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Le
BIPR, comme toute organisation communiste vivante, a été
parfaitement capable de percevoir les changements survenus dans la
nouvelle situation mondiale, de tenter de les analyser et d’essayer
de les comprendre puis d’approfondir jusqu’à
aujourd’hui ses analyses en les affinant. Le BIPR ne récite
pas inlassablement la même leçon apprise par cœur
quand la situation évolue et change. Il n’en est pas de
même du CCI qui dans un article surréaliste de la
Revue Internationale 108
« la guerre impérialiste : stratégie
ou profits pétroliers ?»,
sur la guerre en Afghanistan, non seulement fait preuve de cécité,
d’incompréhension et mais se permet de juger les autres
organisations avec une morgue et une prétention incroyables et
surtout abandonne totalement le terrain du marxisme.
La morgue du
CCI ? La CCI critique l’évolution de la pensée
du Bureau International pour le Parti Révolutionnaire (BIPR 1)
« le BIPR s’éloigne de l’explication de
la guerre actuelle comme étant le résultat d’un
désir de gain économique immédiat ».
Et de rappeler qu’« il y a 10 ans à
propos de la guerre du Golfe »,
le BIPR disait : « la crise du Golfe
s’est produite vraiment à propos du pétrole et de
qui le contrôle. Sans pétrole bon marché, les
profits chuteront. Les profits du capitalisme occidental sont menacés
et c’est pour cette raison et aucune autre que les Etats Unis
préparent un bain de sang au Moyen Orient » (tract
de la CWO cité par la Revue Internationale 64).
Et de conclure, « maintenant, il (le
BIPR) semble donner une explication plus large de la
situation». Donc, au lieu
d’applaudir à cette réflexion, le CCI le déplore.
Il y a eu, de la part du BIPR, des analyses "économicistes"
à cette époque. Mais, le CCI ne voit pas, aujourd’hui,
que la situation générale a effectivement changé.
Or, c’est fondamental de comprendre qu’il y a eu
changement radical de situation et que des tendances de fond sont à
l’œuvre. C’est ce que voit le BIPR mais pas le CCI,
c’est l’essentiel, même si on doit faire des
critiques au BIPR. Nos critiques au BIPR ne vont pas dans le même
sens que celles que lui fait le CCI, comme nous le verrons plus
loin.
Aujourd’hui, le CCI reproche au BIPR de penser que
« les objectifs impérialistes dépendent du
destin des monnaies ». Non
seulement cette réflexion du BIPR mérite d’être
relevée car c’est une importante contribution au camp
prolétarien mais depuis lors (2001 au moment de la guerre en
Afghanistan) le BIPR a encore évolué en approfondissant
cette question dans une étude de très grande valeur et
d’un très grand intérêt « Aux
racines de la guerre contre l’Irak et à celles à
venir » (Prometeo,
7 juin 2003). Cette dernière
mérite d’être amplement citée.
Dans l’article cité ci-dessus, le BIPR indique très
justement que la guerre en Irak, comme celle en Afghanistan :
1/ n’est que le maillon d’une chaîne de guerres
qui ne peuvent que se produire ;
2/ exprime des intérêts
autrement plus vastes que de sordides intérêts
immédiats, il s’agit en dernier ressort de la survie des
Etats Unis comme puissance dominante ;
3/ explique le
dessous des cartes et montre comment les Etats-Unis luttent pour cet
objectif notamment en utilisant aussi l’importance du dollar
comme monnaie dominante et de référence ;
4/
n’est pas la conséquence de l’irrationalité
mais bien une guerre classique du capitalisme sénile, guerre
pour laquelle un impérialisme jusque là dominant, lutte
pour conserver ses avantages face à un impérialisme
naissant (même s’il est encore un nain politique et
militaire).
Nous
souhaitons revenir sur le point 3 et le rôle du dollar pour
l’économie de la première puissance du monde.
Nous sommes obligés de résumer l’étude
citée ci-dessus : « Aux racines de la
guerre … »
puisque cet article n’existe
qu’en italien. Nous espérons ne pas le trahir.
Le
BIPR revient sur l’importance des accords de Bretton Woods
(1944) à la fin de la seconde guerre mondiale. Ces derniers
avaient basé le système monétaire international
sur la convertibilité fixe du dollar par rapport à l’or
(35 dollars pour une once d’or). Puis la décision de
Nixon d’août 1971 qui décrète
l’inconvertibilité du dollar qui a permis aux Etats Unis
de financer leur énorme déficit par la dette publique
et de faire face à la balance des paiements déficitaire
du fait de la croissance astronomique de leurs importations. (2)
Le niveau d’endettement des Etats Unis est de 31% du produit
intérieur brut [PIB] mondial (nous soulignons PIB mondial).
Les Etats Unis ont financé leur économie sur la
puissance du dollar.
C’est effectivement la dollarisation
des marchés financiers internationaux qui a permis aux Etats
Unis de survivre depuis le début des années 60 et de
« mettre à genoux les pays dépendants du
dollar et en particulier ceux de l’Amérique latine ».
Nous renvoyons, une nouvelle fois, à
l’étude très documentée du BIPR qui montre
toutes les conséquences de cette situation pour l’économie
des Etats-Unis.
Non seulement cette décision des
Etats-Unis permettait de faire marcher la planche à billet et
de parer aux déficits mais encore d’obtenir pour son
industrie des gains de productivité.
En effet, « une
fois, abandonné la parité fixe avec l’or, la base
de référence pour la détermination de la
quantité et de valeur de la masse monétaire exprimée
en dollar émise par la Réserve Fédérale,
du fait du nombre élevé des transactions sur l’échelle
mondiale et pour son universalité, devint en fait le pétrole
et, pour être plus précis, le prix du pétrole »
(Prometeo).
Effectivement, n’importe quel irresponsable peut décréter
que la monnaie existe pour elle-même et n’a plus aucune
contre partie. Les marxistes savent que la valeur s’exprime par
la valeur travail et qu’il faut bien la mesurer. Le pétrole
étant devenu une matière première
universellement nécessaire, il a postulé à
devenir la référence de la valeur. Il a remplacé
l’or. Mais, la bourgeoisie américaine ne souhaite pas
l’afficher pour continuer à en tirer un énorme
bénéfice. Seul le CCI, qui n’est plus marxiste,
ne le comprend pas.
Et cela « fut comme la manne
du ciel » (Prometeo
3
) et notamment cela fut une bénédiction quand le
prix du pétrole a augmenté de 4 à 40 dollars le
baril, ils en ont retiré de fabuleux bénéfices
« avec la complicité de l’Arabie Saoudite ».
Le prix du pétrole a
également permis aux Etats-Unis d’enregistrer des gains
de compétitivité important pour leurs produits par
rapport à ceux de ses concurrents européens et
japonais.
Ainsi, les Etats-Unis « s’assurèrent
une rente non seulement centrée sur la croissance et les plus
grandes forces de leur appareil de production, mais aussi sur leur
appareil financier ».
Il
faut rappeler que la véritable richesse s’exprime
en valeur travail et pas en dollar. Prometeo dit
d’ailleurs fort justement qu’il s’agit
« d’une appropriation parasitaire ».
Mais
la fête est finie. Prometeo rappelle
l’exemple de l’Espagne qui a été alimenté
par un flux d’or et d’argent après la conquête
de l’Amérique mais qui n’a pas pu s’en
servir car la véritable valeur est, en dernier ressort, la
quantité de valeur qui lui est incorporée. Ce n’est
pas la monnaie, ni même l’or qui donne de la valeur aux
choses qui sont acquises. Il ne s’agit que d’une
convention. Pour l’Espagne la fête prît fin quand
les quantités d’or et d’argent mises en
circulation se ralentirent du fait de la découverte de
nouvelles mines. Ce fut « la crise la plus
catastrophique de l’histoire moderne qui frappa, depuis
l’Espagne, l’Europe entière ».
Pour
les Etats-Unis cette dépendance du financement extérieur
tend à devenir de plus en plus important et en même
temps accroît les risques au moment où il faut financer
un appareil militaire devenu un mastodonte.
Ce changement de
rapport de force entre les monnaies intervient au moment du
ressurgissement de la crise économique aux Etats-Unis
« quand le financement de la dette depuis l’extérieur
a rencontré les premières difficultés, il est
devenu évident que le seul contrôle du prix du pétrole
n’est plus suffisant pour garantir la suprématie du
dollar sur le marché mondial ».
L’inversion de tendance intervient à un moment où
l’euro concurrence le dollar. Et, les Etats-Unis doivent
maintenir coûte que coûte le système de
financement de la dette grâce au dollar. Le système
passe par le maintien du prix du pétrole en dollar. Cependant
« l’aire de l’euro est la plus grande
importatrice de pétrole au monde».
Elle représente 45% des exportations du pétrole du
Moyen Orient.
Et tous les pays exportateurs de pétrole
commencent à penser à l’opportunité
d’évaluer en euro le prix du pétrole qui est
destiné à l’Europe. En octobre 2000, l’Irak
l’a fait ; puis la Russie, premier producteur mondial de
pétrole, a traité avec l’Allemagne en euro,
enfin, suivi, pour une part, par la Chine (4).
Et Prometeo conclut
que « dans une phase de crise comme celle là,
une modification aussi radicale des marchés du pétrole,
compromet toute possibilité de relancer que ce soit la demande
ou l’offre des Etats Unis».
Ce
changement va permettre à l’économie européenne
de gagner des points de productivité par rapport aux produits
vendus aux Etats-Unis.
« Pour l’Amérique,
l’unique voie de sortie, qui risque de lui être fatale,
est d’empêcher que le mouvement vers l’euro ne se
renforce ».
Prometeo poursuit, fort justement, sa pensée en précisant que « la domination incontestée du dollar est terminée pour toujours ». Quoique fassent les Etats-Unis, la période de domination sans partage du dollar a pris fin ; c’est une donnée très importante de la nouvelle situation impérialiste mondiale.
Après cette étude magistrale, on mesure l’indigence
des raisonnements du CCI. Le CCI arrive insensiblement à tout
voir et à réduire l’histoire au prisme de
l’irrationalité. Nous venons de voir, au contraire, que
rien n’est irrationnel dans les derniers événements
guerriers. En dernier ressort, malgré une logorrhée qui
tient lieu d’analyse de la réalité pour le CCI,
il reste qu’on ne sait pas pourquoi les Etats impérialistes
font la guerre puisqu’ils sont soumis au chaos et à la
décomposition qui les empêchent d’avoir une
politique rationnelle. Mais encore, les bourgeoisies américaines
et européennes n’auraient-elles aucune doctrine
stratégique, d’une part et d’autre part, les lois
du capitalisme ne joueraient-elles plus dans la phase actuelle du
capitalisme ? « Les intérêts
antagoniques et contradictoires des puissances européennes
entre elles ainsi que vis-à-vis des États-Unis
témoignent d'une période tout à fait différente
du déclin du capitalisme. Ils indiquent sa phase terminale de
décomposition dans laquelle, même si l'Allemagne tente
de s'affirmer comme pôle alternatif à celui des
Etats-Unis, le chaos impérialiste tient le haut du pavé,
et où les conflits militaires ne peuvent que se multiplier de
façon catastrophique. » On a envie de dire :
« Et, alors ? »
Cette phrase est, au
mieux, incompréhensible et, au pire, un tissu
d’âneries.
D’abord, la CCI ne parle pas des
contradictions économiques du système capitaliste
lui-même qui, en ce qui nous concerne, ne peut que pousser à
la guerre impérialiste, notamment, dans la période dans
laquelle il se trouve : sa période de sénilité.
Le CCI, ensuite, penserait-il que nous sommes dans une période
différente de celle du déclin ? Mais alors,
laquelle (5) ?
Veut-il parler de la décomposition ? C’est une
nouveauté pour le CCI de penser que la décomposition
est une nouvelle période qui arrive après la
phase de décadence. On en apprend tous les jours ! Et, en
plus, dans cette phase, les lois économiques du capitalisme
seraient-elles différentes ?
Et enfin, d’où
sort cette idée que les conflits militaires ne se
multiplieraient que dans cette nouvelle phase du capitalisme. Le CCI
a toujours défendu l’idée que dans sa phase de
sénilité ou de décadence, le capitalisme vivait
perpétuellement en guerre. Et ce n’est pas en rajoutant
le terme de « catastrophique » que l’on
change la nature de la guerre. La guerre est toujours, depuis 1914,
catastrophique. Elle a eu des effets bénéfiques
uniquement dans la phase de croissance du système : les
guerres napoléoniennes qui ont amené en Europe le
pouvoir de la bourgeoisie « avec les semelles des
souliers » de la Grande Armée et la guerre de
sécession aux Etats Unis qui a permis un gigantesque
développement économique.
Quelques autres perles du CCI méritent d’être
relevées.
Le CCI nous assène une contre vérité
pour nous prouver que la domination du dollar en tant que monnaie
universelle et de réserve n’est pas très
importante et surtout qu’il n’a pas besoin du pétrole
pour assurer sa domination.
« Le dollar est devenu
dominant avant que le pétrole ne soit la principale source
d’énergie ». Il y aurait beaucoup à
dire sur cette formule à l’emporte pièce. Ce
n’est vraiment pas le propos. Le CCI est parfaitement à
côté de la plaque. Par contre, il s’agit de
comprendre pourquoi les Etats-Unis ont besoin que le dollar demeure
la monnaie de référence. Les Etats-Unis vivent des
ressources financières du monde entier et doivent agir pour
que leur production reste compétitive.
« En
fait aucune monnaie ne fonde particulièrement sa puissance sur
le contrôle des matières premières». Le
CCI a raison si l’on considère le phénomène
à l’échelle de l’histoire. Mais
aujourd’hui, c’est conjoncturellement le cas du dollar et
des Etats-Unis qui imposent la domination du dollar et le
maintiennent du fait de leur domination militaire. C’est en
partie le drame des Etats Unis qui sont obligatoirement appelés
à terme à perdre le contrôle de l’instrument
monétaire et vivront l’affaiblissement du dollar comme
monnaie universelle et de réserve. C’est la raison pour
laquelle ils ne peuvent que durcir leur politique impérialiste.
A vouloir
trop prouver qu’il n’y a plus aucun intérêt
économique dans les guerres et que toutes les guerres modernes
sont irrationnelles la vision du CCI n’a plus rien de
marxiste.
Le CCI a raison de parler d’irrationalité
au niveau du capitalisme global en tant que représentation
abstraite de la réalité. Mais il s’agit d’une
abstraction comme le disait Marx ou Rosa Luxemburg. Ces derniers
étaient obligés de simplifier la réalité
pour étudier le capital dans son fondement théorique,
pour le comprendre et en percer les secrets.
Pour chaque capital
national, il n’en est pas de même. Chaque Etat
impérialiste lutte pour sa survie, et il y a une impérieuse
nécessité, pour vivre, d’écraser
l’impérialisme concurrent. C’est la loi du
capitalisme et personne ne peut y échapper. C’est ce que
le CCI ne comprend plus en quittant le terrain du marxisme pour le
terrain de l’irrationnel.
Au terme de ce travail, nous demandons, une fois encore, au CCI de se ressaisir. Nous ne pouvons que saluer la réflexion menée par le BIPR. Mais pourquoi cette dernière organisation ne cherche que des causes purement économiques dans les guerres impérialistes modernes ? La vision géostratégique est autrement plus importante. La place des Etats-Unis et comment la conserver, rend formidablement compte de toutes les facettes de la réalité actuelle. Et, à l’intérieur de cela, on trouve aussi les questions économiques qui sont, bien évidemment, la clé de la compréhension des situations mais à un niveau plus globalisant du capitalisme. Cette vision est au demeurant celle qu’il est, lui-même, obligé de développer au cours de son étude magistrale pour affiner sa méthode. En fait, le BIPR montre lui-même que l’analyse doit faire appel, dans la phase actuelle du capitalisme, à des phénomènes qui vont au-delà des intérêts économiques étroits et immédiats.
Nous partageons, avec le BIPR, les points suivants :
La
guerre en Irak, comme celle en Afghanistan :
1/ n’est
que le maillon d’une chaîne de nouvelles guerres qui ne
peuvent que se produire ;
2/ exprime des intérêts
autrement plus vastes que de sordides intérêts
immédiats, il s’agit en dernier ressort de la survie des
Etats Unis comme la puissance dominante ;
3/ révèle
comment les Etats-Unis luttent pour cet objectif et l’utilisation
du rôle du dollar comme monnaie universelle et de référence :
moyen de conserver leur prééminence ;
4/ n’est
pas la conséquence de l’irrationalité, cette
guerre est une guerre classique du capitalisme sénile pour
conserver ses avantages impérialistes.
Août 2003
Notes:
1 . Prometeo, casella postale 1753 - 20101 Milan.
2 . Comme l’étude nous renvoyons également au Monde diplomatique d’avril 2003, « Vivre à crédit ou le credo de la première puissance du monde » de F. Clairmont
3 . les mots entre guillemets sont de Prometeo.
4 Depuis la rédaction de ce texte, de nombreux articles de la presse bourgeoise spécialisée ont commencé à traiter la question révèlant ainsi la réalité du problème posé à la bourgeoisie internationale. Par exemple Le Monde Diplomatique d'octobre 2003 publie une contribution d'un économiste américain, L'euro ne fait pas encore le poids, sur la nouvelle rivalité naissante entre l'euro et le dollar comme monnaie de réserve. Voici comment conclut, prudemment, l'article : "La valeur des réserves en dollars détenues par différents pays a légèrement diminué, une modeste réorientation des portefeuilles est intervenue, y compris par la facturation de certaines ventes de pétrole brut en euros et non plus en dollars. Voilà qui fournit une cible pour les démarches stratégiques de l'Union européenne (UE). Si elle pouvait convaincre des pays exportateurs de pétrole d'accepter des euros au lieu de dollars, un nouveau théâtre de conflits transatlantiques verrait le jour".
5 . ou alors il faut dire que l’on est dans un autre système qui a de nouvelles lois ou bien que ce système ne fonctionne plus parce que c’est le chaos. Mais il faut l’expliquer, car le CCI est alors en train de transformer l’analyse marxiste des sociétés. C’est du reste ce qu’il critiquait chez Castoriadis qui avait inventé une nouvelle forme de société en Russie intermédiaire entre le capitalisme et le socialisme : la « société bureaucratique ».
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