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TEXTES DU MOUVEMENT OUVRIER
LE MATERIALISME SELON ENGELS (et selon nous)

Dans notre bulletin n° 19 (juin 2003), nous avions fait une réponse à un texte critique que nous avait adressé le BIPR concernant notre analyse de la période actuelle, lequel rejetait comme manifestation d'idéalisme ("héritage" du CCI dont nous sommes issus) notre position selon laquelle, depuis le 11/09/2001, la classe dominante se dirige "volontairement et avec une certaine conscience vers une nouvelle guerre généralisée" ; et pour cela, elle adopte aujourd'hui, sur tous les plans (économique, militaire, politique, idéologique…), une politique de préparation qu'elle cherche à imposer à toute la société, en particulier au prolétariat qui est la seule force sociale capable de déjouer ses plans macabres.
Les terribles événements de Madrid du 11/03/2004 sont venus, à notre sens, confirmer la validité de notre analyse, de sa méthode et de la conception matérialiste qui la sous-tend contrairement à ce que nous reproche le BIPR. Nous n'allons pas ici reprendre l'argumentation que nous avons développé dans notre précédent texte mais nous ne pouvons nous priver de ce qu'Engels lui–même apporte dans ce débat et pour cela nous publions des extraits de la lettre qu'il a adressée à Bloch en 1890 dans laquelle il redéfinit ce que Marx et lui entendent par matérialisme historique (contre tous ceux qui "torturent" leur conception) et qui, à notre avis, va dans le même sens que ce que nous avons développé dans notre premier texte.

F. Engels
EXTRAITS DE LA LETTRE A JOSEPH BLOCH (21–22 septembre 1890)

D'après la conception matérialiste de l'histoire, le facteur déterminant dans l'histoire est, en dernière instance, la production et la reproduction de la vie réelle. Ni Marx, ni moi n'avons jamais affirmé davantage. Si, ensuite, quelqu'un torture cette proposition pour lui faire dire que le facteur économique est le seul déterminant, il la transforme en une phrase vide, abstraite, absurde. La situation économique est la base, mais les divers éléments de la superstructure – les formes politiques de la lutte de classes et ses résultats, – les Constitutions établies une fois la bataille gagnée par la classe victorieuse, etc., – les formes juridiques, et même les reflets de toutes ces luttes réelles dans le cerveau des participants, théories politiques, juridiques, philosophiques, conceptions religieuses et leur développement ultérieur en systèmes dogmatiques, exercent également leur action sur le cours des luttes historiques et, dans beaucoup de cas, en déterminent de façon prépondérante la forme. Il y a action et réaction de tous ces facteurs au sein desquels le mouvement économique finit par se frayer son chemin comme une nécessité à travers la foule infinie de hasards (c’est-à-dire de choses et d'événements dont la liaison intime entre eux est si lointaine ou si difficile à démontrer que nous pouvons la considérer comme inexistante et la négliger). Sinon, l'application de la théorie à n'importe quelle période historique serait, ma foi, plus facile que la résolution d'une simple équation du premier degré.

Nous faisons notre histoire nous-mêmes, mais, tout d'abord, avec des prémisses et dans des conditions très déterminées. Entre toutes, ce sont les conditions économiques qui sont finalement déterminantes. Mais les conditions politiques, etc., voire même la tradition qui hante les cerveaux des hommes, jouent également un rôle, bien que non décisif. (…)

Mais, deuxièmement, l'histoire se fait de telle façon que le résultat final se dégage toujours des conflits d'un grand nombre de volontés individuelles, dont chacune à son tour est faite telle qu'elle est par une foule de conditions particulières d'existence; il y a donc là d'innombrables forces qui se contrecarrent mutuellement, un groupe infini de parallélogrammes de forces, d'où ressort une résultante – l'événement historique – qui peut être regardée elle-même, à son tour, comme le produit d'une force agissant comme un tout, de façon inconsciente et aveugle. Car, ce que veut chaque individu est empêché par chaque autre et ce qui s'en dégage est quelque chose que personne n'a voulu. C'est ainsi que l'histoire jusqu'à nos jours se déroule à la façon d'un processus de la nature et est soumise aussi, en substance, aux mêmes lois de mouvement qu'elle. Mais de ce que les diverses volontés – dont chacune veut ce à quoi la poussent sa constitution physique et les circonstances extérieures, économiques en dernière instance (ou ses propres circonstances personnelles ou les circonstances sociales générales) – n'arrivent pas à ce qu'elles veulent, mais se fondent en une moyenne générale, en une résultante commune, on n'a pas le droit de conclure qu'elles sont égales à zéro. Au contraire, chacune contribue à la résultante et, à ce titre, est incluse en elle. Je voudrais, en outre, vous prier d'étudier cette théorie aux sources originales et non point de seconde main, c'est vraiment beaucoup plus facile. Marx a rarement écrit quelque chose où elle ne joue son rôle. Mais, en particulier, Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte est un exemple tout à fait excellent de son application. Dans Le Capital, on y renvoie souvent. Ensuite, je me permets de vous renvoyer également à mes ouvrages Monsieur E. Dühring bouleverse la science et Ludwig Feuerbach et la fin de la philosophie classique allemande, où j'ai donné l'exposé le plus détaillé du matérialisme historique qui existe à ma connaissance. C'est Marx et moi-même, partiellement, qui devons porter la responsabilité du fait que, parfois, les jeunes donnent plus de poids qu'il ne lui est dû au côté économique. Face à nos adversaires, il nous fallait souligner le principe essentiel nié par eux, et alors nous ne trouvions pas toujours le temps, le lieu, ni l'occasion de donner leur place aux autres facteurs qui participent à l'action réciproque. Mais dès qu'il s'agissait de présenter une tranche d'histoire, c’est-à-dire de passer à l'application pratique, la chose changeait et il n'y avait pas d'erreur possible. Mais, malheureusement, il n'arrive que trop fréquemment que l'on croie avoir parfaitement compris une nouvelle théorie et pouvoir la manier sans difficulté, dès qu'on s'en est approprié les principes essentiels, et cela n'est pas toujours exact. Je ne puis tenir quitte de ce reproche plus d'un de nos récents “ marxistes ”, et il faut dire aussi qu'on a fait des choses singulières.


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