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ECHANGE DE CORRESPONDANCES
Lettre du camarade G. (22/02/05)

Bonjour,

Avec beaucoup de retard, je voudrai simplement vous dire combien je suis en accord avec votre analyse du tract du CCI en Allemagne au sujet des récentes grèves.

Ce texte est une honte et suscite en moi, bien plus encore qu’une rage véritable, une profonde tristesse.

Ainsi donc, le CCI en est là !

J’en suis les analyses dans la presse (j’essaye, tant elles me lassent ; cette récurrente référence à la décomposition comme élément systématique d’explication est à elle seule une incitation à l’abandon de toute analyse sérieuse…). Il me semblait être encore en accord avec certains points de vue.

Mais ce document vient, j’en ai peur, sonner le glas de tous mes espoirs.

Ils en sont là !

Il y a quelque chose de paradoxal dans la nature même de ce texte. Il questionne en effet une méthode de lutte et ce questionnement est parfaitement légitime. Comment combattre ?

Pourtant ce texte complexe n’est pas un tract mais une analyse. Le texte distribué par le BIPR répond lui à la définition du tract. Un document que l’on va saisir au vol, qui doit passer de mains en mains, qui doit inciter à la lecture par une accroche claire, un texte court et pertinent.

Nous avons ici une analyse qui se veut de fond, parfois laborieuse, souvent ennuyeuse dans la forme et par la longueur. Ce texte a été écrit visiblement pour se prémunir de toute remarque d’inaction : «dès le…, nous avons distribué un tract».

Hélas ! Ne rien faire aurait été inadmissible mais faire cela est inexcusable.

Cette analyse, sur le fond (la grève est-elle le meilleur moyen de lutte ?), est tout à fait légitime mais n’a pas sa place dans un contexte où la grève, une grève massive, est déjà amorcée, grandissante, spontanée, fiévreuse.

D’autant qu’à bien lire ce document, on comprend vite qu’insidieusement (tout est insidieux dans ce texte) la question de la méthode devient vite la question de l’utilité de la lutte.

Cette analyse pourrait être légitime dans une situation où la grève mettrait en danger la réussite du mouvement (mal préparé, trop tôt déclenché…), voire la sécurité des grévistes (risque de répression trop important, par exemple).

Mais est-ce le cas ici ?

Là où un mouvement révolutionnaire se devrait d’adresser, dès les premières phrases, un salut fraternel et enthousiaste aux ouvriers en lutte pour leur peau (car c’est bien de cela dont il s’agit), le CCI allemand nous donne à lire un texte lourd, à la tonalité générale apathique, extrêmement défaitiste. On ne dit pas que les ouvriers se battent pour refuser les licenciements mais pour « ne pas accepter passivement les réductions massives d’emplois. »

Et il poursuit par le rappel des défaites ouvrières (!!) : « Nous savons que les luttes chez Daimler-Chrysler, comme celles, dans les années 1980, chez Krupp-Rheinhausen ou des mineurs anglais, se sont terminées par des défaites. »

Les licenciements massifs, la menace de faillite ne signifient pas que l’arme de la grève est devenue superflue. Il existerait donc des cas où la classe ouvrière pourrait se payer le luxe de s’engager dans des grèves… superflues ? Est-il imaginable que dans la bouche de révolutionnaires on puisse parler de grève superflue ?

Et sans peur (sans honte) de contradictions flagrantes, les auteurs, quelques lignes plus bas, de souligner : « Les moyens dont nous avons besoin face au niveau actuel des attaques du capital, c'est la grève de masse de tous les ouvriers. (…) » Une grève de masse superflue, sans doute !, par des moyens inutiles et pour des résultats sans intérêt…

Les arrêts de travail chez Mercedes ou chez Opel sont un signal important, un appel à la lutte. La grève effective de milliers d’ouvriers est pour le CCI « un signal »… Le signal que la classe ouvrière est en éveil. Qu’elle ne va pas tarder à commencer à prendre conscience (petit à petit bien entendu) de son degré, non pas d’exploitation, n’exagérons rien, disons de… gène sociale (le mot n'est-il pas trop fort ?)

Bien sûr, de telles actions, massives, communes, ne sont pas encore possibles. Bien sûr. Tant que la classe ouvrière n’a pas débattue longuement, si possible par le biais de « tracts » obscurs, de son niveau d’aliénation dans le processus d’extraction de la plus value au stade suprême du capitalisme et alors que la direction de l’usine vient d’annoncer pour l’avant-veille au soir le licenciement sec de milliers de penseurs !!!

Soyons clair : je ne reproche évidemment pas aux militants allemands d’être des penseurs. Je leur reproche de ne pas être acteurs au moment où la pièce se joue (et elle se joue souvent en un acte).

Mais en aucun cas cela ne veut dire qu’on ne peut pas lutter et obtenir quelque chose maintenant déjà. Mais il faut reconnaître que la grève n’est pas la seule arme de la lutte de classe. Mais on se gardera bien de vous dire de quelles autres armes elle dispose, de peur sans doute qu’elle ne s’en serve !

D’autant que, si tout ce qui « fait avancer la reconnaissance des intérêts communs de tous les travailleurs et fait revivre la tradition de la solidarité ouvrière, effraie la classe dominante, la rend moins sûre d'elle dans ses attaques, l'oblige à faire plus de concessions » est… possible ? Souhaitable ? Nécessaire ? (Relisez bien la phrase, elle est construite de telle manière que l’on s’évite de donner la réponse) De toute façon, c’est « de façon temporaire. »

Dans de telles circonstances, les manifestations dans les villes peuvent devenir un moyen de faire sortir les ouvriers des autres usines et de mobiliser les chômeurs, de développer une solidarité entre tous. Elles le « peuvent » éventuellement, si ça se trouve, si par hasard certains passent par là au même moment… Le CCI ne cesse de proclamer l’extension des luttes « en théorie » car « en pratique » elle peuvent (si ça se trouve, etc.)

Et c’est ainsi que, longtemps plus tard, les ouvriers commencent « lentement » à prendre conscience qu’ils n’ont pas leur mot à dire dans cet ordre social. Ils n’ont donc plus qu’à se taire. Et comme il n’est pas certain que la grève soit le meilleur moyen pour lutter, tant que vous y êtes, rentrez donc chez vous.

Mis à part un peu d’ironie, ce tract ne m’incite pas à plus d’analyse tant, au sens propre, il me fatigue. Ce doit en être d’ailleurs l’un des objectifs majeurs. Rarement on aura lu une littérature si insidieusement néfaste, faisant mine de soutenir un mouvement, alors qu’elle ne cesse, dans une forme travaillée (il ne s’agit pas d’un texte hâtif, mal construit par des militants inexpérimentés) d’instiller le défaitisme, la démoralisation.

Croyez bien qu’en fait, je n’ai aucune envie d’en rire. Le CCI vit un drame qui est une défaite pour l’ensemble de la classe ouvrière. Je suis trop respectueux pour le travail des militants - qui, pendant des années, ont construit ce mouvement - pour en parler à la légère. Mais puisqu’il semble qu’une partie des fondateurs est entrée, depuis quelques années, dans un combat interne, j’attends au moins de trouver chez les uns ce que je ne lis plus chez les autres.

J’ose encore penser qu’un tel mouvement ne peut s’écrouler ainsi sans réagir. Il doit revenir sur terre, c’est à dire aussi sur le macadam des manifestations. Le CCI se perd dans l’attente (si au moins il mettait tout en œuvre pour la provoquer) d’une lutte « pure », d’une lutte parfaite c’est-à-dire correspondant exactement à l’idéal théorique de sa conception des luttes prolétariennes. Mais par définition un idéal ne s’atteint pas. Les luttes sont toujours trop liées aux syndicats (évidemment qu’il faut lutter contre les syndicats…), trop interclassistes (alors quoi, ouvriers argentins au ventre vide, rentrez chez vous ou plutôt n’en sortez pas car les autres y sont déjà), ou pas assez massives, ou trop, on ne sait plus.

Et pendant ce temps, les défilés passent et dépassent le CCI…

Le CCI est un dormeur réfléchi : il réfléchit à son rêve. Pendant que le prolétariat cherche activement à sortir de son cauchemar !

Lorsque le CCI retrouvera une joie juvénile et enthousiaste, lorsqu’il sera à nouveau apte à stimuler, à entraîner, lorsque nous pourrons à nouveau compter ses militants dans le flot des manifestants et des grévistes, alors au moins ce sera un signe de vitalité que nous noterons et ferons noter.

Oui, il y a des luttes qui se perdent. Et nous devons, s’il le faut, perdre avec les perdants (en règle générale ce n‘est pas difficile : c'est nous, les perdants…). Le prolétariat doit aussi faire l’expérience de ses défaites. Mais il doit le faire en sachant en tirer des leçons, les leçons d’une lutte. Le CCI croit devoir analyser de l’extérieur des luttes qui ne correspondent pas à ses critères de pureté et dont il va s‘échiner à noter scrupuleusement tous les défauts. Alors qu’il est temps de lutter avec lucidité (c’est-à-dire souvent sans illusion de résultat immédiat) mais avec énergie et enthousiasme en sachant mettre en avant les qualités, les points forts et les perspectives positives pour demain. Bref, il faut un peu d’espoir.

On comprend bien en lisant ce « tract » que, pour le CCI (allemand en tout cas. Est-ce une nuance à faire ?), l’espoir n’est rien d’autre qu’un vieux livre de Malraux.

Au plaisir de vous lire.

G.


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