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Le texte que nous publions ci-dessous est un communiqué que la Fraction au Mexique a rédigé et diffusé autour d'elle au mois de mai 2006. Alors que ce communiqué était distribué et en pleine répression du mouvement social, comme on le verra dans le texte, les instituteurs d'Oaxaca entraient à leur tour en lutte pour des augmentations de salaire. Nos camarades ont alors rédigé, fin juin, un nouveau document dont nous ne reproduisons ici que le passage relatif au mouvement des instituteurs.
Nous ne pouvons publier ici dans son intégralité et en français ce second texte. Néanmoins, le lecteur pourra en prendre connaissance sur notre site dans les pages en langue espagnole.
De larges extraits de ces textes ont été transmis rapidement aux principaux groupes du milieu prolétarien en Europe (BIPR, PCI) à titre informatif. Nos camarades au Mexique ont également tenté de le transmettre au CCI lors d'une de ses réunions publiques.
« (...)Des dizaines de milliers d'instituteurs d'Oaxaca en grève depuis le 22 mai pour une augmentation de salaire, ont été conduits par leur section syndicale "démocratique" à un piquet devant le siège du gouverneur d'Oaxaca. Après plusieurs semaines, les instituteurs reçoivent comme seule réponse - avec la complaisance intéressée du gouvernement fédéral - la décision du gouverneur d'Oaxaca, Ulises Ruiz, d'en. finir avec la manifestation.
C'est ainsi que le 14 juin, les différents corps de la police de l'Etat régional furent lancés dans la répression des grévistes. Les maîtres d'école (dont une grande partie sont des femmes avec souvent leurs enfants) sont dispersés au moyen de bombes lacrymogènes et leurs affaires sont détruites ; la police utilise les hauteurs des batiments et des maisons, et même un hélicoptère (!), pour lancer des centaines de bombes lacrymogènes. Il y a aussi des tirs d'armes à feu de la part de la police. Après trois heures d'affrontement, la police se replie et les instituteurs reprennent les rues du centre de la ville. Il y a une centaine de blessés de chaque côté, quelques uns par balle.(...)
En outre, il faut faire ressortir aussi que ce furent des fonctionnaires appartenant aux trois principaux partis politiques du capital qui ont ordonné la répression. Tant la "gauche" que le "centre" et la "droite" du capital (c'est-à-dire le PRD, le PRI et le PAN) ont mené ensemble la répression. Cela doit rappeler aux travailleurs que tous les partis électoraux sont tous des instruments de la classe capitaliste et que la bourgeoisie sera toujours capable de laisser de côté ses luttes internes - fictives ou réelles - pour agir unie afin de maintenir "l'ordre social" en vigueur.
Pour sa part, la section syndicale "démocratique" (a) des instituteurs d'Oaxaca ne les a pas seulement entraînés dans cette forme de "lutte" usante et isolée qu'est le "piquet" (b) - rester jour et nuit durant des semaines sous les intempéries - mais aussi elle a fait passer au second plan les revendications salariales des maîtres d'école et a mis en premier "la démission du gouverneur Ulises Ruiz". C'est-à-dire que le syndicat a utilisé les enseignants dans la lutte inter-bourgeoise pour la répartition des postes de gouverneurs - précisément à la veille des élections.(...) - Fracción Interna de la CCI. 28 de junio de 2006. »
Notes :
a. Les syndicats radicaux qui s'opposent au syndicat "officiel", la CTM historiquement lié au parti unique, le PRI (ndt).
b.Le "plantón" est une "tradition" des syndicats mexicains : on organise un piquet sur une place publique, en général la place centrale, le zocalo, d'une ville, voire de la capitale, face au palais présidentielle ou du gouverneur de l'Etat. Et on reste là indéfiniment... (ndt).
Après la mort de 65 ouvriers dans une explosion à la mine Pasta de Conchos (Coahuila, Mexico1), une vague de colère, à propos des terribles conditions de travail, s'est développée parmi les ouvriers, en particulier dans les secteurs minier et sidérurgique.
Le gouvernement du président Fox, considérant que la colère des ouvriers ne se focalisait pas seulement contre les patrons et les autorités du travail mais aussi contre les dirigeants syndicaux, a cru opportun de faire un pas de plus dans le travail que l'Etat mène depuis quelques années, de démembrer le "corporatisme syndical" hérité de plus de 6 décennies de régime de Parti unique et d'entreprises monopolistes d'Etat, et que la bourgeoisie mexicaine continue de traîner dans différents secteurs, y compris celui des mines et de la sidérurgie, au point que la privatisation des entreprises de ce secteur s'est posée depuis déjà plusieurs années. C'est ainsi qu'il a été décidé de destituer le "leader" du syndicat national des mineurs-sidérurgistes, Napoleon Gomez, représentant important de ce corporatisme, l'accusant d'une fraude et du vol de millions au syndicat2 .Cependant, le gouvernement n'a pas calculé que la camarilla syndicale pouvait retourner la colère des ouvriers, en faisant croire à ceux-ci que le destin des contrats collectifs actuels et leurs conditions de travail sont liés à la survie du corporatisme syndical, et en particulier au maintien de la bande de Gomez. Dans ce but, le syndicat a déclenché une série de luttes dans différentes mines et entreprises sidérurgiques.
Les ouvriers, pris au milieu de la lutte inter-bourgeois entre les autorités, les patrons et les capos syndicaux, suivirent les luttes "en défense du syndicat", croyant faussement qu'ils défendaient ainsi leurs propres conditions de travail. Après plusieurs semaines de conflit, la sortie que le gouvernement a trouvé à cette bataille a été, non l'arrestation de Gomez mais la répression… contre les ouvriers qui étaient en lutte ! C'est ainsi que les ouvriers qui menaient la lutte à Sicartsa3 depuis le 2 avril, après que la grève a été déclarée illégale le 18, furent réprimés le 20 de ce même mois.
Ce jour-là, au matin, un contingent de quelques 800 policiers - de la police fédérale4 et du gouvernement de l'Etat - a pris d'assaut l'entreprise. Utilisant des gaz lacrymogènes et des armes à feu, la police est entrée par la porte de derrière, qui donne sur la mer, surprenant et dispersant les ouvriers qui étaient alors de garde. Cependant, les autorités n'avaient pas mesuré la colère existant parmi les ouvriers. En apprenant ces développements, la ville de Làzaro Càrdenas se mit en état de "soulèvement" général. Des centaines d'ouvriers, incluant ceux d'autres entreprises, comme les dockers de Mittal Steel – qui se mettent en grève en appui à ceux de la sidérurgie – se regroupent et, avec des bâtons, des billes d'acier et des pierres ripostent à la police. Le commerce et les activités portuaires sont paralysés. Les ouvriers mettent en marche des engins de chantier et les utilisent comme barricade. Les bureaux ainsi que des dizaines de véhicules de l'entreprise sont incendiés. Pendant les affrontements, qui ont duré plusieurs heures, la police a tiré sur les ouvriers, notamment depuis un hélicoptère (sic : par la suite, les chefs de la police diront que les coups de feu étaient "en l'air" mais dans une vidéo, on voit un policier d'Etat pointer et tirer directement avec un fusil automatique sur les ouvriers). Finalement, les ouvriers ont fait reculer la police et repris l'usine (bien que l'armée conserve le contrôle des zones principales, en particulier les hauts fourneaux). Parmi les ouvriers, le bilan se chiffre à des dizaines de blessés et à deux morts assassinés par balle.
A peine deux semaines après la répression contre les ouvriers de la sidérurgie, l'Etat capitaliste mexicain a entamé un nouvel acte de répression ouverte et féroce, cette fois contre un secteur de paysans en colère, les paysans d'Atenco (connus pour avoir mené une lutte, au début du sextennat [mandat non renouvelable de six ans du président mexicain. NDLT] de Fox, pour éviter l'expropriation de leurs terres sur lesquelles le gouvernement voulait construire un nouvel aéroport).
Le 3 mai au matin, à Texcoco5 , un petit groupe de marchands de fleurs ambulants qui font partie du "Front des Peuples Unis en Défense de la Terre" (FPUDT, dont le bataillon principal est constitué par les paysans d'Atenco), en conflit depuis des semaines pour ne pas être évacués du marché municipal, se sont affrontés à un détachement de la police municipale avec un bilan de plusieurs blessés des deux côtés. Un groupe d'une quarantaine de paysans (hommes, femmes et enfants) – incluant le principal leader du FPUDT – s'est réfugié dans une maison du centre de Texcoco, laquelle est assiégée par quelque 500 policiers.
Le leader du FPUDT lance un appel à la négociation avec les autorités pour l'autorisation de l'installation des marchands de fleurs, tout en appelant la population d'Atenco à exercer une pression, au moyen du blocage de l'autoroute Mexico /Texcoco6, afin que la police lève le siège. Jusque là, il semblait que le conflit pouvait encore être maîtrisé et s'apaiser dans un cadre "local" grâce à certaines "négociations", comme dans d'autres conflits semblables, mais au lieu de cela, les forces de police locales et fédérales de la bourgeoisie ont fait tout leur possible pour envenimer le conflit et accroître l'ampleur de la répression.
Aux environs de 11h30, après plusieurs heures de blocage de l'autoroute, la police met en place un piège : une voiture de police, avec deux agents à bord, se présente "inopinément" sur le site du blocage ; les policiers (qui déclareront postérieurement aux journalistes que soi-disant "ils n'étaient pas au courant du blocage") sont capturés et leur véhicule incendié.
Cette provocation évidente a été le point de départ d'une succession d'épisodes d'affrontement et de répression. A 13h30, des contingents de centaines de policiers - tant municipaux qu'étatiques et fédéraux – reçoivent l'ordre de lancer l'assaut contre les villageois qui exercent le blocage, donnant lieu à un premier affrontement violent, avec bâtons, pierres, cocktails Molotov et feux d'artifice d'un côté, matraques et gaz lacrymogènes de l'autre. Les villageois repoussent la police et maintiennent le blocage. Des affrontements sporadiques se succèdent, tandis que les populations de Texcoco et Atenco continuent de se rassembler, menaçant à un moment de faire exploser un camion citerne de gaz.
Une heure plus tard, la police lance une seconde charge contre ceux qui bloquent l'autoroute, tandis qu'un autre contingent tente d'entrer dans le village de San Salvador Atenco afin de "porter secours" aux policiers séquestrés. L'affrontement entre les villageois et les policiers dure une demi-heure. A 15h30 une troisième charge de police se transforme en une véritable "bataille" ; la police tire des bombes de gaz lacrymogène depuis des hélicoptères ; il y a des affrontements "au corps à corps" entre la population et la police sur l'autoroute jusqu'à ce que, de nouveau, la police soit repoussée. Le bilan s'élève à des dizaines de blessés, dont beaucoup gravement, des deux côtés. La population a capturé une douzaine de policiers de différents corps qu'elle conduit au tribunal de la ville. Un adolescent est mort (on ne sait si c'est par une balle, un "pétard" ou une grenade lacrymogène qui lui aurait explosé dans la poitrine, mais on sait que la police a tiré des grenades lacrymogènes directement contre les gens).
Pendant ce temps, s'est déroulée une scène filmée depuis un hélicoptère, qui sera reprise par toutes les chaînes de TV, dans laquelle un policier inerte est roué de coups par une dizaine de personnes. Ce policier qui appartient à la PFP – c'est à dire le corps de police fédérale le mieux préparé, organisé et discipliné pour la répression des masses – s'est "bizarrement" retrouvé isolé et abandonné de ses "acolytes" tandis que la scène était filmée ; voilà pourquoi on peut penser que, si ce n'est pas une nouvelle manoeuvre de la bourgeoisie, au moins cela va lui servir de parfait prétexte pour ce qui va se produire ultérieurement.
Le même jour, à 17h30, la maison de Texcoco, où les vendeurs de fleurs continuaient d'être assiégés, est bombardée de gaz lacrymogène et prise d'assaut par la police. Cette dernière fait en sorte d'éviter que les journalistes filment l'assaut, y compris en confisquant et en détruisant les caméras de plusieurs d'entre eux. Les 40 paysans, y compris le leader du FPUDT, sont arrêtés et tous, hommes et femmes, sont battus et roués de coups par les policiers, très brutalement.
Pendant la nuit, la majeure partie de la population, tendue, fatiguée et surtout effrayée par les menaces du gouvernement parlant d'"appliquer la loi dans toute sa rigueur" s'est dispersée et ne sont restés de "garde" que 300 paysans et activistes du Front. Les paysans tentent bien de négocier avec les autorités locales, mais déjà le gouvernement a décidé de donner, ici, une "leçon exemplaire".
Le jour suivant, le 4 mai au matin, la police entame une "opération" de "sauvetage" et de "nettoyage", définitive et à grande échelle. Une force de quelques 3000 policiers (sic !) fédéraux et d'Etat prennent d'assaut San Salvador Atenco, assaut réglé et organisé selon un vrai plan militaire. Les paysans du Front n'offrent quasiment aucune résistance et cherchent à se réfugier dans les maisons du village ; la police investit violemment des dizaines de maisons et arrête plus de 200 personnes, hommes, femmes et adolescents. Tous sont brutalement battus avec des matraques et des bâtons, puis emmenés vers les camions de la police (à la TV on a pu voir comment les personnes déjà ensanglantées, en allant vers les camions, ont dû passer en file indienne entre les policiers et subir des insultes et des coups de toutes parts ; dans une autre scène, on a vu un homme molesté, jeté au sol et roué de coups par une dizaine de policiers, à tour de rôle). Des dizaines de femmes sont humiliées sexuellement, certaines même sont violées, pendant le trajet jusqu'à la prison.
La classe bourgeoise, dans son ensemble, se félicite de la répression contre les ouvriers et les paysans. Dans tous les médias s'est déclenchée une campagne idéologique qui applaudit aux actes de la police, appelés par euphémisme "application de la loi". Par exemple, le président du Conseil de Coordination des Entreprises déclare, à propos de Sicartsa, qu'il "est d'accord avec l'application de la loi, parce que c'est pour ça qu'il y a la force publique : pour soumettre les citoyens qui violent la législation" ; dans le même sens, à propos d'Atenco, l'évêque d'Ecatepec (influent district proche d'Atenco) déclare : "j'approuve totalement l'action de mon gouverneur, d'avoir la main lourde et d'être intransigeant sur le viol de la loi. La loi n'est pas faite pour être violée".
Quelques éditorialistes se sont "simplement" lamentés de façon hypocrite sur les "excès" de la police, ce qu'en fin de compte ils finiront par justifier comme une sorte de vengeance naturelle du fait du policier qui avait été roué de coups de pieds. Mais ces prétendus "excès" (coups de feu, bastonnades des personnes arrêtées, persécutions sexuelles, etc.) ne constituent en rien une perte de contrôle de la part des policiers, puisqu'il s'agit d'une attitude largement répandue parmi eux ; le degré de brutalité, en particulier dans l'attaque contre Atenco, est de façon certaine décidé et voulu au plus haut niveau de l'Etat, et c'est ce que la TV et les autres médias défendent amplement et régulièrement. La bourgeoisie a donné toute latitude à ses meutes policières avec un objectif clair et précis : semer la terreur parmi les travailleurs.
En effet, les événements de Ciudad Làzarro Càrdenas sont un révélateur d'une situation qui ne cesse de se manifester ici et là, à moindre échelle, depuis des mois : un mécontentement et une colère croissante des travailleurs face à la détérioration de leurs conditions de vie, malgré la "transition vers la démocratie" qui est supposée exister au Mexique avec la fin du régime de parti unique depuis déjà un sextennat (un mandat de six ans). Le mécontentement et la colère se reflètent aussi bien dans le désintérêt croissant pour les prochaines élections présidentielles que dans la tendance à décharger cette colère contre les représentants immédiats du régime actuel : la police ; comme on l'a vu en différentes occasions et en différents lieux, du fait de leurs nouveaux méfaits, les "représentants de la loi et de l'ordre" ont fini par être quasiment lynchés par la population.
Mais l'affrontement qui a conduit toute la ville ouvrière de Làzarro Càrdenas à se "soulever" – non pas en défense du syndicat mais en défense des ouvriers de la sidérurgie qui étaient réprimés par la police – a été un clignotant pour la bourgeoisie. Pour ce qui est d'Atenco (si ça n'a pas été provoqué depuis le début par la répression contre les marchands de fleurs), cela a été, en tous cas, le motif pour l'Etat capitaliste de faire, en direction des travailleurs, une démonstration de son "pouvoir", une démonstration claire, définitive du fait que "la force de la loi", c'est à dire de son appareil répressif – police, juges et prison – seront toujours mille fois supérieurs à n'importe quel débordement des masses prolétariennes. De là la représentation de ces milliers de policiers prenant d'assaut militairement et brutalement une petite ville, ainsi que l'assourdissante campagne idéologique qui s'en est suivie sur l'impérieuse nécessité de maintenir "l'ordre et la légalité".
En même temps, la bourgeoisie a cherché à renforcer, parmi les classes exploitées, la mystification selon laquelle l'unique alternative pour tenter d'améliorer leur situation est dans les prochaines élections présidentielles. Terreur policière ou mascarade électorale, telle est la leçon que la bourgeoisie a voulu graver dans l'esprit des exploités.
Le prolétariat et les autres exploités doivent, bien sûr, tirer les leçons de la répression et des affrontements récents, mais ces leçons ne sont pas celles que martèle la classe capitaliste.
La première chose à souligner est que, récemment, s'est posée de façon manifeste la véritable fonction de l'Etat : pour aussi démocratique qu'il se présente, il est l'instrument de la classe bourgeoise chargé de garantir le maintien des conditions d'exploitation capitaliste. Depuis déjà plusieurs années, les outils de propagande de la bourgeoisie martellent que le Mexique vit une nouvelle et florissante étape de "transition vers la démocratie" après avoir liquidé le régime de parti unique du PRI. Cependant, les conditions de vie et de travail, la pauvreté, le chômage, l'exploitation capitaliste ne cessent d'empirer, même si la propagande insiste sur le fait que "maintenant, il y a beaucoup plus d'opportunités pour tous". Aujourd'hui, la répression à Ciudad Làzarro Càrdenas et à Atenco nous conduit à rappeler que tout Etat capitaliste démocratique n'a, essentiellement, que deux moyens pour maintenir ses conditions d'exploitation sur les travailleurs : la mystification idéologique, notamment par le système électoral, et la répression policière. Les élections lui servent à créer l'illusion parmi les travailleurs que voter pour l'un ou l'autre des partis leur permettrait, "dans le futur", d'améliorer leurs conditions de vie et de travail ; au moyen de la répression, elle cherche à les intimider, à les terroriser et à les paralyser quand ils commencent à tourner le dos aux élections et à comprendre que ce n'est que par la lutte de classe qu'ils pourront changer réellement leur situation.
La seconde question à souligner est que, dans la répression, participent les institutions de l'Etat, quel que soit le parti politique auquel appartiennent ses représentants. Les fonctionnaires des trois principaux partis politiques du capital national ont ordonné et organisé en commun la répression. Dans le cas de Sicartsa, tandis que les chefs des syndicats corporatistes appartenant au vieux PRI appelaient les ouvriers à une lutte sans perspective, le gouvernement du PRD7 (la gauche du capital) organisait la répression avec le gouvernement fédéral de Fox (la droite du capital). De même, à Atenco, la répression a été organisée conjointement par les différentes polices : la municipale qui est sous les ordres du PRD, celle du gouvernement de l'Etat de Mexico qui est gouverné par le PRI, et la fédérale qui est sous les ordres de Fox. Cela doit rappeler aux travailleurs que tous les partis électoraux (du centre, de la droite ou de la gauche) sont tous des instruments de la classe capitaliste. La bourgeoisie sera toujours capable de laisser de côté ses querelles internes – factices ou réelles – et d'agir de façon unie pour maintenir "l'ordre" social en vigueur, c'est à dire, pour réprimer les masses prolétariennes.
La troisième chose à mettre en relief est le rôle qu'a joué le fameux "sous-commandant Marcos" comme complice de la classe capitaliste, comme pompier et pratiquement comme caution de la répression. En effet, depuis des mois, "Marcos" a commencé à prendre un virage national avec le soi-disant objectif "d'organiser ceux d'en bas" parallèlement à la campagne électorale, moyen par lequel il n'a rien fait d'autre que d'agglutiner les groupuscules gauchistes "anti-électoraux", "virage" qui a parfaitement servi la bourgeoisie pour "démontrer" l'existence des "libertés démocratiques", tandis que le pseudo guérillero avait la permission de voyager et de se présenter librement dans n'importe quel endroit du pays. Les évènements d'Atenco sont arrivés peu de jours après que le "sous-commandant" se soit présenté dans la région et qu'il soit allé faire campagne dans la ville de Mexico, à quelques 40 km d'Atenco. Après la répression du 3, le "sous-commandant" a ordonné à ses troupes de se mettre en "alerte rouge" (sans que l'on sache ce que cela signifie) et a déclaré qu'il se rendait à Atenco pour appuyer les paysans. C'est ensuite qu'est intervenue la prise d'assaut de San Salvador d'Atenco par la police le 4; et le "sous-..." n'a plus été vu nulle part. Finalement, il réapparaît le 9, mais pas à Atenco, ni non plus en prison mais…. dans une interview inoffensive avec un journaliste du journal du matin sur une des chaînes nationales de télévision !
Sa seule présence dans un forum de télévision, c'est à dire sur le moyen de diffusion le plus important de la bourgeoisie, montre sa complicité dans la campagne idéologique mensongère sur les bienfaits des "libertés démocratiques" juste quelques jours après la répression brutale ; alors que, comme le signale le président Fox lui-même, même le "guérillero" Marcos peut se déplacer librement dans tous le pays et dire ce qu'il a envie de dire sans que personne ne l'agresse, "à partir du moment où il ne viole pas la loi". Mais, en plus, les déclarations de Marcos ne peuvent pas être une meilleure confirmation de cette campagne de la bourgeoisie : à la question de savoir s'il voulait réellement "renverser le gouvernement", comme il l'a dit pendant sa tournée, le "sous-commandant" a répondu clairement que non, que ce qu'il cherche, c'est "construire pour les gens qui sont en bas (?) et qui ont déjà accumulé beaucoup de rancœur sociale", bien qu'il n'ait pas précisé exactement ce qu'il voulait construire (si ce n'est une autre "alternative" électorale pour le futur). A propos des scènes de répression, il a expliqué : "la police défend un ordre, valable pour tous… quand tout est déjà réduit, tout le reste est de trop" ; par la suite, il a ajouté qu'il ne s'était pas rendu à Atenco pour ne pas envenimer le conflit et que la seule chose qu'il désirait était la libération des prisonniers : "nous attendons" – a ajouté le pseudo guérillero - que la classe politique se décide à libérer tous les prisonniers ou, si ce n'est pas le cas, les mobilisations de protestation augmenteront" et que, en tous cas, les prisonniers soient traités comme ils doivent l'être; c'est à dire sans mauvais traitements et par des "procédés légaux". En fin de compte, le "sous-commandant Marcos" est pour l'intérêt de la bourgeoisie qui veut que tout le monde marche "dans le cadre de la loi" – c'est à dire "sans excès" – pour éviter toute "escalade" de la colère sociale ; il est pour l'intérêt de la bourgeoisie dans lequel les travailleurs exploités continuent à avoir l'illusion que leur situation pourrait s'améliorer un jour dans le cadre de la société capitaliste actuelle, simplement en "construisant" une alternative électorale "différente".
Dans le futur, Marcos pourra être récompensé par la bourgeoise. Mais pour le prolétariat, il ne peut pas être plus clair que les organisations apparemment radicales, type EZLN, et Marcos, en fin de compte remplissent pour la bourgeoisie le rôle de ramener la colère sociale dans le cadre de la "légalité" et de "l'ordre social" actuels; c'est à dire d'éviter que cette colère ne débouche sur une situation qui tende à mettre sérieusement en cause l'actuel régime d'exploitation capitaliste.
Finalement, et c'est la dernière question que nous voulons souligner, le prolétariat doit comprendre que dans sa lutte de classe, seules comptent ses propres forces. Avec la répression récente, l'Etat capitaliste a voulu montrer que les travailleurs exploités n'ont rien à tirer de leurs luttes, qu'ils seront et resteront toujours écrasés, que la seule chose qu'ils peuvent faire c'est "élire" tel candidat et tel parti qui perpétuera leur oppression. Cependant, si l'Etat a décidé d'entreprendre ces actions de répression ouverte, c'est aussi parce qu'il reconnaît certains dangers dans la montée de la colère sociale, et cela précisément à la veille des élections présidentielles. Mais il y a une chose que l'Etat capitaliste ne peut éviter : c'est la véritable aggravation des conditions de vie et de travail, en particulier pour la classe ouvrière, que ni la mobilité ni l'émigration ne peuvent occulter, et qui pousse nécessairement la classe ouvrière à lutter pour défendre ses intérêts de classe, au-delà de la terreur que peut semer l'Etat. Cela l'oblige à suivre l'exemple de la lutte de ses frères de classe des autres parties du monde (Argentine, France, Italie, Angleterre, Etats Unis, etc.). Et le dilemme n'est déjà plus de savoir si la classe ouvrière au Mexique sera ou non capable de se lancer à nouveau dans la lutte, mais de savoir si elle sera capable de le faire sur son propre terrain de classe, c'est à dire pour ses propres intérêts de classe, dans un mouvement qui ne se limite pas à un secteur ou à une petite ville mais qui doit s'étendre à tous les secteurs, entraînant derrière elle d'autres classes exploitées comme les paysans pauvres ; un mouvement qui imposera réellement ses conditions, avec les forces suffisantes pour contenir la répression, en formant ses propres organisations, aussi bien de masse que politique – et non pas de s'en remettre aux syndicats et aux partis politiques du capital qui, aussi "radicaux" qu'ils paraissent, les conduisent toujours vers des voies sans issue.
Mai 2006
Notes:
1 Voir à ce propos, notre tract reproduit sur notre site Web et dans le bulletin n°35.
2 Exemple de ce type de "leader syndical", le grand bourgeois et maffioso Napoleon Gomez, a hérité du poste de son père avec la caution du même gouvernement actuel qui, aujourd'hui, en lien avec les patrons privés, veut se défaire de lui pour lui substituer une autre marionnette plus adéquate pour ses intérêts.
3 Sidérurgie “Làzaro Càrdenas-Las Truchas”, située dans la ville de Làzaro Càrdenas, Michoacàn, sur la côte pacifique.
4 PFP pour Police Fédérale Préventive. Corps de police créée par Fox et contrôlée directement par le pouvoir exécutif fédéral. Formée à l'origine de militaires, c'est un corps très discipliné et entraîné qui a comme une de ses fonctions principales la répression des masses.
5 Texcoco est une ville fameuse pour le tourisme et son artisanat, appartenant à l'Etat de Mexico, près de la ville de Mexico et très près aussi de Atenco où le gouvernement prétendait construire un nouvel aéroport international. Au Mexique, les entités fédératives majeures, appelées "états", se divisent à leur tour géographiquement et politiquement en "municipalités".
6 Ce moyen de bloquer les voies de communication, avenues ou autoroutes, n'est pas rare au Mexique de la part des organisations gauchistes étudiantes, paysannes, etc. et généralement l'Etat fait preuve d'une certaine "tolérance" à leur égard. Le réponse répressive qui y est donnée aujourd'hui est significative d'une intention particulière.
7 Michoacàn est dirigé actuellement par le PRD, son gouverneur est Làzarro Càrdenas Batel, le petit-fils du mythique président Làzarro Càrdenas qui, en 1938, a nationalisé le pétrole au Mexique et dont la famille détient Michoacàn depuis des décennies comme un fief féodal.
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