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TEXTES DU MOUVEMENT OUVRIER
EXTRAITS DU TEXTE "PROBLÈMES ACTUELS DU MOUVEMENT RÉVOLUTIONNAIRE INTERNATIONAL"
(INTERNATIONALISME N° 18)

Quand, à la suite de grandes luttes révolutionnaires où tous les espoirs d'émancipation sociale furent permis, surgit non la victoire mais la défaite, celle-ci entraînera alors, dans son gouffre, les meilleures forces de la révolution et le parti de classe s'effondrera d'autant plus rapidement et complètement que son armature idéologique, ses principes et son programme, aura contenu plus de lacunes et d'erreurs et offriront une résistance moindre. Dans une telle période de recul, les forces révolutionnaires s'effritent et les militants passent les uns avec armes et bagages dans le camp de la contre-révolution, les autres désillusionnés se retirent et quittent la lutte, d'aucuns s'accrochent désespérément aux formulations passées des positions erronées et se consolent en s'usant dans une agitation stérile, d'autres encore brûlent leurs dieux de la veille les accusant d'avoir été impuissants à les préserver de la catastrophe, deviennent des "hérétiques" à la recherche de nouveaux dieux et passent leur temps à se venger, par les insultes, de ce qu'ils adoraient la veille.

Peu nombreux sont ceux qui ne perdent pas la tête, qui ne cherchent pas à tromper leur désespoir par des agitations vaines et ont une préparation théorique suffisamment solide pour éviter de tomber dans les fantaisies qui tiennent lieu de pensée aux autres. Ceux-là prennent le chemin de l'étude objective du passé, l'analyse minutieuse de l'expérience de la lutte et des causes et des conditions de la défaite, et soumettent le programme d'hier à un examen critique à la lumière de l'expérience. En se livrant à ce travail, ils s'efforcent non seulement de comprendre les enseignements de l'expérience - ce qui est une condition de l'action consciente de demain - mais ils continuent à forger l'arme de la révolution en élaborant les principes, en élaborant les fondements du programme nouveau, indispensable au prolétariat pour avancer et triompher dans sa lutte pour une société socialiste.

Cette tâche du militant révolutionnaire ne fut comprise, dans la période noire entre les deux guerres, que par une petite phalange de militants formant quelques groupes dispersés dans le monde et, au premier chef, par le groupe de la Fraction de Gauche Italienne qui donnera naissance à la Gauche Communiste Internationale.

La Gauche Communiste n'a jamais eu la prétention d'avoir résolu tous les problèmes laissés en suspens par l'expérience passée, ni de représenter la seule organisation révolutionnaire du prolétariat. Au contraire, la Gauche Communiste, considérant son travail comme une simple contribution à l'oeuvre d'élaboration du programme communiste mais dont la réussite dépassait ses propres forces, exigeait la collaboration théorique active de tous les courants marxistes révolutionnaires qu'elle n'a cessé de convier à ce travail.

Isolée trop longtemps dans son effort, la Gauche Communiste Internationale n'a pas échappé complètement aux ravages et aux errements politiques et théoriques. L'éclatement de la guerre a trouvé la Gauche Communiste en pleine crise de luttes de tendances et a surpris la majorité de l'organisation professant la théorie de l'économie de guerre qui nie l'existence des antagonismes inter-impérialistes et la possibilité de guerres impérialistes généralisées. La guerre, elle-même, devait achever de disloquer la Gauche Communiste en plusieurs tendances évoluant séparément dans des sens politiques opposés, au point de retrouver, au moment de la libération, une de ces tendances qui avait participé aux Comités socialistes anti-fascistes.

Mais, dans les dernières années de la guerre et, pour prendre une date précise, à partir des événements de juillet 1943 en Italie, un certain nombre d'ouvriers a rompu avec les organisations qui, dans un camp ou dans l'autre, participaient effectivement à la guerre. Ces ruptures reflétaient moins une évolution individuelle qu'un processus plus profond de rupture avec la guerre impérialiste qui commençait à se faire dans la classe et qui s'est exprimé encore embryonnairement, dans les événements de 1943 en Italie et dans les manifestations contre la guerre au printemps 1945 en Allemagne.

La plupart de ces éléments ne sont pas allés plus loin que de rompre avec leurs anciennes organisations ; une faible partie a donné jour à des petits groupes organisés comme l'OCR et l'UCI en France, un petit nombre a rejoint les divers groupes de la Gauche Communiste. C'est surtout en Italie où la situation sociale était la plus convulsée qu'un nombre relativement important de trois mille ouvriers s'est regroupé autour des militants de la Gauche Italienne pour constituer le Parti Communiste Internationaliste de la Gauche Communiste Internationale.

Les prémices d'une reprise de lutte révolutionnaire contenues dans les troubles des années 1943 et début 1945 furent rapidement circonscrites et anéanties par le capitalisme international. Avec elles ont été également compromis les espoirs d'un regroupement et d'un renforcement du mouvement révolutionnaire international. Les groupes révolutionnaires qui avaient surgi périclitent, s'effritent ou se perdent dans des théories fantaisistes. La Gauche Communiste Internationale - emballée par la construction prématurée d'un nouveau parti en Italie, envahie par des jeunes éléments politiquement neufs, comme c'est le cas en Italie, ou venant du trotskisme, comme c'est le cas en France, et qui n'ont pas assimilé les idées fondamentales de la GCI - se jette dans l'agitation, croit le moment venu de la construction des partis et reproduit l'erreur si caractéristique du trotskisme dans le passé : la création hâtive et artificielle des partis et d'un Secrétariat International.

L'impatience est le point de départ de l'opportunisme et de l'aventurisme. Vivant toujours en retard d'une situation, la nouvelle majorité de la Gauche Communiste découvrira que la situation réactionnaire - qui s'est ouverte à la cessation de la guerre dans la deuxième moitié de 1945 - est précisément celle d'un cours montant de luttes de classe. A chaque moment, elle verra les ouvriers se détacher des partis traîtres et les diverses péripéties des intrigues, des luttes et des arrangements entre les partis de la bourgeoisie pour l'exercice du pouvoir seront ridiculement interprétés en rapport avec "la menace du prolétariat", justement au moment où le prolétariat est malheureusement totalement absent de l'arène politique.

Chaque grève économique en Amérique sera saluée comme le début d'une offensive de classe et la grève des postiers en France - qui fut avant tout une machination électorale contre la clique stalinienne - sera vue sous l'angle d'un débordement spontané des chefs par les masses combatives. La situation internationale - qui, dans son ensemble, est celle de la continuation de la guerre sous une forme localisée en attendant la reprise généralisée -, les massacres en Grèce, en Iran, dans les colonies - qui n'expriment que le déchaînement des appétits des divers impérialismes luttant pour s'emparer du maximum de butin - seront doctement expliqués par la Fraction belge de la GCI comme le commencement de la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile révolutionnaire, transformation qui ne pouvait se faire qu'après la fin de la guerre. Pas moins que cela !

Les stupidités les plus criantes trouveront leur source dans cette appréciation complètement renversée de la situation réelle. Il n'est pas étonnant que, marchant ainsi à contre-sens et levant les pieds en descendant les escaliers, ceux qui dirigent la GCI (s'il est possible d'appeler "direction" une telle marche) voient d'un très mauvais oeil et supportent mal les incrédules, ceux qui ne partagent pas leur façon originale d'apprécier les événements.

Il y avait crise dans la Gauche Communiste Internationale à la veille de la guerre ; il y avait formation de tendances et confrontation passionnée des positions que les années de guerre n'ont fait qu'accentuer. Les luttes d'idées n'ont jamais affaibli mais au contraire enrichi le mouvement révolutionnaire. Et même si des déviations apparaissent présentant un danger certain, on ne pouvait les surmonter par des décrets et des oukases mais uniquement en recourant à l'arme de la critique, de la discussion et de la clarification.

La Gauche Communiste Internationale, aujourd'hui, a résolu tous les problèmes, a liquidé toutes les divergences, a fini avec les tendances en son sein ; et ce miracle a été obtenu par l'élimination pure et simple des uns (dont nous sommes), par la réduction au silence des autres qui s'y prêtent (cas de la tendance Vercesi) et le triomphe de la bonne agitation stérile. Mais, en le faisant, la GCI a rompu avec ses traditions ; elle s'est vidée de son contenu, elle s'asphyxie dans un monolithisme et un manque d'oxygène ; et sous l'étiquette de la GCI revit aujourd'hui les conceptions et les méthodes d'un néo-trotskisme.

Internationalisme, février 1947


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