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Dans le bulletin 22 nous avions publié et commenté la réponse cinglante en forme de "fin de non recevoir" que le CCI adressait à un ex-militant, LL. Nous avions évoqué la lettre de ce camarade, adressée principalement à notre Fraction, et nous nous proposions de publier ultérieurement cette correspondance ainsi que la réponse que nous lui avions adressée à l'époque. D'autres priorités politiques nous ont contraints de repousser cette publication. Cet échange de correspondance intervenait peu après les luttes du printemps 2003 en France : le camarade portait des critiques fortes à l'analyse que nous avions développée de la situation internationale et plus particulièrement à l'intervention des révolutionnaires dans les luttes, telle que nous la défendions. En réponse au camarade qui proposait comme action le "regroupement, l'unification dans la rue…contre des symboles du pouvoir, les lieux du pouvoir…", "faire fonctionner les services publics…", "proposer un lieu de meeting permanent" etc., nous avions alors réaffirmé que ce mouvement constituait une étape dans un processus de reprise des luttes qui n'en était donc qu'à ses débuts. C'est à ce contexte bien précis que les révolutionnaires se devaient de répondre et nous critiquions le caractère idéaliste du schéma d'intervention que proposait LL. Depuis l'histoire a fait son chemin et le camarade a probablement évolué dans sa réflexion s'il s'est interrogé sur l'impact qu'aurait pu avoir l'intervention qu'il proposait à l'époque. Cependant nous livrons cet échange de correspondance comme témoin d'une réflexion, d'un débat entre communistes dans la période actuelle. |
A l'attention de la fraction interne du CCI
Camarades,
J'ai bien reçu le bulletin n° 19 qui rend compte de votre intervention dans les luttes du printemps/été 2003 à partir de la remise en cause par l'Etat des conditions d'accès à, et de rémunération de, la retraite de tous les salariés.
Je suis d'accord avec vous pour dire que ce mouvement de lutte constitue un moment très important de la reprise de la lutte et de la prise de conscience de la classe ouvrière en France et en Europe. Je fais même l'hypothèse qu'il s'agit là, de la première phase d'un mouvement plus ample et plus profond qui va reprendre et continuer à se développer sur plusieurs mois voire plusieurs années en France et en Europe.
Je suis donc d'accord avec vous pour dire que les révolutionnaires se devaient et se devront d'y participer activement en se situant à l'intérieur du mouvement, en lui proposant des axes de développement et non pas en en faisant la critique du haut du balcon ou en restant sur le trottoir.
J'ai cependant des divergences importantes avec vous sur la façon dont les révolutionnaires se devaient (et se devront) de chercher à être à l'intérieur de ce mouvement, de ces mouvements à venir.
Je considère que la tâche des révolutionnaires dans ce, ces mouvements, était de formuler ce qui est désormais inscrit dans tous les faits et de plus en plus dans tous les esprits individuellement :
à savoir que le capitalisme n'apporte plus que la misère et la guerre ; que les ouvriers ne peuvent compter sur aucun parti politique, aucun syndicat pour mener la lutte pour la défense de leurs conditions de vie, qu'ils ne peuvent compter que sur eux mêmes pour assurer leur unité.
Je considère que la façon dont les révolutionnaires se devaient d'intervenir n'était pas d'abord et surtout sur la mise en avant de la "nécessité de la riposte", (ce dont la bourgeoisie de gauche se charge), ni celle de l'auto-organisation et de l'unité, (ce dont les gauchistes, le syndicalisme de base et Sud se font les défenseurs zélés), mais sur la question de la signification politique, idéologique de cette attaque qui fonde un appel à l'action autonome contre le système (et non pas contre tel ou tel gouvernement) : - parce qu'elle démontre que le capitalisme ne garantit plus aucun à venir à personne ; qu'aucune réforme n'est possible ; que le capitalisme c'est la misère et la guerre ; que la bourgeoisie est cynique ; qu'il nous faut nous battre pour ne pas crever, que tous ceux qui parlent de "réformes", de "négociation", "d'améliorations" possibles sont des menteurs, des pourris, des ennemis, que ce sont les mêmes qui prétendent pouvoir et vouloir organiser la riposte contre le gouvernement, alors que ce sont eux qui ont appelé à voter pour lui, après avoir appelé pendant des décennies à voter pour la gauche contre la droite etc.
C'était dès le début formuler les conditions politiques et les enjeux eu combat à mener. Surtout ne pas s'enfermer dans des questions immédiates, économiques et locales.
C'était dès le début et d'emblée mettre en évidence le lien entre la guerre en Irak et l'attaque des conditions de vie ouvrière, la réalité des pseudo amis de la paix et des peuples, leur réalité d'ennemis des ouvriers, cela dans le concret.
C'était placer la réflexion et l'action ouvrière sur le terrain politique et non pas sur le strict terrain économique. (terrain privilégié du syndicalisme de base radical).
C'était (et c'est toujours) comprendre que sa force de désorganisation, de dispersion dans la classe ouvrière, la bourgeoisie la tire de sa capacité à garder séparés les problèmes concrets universels, auxquels les ouvriers sont confrontés, à séparer la dimension économique de la dimension guerrière, le passé, le présent et l'avenir.
C'était donc également, non pas ironiser sur la question des manœuvres de la bourgeoisie mise en avant par le C.C.I. (que je n'ai pas lu) en particulier celle concernant l'utilisation de la grève dans les transports mais reconnaître la réalité de la manœuvre et la dénoncer en prenant conscience et en expliquant que c'est là une question clef pour toute la période historique que la classe ouvrière confronte :
celle de la méthode et le but de son combat, méthode qui ne peut plus être la grève, longue ou à répétition, mais le regroupement, l'unification dans la rue (meeting, manifestations) après ou avant le travail, contre des symboles du pouvoir, les lieux du pouvoir etc.)
but qui est de faire fonctionner toute la société sur d'autres bases et dans l'immédiat de faire fonctionner les services publics (hors impôts, police), et tout particulièrement les moyens de transport sans lesquels il est impossible de maintenir la réunion des ouvriers en lutte, leur concertation, de favoriser leurs déplacements vers les A.G. ou vers les manifs unitaires ouvertes à tous… bref construire, favoriser la solidarité, l'unité.
C'était là une question politique centrale dans ce mouvement de même que celle de proposer un lieu de meeting permanent dans chaque ville ; un lieu de prise de décision de tous les secteurs (Place publiques et non pas dépôt de bus).
C'est ce type de perspective d'action politique ouvrière qui a été attaquée préventivement par la bourgeoisie cette fois, lorsque, après avoir réussi à épuiser momentanément la plus grande partie de la combativité ouvrière, (en jouant la répétition des appels à la grève, dans la plus grande dispersion, en jouant à la focalisation sur le pseudo fer de lance des Instituteurs, en organisant des grèves massives dans les transports publics) elle a proposé la manifestation devant l'assemblée nationale. (enterrement, symbole d'échec).
Enfin dernier point de divergence et d'inquiétude profonde :
Comment avez-vous pu, vous, avec l'analyse particulière qui est la votre concernant le rôle de la guerre dans la phase historique présente, croire pouvoir assurer une intervention révolutionnaire, par tract qui plus est, dans ce mouvement, sans jamais vous référer aux enjeux historiques : révolution ou guerre, sans jamais lier les deux dimensions, économie et guerre, de la réalité barbare de la société bourgeoise ?
Fraternellement
Ch. Ex LL Le 01 08 2003
(gréviste et intervenant sur tous ces points politiques en A.G. sur son lieu de travail et d'études).
Copie au CCI
Le 15/10/2003
Cher camarade,
C'est avec un intérêt certain que nous avons pris connaissance de ta correspondance du 1er août 2003 car, au-delà de la volonté exprimée de pointer les accords et désaccords avec l'analyse et l'intervention menées par notre fraction, elle s'inscrit dans la réflexion plus générale que ne manque pas de susciter l'accélération soudaine que connaît la situation dans toutes ses dimensions : tensions guerrières, lutte de classe, crise économique. Que cette réflexion prenne la forme d'un échange d'arguments, d'une discussion de fond au sein et entre les minorités révolutionnaires, voilà qui constitue une arme essentielle pour le combat qu'est appelée à mener notre classe.
Nous saluons dans un premier temps, l'accord que tu sembles exprimer avec le point de vue que nous défendons concernant le mouvement du printemps 2003. Accord sur l'essentiel, à savoir que ce mouvement signe la reprise de la lutte de classe et qu'en ce sens il méritait toute l'attention des révolutionnaires. Cette reconnaissance que nous sommes face à une situation de reprise de la lutte de classe n'est pas banale ou secondaire, elle a donné au contraire lieu à deux orientations diamétralement opposées de la part des révolutionnaires.
- reconnaître cette reprise de la lutte de classe conduisait certains, dont nous prétendons être, à être partie prenante du mouvement, à s'y inscrire résolument, à en appuyer les éléments positifs, en combattre les difficultés ;
- ne pas la reconnaître conduisait d'autres à nier ou pire, condamner ce mouvement le jugeant du "haut du balcon".
Cependant ta lettre pose un sérieux problème politique quant aux axes d'orientations qui selon toi, auraient dû être mis en avant par les révolutionnaires. Au vu de ceux-ci, il est clair que nous ne partageons pas du tout le sens que tu donnes au terme de "reprise de la lutte de classe".
Pour résumer ce qu'aurait dû être, selon toi, l'intervention des révolutionnaires, sans trahir tes propos :
- défendre la "nécessité de la riposte", appeler à "l'auto-organisation et l'unité" n'étaient pas nécessaire puisque "la bourgeoisie de gauche" s'en charge ;
Par contre il fallait :
- appeler à "l'action autonome contre le système et non pas contre tel ou tel gouvernement" ;
- "ne pas s'enfermer dans des questions immédiates économiques et locales", mais "placer la réflexion et l'action ouvrière sur le terrain politique" ;
- appeler à "l'unification dans la rue… contre des symboles, les lieux du pouvoir" ;
- "proposer un lieu de meeting permanent dans chaque ville ; un lieu de prise de décision de tous les secteurs" ;
- "dans l'immédiat de faire fonctionner les services publics" puisque le but est "de faire fonctionner toute la société sur d'autres bases".
Ce type d'intervention ne trouve pas de cadre politique réalisable en dehors d'une situation de quasi double pouvoir. C'est à dire qu'il fait référence à une situation dans laquelle le prolétariat a déjà franchi les étapes de son unification, une situation où la prise en charge de ses luttes est acquise. Une situation dans laquelle il s'est déjà assuré d’un rapport de force favorable, et dans laquelle il constitue une force incontournable face à la bourgeoisie. Une situation dans laquelle il peut dorénavant imposer sa perspective révolutionnaire à la société. Bref, il s'agit d'une situation en train de basculer en faveur de la classe, objectivement révolutionnaire.
As-tu réfléchis et qu'elles sont tes références historiques pour ne plus savoir (ou avoir fini par oublier) que ce que tu proposes -faire fonctionner les services publics, se doter de lieux de meetings permanents, mettre à bas les lieux du pouvoir- n'est sérieusement réalisable sans une solide structuration de la classe ouvrière tels que l'ont été les Conseils ouvriers ? Et encore cela sous-entend qu'au sein de ces mêmes Conseils ouvriers, les orientations politiques, les options communistes soient très nettement marquées et dominantes.
Nous n'avons même pas franchi l'étape allant vers une internationalisation de la lutte de classe, même pas celle ou la lutte de telle ou telle fraction du prolétariat rencontre un écho, trouve un relais concret au delà des frontières nationales. Et c'est pourtant une étape vers laquelle devront tendre les luttes à venir pour être à même d'enfoncer un coin dans la carapace bourgeoise, c'est une leçon de l'histoire, c'est un des axes de la propagande que les révolutionnaires doivent faire surgir et encourager dans les luttes futures. Ta lettre ne prends pas en compte cette donnée là.
Au vu de ta lettre, nous avons donc tout lieu de penser que tu ne situes pas l'intervention des révolutionnaires dans la réalité concrète, que tu écartes ce qui fonde les caractéristiques de la reprise actuelle. D'ailleurs, tu ne précises pas, n'argumentes pas sur la nature de cette reprise mis à part d'affirmer un peu superficiellement à notre avis "l'hypothèse" selon laquelle "il s'agit là de la première phase d'un mouvement plus ample et plus profond qui va reprendre et continuer à se développer sur plusieurs mois voire plusieurs années en France et en Europe", hypothèse qui laisse entendre que nous serions d'ores et déjà entrés dans une période présentant les caractéristiques d'un mouvement de classe continu et d'ampleur géographique déterminante pour l'avenir.
Sans vouloir outre mesure s'enfermer dans des schémas catégoriques de périodicisation, nous sommes bien obligés de partir du contexte dans lequel se développe cette reprise actuelle et d'en intégrer les caractéristiques essentielles pour définir correctement comment les révolutionnaires doivent s'adresser au prolétariat. Sinon on finirait par affirmer, pourquoi pas, que la prise du pouvoir politique est à tout moment possible ; on oublierait alors que celle-ci ne peut en aucune façon se produire artificiellement mais qu'elle implique et suppose une situation politique et économique parvenue à un certain degré de maturité.
Nous devons donc mesurer toute l'importance de la caractéristique fondamentale et du contexte dans lequel se situe le mouvement du printemps 2003 : il s'agit d'un renouveau de la lutte de classe après 15 ans de quasi paralysie de la classe ouvrière, 15 années durant lesquelles :
- la classe ouvrière a subi un profond recul, tant dans sa conscience que dans ses capacités à lutter et à identifier l'ennemi de classe. Avec le mouvement de lutte du printemps 2003 en France, la classe ouvrière a fait un premier pas significatif pour se dégager de cette période de reflux de plus de 15 années. Après les luttes en Argentine en 2001, ce mouvement vient confirmer la sortie de l'isolement dans lequel se trouvait le prolétariat et l'ouverture d'une phase de réappropriation de l'expérience de lutte et de confrontation à la bourgeoisie ;
- la bourgeoisie avait pu jouer à plein de "l'alternance démocratique" tant au niveau des équipes gouvernementales qu'au niveau syndical pour repousser l'échéance d'un affrontement direct entre bourgeoisie et prolétariat. La reprise actuelle constitue une première brèche dans le dispositif de la bourgeoisie, une première rupture concrète dans le consensus démocratique comme l'ont montré les premières confrontations aux syndicats.
Le processus de reprise des luttes n'en est donc qu'à ses débuts et ne peut connaître un réel développement que par et au cours du combat lui-même. C'est donc une période de réapprentissage à la lutte qui s'ouvre avec des hésitations, un caractère heurté des conflits où la classe ouvrière doit refaire, au moins en partie, l'expérience perdue de la lutte, de l'organisation de sa lutte, où elle doit réapprendre à se confronter quotidiennement aux officines de la bourgeoisie. Une période faite donc d'avancée, de reculs, de défaites momentanées, de leçons à tirer etc. Cette expérience là, ce réapprentissage nécessaire, il n'est pas possible d'en esquiver les étapes indispensables et incontournables. Chercher à faire faire au prolétariat l'économie de ces étapes, ce serait le désarmer pour les combats décisifs.
Par contre être partie prenante de ce mouvement, en encourager tous les éléments positifs, pousser toutes les possibilités qu'il recelait aussi loin que possible, mener le combat et la confrontation contre tout ce qui s'opposait à son développement, en dégager les enseignements concrets et s'attacher à les faire connaître immédiatement à l'ensemble du prolétariat au-delà des frontières, c'était contribuer à armer la classe ouvrière. D'où l'intervention que nous, que le milieu prolétarien (sauf le CCI) a défendu dès le début de ce mouvement.
Voilà pourquoi nous ne pouvons partager tout le contenu de ta lettre.
D'une manière plus générale, la conception du travail des révolutionnaires dans la classe telle que l'évoque ton courrier, rappelle et même rejoint celle qu'on a connue avec l'ex-FOR qui mettait sans cesse en avant, comme préalable pour chaque lutte, la nécessaire abolition du salariat. Le CCI de l'époque a durement combattu cette conception et nous revendiquons ce combat là auquel le CCI actuel tourne le dos. C'est tout le sens du texte "Réponse à nos censeurs" que nous avons republié dans notre bulletin n° 20 : le texte original comportait d'ailleurs un paragraphe consacré à la critique du FOR à l'époque. Même si nous n'avons pas repris ce passage pour les raisons évoquées dans notre présentation, en tant qu'ex militant du CCI, le souvenir de ce passage doit t'être familier.
Nous ne nous étendrons pas davantage ici sur ce que tu qualifies d'ironie à propos de la "question des manœuvres de la bourgeoisie mise avant par le CCI". Cette question est abordée d'un point de vue on ne peut plus politique, que ce soit par nous mêmes, notamment dans le bulletin n° 20 mais également par les groupes authentiques du milieu se rattachant à la tradition de la gauche communiste : nous ne saurons trop te conseiller de te référer, sur ce point, à l'article paru dans Le Prolétaire n° 468.
Sur ce point, comme sur ceux qui précèdent ou d'autres encore, nous restons attentifs à la poursuite de ta réflexion comme à celle de tous ceux qui veulent bien apporter leur contribution à la réflexion politique de notre classe. Bien fraternellement, nous t'adressons nos meilleures salutations communistes.
La Fraction
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