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Réponse du BIPR à T :
NOTES SUR UN DOCUMENT DE A.

Nous portons à la connaissance du lecteur la réponse du BIPR à un courrier du camarade T. (A. -pour le BIPR- et T. -pour nous- sont un seul et même camarade). Nous ne publions pas ici la lettre initiale de T. : faute de place d’abord mais surtout parce que la réponse du BIPR cite largement les points auxquels elle fait référence. Rappelons simplement qu'elle critiquait l'intervention de la section mexicaine du CCI, Revolución Mundial, à propos des mobilisations syndicales d'il y a quelques années autour du projet de privatisation de la compagnie nationalisée d'électricité. Nous n'avons pas la place ici pour revenir sur cette question. Globalement, il nous semble que le BIPR répond correctement aux préoccupations du camarade. Nous nous permettrons quelques commentaires à la fin du texte du BIPR.

Nous voulons néanmoins attirer l’attention sur l’état d’esprit ouvert et fraternel de cette réponse, prenant soin de se prononcer sur le fond du texte initial, sans caricaturer ou interpréter les positions défendues par T. mais avec un réel souci d’argumenter et de faire avancer la discussion.

Nous tenons à préciser que cette traduction en français de la version espagnole du texte (disponible sur le site Internet du BIPR) a été réalisée par notre fraction. Même si le BIPR a donné son accord pour sa publication dans cette version dans ce bulletin, toute erreur de traduction ou incompréhension politique due à celle-ci serait de notre responsabilité.


Si nous présupposons que le document exprime un accord de fond avec les documents centraux du BIPR et avec notre démarche, le cas de la privatisation et de la vente à l'étranger du secteur énergétique ne présente pas de traits très spécifiques et particuliers. En effet, il s'ajoute à beaucoup d'autres cas dans les pays de la périphérie du capitalisme et, sur de nombreux aspects, est analogue aux privatisations dans les centres capitalistes lesquelles ont aussi très souvent été accompagnées d'interventions décisives du capital étranger, ou bien d'autres pays. Nous allons essayer néanmoins de donner une solution à ton questionnement bien que certaines des réponses que tu sollicites sont implicitement dans les questions.

Il y a matière à débat en particulier quand tu écris :

"Cependant, la question de la privatisation que ce soit comme passage de la propriété étatique aux capitaux privés nationaux ou comme vente à l'étranger, signifie pour les travailleurs suppression de postes de travail et réduction de salaires".

Il convient de pointer que c'est précisément autour de cette question que doit porter l'intervention communiste. Ce qui suit immédiatement après quant au rapport entre vente à l'étranger des entreprises et du "capital national", est justement ce qui mérite discussion.

Tu écris :

"La perte d'une source de profit aussi importante que celles des ressources énergétiques, se présente comme une aliénation suicidaire de la bourgeoisie elle-même par rapport à ses actifs les plus précieux, c'est-à-dire comme une attitude irrationnelle du point de vue capitaliste qui affectera son propre processus d'accumulation national qui, à son tour, lui soustraira des tranches quantitatives de plus-value qui ne s'investiront pas dans le pays mais qui seront rapatriées dans la métropole".

Cela serait juste si nous étions face à un capitalisme encore en phase... préimpérialiste, c'est-à-dire si cela avait encore un sens de parler d'accumulation nationale comme d'une qualité autonome par rapport aux mécanismes internationaux de l'accumulation capitaliste. Mais il n'en est pas ainsi.

Les processus d'accumulation et de concentration du capital se développent maintenant à échelle internationale et la vente à l'étranger de Pemex (1) a la même signification "pour le capital" que la vente des monopoles des "Tabacs italiens" à la multinationale de tabac Philips Morris.

La possibilité que s'affirme une entreprise nationale quelconque, "mexicaine, équatorienne ou du Ghana", qui puisse régir la concurrence à l'intérieur de son propre marché national avec les grandes entreprises nécessairement internationales de son propre secteur, n'existe pas.

Par rapport à cela, le nationalisme de la gauche petite-bourgeoise est complètement illusoire et plus utopique que toute proposition communiste. Le comportement du "grand" Lula au Brésil par rapport à l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC) et au FMI est significative. La seule chose concrète et peut-être le seul "avantage" immédiat pour les pauvres des favelas est l'attribution du titre de propriété des baraques qu'ils habitent : Herman de Soto, homme de droite, qui proposait cette mesure il y a déjà quelques années, appelle ces baraques : capital mort.

Par conséquent, il ne nous semble pas si difficile de mettre en évidence la fausseté de l'idéologie bourgeoise selon laquelle l'alliance du prolétariat avec les "forces saines" de la bourgeoisie, ou bien avec les couches les plus conscientes de l'intérêt national, serait possible. Au contraire, les fractions les plus nationalistes de la bourgeoisie sont en général les plus mesquines et réactionnaires. Ni le fameux Carlos Slim, "entrepreneur et financier mexicain qui, il y a peu, a ajouté à ses propriétés l'entreprise brésilienne de télécommunication BCP pour 625 millions de dollars" peut prétendre se présenter, ou être présenté, comme le champion du nationalisme économique. Entre autres choses, au travers de son entreprise America Movil, Slim possède aussi l'opérateur de téléphonie cellulaire colombienne Celcaribe S.A. depuis le 13 février de cette année.

Tu écris :

"Il n'en reste pas moins vrai que la privatisation, que ce soit comme vente à l'étranger ou non, se présente pour le prolétariat périphérique comme une attaque contre ses intérêts immédiats (en termes d'emploi et de salaires)".

Cette vérité s'applique au cas mentionné et aussi aux pays métropolitains et, "nous le répétons", c'est par rapport à l'attaque aux conditions de vie et de travail du prolétariat qu'il convient de travailler et d'intervenir.

Mais quand tu poses la question :

"N'est-ce pas peut-être une contradiction que le CCI et la FICCI ne posent pas de réticence à la lutte des travailleurs du secteur public dans les pays développés, car là ne se pose pas le problème de la vente à l'étranger de la propriété étatique, alors que dans le cas des pays de la périphérie ils assument une tactique différente car dans ces pays le problème se pose inévitablement sous cette forme ?"

Nous jugeons cette thèse erronée. Il n'est pas vrai que la privatisation dans les pays des métropoles ne signifie jamais la vente à l'étranger et il n'est pas non plus vrai que la vente à l'étranger représente la caractéristique essentielle des privatisations dans les pays périphériques. Si cela est la prémisse du CCI et de la FICCI, il y a là une erreur qui doit être combattue précisément comme une thèse étrangère à une interprétation correcte de la phase actuelle.

Cela signifie que tant au Mexique qu'en France ou en Italie, le rôle des communistes est de se prononcer en faveur des mobilisations prolétariennes car les mobilisations prolétariennes surgissent toujours (ou presque) pour la défense des conditions de vie et de travail du prolétariat lui-même, ou pour ce que les prolétaires croient être cette défense... et les communistes doivent intervenir pour dénoncer les limites politiques de l'actuelle direction politique qui transforme précisément la volonté de défense des travailleurs en actions concrète contre les travailleurs eux-mêmes.

Anticipant sur ce qui est abordé de manière plus étendue dans les documents sur le syndicat et l'intervention ouvrière, il faut souligner que l'intervention communiste d'aujourd'hui "dans la phase actuelle des rapports de forces entre les classes" ne peut pas et, par conséquent, ne doit pas se donner comme objectif la direction communiste (c'est-à-dire révolutionnaire) des masses prolétariennes, mais

a) doit INITIER la circulation des idées communistes ;

b) chercher à attirer à l'organisation politique communiste les avant-gardes prolétariennes et les éléments les plus sensibles et conscients.

Ce n'est pas la conscience communiste qui amène les masses à la révolution mais c'est la révolution qui permet la croissance de la conscience communiste des masses.

La révolution se vérifie quand les masses sont entraînées par les facteurs objectifs à la lutte frontale contre le capital et qu'elles trouvent dans le parti communiste, suffisamment fort et enraciné, un guide politique effectif. Dans cette fonction, le parti représente le facteur de conscience et de volonté de la classe prolétarienne elle-même, à la différence des précédentes révolutions dans lesquelles la conscience révolutionnaire était diffusée parmi les futures classes dominantes déjà avant d'accéder à leur domination politique car elles étaient déjà dominantes économiquement.

Venons-en à la rafale de questions finales.

1- "Par hasard, une intervention communiste différenciée qui servirait tactiquement, c'est-à-dire comme moyen pour se donner à connaître même en sachant que les objectifs explicites des mobilisations sont condamnées à l'échec et ne correspondent pas à l'objectif communiste, et malgré le fait de coexister de manière forcée avec les mots d'ordre nationalistes et syndicaux, aurait-elle un sens ?"

L'intervention communiste bien définie a un sens :

a) pour se faire connaître ;

b) pour mettre en évidence les limites des revendications spécifiques ;

c) pour dénoncer les mots d'ordre nationalistes et les politiques syndicales.

Il ne s'agit donc pas d'intervenir "sans tenir compte de la coexistence forcée avec les mots d'ordre" mais d'intervenir avec nos mots d'ordre et indications.

Pour autant il est sûr que

"les communistes DOIVENT participer dans ces manifestations et défendre la cause des électriciens dans la presse révolutionnaire, avec les délimitations requises au cas concret, avec pour objet uniquement de permettre que se transmette la propagande communiste sur la base d'une présence physique et programmatique".

2- "Est-ce que la cause communiste serait affaiblie si on se salit les mains dans la boue [de la lutte, NDT] au lieu de se maintenir en dehors, afin qu'ainsi ceux qui sont dans la lutte puissent voir comment ne pas se salir ? Y aurait-il un intérêt à ce que ceux qui sont plongés dans la boue, se retournent pour voir nos vêtements propres ?

C'est une erreur typique du CCI de considérer comme de la boue non seulement la politique «réformiste» "de fait anti-ouvrière" des politiciens et syndicalistes qui dirigent la lutte ouvrière, mais aussi la lutte ouvrière elle-même, si elle est dirigée par ceux-ci. En réalité, il faut intervenir et participer dans la lutte ouvrière car c'est là où se combat la direction politique contre-révolutionnaire.

3- "Est-ce que les communistes doivent se prononcer sur les décisions conjoncturelles auxquelles sont confrontés les mouvements contrôlés par les syndicats, se mettre ou non en grève, la soutenir ou la provoquer, dénoncer la répression, contribuer à la diffusion des mouvements dans la presse, etc. ?"

OUI, ils doivent.

4 -"Ou bien se maintenir en marge sous le prétexte que la lutte est viciée depuis le début ?"

NON, absolument pas. Il n'y a pas de lutte qui soit viciée depuis ses débuts.

5- "Par hasard se prononcer sur les aspects immédiats des mobilisations, bien qu'elles se déroulent sur un terrain que nous n'acceptons pas, n'est-il pas un motif suffisamment précieux avec comme seul objectif d'être dans une meilleure position pour diffuser le communisme dans les rangs du prolétariat ?"

Absolument OUI. Les idées communistes, la perspective communiste, se diffusent seulement en travaillant dans les rangs du prolétariat.

En conclusion : c'est sur la base de cette démarche que le BIPR affronterait le problème au Mexique comme dans beaucoup d'autres pays.



1. La compagnie mexicaine pétrolière nationalisée dans les années 1930.


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