolcheviks et mencheviks, alors à peine embryonnaires et encore imperceptibles, s’esquissent néanmoins des divergences qui éclateront au lendemain de la révolution 1905 et, après une période de réunification (1906-1911), aboutiront en 1912 à une nouvelle rupture entre les deux ailes de la social-démocratie russe, définitivement consacrée en 1917. Le congrès de 1903, en la dessinant, marque l’acte de naissance du bolchevisme."6

Les questions en débat au congrès de 1903 du POSDR

1 - Sur le rôle d’une organisation révolutionnaire et son fonctionnement, l’article de la Revue Internationale que nous citons montre que le CCI ne peut totalement déformer la réalité historique puisqu’il est, lui-même, obligé de décrire les véritables enjeux de ce congrès :

"Le développement de la conscience de classe révolutionnaire requiert en particulier la construction d'un parti révolutionnaire déclaré, unifié et centralisé, un parti qui ait dépassé le stade des cercles et de l'esprit de cercle et la vision limitée, personnalisée, qui va avec."

Il s’agit donc, en effet, de créer une véritable organisation révolutionnaire qui va au-delà du premier travail effectué dans les années précédentes autour de l’Iskra, c’est à dire le développement de la théorie révolutionnaire en Russie.

2 - L’article définit ensuite correctement les différents courants politiques qui s’affrontent dans le POSDR, dont ceux qui répugnent à la création d’une réelle organisation centralisée et disciplinée :

"Dans «Un pas en avant, deux pas en arrière» (paru en 1904), Lénine nous présente une analyse très précise des différents courants dans le Congrès du Parti. Le Congrès avait commencé avec une division entre trois courants, le groupe autour de l'Iskra, l'aile droite des anti-iskristes, et «les éléments instables et hésitants» que Lénine qualifie de «marais» - et qu'en général on appelle centrisme dans l'histoire du mouvement ouvrier - qui ont fini par présenter les arguments de la droite ouvertement opportuniste dans un nouvel emballage. De plus, du point de vue de Lénine, les caractéristiques du marais coïncidaient en grande partie avec l'influence excessive, pendant la période des cercles, des intellectuels - une couche petite-bourgeoise organiquement prédisposée à l'individualisme et à «l'anarchisme de grand seigneur» qui dédaigne la discipline collective d'une organisation prolétarienne."

Puis l’article définit plus précisément les divergences organisationnelles présentes au 2ème congrès du POSDR :

"Cette scission devait ensuite s'approfondir dans de profondes divergences programmatiques sur la nature de la révolution russe à venir ; en 1917, elles allaient constituer une frontière entre les classes. Cependant, elles n'ont pas commencé par le niveau programmatique le plus général, mais essentiellement sur la question d'organisation."

Les principaux points à l'ordre du jour du Congrès étaient les suivants :

- adoption du programme

- adoption des statuts

- confirmation de l'Iskra comme organe central, cela voulait dire que l'Iskra était la publication dirigeante du parti ; il y avait en même temps un accord général sur le fait que le comité de rédaction de l'Iskra serait aussi l'organe central du parti au sens politique, puisque le comité central établi par le Congrès devait avoir en Russie un rôle principalement organisationnel."

3 - L’article du CCI est tout à fait correct puisqu’il dépasse le cadre purement organisationnel du désaccord entre les tendances qui s’affrontaient au congrès. Quelles sont ses divergences politiques ?

"La discussion sur le programme a été quasiment ignorée par l'histoire, de façon injuste en fait. Il est sûr que le programme de 1903 reflète fortement la phase de transition dans la vie du capitalisme, entre l'ascendance et la décadence et, en particulier, l'attente d'une sorte de révolution bourgeoise en Russie (même si on n'attendait pas que la bourgeoisie y joue un rôle dirigeant). Mais il y a plus que ça dans le programme de 1903 : il était en réalité le premier programme marxiste à utiliser les termes de dictature du prolétariat - question significative dans la mesure où l'un des thèmes explicites du Congrès a été le combat contre le «démocratisme» dans le parti ainsi que dans l'ensemble du processus révolutionnaire (Plekhanov, par exemple, avait défendu l'idée qu'un gouvernement révolutionnaire ne devait avoir aucune hésitation à disperser une assemblée constituante ayant une majorité conservatrice, comme l'ont défendu les bolcheviks en 1918, bien qu'à ce moment-là Plekhanov fût devenu un défenseur enragé de la démocratie contre la dictature du prolétariat). La question de la «dictature» était également liée au débat sur la conscience de classe, comme avec les conseillistes dans une période plus récente. Akimov voyait précisément le danger d'une dictature du parti sur les ouvriers dans la formulation de Lénine de «Que faire ?»"»

L’article poursuit ensuite en décrivant le déroulement du Congrès ; nous ne le reprenons pas, nous renvoyons nos lecteurs à ce qui est dit dans la Revue Internationale.

Nous pouvons largement constater que les divergences entre les deux courants naissants, celui des mencheviks et celui des bolcheviks, touchent à des questions politiques très importantes. Comme dans tous les partis sociaux-démocrates de la 2ème Internationale, une aile opportuniste et une aile révolutionnaire sont en train de se délimiter. Malheureusement, dans cette partie de l’article du CCI, ce n’est pas cet aspect fondamental qui est mis en avant. Le raisonnement du CCI présente des failles graves car, pour lui, l’essentiel du Congrès ne porte pas sur cela. L’article est capable de décrire les positions politiques qui s’affrontent dans le parti mais, bien vite, il dérape sur des aspects de désaccords personnels entre les individus qui sont tout à fait secondaires. Ces aspects pouvaient avoir de l’importance ponctuellement en 1903 dans la polémique et le combat d’organisation mais, selon les dires de Lénine lui-même, ils « méritent au fond de sombrer dans l’oubli ». (7).

Malheureusement, le CCI actuel se complaît à rappeler les anecdotes croustillantes qui font bien évidemment partie de l’histoire du parti bolchevik mais qui méritent surtout d’être replacées dans leur contexte et surtout à leur juste niveau :

"La véritable ‘scission’ [les guillemets sont de nous] ( 8) a eu lieu sur une question apparemment bien plus triviale : qui devait faire partie du comité de rédaction de l'Iskra ? La réaction quasi hystérique à la proposition de Lénine de remplacer l'ancienne équipe de six (Lénine, Martov, Plekhanov, Axelrod, Potressov et Zassoulitch) par une équipe de trois (Lénine, Martov et Plekhanov) permet de mesurer le poids de l'esprit de cercle dans le Parti."


La question traitée par le CCI est-elle donc la principale leçon du congrès de 1903 ?

La première question était effectivement celle de la nécessité d’un parti révolutionnaire pour le développement du combat historique de la classe ouvrière et pour celui de sa prise de conscience. Et, en plus, ce parti doit être unifié et centralisé. La deuxième question est le dépassement des cercles qui était une nécessité de la période antérieure : celle de la connaissance de la théorie marxiste et du développement du mouvement révolutionnaire dans la Russie du XIX° siècle. Les cercles ayant fini leur rôle politique, le moment de la création d’une véritable organisation était donc venue.

Que dit Lénine sur cette période ?

"La principale erreur que commettent ceux qui, à l'heure actuelle, polémiquent avec «Que faire ?», c'est de vouloir absolument extraire cet ouvrage de son contexte historique et faire abstraction d'une période précise et déjà lointaine du développement de notre parti. Cette erreur transparaît clairement par exemple chez Parvus (pour ne pas citer un nombre considérable de mencheviks), qui parlait, plusieurs années après la parution de la brochure, des idées fausses et exagérées qui y étaient développées au sujet de l'organisation des révolutionnaires professionnels." 9.

Et avant de tartiner sur les questions organisationnelles du parti russe en 1903, le CCI d'aujourd'hui ferait mieux de bien relire Lénine sur le sujet :

"La brochure «Un pas en avant, deux pas en arrière» fut publiée à Genève en été 1904. Elle décrit le premier stade de la scission entre mencheviks et bolcheviks, scission dont l’origine remonte au deuxième congrès (août 1903). Cette brochure, je l'ai réduite environ de moitié, car les détails secondaires de la lutte d'organisation, tournant en particulier autour de la composition des organismes du parti, sont totalement dépourvus d'intérêt pour le lecteur d'aujourd'hui et méritent au fond de sombrer dans l’oubli. (souligné par nous) Mais l'analyse de la lutte des conceptions tactiques et autres au deuxième congrès, ainsi que la polémique à propos des conceptions mencheviques en matière d’organisation me paraissent ici essentielles : l'une et l'autre sont indispensables pour bien comprendre le menchevisme et le bolchevisme en tant que courants qui ont marqué de leur sceau l'ensemble de l'activité du parti ouvrier dans notre révolution." (idem).

Les désaccords politiques entre les deux fractions du POSDR sont soulignés par tous les révolutionnaires sérieux.

"Bien avant le congrès (10), Lénine était parfaitement conscient qu’un fossé le séparait de ses anciens collaborateurs. Depuis longtemps, il avait cessé de se considérer comme un disciple de Plekhanov ; sans doute, avait-il vu, du premier coup d’œil, le manque de force dynamique de cet homme ; il observait la même chose en Martov. Déjà, dans son esprit, la discrimination se faisait (…) entre bolcheviks et mencheviks." (Max Eastman dans La jeunesse de Trotski, NRF, Gallimard, 1929)

Alors que penser du discours maintes fois répété, jusqu’à satiété, par le CCI, sur le congrès de 1903 faisant un lien (voire une identité) entre les cercles qui existaient en Russie au début du 20ème siècle et les manifestations de crises récentes qui ont secoué le CCI ! Ses affabulations ne tiennent pas du tout la route. Ce "lien" est le signe d’une grossière erreur politique ou d’une manifestation de mauvaise foi politique caractérisée ou bien des deux à la fois. L’on pourrait, bien sûr, discuter et dresser les limites de l’influence des restes de l’esprit de cercle qui existait au début du CCI après Mai 68. C’est une autre question qui mériterait, peut être, un travail de réflexion mais dans un autre cadre. Aujourd’hui, le CCI se permet un tout autre exercice, celui d’établir la liaison entre les cercles du début du mouvement ouvrier avec sa théorie actuelle, abracadabrante et digne de sectes "New-age ou Krisna", des "clans" et des "gourous".

II – Sur une base fausse de l’histoire du bolchevisme, le CCI greffe sa théorie des clans

"Le CCI a écrit plusieurs fois sur ces questions (…) en particulier, les pressions de la décomposition qui tend à gangstériser l’ensemble de la société, poussent constamment à transformer les restes d’esprit de cercle en un phénomène plus pernicieux et destructeur - en clans, groupements informels, parallèlement à leur projet politique destructeur, basé sur des loyautés et des hostilités personnelles. Nous avons aussi noté les parallèles frappants entre les scissions dans nos rangs qui ont exprimé ces difficultés et la scission entre les bolcheviks et les mencheviks." (idem, Revue Internationale)

1 – Les cercles

Au lieu de répondre à ces élucubrations, laissons parler Lénine qui définit ce qu’étaient les cercles avant 1903, ce qu’aurait du faire le CCI s’il avait eu la moindre rigueur politique.

"Je viens de faire allusion au cadre étroit des cercles de l'époque de l'ancienne Iskra (à partir de la fin de l'année 1903, avec le n° 51, l’Iskra se tourna vers le menchevisme, proclamant qu'«entre l'ancienne et la nouvelle Iskra, il y a un abîme», paroles de Trotski, dans une brochure approuvée par la direction menchevique de l’Iskra). Il convient de donner au lecteur d'aujourd'hui quelques mots d'explication au sujet de l'esprit qui régnait dans ces cercles. En lisant «Que faire ?» et la brochure «Un pas en avant, deux pas en arrière» qui vient ensuite, le lecteur verra se dérouler devant lui la lutte passionnée, parfois haineuse et destructrice, des cercles se trouvant à l'étranger. Il est indéniable que cette lutte possède de nombreux aspects peu attrayants. Il est indéniable qu'elle est un phénomène possible seulement dans un mouvement ouvrier encore très jeune et manquant de maturité dans le pays en question. Il est indéniable que les militants du mouvement ouvrier actuel en Russie doivent rompre avec de nombreuses traditions établies dans les cercles, qu'ils doivent oublier et rejeter maintes mesquineries héritées de la vie des cercles et de leurs querelles, afin d'accomplir avec une vigueur redoublée les tâches présentes de la social-démocratie. Le renforcement du parti par des éléments prolétariens peut seul, en liaison avec une activité de masse au grand jour, extirper toutes les traces de la mentalité des cercles, héritage du passé qui n'a rien à voir avec les tâches actuelles. D'ailleurs, le passage au mode démocratique d’organisation du parti ouvrier, passage proclamé par les bolcheviks dans la Novaïa Jizn (11) en novembre 1905 (12) au moment même où venaient de se créer les conditions d’une activité au grand jour, ce passage constituait déjà au fond une rupture définitive avec ce qui était caduc dans l’héritage laissé par les cercles… » (13)

Première précision fournie par Lénine :

"un phénomène possible seulement dans un mouvement ouvrier encore très jeune et manquant de maturité dans le pays en question."

Poursuivons :

"Oui, «avec ce qui était caduc», car il ne suffit pas de condamner la mentalité des cercles, il faut savoir en comprendre la signification en les replaçant dans les conditions particulières de l'époque. En leur temps les cercles étaient nécessaires, et ils jouèrent un rôle positif. Dans un pays autocratique en général, dans les conditions créées par toute l'histoire du mouvement révolutionnaire russe en particulier, le parti ouvrier socialiste ne pouvait se développer autrement qu'à partir des cercles. Ceux-ci, étroits, fermés, fondés presque toujours sur l'amitié personnelle d'un effectif très réduit, n'en constituèrent pas moins une étape nécessaire du développement du socialisme et du mouvement ouvrier en Russie. Mais à mesure que grandissait ce mouvement, se posait la tâche de regrouper ces cercles, de créer des liens solides entre eux, d'établir une succession. Or il n'était pas possible de résoudre ce problème sans créer une solide base opérationnelle «hors d’atteinte» de l'autocratie, c'est-à-dire à l'étranger. C'est donc par la force de la nécessité que naquirent les cercles à l’étranger. Aucun lien ne les réunissait et ils n'étaient pas soumis à l'autorité d'un parti russe. Ils ne pouvaient donc manquer d'avoir des optiques différentes quant aux tâches fondamentales du mouvement de cette époque, c’est-à-dire précisément quant à la manière dont devait être créée une base opérationnelle et dont ils devaient contribuer à la mise sur pied d'un parti commun. Dans de telles conditions les cercles ne pouvaient pas ne pas s’affronter. Aujourd'hui, quand nous regardons en arrière, nous voyons distinctement lequel d'entre ces cercles était à même de remplir la fonction de base opérationnelle. Mais alors, au début de l'activité des différents cercles, personne ne pouvait le dire et seule la lutte pouvait trancher la discussion. Parvus, on s'en souvient, accusa par la suite la vieille Iskra de mener un combat destructeur à l'encontre des cercles, et il prôna après coup une politique conciliatrice. Mais c'est facile à dire après coup, et le dire, c'est montrer qu'on n'a pas compris quelles étaient alors les conditions. En premier lieu, on ne disposait d'aucun critère permettant de juger de l'influence et du sérieux de tel ou tel cercle. Nombreux étaient ceux, maintenant oubliés, dont l'importance avait été exagérée, mais en leur temps ils voulaient par la lutte faire la preuve de leur droit à l'existence. En second lieu, les différends entre cercles résidaient dans l'orientation à donner à un travail alors encore nouveau. Je remarquai déjà à l'époque (dans «Que faire ?») que les dissensions paraissaient minimes, mais qu'en réalité elles avaient une énorme importance, étant donné qu'avec l'apparition de nouvelles activités, avec l'apparition du mouvement social-démocrate, la définition du caractère général de ces activités et de ce mouvement se répercuterait très fortement sur la propagande, l'agitation et l'organisation. Toutes les discussions ultérieures entre social-démocrates tournèrent autour de l'orientation à donner au travail politique du parti ouvrier dans tel ou tel cas particulier. Mais alors, les controverses portaient sur la définition des principes les plus généraux et des tâches fondamentales de toute politique social-démocrate en général."

Deuxième précision importante de Lénine :

"En leur temps les cercles étaient nécessaires, et ils jouèrent un rôle positif…"

Ecoutons la conclusion de Lénine, sa formulation n’a rien à voir avec les assertions actuelles du CCI.

"Les cercles ont accompli leur mission et, à présent, ils ont bien entendu fait leur temps. Mais s'ils n'ont plus de raison d'être, c'est uniquement parce que leur lutte avait posé avec la plus vive acuité les questions les plus cruciales de la social-démocratie, parce qu'elle les avait résolues dans un esprit révolutionnaire intransigeant, créant ainsi une base solide, rendant possible un travail de parti sur une large échelle."


2 – L’invention des clans et des gourous par le CCI

Sur la base d'une fausse interprétation (ou d'une falsification) du combat de Lénine contre les cercles, le CCI greffe aujourd'hui sa théorie des clans et des gourous (14). Il faut d’abord que le CCI nous explique pourquoi et comment il s’arroge le droit de dresser un trait d‘égalité entre les deux concepts que sont les cercles et les clans.

Mais est-ce que les clans sont comme les cercles ? Sont-ils "nécessaires, et [peut-on dire s’] ils jou[èr]ent un rôle positif" ? Connaissant les théorie du CCI, nous ne le pensons pas ; c’est pourtant une différence fondamentale entre les 2 concepts par rapport à la vision de Lénine.

Nous pouvons définitivement et très clairement conclure que les clans n’appartiennent pas au mouvement ouvrier, par contre, ils caractérisent les sectes ; c’est la raison pour laquelle ils ne peuvent jamais et en aucune occasion jouer un rôle positif comme les cercles l'ont fait ; ils jouent au contraire un rôle destructeur. S’ils existent, on sait que l’on a à faire à une "organisation" de la bourgeoisie. Parler de clans dans une organisation du prolétariat c'est induire que, depuis longtemps, cette organisation a entamé un processus de dégénérescence, voire qu’elle est passée dans le camp de la bourgeoisie.

3 – Cette invention des clans et des gourous ridiculise le mouvement ouvrier et va dans le sens de le déconsidérer totalement

Le CCI écrit dans cette même Revue Internationale :

"Lorsque les organisations communistes ne sont pas considérées par l’idéologie bourgeoise et son reflet anarchiste petit-bourgeois comme des conspirations diaboliques et toutes puissantes (...) elles sont vues comme des cultes risibles, impuissants, bizarres, semi-religieux ; (..) d’incurables sectaires prêts à scissionner et à se poignarder dans le dos (...). Le congrès de 1903 apporte en abondance de l’eau au moulin de ce genre d’arguments. (...) Ceci devrait constituer une preuve suffisante de la futilité et même de l’impossibilité de construire un parti révolutionnaire qui ne soit pas dominé par les factions et ne devienne le champ de bataille d’ambitions égoïstes, ce que sont tous les partis bourgeois."

Le CCI, avec cette dernière citation, fait preuve d’un peu de clairvoyance mais immédiatement il en vient à annihiler tout son raisonnement.

Ses théories de clans et de gourous viennent précisément rejoindre ce que cherche à accréditer la bourgeoisie, pour laquelle "les organisations communistes sont vues (...) comme des cultes risibles, impuissants, bizarres, semi-religieux (...) ; [et les révolutionnaires comme] d’incurables sectaires".

Effectivement, pour le CCI d'aujourd'hui, les organisations révolutionnaires, comme les sectes, seraient composées de clans et de gourous développant des théories semi-religieuses.

Doit-on penser que les organisations révolutionnaires seraient "dominé(es) par les factions et devienne(nt) le champ de bataille d’ambitions égoïstes, ce que sont tous les partis bourgeois." Et oui, nous avions déjà souligné le risque de dénigrement des organisations révolutionnaires par les ennemis de classe qui les assimilent aux partis bourgeois gangrenés par des luttes égoïstes pour le pouvoir.

Mais nous avions déjà noté dans un texte "le CCI réécrit l’histoire du véritable combat de Marx contre Bakounine" (Bulletin de la Fraction n° 18 du 27 mars 2003) que la vision actuelle du CCI était une vision sectaire en ce qui concerne le fonctionnement des organisations révolutionnaires, il s’agissait d’une réponse à un article du CCI (15) sur Bakounine et le Congrès de La Haye de l’AIT. Et, une nouvelle fois, cette absurdité transparaît dans l’article sur la "Naissance du bolchevisme".

- La vision "personnalisante" des organisations révolutionnaires.

Nous pouvons rappeler ce que nous écrivions en réponse à l’article du CCI sur Bakounine : "Il est important de stigmatiser la vision individualiste de l’organisation qui, ces dernières années, s'est progressivement imposée dans le CCI à travers notamment les concepts de «clans» ou de «militants fil-rouge» ; le CCI est même persuadé aujourd'hui que le mouvement ouvrier a toujours partagé cette vision : "Dans le mouvement ouvrier, le clanisme (qui est, à ses yeux, la principale difficulté des organisations révolutionnaires) a presque toujours eu pour origine la difficulté de différentes personnalités à travailler ensemble" (souligné par nous) (16). Cela induit l'idée que l'organisation politique du prolétariat ne serait qu'une somme d'individus qui travaillent ensemble et cela avec plus ou moins de succès.". Pourtant, dans l’article sur la "Naissance du bolchevisme", il n’est pas fait référence à cette notion de clans au sein des trois Internationales ni même au sein du parti bolchevik. Est-ce que le CCI actuel a abandonné l’idée selon laquelle le clanisme a toujours existé dans le mouvement ouvrier ? Notre réponse à l'article sur Bakounine aurait-elle porté ses fruits ? Ou alors, le CCI ne réserverait-il cette notion qu'à la période actuelle définie, selon lui, comme celle du "capitalisme en décomposition" ?. Peut être pas ! En effet, par exemple, au début des années 1980, selon le CCI, le capitalisme n’était pas encore rentré dans sa phase de décomposition et pourtant le groupe de militants qui allaient former la FECCI (la Fraction externe du CCI) « était un clan » (17), déjà. Nous n’y comprenons plus rien. Le CCI comprend-il lui-même ce qu’il écrit ?

La seule vision du CCI qui est certaine et que nous rejetons c’est sa vision personnalisante à propos des organisations révolutionnaires.

III – Le véritable combat révolutionnaire de Lénine et du bolchevisme qu’il faut défendre et reprendre

1 - La défense et l’importance du combat politique dans les organisations révolutionnaires et non pas le combat contre les individus

"Les détails secondaires de la lutte d'organisation, tournant en particulier autour de la composition des organismes du parti, sont totalement dépourvus d'intérêt pour le lecteur d'aujourd'hui et méritent au fond de sombrer dans l’oubli. (souligné par nous) Mais l'analyse de la lutte des conceptions tactiques et autres au deuxième congrès, ainsi que la polémique à propos des conceptions mencheviques en matière d’organisation me paraissent ici essentielles : l'une et l'autre sont indispensables pour bien comprendre le menchevisme et le bolchevisme en tant que courants qui ont marqué de leur sceau l'ensemble de l'activité du parti ouvrier dans notre révolution." (Lénine, op. cit.)

En effet, si l’on veut véritablement lutter contre les conceptions politiques des mencheviks, il faut les caractériser et ne pas se tromper de combat. Les idées sont peut être portées par tel ou tel individu mais, ce qui importe, c’est de combattre les idées opportunistes ou centristes qui affaiblissent la théorie révolutionnaire.

2 – Malgré une lutte impitoyable sur la question organisationnelle, les bolcheviks ont toujours défendu l’unité du POSDR tout en menant un combat politique et théorique de première importance

La vision actuelle du CCI (et sa pratique) est antiunitaire (18) ; elle se rapproche totalement de celle des courants "liquidateurs" (19), que ce soit celui des mencheviks ou celui des bolcheviks coexistant dans le POSDR, c’est à dire tous ceux qui luttaient contre l’unification du Parti. ("Lettre ouverte à tous les social-démocrates proparti", (op.cit.)

Lénine, dans son combat, a permis que l’unité du parti soit préservée le plus longtemps possible et cela jusqu’en 1912.

En 1906, au 4ème congrès du POSDR, la fusion des 2 fractions fut proclamée ; les mencheviks eurent 7 places au Comité central, les bolcheviks trois. Lénine se félicita car le prolétariat n’avait plus qu’un seul parti. Il n’y avait plus désormais de "fractions" mais des "ailes" : l’aile gauche et l’aile droite. "Cela existe, expliqua Lénine, dans tous les partis social-démocrates d’Europe." (20)

Et, par exemple, en 1910 le Comité central du parti réuni en session plénière réalisa, à nouveau, l’union des fractions après une années difficile. Lénine fit des concessions très importantes dans le domaine de l’organisation. Il accepta de cesser la publication de son journal. A partir de là, le Comité de Direction de l’organe central (le journal) Le Social Démocrate était composé de 2 bolcheviks (Lénine et Zinoviev) et de 2 mencheviks (Dan et Martov). Il n’y avait plus désormais qu’une caisse commune pour le Parti.

Comme on peut le constater, le combat de Lénine n’a jamais été porteur d’une vision antiunitaire de l’organisation. Toutefois, cela n’a pas empêché que le combat organisationnel soit aussi un combat contre l’opportunisme en matière d’organisation. Mais, en restant sur le plan politique, Lénine permettait au parti de pouvoir, un jour, se réunifier ce que ne permet absolument pas la vision "clanique", "personnalisante" et "individualiste" du CCI.

Dans son combat, Lénine est toujours resté sur le plan strictement politique, comme le passage qui suit le montre amplement :

"Des débats au deuxième Congrès du Parti social-démocrate, je retiendrai ceux qui portèrent sur le programme agraire. Les événements ont sans conteste prouvé que notre programme d'alors (restitution des otrezki 21) était d'une étroitesse extrême et qu'il sous-estimait les forces du mouvement démocratique révolutionnaire paysan. (…) Ce qu'il importe de souligner ici, c'est que même un programme agraire étroit à l'excès comme celui-ci paraissait trop large à l'époque aux yeux de l'aile droite du parti social-démocrate. (…).

Les dissensions avec les mencheviks à cette époque (première moitié de l'année 1904) se limitaient à des questions d'organisation. Je caractérisais la position des mencheviks comme un «opportunisme dans les questions d'organisation». Ce à quoi P. Axelrod, dans une lettre à Kautsky, répliquait : «Mes faibles facultés ne me permettent pas de comprendre ce que c'est que cette chose : "l'opportunisme dans les questions d'organisation" que l'on pousse sur la scène comme quelque chose d'indépendant sans lien organique avec des conceptions de tactique et de programme» (lettre du 6 juin 1904 reproduite dans le recueil de la nouvelle Iskra, En deux années, 2° partie, p. 149).

Quel était le lien organique de l'opportunisme dans les conceptions de tactique avec celles d'organisation, toute l'histoire du menchevisme entre 1905 et 1907 l'a suffisamment montré. Pour ce qui est de «l'opportunisme dans les questions d'organisation», cette chose «incompréhensible», la vie a confirmé la justesse de mon appréciation de façon plus éclatante encore que je ne m'y attendais. Il suffit d'indiquer que le menchevik Tchérévanine lui-même est contraint de reconnaître aujourd'hui (voir sa brochure sur le congrès de Londres de 1907 du P.O.S.D.R.) que les plans d'organisation d'Axelrod (le fameux «congrès ouvrier», etc.) ne peuvent que donner lieu à des scissions funestes à la cause du prolétariat. Mais ce n'est pas tout. Le même menchevik Tchérévanine raconte que Plekhanov dut se battre à Londres à l'intérieur de la fraction menchevique contre «l'anarchisme sur le plan de l'organisation». Ainsi donc, ce n'est pas en vain que j'avais engagé le combat en 1904 contre «l'opportunisme dans les questions d'organisation», puisqu'en 1907 Tchérévanine et Plekhanov furent contraints de faire l'aveu de l'«anarchisme sur le plan de l'organisation» des mencheviks influents."

Et sur les autres conceptions opportunistes des mencheviks, Lénine poursuit :

"De l'opportunisme dans les questions d'organisation les mencheviks passèrent à l'opportunisme dans les questions de tactique. La brochure «La campagne des zemstvos et le plan de l'Iskra 22» (qui parut à Genève à la fin de l'année 1904, en novembre ou décembre, semble-t-il) constate leur premier pas dans cette direction. Dans la littérature actuelle, il n'est pas rare de rencontrer des passages où l’on soutient que les dissensions sur la question de la campagne des zemstvos 23 venaient du fait que les bolcheviks déniaient toute utilité aux manifestations devant les membres des zemstvos. Le lecteur constatera que cette opinion est complètement erronée. Les divergences naquirent du fait que les mencheviks se mirent alors à dire qu'il ne fallait pas semer la panique chez les libéraux, et encore plus du fait qu'après la grève de Rostov en 1902, après les grèves et les barricades de l'été 1903, les mencheviks, à la veille du 9 janvier 1905 24, proclamèrent que les manifestations devant les zemstvos constituaient le type supérieur de manifestation. Dans le n°1 du journal bolchevique Vpériod qui parut en janvier 1905 à Genève, notre appréciation du «plan de campagne des zemstvos» menchevique trouvait son expression dans le titre de l'article consacré à cette question : «Sur les bonnes manifestations des prolétaires et les mauvais raisonnements de certains intellectuels 25».

La dernière brochure que nous reproduisons ici fut publiée à Genève pendant l'été 1905. Il s'agit de «Deux tactiques de la social démocratie dans la révolution démocratique» 26. On y trouve exposées, systématiquement cette fois, les divergences tactiques fondamentales d'avec les mencheviks. Les résolutions du «Ill° Congrès du P.O.S.D.R.» (bolchevique) tenu à Londres au printemps et de la conférence menchevique de Genève avaient totalement consacré ces désaccords pour aboutir à une divergence fondamentale dans l'appréciation de notre révolution bourgeoise dans son ensemble du point de vue des tâches du prolétariat. Alors que les bolcheviks conféraient au prolétariat le rôle de chef dans la révolution démocratique, les mencheviks le ramenaient à celui d'«opposition extrémiste». Alors que les bolcheviks définissaient de façon positive le caractère de classe et la signification de classe de la révolution, disant : une révolution victorieuse, c'est une révolution qui conduit à la «dictature démocratique révolutionnaire du prolétariat et de la paysannerie», les mencheviks continuaient d'interpréter le concept de révolution bourgeoise de façon si erronée qu'ils en arrivaient à accepter pour le prolétariat un rôle de subordonné et de vassal de la bourgeoisie dans la révolution.

On sait comment ces dissensions de principe se sont traduites dans la pratique : boycottage de la Douma de Boulyguine par les bolcheviks et hésitations des mencheviks ; boycottage de la Douma de Witte par les bolcheviks et hésitations des mencheviks qui avaient appelé à voter, mais pas lors des élections à la Douma ; soutien du ministère cadet et de la politique cadette à la I° Douma par les mencheviks et dénonciation résolue des illusions constitutionnelles et de la nature contre-révolutionnaire des cadets par les bolcheviks, de pair avec la propagande pour un «comité exécutif des gauches»; enfin bloc de gauche des bolcheviks aux élections à la deuxième Douma et blocs des mencheviks et des cadets, etc., etc."

Voilà ce que le CCI doit comprendre et assimiler du combat de Lénine : combattre sur le plan politique les divergences qui ne manqueront pas de se faire jour en son sein car l’homogénéité politique n’existe pas a priori. Il doit l’assimiler s'il veut stopper la dérive opportuniste dans laquelle il est aujourd'hui engagé, s’il veut être le véritable CCI, celui qui a su être pendant plus de 25 ans le fédérateur et le catalyseur des énergies révolutionnaires qui se sont manifestées de par le monde : "Il ne suffit pas de dire «Seigneur, Seigneur» pour entrer dans le royaume des cieux. Nous aussi, après l'expérience du plénum, nous devons répéter : il ne suffit pas de prononcer de belles phrases sur l'esprit de parti pour être proparti."

Le CCI se réfère au bolchevisme, il a plein la bouche de louanges du bolchevisme mais il agit comme les "liquidateurs" du POSDR, poussant non à l’unification du milieu révolutionnaire mais à sa dispersion et à l’émiettement de l’organisation : depuis 10 ans, c’est plusieurs dizaines d'excellents camarades, dont la majorité étaient membres de ses organes centraux, qui ont été exclus ou poussés hors de l’organisation. L’on comprend bien qu’il est plus facile d’expliquer ces départs par le fait que ces camarades sont des "jaloux" ou des "voyous", ou bien qu'ils participent à des regroupements "claniques", au lieu de se poser la question politique essentielle : "Quels désaccords avaient ces excellents camarades qui ont été exclus du CCI ?"

* *

Avant de finir ce texte, nous ne résistons pas au plaisir de citer des faits qui montrent que la pensée et la pratique de Lénine n’avaient rien à voir avec cette vision sectaire que le CCI tente d’introduire dans le mouvement ouvrier.

Après la Révolution d’Octobre, le 12 avril 1918, Lénine fit adopter par le gouvernement révolutionnaire un décret sur les monuments qui prévoyait d’enlever les représentations des tsars et dignitaires tsaristes dénués de valeur artistique et les aigles tsaristes, de remplacer les inscriptions liées à l'ancien régime et d’ériger de nouveaux monuments. Près du Kremlin, il y avait un obélisque portant, gravés dessus, les noms des Tsars. Il fit inscrire 19 noms de révolutionnaires pour illustrer la volonté de situer le Révolution d’Octobre comme le fruit de la continuité de tous les courants révolutionnaires : utopistes, anarchistes, sociaux-démocrates, populistes et communistes ; et, parmi ces noms, il y avait bien sûr Marx et Engels, mais aussi Bakounine, Lassalle, Bebel, Campanella, Thomas More, Fourier, Jaurès, Lavrov, Liebknecht, le curé Meslier, Mikhailovski et Winstanley, le niveleur anglais de 1649, etc.(27)

Quand il s’est agi de rentrer en Russie au moment des événements de 1905, Lénine a cherché à ne pas rentrer seul mais avec Plekhanov afin de donner à ce retour une signification hautement politique et symbolique : celui de l’unité de nouveau rétablie du parti social-démocrate. Plekhanov a décliné l’offre, préférant rester à Genève. Il a préféré ne pas rentrer en Russie car il demeurait sceptique quant à l’issue des événements, ne jugeant pas décisifs et mortels les coups reçus par le tsarisme lors de cette première révolution. Lénine est donc revenu seul (28). Mais, Lénine avait une vision du mouvement révolutionnaire autrement plus ample que celle de beaucoup de ses adversaires politiques et même de beaucoup de ses épigones. Il était aux antipodes des querelles de personnes et, quand c'était nécessaire, il savait se mettre au-dessus des intérêts de partis et même au-dessus de divergences politiques majeures, pour se placer dans le cadre de l’histoire de l’humanité ! A bon entendeur salut !

Olivier, le 2/8/2004


Notes:

1. Il s’agit des otzovistes, partisans de Mach.

2. Le machisme était un courant idéaliste. Il était répandu en Russie parmi les intellectuels. Certains écrivains bolcheviks (Bazarov, Bogdanov, Lounatcharski, etc..) tombèrent sous la coupe de ses idées. Dans Matérialisme et empiriocriticisme Lénine s’attaqua à ses idées.

3. Cette réflexion va comme un gant aux « liquidationnistes » actuels du CCI. Ils n’ont que le mot de défense de l’organisation et de "l’esprit de parti" à la bouche. Dans la réalité, ils n’ont fait que détruire le CCI.

4. Journal créé par les élèves et les conférenciers de l’école de Capri en rupture avec les positions bolcheviques et se rapprochant de Bogdanov et de ceux que Lénine appelait les « liquidateurs » du parti. (cf. Contre les liquidateurs, Lénine, Editions du progrès, Moscou, 1972).

5. Polonais, Lettons et les membres du Bund.

6. Lénine, 1870-1924, Jean Jacques Marie, Balland, Paris, 2004, page 85.

7. Préface au recueil « En douze ans » de Lénine (septembre 1907).

8. Il est plus juste de dire comme nous l’avons démontré ci-dessus « Création de deux fractions dans le POSDR ».

9. Préface au recueil « En douze ans » de Lénine (septembre 1907

10. Congrès de 1903

11. Novaïa Jizn (La vie nouvelle) : Premier journal bolchevique légal. Il parut quotidiennement du 27 octobre (9 novembre) au 3 (16) décembre 1905.

12. Voir Œuvres, Paris-Moscou, t. 10, pp. 21-31.

13. Préface au recueil « En douze ans » de Lénine (septembre 1907).

14. Nous avons déjà critiqué cette théorie farfelue dans différents textes.

15. Revue Internationale n° 111

16. Texte d'orientation du CCI – Revue internationale n° 111

17. Note 6 du texte La naissance du bolchevisme rappelant le Texte d’oientation de 1993 publié dans la Revue Internationale n° 109.

18. A l'extérieur, il voit tout le milieu politique contre lui et, de plus, phagocyté par la Fraction interne (!!) ; à l'intérieur, c'est la coupe régulière des "branches mortes" et tous ceux qui ne partagent pas les orientations politiques actuelles sont considérés comme des "voyous", des "envieux", etc.

19. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous avions nommé, à l’intérieur du CCI, la camarilla qui a détruit l’unité de l’organisation du sobriquet de "liquidationniste" en mémoire du combat de Lénine contre les anti-parti dans le POSDR. Nous ne l’avions jamais dit aussi précisément et ouvertement encore car nous n’avions pas eu le temps d’écrire sur le bolchevisme. (cf. Contre les liquidateurs, Lénine, op.cit).

20. Lénine, Gérard Walter, Albin Michel, Paris, 1971, pages 159 et suivantes.

21. Otrezki : parcelles de terres enlevées aux paysans par les propriétaires fonciers lors de l’abolition du servage en Russie.

22. Voir Œuvres, Paris-Moscou, t. 7, pp. 519-544.

23. Les zemstvos étaient des organes d’administration locale (voirie, affaires scolaires, etc.). Leur activité était purement locale et soumise à un contrôle étroit du régime. Les propriétaires fonciers y jouaient un rôle prédominant.

24. Il s’agit du fameux « dimanche rouge » où l’armée tira sur la foule de manifestants venant exposer pacifiquement leurs revendications. Cet événement déclencha la révolution de 1905.

25. Voir Œuvres, Paris-Moscou, t. 8, pp. 21 27.

26. Voir Œuvres, Paris-Moscou, t. 9, pp. 9 -139.

27. Cf. Lénine, Jean-Jacques Maris, Balland, Paris, 2004, page 261.

28. Cf. Lénine, Gérard Walter, Albin Michel, Paris, 1971, pages 161-162

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