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Une lecture superficielle de la situation internationale actuelle pourrait laisser penser qu'une modification est en cours dans le processus agressif de bipolarisation impérialiste engagé depuis quelques années entre les USA et certains pays européens engagés derrière le couple franco-allemand.
Les bourgeoisies de ces deux pôles impérialistes auraient-elles subitement renoncé à leur opposition fondamentale d’intérêts ? La politique belliciste des USA, développée surtout par l’administration Bush depuis le 11 septembre 2001, aurait-elle été remisée au second plan ? Et plus largement, l’affrontement guerrier généralisé que prépare la bourgeoisie mondiale, comme ultime "porte de sortie" face à la crise économique de son système serait-il aujourd’hui abandonné ?
A première vue, ce serait donc une réconciliation historique qui est en cours entre les USA et l'Europe. A grands renforts de voyages diplomatiques, de tournées successives des ténors du gouvernement américain en Europe, c’est "la politique de la main tendue" qui est mise en avant et tout le monde (impérialiste) de se féliciter de la volonté de "réconciliation" qui dominerait actuellement : on déclare à qui veut l’entendre que la brouille survenue à propos de la guerre en Irak n’est plus de mise, que c’est un mauvais épisode qui fait dorénavant partie du passé. De part et d'autre, on affiche une volonté de plus grande coopération pour instaurer la "paix" et la "démocratie" dans le monde. Et tous de se congratuler à propos des élections "réussies" en Irak, d’affirmer leur "rapprochement" sur la question israélo-palestinienne, jusqu'à Blair qui perçoit non sans quelque satisfaction la fin possible de sa posture de faux-arbitre entre USA et Europe : "C'est un bon signe que la France et l'Allemagne avec lesquels nous étions en désaccord sur l'Irak travaillent très étroitement avec nous au sujet de l'Iran" (AFP 08/02).
Un retournement de situation aussi profond aurait évidemment un impact immédiat pour les révolutionnaires et ne manquerait pas d'entraîner une modification sensible de leur réflexion et de leur intervention dans la classe ouvrière. Auraient-ils le loisir de baisser la garde dans la dénonciation des préparatifs guerriers de la classe dominante internationale ? Pourraient-ils se détourner de leur travail d'explication, de mise en avant des raisons profondes qui mènent le capitalisme à une nouvelle guerre impérialiste généralisée ? Auraient-ils la possibilité de concentrer leur effort de propagande ailleurs que dans le fait de dénoncer prioritairement un système fauteur de guerres ? Pourraient-ils dès lors renoncer un instant à mettre en garde le prolétariat contre le risque de se laisser entraîner derrière les campagnes d'union nationale actuelles et qui, historiquement, ont toujours précédé et accompagné les conflits guerriers ?
En vérité, les intérêts fondamentaux de ces deux pôles impérialistes, tant au niveau économique, politique, stratégique et militaire, s'opposent de plus en plus nettement et dans un nombre toujours plus important de zones du monde.
Une analyse détaillée des différents lieux de tensions - sur lesquels les gangsters impérialistes, surtout les plus grands, se divisent aujourd’hui - nécessiterait de très nombreuses pages de notre bulletin tant est grande et complexe l'imbrication entre les intérêts économiques, stratégiques, politiques dans ces différentes zones. Nous nous limiterons ici à répondre à une question : la rencontre "historique" entre les gouvernants américains et européens permet-elle de conclure à un apaisement ou au contraire à un renforcement des tensions guerrières ? Autrement dit, l'étau de l'orientation guerrière de la bourgeoisie mondiale, tel qu'il s’est mis en place ces dernières années, va-t-il vers un desserrement ou, au contraire, vers une accentuation de la pression, c’est-à-dire vers une intensification des préparatifs guerriers ?
On ne ferait qu'une grossière et dramatique erreur en se fiant, même partiellement, aux déclarations officielles faites à l'occasion des déplacements de C. Rice puis de Bush en Europe. En réalité, l’affirmation de la "grande réconciliation" entre les USA et l'Europe est surtout une affaire de "relations publiques" (c’est-à-dire de propagande totalement mensongère), une vaste opération de communication qui masque mal une affirmation redoublée des tensions entre les deux pôles impérialistes. Du point de vue des intérêts américains, ces voyages ont plutôt manifesté l’agressivité de Washington et sont apparus clairement pour ce qu’ils étaient : une tentative très appuyée de pousser l’avantage obtenu par la politique US, ces deux derniers mois, notamment avec les élections en Irak et la reprise des "négociations de "paix" entre Israéliens et Palestiniens ; et cela dans le but de mettre les rivaux européens en mauvaise posture (au vu des "résultats" obtenus par la politique de l’administration Bush, ne se sont-ils pas trompés en ne la soutenant pas ?), voire de les ramener derrière la bannière étoilée pour défendre leurs prétendues "valeurs communes" à travers le monde. Quant à la réponse des européens à cette politique agressive, on laissera parler le chancelier allemand Schröder qui a parfaitement résumé leur position en disant, suite à la visite de Bush à Berlin : "Nous nous sommes mis d’accord pour ne plus souligner les thèmes sur lesquels nous ne sommes pas d’accord". On ne peut être plus diplomatiquement clair !
Sur les principaux "dossiers" à propos desquels Bush était venu chercher un "consensus" auprès des européens, c'est un quasi fiasco. Les intérêts des grands impérialismes s’avèrent de plus en plus antagoniques
L'Irak ? Si le gouvernement américain ne pouvait espérer un changement radical de l'ensemble des pays européens opposés à l'intervention militaire anglo-américaine de 2003, néanmoins l'enjeu sur ce plan était d’obtenir un soutien minimum de l'Allemagne et de la France, en leur arrachant un engagement à s'impliquer davantage sur le terrain, en particulier pour la formation des forces de sécurité irakiennes. L’enthousiasme platonique de ces derniers n’a pas réussi à masquer leurs lourdes réticences : ni la France ni l'Allemagne ni l'Espagne ne s'investiront ou ne participeront sur le sol irakien ; leur contribution se limitera à une aide pour la formation de militaires et de la police mais hors du territoire irakien.
Quant au fardeau économique (et politique) que représente l'Irak pour la coalition anglo-américaine, il n'est en rien soulagé et la rallonge de 82 milliards de dollars que Bush vient d'obtenir des parlementaires US pour financer ses opérations militaires, en particulier en Irak, devra être revue à la hausse.
Les ventes d’armements à la Chine ? Les USA n'ont pas obtenu le recul espéré quant à la décision unilatérale des européens de lever l'embargo datant de 1989 sur les ventes d'armes à la Chine. Pour les Etats-Unis, cette question fait partie d’un enjeu stratégique prioritaire : limiter la prétention de la Chine à renforcer ses capacités d'armement, sous peine d'une rupture dans l'équilibre des forces dans le détroit de Taïwan. Pour l'Europe ce sont avant tout les contraintes économiques et commerciales qui sont la priorité : l'Union européenne est le plus grand partenaire commercial de la Chine et celle-ci est le second partenaire de l'Europe. "Le plus grand défi de l'UE dans les années à venir est le renforcement des liens avec la Chine" déclarait le nouveau commissaire européen du Commerce, P. Mandelson, avant de se rendre à Pékin (AFP 23/02/05).
L'OTAN ? C'est un véritable échec qu'ont essuyé les USA quant à leur prétention de redonner, sous leur tutelle s'entend, une légitimité à cet organisme. Anticipant sur la volonté américaine de relancer cette institution, Schröder avait donné le ton : "l'OTAN n'est plus le lieu principal où les partenaires transatlantiques discutent et coordonnent leurs stratégies… son potentiel n'a pas été pleinement utilisé du fait des attitudes de cavalier seul de certains Etats" (cité par l'AFP 15/02/05). En d'autres termes, l'OTAN sous protectorat US, l'Europe n'en veut pas, elle a d'autres lieux où elle peut coordonner ses stratégies impérialistes : ce sont celles se concrétisant, en particulier au sein même et autour de l'alliance franco-allemande. D'outil d’intervention militaire, l'OTAN est devenue un "forum de consultation" suite à la visite de Bush en Europe, donc ramenée à n’être qu’un simple organe d'échange d'informations.
Mais soyons honnêtes, ces parrains impérialistes n’ont pas mis en avant que des désaccords.
Sur la question libanaise par exemple, Bush et Chirac ont exprimé haut et fort, une nouvelle fois, leurs fortes convergences de vue concernant le retrait des troupes syriennes de ce pays. Après avoir été les principaux protagonistes du vote, contre la Syrie, de la résolution 1559 à l’ONU, voilà que l’assassinat du grand bourgeois libanais Hariri est pour eux l’occasion d’accentuer leur pression sur Damas et de réunir, sur le terrain, derrière leur orientation commune, la plus grande partie des fractions bourgeoises libanaises (lesquelles organisent, depuis, de grandes manifestations "populaires" anti-syriennes à Beyrouth). L’évolution actuelle de la situation dans ce pays peut nous permettre de penser raisonnablement qu’Hariri a été sacrifié, par les USA et la France, au profit de leurs intérêts conjugués, et non sur l’autel des intérêts syriens comme on veut nous le faire croire. Le but des deux grands impérialismes, avant d’en découdre entre eux, est de se débarrasser du troisième larron (un petit "truand d’arrondissement") qui, jusqu’à maintenant, a l’aplomb de jouer sa propre carte. L’accord actuel entre Paris et Washington, qui se fait sur le dos de Damas, n’est pas un signe d’apaisement des antagonismes impérialistes. Il est, au contraire, porteur de rivalités et tensions guerrières d’un niveau supérieur.
L’autre exemple à propos duquel américains et européens se seraient entendus comme "larrons en foire" est l’Iran. Selon Schröder : "Il y a une communauté d'objectifs entre les européens et les américains pour amener l'Iran à ne pas se doter d'une arme atomique… les deux côtés de l'Atlantique veulent atteindre cet objectif par la voie des négociations." Là encore il est clair que ces "grands parrains" cherchent à rabaisser les ambitions d’un "second couteau", à lui interdire de "jouer dans la cour des grands". Et là encore, ils indiquent clairement qu'ils vont tout faire, dès à présent, pour que les affrontements impérialistes qui seront à l'ordre du jour, soient essentiellement ceux qui les opposent.
Les résultats de cette tournée magistrale et médiatisée à outrance ? Un message de "réconciliation" en direction des opinions publiques du monde entier, alors qu’en réalité, c’est la certitude que les tensions guerrières vont non seulement persister mais aussi s'aggraver.
"Il est temps maintenant de nous unir pour la cause de la paix" a dit Bush, salué par Chirac et Schröder.
Au-delà de la propagande qui concerne les événements immédiats, il s'agit de faire croire que le capitalisme peut être "un système de développement, de paix et de liberté pour tous" - à condition que les bonnes volontés de la classe dominante unissent leurs forces pour cela - alors qu’il révèle, chaque jour de façon plus évidente, sa faillite et son incapacité à donner des réponses aux besoins humains.
Non, les tensions entre les impérialismes qui président à la bipolarisation du monde capitaliste d’aujourd’hui ne se sont pas apaisées à la faveur du voyage de Bush en Europe. Le nombre et le contenu des dossiers sensibles abordés au cours des différentes "rencontres au sommet", la persistance de désaccords majeurs témoignent et ouvrent la perspective à un nouvel échauffement des tensions entre ces deux principaux pôles impérialistes.
La barbarie capitaliste, dont les grandes puissances ont la responsabilité essentielle, n’est pas prête de s’atténuer. On voudrait, par exemple, nous faire croire que l'Irak est à la veille d'une période faste de son histoire puisque la démocratie y triomphe, semble-t-il. Tous les gouvernants n'ont-ils pas salué dans les élections ce "peuple qui marche vers la liberté et la démocratie" ? Cependant, chaque jour, la guerre fait rage aux quatre coins de ce pays, les bombes font des dizaines de nouvelles victimes au sein de la population et la situation est loin de s’améliorer pour celle-ci. Et c’est le même baratin que nous servent tous les propagandistes bourgeois à propos des autres conflits qui embrasent la planète.
La préparation de la guerre généralisée n'est pas derrière nous ; elle est bel et bien devant et elle se vérifie, chaque jour, de façon plus éclatante.
Il n'est qu'à regarder l'exploitation scabreuse faite de la catastrophe du Tsunami en Asie pour se convaincre de cette orientation criminelle dans laquelle la bourgeoisie mondiale tente d'entraîner toute la société. Outre l'orgie nationaliste dans laquelle elle a voulu entraîner les populations (le prolétariat en particulier), outre le jeu sordide de la surenchère auquel se sont livrés tous les Etats capitalistes sans exception à propos des aides financières aux populations sinistrées, outre les appels hypocrites à "la générosité" de chacun, appels à se ranger derrière un simulacre honteux de "solidarité", il s’est agi aussi d’une immense escroquerie montée par la classe dominante à des fins purement militaires (voir article dans ce même bulletin).
Comment ne pas voir dans cette opération internationale dite de "solidarité" une vulgaire opération militaire grandeur nature ? Après s'être disputés sur les plus hautes promesses financières extorquées aux populations, les Etats des grandes puissances ont envoyé des milliers de soldats, des dizaines de navires de guerre, des tonnes de matériels militaires aux seules fins de tester et améliorer les capacités logistiques de leurs armées.
Le ministère de la défense japonais a carrément estimé que l'envoi de 700 militaires constituait "un test pour de futurs déploiements militaires dans la région" (propos recueillis par le quotidien Mainichi).
Le gouvernement français n'est pas resté en marge de cette opération militaire ; c'est par la bouche de son ministre Villepin qu'il tire les enseignements de l'intervention française durant cette catastrophe mettant en avant trois exigences : "l'urgence face à des situations difficilement prévisibles, l'évaluation pour améliorer la qualité de notre rapidité d'intervention, le rassemblement à l'échelle d'une nation et au niveau de la communauté internationale" (AFP 15/02). En plus des visées militaires, l'opération dite de solidarité a un but idéologique on ne peut plus clair : chaque gouvernement propose de s'exercer à "rassembler la nation" derrière l'Etat.
Autre exemple significatif de campagne idéologique visant à la préparation guerrière, c'est celui qui concerne le battage assourdissant et obscène qui a été fait, surtout en Europe, à l'occasion des commémorations de la libération du camp d'Auschwitz. On nous avait habitués jusqu'à présent aux mea culpa respectifs de l'Allemagne et de la France, aux célébrations côte à côte et aux regrets éternels exprimés sur les victimes des camps de concentration, aux procès des responsables de crimes nazis dans des démocraties retrouvées. Mais cette année, la tonalité a changé. L'Europe "réconciliée" fait grand tapage sur le massacre des populations de Dresde et Hambourg par les bombardiers anglais et américains, et rappelle que les Etats "alliés" (les USA surtout) savaient l’existence des camps de la mort bien avant de les "libérer". On désigne ici explicitement la responsabilité des USA et de la Grande-Bretagne dans les massacres gigantesques de populations de la fin de la 2ème guerre mondiale mais aussi, par leur silence complice, dans le génocide juif. C'est dans la logique des choses en Europe : il faut enfoncer l'idée que ce sont les mêmes qui mitraillent aujourd'hui en Irak et qui ont été capables de cela. Ce sont eux les tenants des politiques agressives et guerrières d’hier et d’aujourd’hui.
Décidément, le spectre de la guerre généralisée plane toujours sur la planète et la marche forcée que mène la bourgeoisie dans ce sens n'est pas écartée du fait de la tournée européenne de Bush. La classe ouvrière détient la seule perspective viable pour l’humanité, la seule alternative à cette issue mortelle. Pour les révolutionnaires, il ne peut donc être question aujourd’hui de baisser la garde ; ils doivent au contraire renforcer leur dénonciation des visées guerrières derrière lesquelles la classe dominante tente d'attirer le prolétariat ; ils doivent être plus décidés que jamais à rassembler leurs forces et à mener ce combat à la tête de leur classe.
25/02/2005
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