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DEBAT AU SEIN DU CAMP PROLETARIEN
Guerre impérialiste ou révolution prolétarienne :
La décadence du capitalisme et le marxisme

Avec cet article, nous commençons une série au cours de laquelle nous ferons un retour historique sommaire sur la conception de la décadence du capitalisme dans le camp marxiste. A ce travail, il y a plusieurs motifs. En premier lieu, la fraction doit répondre aux critiques provenant du camp prolétarien sur le fait que le programme du CCI n'aurait pas de substance théorique marxiste, qu'il serait idéaliste, etc., critiques qui ont été dirigées aussi contre la fraction puisque celle-ci se revendique de l'héritage politique du CCI. La première chose que nous voulons démontrer c'est qu'au contraire la conception de la décadence du CCI n'est qu'une synthèse à un moment donné du mouvement ouvrier, du développement théorique du camp marxiste. Que la conception de la décadence n'a pas seulement été présente dans le camp révolutionnaire comme un reflet juste, dans ses lignes générales, de la vie du capitalisme à partir du 20e siècle, mais qu'elle est à la base de la définition d'une stratégie et d'une tactique adéquates de la lutte de la classe ouvrière.

Ce n'est qu'ensuite que nous devrons aborder les possibles insuffisances, limites, erreurs et déviations de la théorie même du CCI. Ainsi, nous devrons reconnaître jusqu'où a effectivement existé dans le "maniement" de la théorie de la décadence, c'est-à-dire dans la méthode d'analyse qui la soutend, une véritable tendance au shématisme, c’est-à-dire à substituer des catégories absolues à l'analyse de la situation concrète. Cela est une des critiques les plus fréquentes contre le CCI, avant même sa crise actuelle.

Avec ce retour, nous voulons montrer aussi en même temps comment le CCI actuel s'éloigne chaque fois plus de sa propre théorie de la décadence, de la conception marxiste général sur la décadence, et en général du marxisme, dans la mesure où il insiste, il "développe" et base chaque fois plus toutes ses analyses et positions politiques sur sa "nouvelle" théorie de la décomposition et comment cette dernière tend en réalité à nier complètement la première.

Précisons aussi que nous nous démarquons d'entrée de la méthode des camarades qui ont scissionné avec le CCI auparavant . Dans leur désir de se différencier politiquement et de justifier la scission, ils ont terminé - comme le GCI - soit par rejeter complètement la théorie de la décadence, ou bien -cas de la FECCI - ils ont créé une théorie complétement "originale", non seulement différente de celle défendue par le CCI, mais différente aussi de celles développées par les révolutionnaires du passé, basée sur la domination formelle et réelle du capital. Eventuellement, nous aborderons les conceptions de ces camarades pour exposer avec une plus grande clarté notre position et notre méthode. Notre préoccupation n'est pas de créer de "nouvelles théories", ni de nous "distinguer" du reste des groupes actuels du camp prolétarien, mais au contraire, avec les très modestes forces sur lesquelles nous comptons, contribuer à la rénovation d'un cadre de discussion sérieux et fraternel en vue de la construction d'un nouveau parti mondial de la classe ouvrière. Si nous réussissons à susciter l'ouverture de la réflexion, de la critique, de la réponse, et de nouvelles contributions, ces écrits auront alors rempli leur objectif (1).

Finalement, en défendant la conception de la décadence, nous devrons reconnaître en même temps ses insuffisances, en particulier face à la nécessité du camp révolutionnaire de comprendre le plus clairement possible la signification des convulsions des dernières décennies et années, et plus particulièrement la nouvelle période qui s'est ouverte depuis le 11 septembre 2001. Face à la nouvelle "clarification" historique dans laquelle nous sommes en train de rentrer, face à "l'actualisation" de l'alternative historique de guerre impérialiste ou révolution prolétarienne à laquelle nous assistons, une exigence basique pour les révolutionnaires est de renforcer le cadre théorique du camp marxiste lequel, selon nous, doit passer par une claire compréhension de la décadence du capitalisme dans le moment présent.

I. Les origines de la théorie de la décadence du capitalisme

1. Les maillons historiques

Si actuellement il y a plusieurs groupes du camp prolétarien qui soutiennent la conception de la décadence du capitalisme, le Courant Communiste International (CCI) est le plus connu couramment comme "décadentiste". Et il est vrai que les principes politiques du CCI sur les questions les plus fondamentales du mouvement ouvrier (question nationale, syndicats, parlement, crise, alternative historique) sont déterminées par la notion que le capitalisme est entré au passage du 19ème au 20ème siècle dans sa phase de décadence. Mais à de nombreuses reprises, le CCI a insisté sur le fait que "sa" théorie de la décadence n'est pas une originalité, mais seulement un maillon théorique au sein du mouvement révolutionnaire et du marxisme. Rappelons que, déjà avant Internationalisme -le groupe qui dans les années 1940 est à l'origine la plus directe du CCI et qui défendait la notion de décadence du capitalisme- dans la deuxième moitié des années 1930 la théorie de la décadence était discutée au sein des fractions de la Gauche communiste, y inclus la Fraction italienne regroupée autour de Bilan >(2). Ainsi, en 1937, la Fraction belge de la Gauche communiste internationale faisait déjà ressortir dans sa déclaration de principes comme axe directeur de ces principes politiques la question de la décadence du capitalisme en termes similaires à ceux du programme du CCI :

"… Les Fractions communistes ne peuvent forger l’arme théorique indispensable au triomphe de la révolution qu’à la condition de comprendre le mécanisme interne de la société capitaliste dans sa phase de déclin historique et de lier étroitement l’analyse des événements à la signification de l’époque.

L’impérialisme ou stade suprême du capitalisme a orienté l’évolution sociale dans un bourbier: les forces productives dans leur ensemble, ne peuvent plus se développer dans le cadre du système capitaliste parce qu’elles ont atteint le niveau maximum compatible avec la nature de ce système… Le reflux des forces productives pose objectivement la nécessité de la révolution prolétarienne et de l’avènement du communisme en même temps qu’il ouvre une phase décisive de la lutte de classes : ‘l’époque de la décadence capitaliste est l’époque de la lutte directe pour la dictature du prolétariat’ (2ème congrès de l’IC).

L’antagonisme fondamental entre la bourgeoisie et le prolétariat devient l’axe de l’évolution historique… à partir de maintenant, la vie de la société capitaliste oscille entre les deux issues ouvertes pour l’évolution des rapports sociaux : guerre impérialiste ou révolution prolétarienne." (Communisme n°1, Bulletin de la FBGCI, avril 1937. Nous soulignons)

Les courts paragraphes de Communisme que nous venons de citer, montrent en outre une continuité historique tant avec la célèbre position politique des débuts de la 3ème Internationale communiste, comme avec les différentes thèses défendues par l'aile révolutionnaire sur le changement d'époque au début du 20ème siècle dont Communisme essaie de faire une synthèse.

C'est comme cela que la 3ème Internationale reconnaissait, face à la guerre impérialiste commencée en 1914 et la vague révolutionnaire internationale qui l'a suivie et qui a eu pour épicentre la révolution russe, l'entrée du capitalisme dans sa phase terminale :

"Une nouvelle époque est née. Epoque de désagrégation du capitalisme, de son effondrement intérieur. Epoque de la révolution communiste du prolétariat" (Plate-forme de l'Internationale Communiste, Les quatre premiers congrès mondiaux de l'Internationale communiste, réédition Maspéro).

Par la suite, avec le reflux de la vague révolutionnaire et la dégénérescence de la dictature du prolétariat en Russie et de l'Internationale communiste, celle-ci commencera à développer une nouvelle théorie sur une nouvelle étape de "stabilisation" du capitalisme, à laquelle différents courants de gauche s'opposeront et essaieront de défendre et d'approfondir plus ou moins bien la théorie de la décadence du capitalisme. Mais les conclusions auxquelles était arrivée la 3ème Internationale ne reposaient pas seulement sur la constatation empirique de ces événements d'importance historique mondiale, mais aussi sur le développement théorique du marxisme des années antérieures, et en particulier de la lutte du camp du marxisme révolutionnaire contre le révisionnisme en relation aux perspectives d'évolution du capitalisme.

En effet, à la fin du 19ème siècle, on reconnaissait en général que le capitalisme était arrivé à un point d'inflexion historique : l'expansion géographique du capitalisme sur toute la planète, la politique impérialiste des puissances capitalistes de conquêtes coloniales, la création d'un marché mondial arrivait à terme, et les chercheurs qui représentaient les différentes classes sociales s'interrogeaient sur où s'engageait le capitalisme à partir de ce point. Dans le camp prolétarien marxiste, s'était produite une fracture de fond entre deux ailes.

De manière shématique, la division consistait en ce que, pour une partie, l'aile "révisionniste" défendait que le capitalisme marchait vers un développement illimité et de plus en plus pacifique où il serait capable même de dépasser les crises économiques périodiques ; de là, il en dégageait que la classe ouvrière ne pouvait seulement aspirer qu'à continuer à lutter pour des réformes et des améliorations progressives de ses conditions de vie et qu'il arriverait un jour où au travers des élections, elle pourrait conquérir pacifiquement le pouvoir. Au contraire, l'aile révolutionnaire constatait que le terme de la politique impérialiste, la fin de la répartition du monde entre les puissances capitalistes, ouvrait une phase dans laquelle les contradictions du capitalisme allaient s'exprimer de manière encore plus aigue, que le capitalisme entrait dans une phase de convulsions sociales, de crise et de guerres impérialistes qui allaient mettre en péril le survie même de société humaine, et que s'imposait comme seule issue la révolution prolétarienne :

"L’impérialisme actuel n’est pas… le prélude à l’expansion capitaliste mais la dernière étape de son processus historique d'expansion: la période de la concurrence mondiale accentuée et généralisée des Etats capitalistes autour des derniers restes de territoires non capitalistes du globe. Dans cette phase finale, la catastrophe économique et politique constitue l'élément vital, le mode normal d’existence du capital… Dans la phase finale de l'impérialisme, l’expansion économique du capital est indissolublement liée à la série de conquêtes coloniales et de guerres mondiales que nous connaissons… l’impérialisme ramène la catastrophe, comme mode d'existence, de la périphérie de son champ d'action à son point de départ… le résultat final ne peut être que la ruine de la civilisation ou l'avènement de la production socialiste. A la lumière de cette conception, l'attitude du prolétariat à l'égard de l’impérialisme est celle d’une lutte générale contre la domination du capital. La ligne tactique de sa conduite est dictée par cette alternative historique." (L’accumulation du capital, Critique des critiques ou : ce que les épigones ont fait de la théorie marxiste, 1913, Rosa Luxemburg, F;Maspéro, 1967)

Nous avons cité Rosa Luxemburg. Généralement on reconnait dans son oeuvre L'accumulation du capital, publiée en1913, c'est-à-dire à la veille de la première guerre mondiale, l'origine de la théorie de la décadence. Cependant, il faut relever qu'elle n'était pas la seule à exprimer l'idée d'un changement d'époque dans le capitalisme. C'était une vision généralisée dans le mouvement ouvrier exprimée plus ou moins clairement par différents théoriciens(3) qui essayaient de tirer les conséquences découlant de ce changement pour la lutte de classes :

"La société moderne, développant les forces productives dans des proportions gigantesques, conquerant vigoureusement et continuellement de nouvelles régions, soumettant la nature à la domination des hommes à un degré jamais atteint jusqu’aujourd’hui, commence à être étranglée dans les machoires de l'étau capitaliste. Dans les débuts du capitalisme les contradictions inhérentes à celui-ci se trouvaient à l’état embryonaire, mais elles se sont développées et ont augmenté à chaque progrès de celui-ci pour atteindre, dans la période impérialiste, des proportions formidables. Au point où elles se trouvent, les forces productives réclament impérieusement de nouveaux rapports sociaux de production. La carapace capitaliste doit nécessairement exploser…

… les traits les plus communs des contradictions inhérentes au capitalisme considérées comme telles et qui constituent sa loi, ne pourront apparaître dans toute leur netteté que dans la période de développement économique, dans laquelle le capitalisme a quitté ses couches et s’avère, non seulement la forme prédominante de la vie sociale économique, mais la forme universelle des rapports économiques, c’est-à-dire ; quand il est poussé à agir comme capitalisme mondial. Ce n’est que maintenant que l’on voit apparaître avec une virulence extrème l’antagonisme interne du capitalisme. Les convulsions du monde capitaliste moderne, qui dans l’angoisse de l’agonie se sont couvertes de flots de sang, sont l’expression des contradictions du régime capitaliste qui, à la fin, le feront exploser en pièces… Le capitalisme, faisant atteindre à la concentration de la production des limites sans précédent, créant un appareil productif centralisé, a préparé en même temps l’immense équipe de ses fossoyeurs. Dans le vaste conflit de classes, la dictature du prolétariat révolutionnaire se substitue à celle du capital financier. ‘L’heure de la propriété capitaliste aura sonné. Les expropriateurs seront expropriés." (L’économie mondiale et l’impérialisme,1915, N. Boukharine, traduit de l'espagnol par nous)

Laissons de côté pour un moment les différences théoriques qui ont suscité par la suite de vifs débats (la question des "limites du marché", de la "chute du capitalisme", du "capitalisme monopoliste", de la "crise permanente", etc.). Ce qu'il nous intéresse en premier lieu de relever, c'est qu'au tournant du 20ème siècle, les révolutionnaires constataient et démontraient théoriquement que l'expansion du capitalisme sur toute la planète, ouvrait une nouvelle étape dans laquelle ses contradictions inhérentes loin de s'adoucir ou de s'éteindre, allaient s'exprimer de la manière la plus antagonique. Cela représentait une expression d'une limite historique du capitalisme où les forces productives sociales développées jusqu'alors exigeaient déjà de manière impérieuse de "nouveaux rapports de production". Ces contradictions allaient s'exprimer dorénavant en convulsions sociales, guerres impérialistes et révolutions prolétariennes. Cela a été totalement confirmé avec la guerre impérialiste de 1914-1918 et la vague révolutionnaire de 1917-1923, et avec toute l'histoire du 20ème siècle qui a suivi.

Dans notre travail, nous devrons revenir sur les différentes formes théoriques particulières dans lesquelles s’est exprimée la notion de décadence dans chaque période historique et les débats que cela a suscité. Ce que nous voulons souligner d’entrée ce sont seulement deux questions de base :

- premièrement, que la notion de décadence du capitalisme est la compréhension théorique du fait que le capitalisme, dans son histoire, est arrivé à un point limite à partir duquel il est entré dans un ‘bourbier’, à partir duquel il s’est transformé en une entrave au développement social ultérieur et qu’on est entré dans une époque dans laquelle, par conséquent, la révolution prolétarienne s’impose comme une nécessité objective urgente. Une époque dans laquelle, du fait du degré d’acuité atteint par les contradictions du capitalisme, se pose indéniablement comme seule alternative pour l’humanité : guerre impérialiste ou révolution prolétarienne.

- deuxièmement que, comme conséquence de ce qui précède, l’analyse des événements sociaux, des conditions de lutte et d’organisation du prolétariat est basée, précisément sur la compréhension la plus claire possible de cette phase ultime du capitalisme.

Les groupes et les camarades du camp prolétarien qui ne soutiennent pas une théorie de la décadence du capitalisme, doivent toujours reconnaître au moins un "changement de phase" dans la vie du capitalisme au tournant du siècle dernier. Egalement, ils relèvent l'aiguisement des contradictions du capitalisme qui met à l'ordre du jour l'alternative historique guerre ou révolution tel que par exemple Lénine qui parle de phase "supérieure et ultime" du capitalisme, d'un "capitalisme mûr, et même plus que mûr". Dans le cas contraire, la négation de ce changement de "phase" dans le capitalisme conduit à rejetter tous les maillons de la théorie marxiste depuis le début du siècle passé ainsi que toute l'histoire de la lutte des classes du 20ème siècle. Cela affaiblit la compréhension de la nécessité et de la possibilité historique de la révolution prolétarienne mondiale car celle-ci se réduit à ses aspects les plus généraux et qu'elle perd tous ses aspects historiques et concrets.

2. Rosa Luxemburg, un siècle après

Depuis que Rosa Luxemburg l'a écrit, son livre L'accumulation du capital a été au centre des débats du camp révolutionnaire et a alimenté le développement de la théorie de la décadence et de la crise. En 1978 encore, durant la conférence des groupes de la Gauche communiste, le débat sur la crise partait du rejet ou de l'acceptation des idées de Rosa Luxemburg. Obligatoirement, notre étude doit y revenir. Ici, notre intention n'est pas de donner une "nouvelle" interprétation des positions de Rosa Luxemburg, mais de relever les éléments qui conservent leur validité et qui doivent continuer à être repris dans l'analyse des révolutionnaires.

Avant tout, il faut préciser que, comme toutes les oeuvres théoriques, celle de Rosa Luxemburg doit être examinée en prenant en compte son contexte historique : quels problèmes réels cherchait-elle à expliquer ou à clarifier ? Avec le temps, quel niveau de validité ont les conclusions auxquelles elle est arrivée ? Quelles conséquences pratiques découlaient et découlent encore de telles conclusions ? Cette précision est nécessaire car, en réexaminant les débats autour de l'oeuvre de Luxemburg, nous pouvons voir que, bien souvent, on a laissé de côté justement le cadre historique et on est tombé dans des débats scolastiques, surtout autour des fameux "schémas de la reproduction" qui, dans le meilleur des cas, sombrent dans un académisme stérile et, dans le pire, contribuent à affaiblir les aspects révolutionnaires et valides de l'oeuvre de Luxemburg.

a) La limite historique du capitalisme

Le premier aspect à relever est que le point de départ de Rosa Luxemburg n'est pas l'analyse de la crise économique du capitalisme, mais l'analyse des limites historiques du capitalisme. Il est important de signaler cela car dans les débats actuels on a fréquemment identifié de manière erronée la théorie développée par la suite dans le mouvement ouvrier sur la "crise permanente", avec l'oeuvre de Luxemburg cette dernière ayant été reprise comme base théorique par celle-là. De fait, Rosa Luxemburg reconnaît sans plus l'existence de crises périodiques, comme régulatrices du processus capitaliste général de production et d'échange. Et en posant son problème théorique elle fait, de fait, abstraction de la crise :

"… En cherchant comme Marx à établir sommairement le rapport de la production capitaliste totale avec les besoins sociaux, nous faisons seulement abstraction des méthodes spécifiques du capitalisme, oscillations de prix et crises, grâce auxquelles il maitient ces rapports et nous examinons le fond du problème" (L'accumulation du capital, Anti-critique, R. Luxemburg)

Quel est donc pour Rosa Luxemburg le "fond du problème" ? Répondre à une question qui était dans l'ambiance sociale de l'époque : qu’arrive-t-il une fois que le capitalisme a atteint pratiquement son extension au monde entier, une fois que les pays industriels ont conquis les pays attardés et les convertissent à leur tour en autant de pays capitalistes qui vont entrer dans la compétition mondiale, une fois que se sont épuisés les marchés "extracapitalistes" et finalement que le capitalisme a créé un "marché mondial" ? Bien sûr, cette question se posait non en termes "absolus", mais généraux, au vu du processus que tout le monde reconnaissait au tournant du siècle.

Rosa trouve que Marx ne s'est jamais posé cette question - car évidemment il ne vivait pas à ce moment-là - et que dans la partie où il traite de la reproduction élargie du capital, il considère la question de manière uniquement abstraite et théorique comme s'il existait un capitalisme "pur". Mais, Luxemburg dit que :

"Tout le monde sait, et Marx le souligne parfois lui-même dans Le Capital, que la production capitaliste n'occupe pas une position unique, ni exclusive… Le capitalisme comme production massive est nécessairement dépendant d'acheteurs issus des couches paysannes et artisanales dans les vieux pays industriels ainsi que de consommateurs de pays arriérés ; de son côté il ne peut techniquement se passer des produits de ces pays et de ces couches non capitalistes - qu'il s'agisse de moyens de production ou de moyens de subsistance. C'est ainsi que s'est développé dès le début, entre la production capitaliste et le milieu non capitaliste qui l'entoure, un ensemble de rapports grâce auxquels le capital a pu à la fois réaliser sa propre plus-value en argent pour poursuivre la capitalisation, se procurer toutes les marchandises nécessaires à l'extension de sa propre production, et enfin, en détruisant les formes de production non capitalistes, s'assurer un apport constant de forces de travail qu'il transforme en prolétaires...

Voilà, dans sa sécheresse, le contenu économique de ces relations. Dans leur forme concrète, elles offrent toute la variété du drame historique du développement du capitalisme sur la scène mondiale" (idem).

Rosa Luxemburg étudie largement les différentes formes concrètes d'expansion du capitalisme dans le monde et elle montre comment en s'élargissant, la base capitaliste va réduisant la base "extracapitaliste". Mais où conduit ce processus ?

"...le capitalisme ne cesse de croître grâce à ses relations avec les couches sociales et les pays non capitalistes, poursuivant l'accumulation à leurs dépens mais en même temps les décomposant et les refoulant pour s'implanter à leur place. Mais à mesure qu'augmente le nombre des pays capitalistes participant à la chasse aux territoires d'accumulation et à mesure que se rétrécissent les territoires encore disponibles pour l'expansion capitaliste la lutte du capital pour ses territoires d'accumulation devient de plus en plus acharnée et ses campagnes engendrent à travers le monde une série de catastrophes économiques et politiques : crises mondiales, guerres, révolutions" (idem).

C'est ainsi que Rosa Luxemburg indique clairement la limite historique à laquelle arrivait le capitalisme, le changement de "phase" : la croisade pour l'expansion mondiale se convertit en une chaîne de catastrophes, de crises mondiales, de guerres et de révolutions. Cela n'a-t-il pas été l'histoire du 20ème siècle jusqu'à nos jours ?

b) Les schémas de la reproduction, derrière le débat théorique, le débat politique

En posant le problème du destin de l'accumulation capitaliste, Luxemburg part d'une critique des schémas de la reproduction élargie élaborés par Marx (et publiés dans le tome 2 du Capital). Selon Rosa Luxemburg, dans ces schémas, Marx n'arrive pas à montrer de façon adéquate la reproduction du capital car il fait abstraction d'un secteur "extracapitaliste" qui, pour Rosa, est le seul susceptible d'acheter la partie de plus-value qui fera partie de l'accumulation et de la reproduction élargie.

L’aspect théorique de cette question, autour des schémas de la reproduction et de la fonction du secteur extra-capitaliste, dès qu’elle a été formulée, a été débattue, réfutée et défendue en de multiples occasions dans les différentes situations historiques. Nous aurons aussi l’occasion de revenir là-dessus. Cependant, ce que nous voulons souligner, en premier lieu, c’est qu’il serait erroné de réduire à cette discussion les préoccupations de Luxemburg ; qu’elle aborde un dilemme social réel et concret et pas seulement une question théorique. Cela est déjà prouvé par le furieux débat qui s'est ouvert dans le mouvement ouvrier autour de son Accumulation dès sa publication et par les diverses tentatives d'autres importants théoriciens de cette époque pour prouver ou réfuter - aussi à partir des schémas de la reproduction de Marx ! - les idées posées par Rosa. Avec son livre, la seule chose qu'ait fait Rosa Luxemburg a été "d'ouvrir le feu" dans une polémique larvée autour du destin de la reproduction du capitalisme une fois arrivé le point où s'était constitué un marché mondial, polémique qui par la suite a pris la forme d'une lutte des marxistes révolutionnaires contre les réformistes révisionnistes.

Il s'agissait d'élucider quelles étaient les conséquences de l'achèvement de l'expansion géographique impérialiste et quelle devrait être l'attitude de la classe ouvrière face à celles-là. Pour les révisionnistes, le capitalisme s'acheminait vers une ère de possible développement "pacifique" où la crise et les guerres "pourraient" disparaître, où la classe ouvrière "pourrait" continuer à conquérir progressivement des améliorations et coexister harmonieusement avec la classe capitaliste. L'aile révolutionnaire s'efforçait au contraire, comme nous venons de voir, de montrer et d'alerter la classe ouvrière devant le fait que le capitalisme marchait vers une ère de convulsions, de guerres et de révolutions, qui n'avait rien à voir avec un capitalisme "pacifique".

En abordant les schémas de la reproduction de Marx, Rosa Luxemburg mettait le doigt sur la plaie car les révisionnistes pouvaient en déduire - en déformant l'objet limité par Marx de ces schémas - précisément la possibilité d'un capitalisme éternel et "en équilibre". Et c'est contre eux que se lance Rosa Luxemburg. Par exemple, contre Hilferding :

Les schémas marxistes montrent [et nous citons Hilferding] "que dans la production capitaliste, la reproduction simple aussi bien que la reproduction à une échelle élargie, peuvent se poursuivre sans difficultés, si seulement ces proportions sont respectées....On ne doit donc pas conclure que la crise a nécessairement sa cause dans la sous-consommation immanente à la production capitaliste. On ne doit pas non plus déduire des schémas la possibilité d’une surproduction générale de marchandises. Au contraire, on peut démontrer que toute extension de la production est possible dans la mesure des forces productives existantes" (idem).

Rappelons-nous aussi comment, quelques temps après, le théoricien majeur de la social-démocratie, Kautsky, développera la théorie de "l'ultra-impérialisme" avançant précisément la possibilité d'un monopole mondial unique - qui agirait de manière similaire au "capital global" des schémas de Marx - qui conduirait à l'élimination des crises et des guerres.

En outre, il est certain que Marx, par les circonstances historiques dans lesquelles il vivait, ne pouvait résoudre la question des conséquences de la fin des marchés extracapitalistes même s'il l'abordait de manière tendancielle. Ainsi, quand il se réfère aux causes qui contrebalancent la baisse du taux de profit, il pose le problème :

"Pour autant que le commerce extérieur fait baisser le prix soit des éléments du capital constant, soit des subsistances nécessaires en quoi se convertit le capital variable, il a pour effet de faire monter le taux de profit, en élevant le taux de plus-value et en abaissant la valeur du capital constant (…) Ce faisant, il accélère d’une part l’accumulation, mais d’autre part aussi la chute du capital variable, par rapport au capital constant et par là la baisse du taux de profit. De même l’extension du commerce extérieur, qui était la base du mode de production capitaliste à ses débuts, en est devenu le résultat, à mesure que progressait la production capitaliste en raison de la nécessité inhérente à ce mode de production de disposer d’un marché toujours plus étendu (…).

Des capitaux investis dans le commerce extérieur sont en mesure de donner un taux de profit élevé parce que (…) le pays le plus avancé vendra ses marchandises au-dessus de leur valeur, bien qu’il les cède à meilleur compte que les pays concurrents.(…) Il réalise de la sorte un surprofit. Quant aux capitaux investis dans les colonies, etc., ils sont d’autre part en mesure de rendre des taux de profit plus élevés parce qu’en raison du moindre développement le taux de profit y est d’une façon générale plus élevé et plus élevé aussi, grâce à l’emploi d’esclaves, de coolies, etc, l’exploitation du travail.(…).

Mais ce même commerce extérieur favorise dans la métropole le développement du mode de production capitaliste et entraîne ainsi la réduction du capital variable par rapport au capital constant ; et d’un autre côté il crée par rapport à l’étranger une surproduction et donc il finira de nouveau par agir en sens opposé." (K. Marx, Le Capital, Livre III chapitre XIV)

Pour Marx, puisque le commerce extérieur vers les pays "arriérés" et l'investissement de capital dans les colonies est propre au capitalisme, que c'est une "nécessité intrinsèque" de celui-ci, il constitue pour ainsi dire une soupape de sécurité face à la contradiction du capitalisme (entre la tendance au développement illimité des forces productives et l'objectif limité de l'obtention de profit), qui conduit à la chute du taux de profit. Mais cette expansion du capitalisme a un double effet : dans un premier moment, elle élève le taux de profit. Elle est une des causes qui s'opposent à sa chute, mais ensuite, en se développant, la production capitaliste et l'accumulation dans ces mêmes pays coloniaux produisent "l'effet contraire". Et c'est précisément à cette expansion contradictoire du capitalisme à laquelle se réfère Rosa Luxemburg tout au long de son livre. Finalement, ce qui était posé au 19ème siècle, était la conséquence qu'aurait l'arrivée à un certain point, disons à la "fermeture" de cette soupape de sécurité : elle ne pouvait qu'être l'aiguisement ou l'expression la plus "pure"- puisqu'il n'y aurait plus d'issue dans l'expansion vers "l'extérieur" - de la contradiction capitaliste.

c) Accumulation impossible ou développement illimité ?

"Par ce processus, le capital prépare doublement son propre effondrement : d'une part en s'étendant aux dépens des formes de production non capitalistes, il fait avancer le moment où l'humanité tout entière ne se composera plus effectivement que de capitalistes et de prolétaires rendant ainsi impossible toute nouvelle expansion, et donc toute accumulation. D'autre part, dans la mesure où cette tendance s'impose, il exaspère les antagonismes de classe et l'anarchie économique et politique internationale à tel point que, bien avant que l'évolution économique ait abouti à ses dernières conséquences, à savoir la domination absolue et exclusive de la production capitaliste, surviendra la rébellion du prolétariat international qui en finira nécessairement avec le régime capitaliste " (idem 4).

Rosa Luxemburg pousse son raisonnement théorique jusqu'aux limites où toute accumulation serait "impossible". Juste après, comme pour prévenir déjà des fausses conclusions, elle précise que "bien avant surviendra la rébellion du prolétariat international". Ce point limite est seulement un recours théorique, une espèce de "point de mire à l'horizon" inaccessible, dont l'unique sens est de souligner la limite historique du capitalisme. Cela était d'autant plus nécessaire qu'à ce moment-là il fallait combattre la dangereuse théorie du "développement illimité et pacifique" du capitalisme. C'est seulement par la suite, dans d'autres circonstances historiques, celles de la contre-révolution stalinienne, et face à un autre combat politique, celui de la lutte contre la théorie de la "stabilisation" du capitalisme, que s'est développée la théorie de la "chute" du capitalisme, attribuée à tort parfois à Rosa Luxemburg, théorie selon laquelle le capitalisme pourrait s'écrouler, s'effondrer en atteignant un point de la contradiction "économique", sans médiation de la lutte des classes, ce que Rosa Luxemburg rejette explicitement.

Nous devrons revenir aussi sur la théorie de "l'effondrement". Cependant, nous ne pouvons pas ne pas ouvrir une parenthèse pour constater qu'alors que dans ses fondements théoriques initiaux, le CCI met précisément en évidence l'alternative historique de guerre ou révolution, aujourd'hui l'actuel CCI avec sa nouvelle théorie sur la "décomposition", et telle qu'il l'a développée ces derniers mois, abandonne chaque fois plus cette notion. Il abandonne l'idée que la question fondamentale de la décadence est cette alternative historique et, en échange, il nous sert chaque fois plus des rations "d'effondrement". C'est ainsi que, d'un côté, la guerre impérialiste mondiale s'éloigne chaque fois plus comme "solution naturelle" capitaliste à la crise dans le panorama de l'actuel CCI pour donner lieu à une vision apocalyptique où les guerres "locales" ne sont plus qu'un des "cavaliers de l'apocalypse" parmi tant d'autres (les famines, les maladies, les désastres écologiques), sans compter que de telles guerres régionales perdent toute "rationalité" du point de vue capitaliste comme sortie à la crise pour ne devenir qu'une expression d'une "perte de contrôle" de la part de la bourgeoisie, une expression du "chaos". D'autre part, la décomposition sociale tend, aussi selon cette nouvelle théorie, à affecter chaque fois plus aussi la classe ouvrière elle-même, sapant sa force, de telle manière qu'est mise en question un peu plus chaque jour sa capacité à donner une issue révolutionnaire. Au point que le CCI aujourd'hui affirme que le capitalisme pourrait conduire à la destruction de l'humanité (au travers des guerres régionales et des catastrophes de tout type) alors que le prolétariat se maintiendrait dans la passivité. Cette notion "d'effondrement" du capitalisme qui est introduite avec la théorie de la décomposition, s'exprime chaque fois plus dans les prises de position de l'actuel CCI face aux événements concrets, et elle introduit une attitude "défaitiste" dans la classe ouvrière.

Pour en terminer avec cette partie, remarquons que nous n’essayons pas ici de défendre le supposé ‘luxemburgisme’ (5) du CCI, ni de justifier ou de passer outre les possibles erreurs théoriques de Luxemburg. Ce dont il est question, c’est de reconnaître que le surgissement de la notion de décadence correspond à un changement dans la situation historique réelle et concrète que les révolutionnaires ont essayé d’expliquer et d’exprimer théoriquement d’une manière ou d’une autre. Il suffit de rappeler comment Lénine et Boukharine ont abordé aussi la question prenant, de leur côté, d’autres aspects des modifications que subissait le capitalisme et comment ils furent également capables de tirer les conséquences du changement d’époque pour la lutte révolutionnaire du prolétariat. Nous avons déjà cité Boukharine plus haut. Lénine, par exemple, opposait l’époque de la ‘libre concurrence’ à celle de ‘l’impérialisme’.

"… par son essence économique, l'impérialisme est le capitalisme monopoliste. Cela seul suffit à définir la place de l'impérialisme dans l'histoire, car le monopole, qui naît sur le terrain et à partir de la libre concurrence, marque la transition du régime capitaliste à un ordre économique et social supérieur... Monopoles, oligarchie, tendances à la domination au lieu des tendances à la liberté, exploitation d'un nombre toujours croissant de nations petites ou faibles par une poignée de nations extrêmement riches ou puissantes : tout cela a donné naissance aux traits distinctifs de l'impérialisme qui le font caractériser comme un capitalisme parasitaire ou pourrissant" (Lénine, L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, Chap. X, http://marxists.org).

"L’époque de l’impérialisme capitaliste est l’époque du capitalisme qui a atteint sa maturité et qui a dépassé sa période de maturité, qui est à l’orée de sa ruine, mûr pour laisser la place au socialisme. La période qui va de 1789 à 1871 a été l’époque du capitalisme progressiste; à l’ordre du jour figuraient le renversement du féodalisme, de l’absolutisme, la libération du joug étranger…" (Lénine, L’opportunisme et la banqueroute de la 2ème Internationale, janvier 1916)

Il est certain que l’on pourrait aussi débattre de la manière dont Lénine a posé la question de l’accumulation du capitalisme et des concessions qu’il fait à la théorie du ‘super-impérialisme’.

"Mais est-il possible de réfuter que, de façon abstraite, après l’impérialisme on peut ‘concevoir’ une nouvelle phase du capitalisme, c’est-à-dire de l’ultraimpérialisme? Non. De manière abstraite, une telle phase est concevable. Mais en pratique cela signifie se changer en un opportuniste. Il ne fait pas de doute que le développement marche en direction d’un unique trust mondial qui dévorera toutes les entreprises et tous les Etats sans exception. Mais d’autre part, le développement se fait dans de telles circonstances, à un tel rythme, avec de telles contradictions, conflits et heurts – non seulement économiques mais aussi politiques, nationales, etc. – qu’inexorablement, avant qu’on arrive à un unique trust mondial, à l’union mondiale ultraimpérialiste des capitaux financiers nationaux, il sera inévitable que l’impérialisme éclate et que le capitalisme se convertisse en son contraire." (Lénine 1915, Publié pour la 1ère fois en 1927 comme prologue à l’œuvre de Boukharine L'économie mondiale et l’impérialisme).

Cependant, Lénine arrive à situer aussi le problème - de manière analogue à ce que fait Rosa Luxemburg avec les tendances contraires - précisément seulement comme "tendances", comme point de mire que le capitalisme ne va pas atteindre "avant" que les contradictions fassent qu'il "éclate et se convertisse en son contraire".

C'est là la notion qui le sépare des révisionnistes et des centristes et qui le situe du même côté que Rosa Luxemburg. C'est cela, finalement, le progrès théorique atteint par les révolutionnaires du début du 20ème siècle par rapport à Marx : la compréhension de l'entrée du capitalisme dans une phase "ultime", "terminale", de "décadence", où ses contradictions s'expriment à un degré extrême tel qu'il conduit l'humanité au bord d'une alternative historique, définitive pour sa propre survie : l'enfoncement dans la barbarie des crises et des guerres impérialistes ou le sauvetage au moyen de la révolution prolétarienne mondiale.


Notes:

1. Rien ne nous ferait plus plaisir que des camarades du CCI participent et contribuent à ce débat de manière sérieuse et critique. Malgré le fait que nous savons qu'il leur sera extrêmement difficile de se dégager des pires accusations qu'ils ont acceptées de cautionner depuis plus un an et demi (nazis, fanatiques, voleurs, lumpen, kidnappeurs, flics, etc.) et des conséquences politiques et militantes de notre exclusion de mars 2002. Si, au contraire, ces écrits leur servaient seulement comme un autre bon prétexte pour "justifier" notre expulsion à la conférence extraordinaire de mars 2002 et tranquilliser leur conscience, alors avec toute la fermeture que cela signifierait, la responsabilié d'accélérer la débacle de l'organisation leur retomberait dessus encore plus.

2. Voir par exemple Bilan, nº 10 et 11, 1934

3. Pour ceux qui écartent de façon dédaigneuse et péremptoire ses théories nous citons quelques exemples de militants et théoriciens révolutionnaires et du mouvement ouvrier qui ont traité de la question après la mort de Rosa Luxemburg :
Lukacs présente la thèse et défend la position de Rosa sur le sujet dans la revue Komunismus de Vienne en 1921 puis dans son livre Lénine en 1924. Il en va de même des théoriciens bolcheviks Piletsky et Motyliev.
Il y a aussi ceux qui mettent en discussion sa thèse : Ch. Dvolaitsky qui est le traducteur en russe de L’accumulation du capital ; Dvolaïtsky et Kritzmann ouvriront le feu contre la théorie de l’accumulation dans Vestnik sots. numéro 5 en 1923 puis Yakovlev dans La théorie de la réalisation de R.L, 1924 ; Boukharine dans une série d’articles dans la revue Sous la bannière du marxisme, 1924 et réunis dans l’impérialisme et l’accumulation du capital.
D’autres théoriciens bolcheviks adoptent la théorie comme Pilestsky dans Deux théories de l’impérialisme, 1924  ou Motyliev dans Vestnik sots, en 1923, numéro 4 ou Schwartz dans Spoutnik Kommounista, 1923, numéro 22 et Bessonov (ibidem, numéro 23 et Krasnaïa Nov, 1923, numéro 4).
Julian Borchardt en 1926 en russe puis en allemand en 1928 dans Capital mondial et politique mondiale ; Fritz Sternberg dans Der imperialismus en 1926 qui approuve la théorie de R. Luxemburg. A cette occasion, une nouvelle polémique s’ouvre à nouveau autour de cet ouvrage.
En 1927 , l’autrichien Julius Dickmann fait paraître dans sa revue Die Wende (le Tournant) une étude sur le problème de l’Accumulation du capital qui est une riposte à Boukharine et à l’austro-marxiste Hélène Bauer.
Il faut citer l’économiste bourgeois Werner Sombart qui a consacré des remarques à la théorie de Rosa dans le Haut capitalisme. Il reconnaît que le livre de Rosa est une " œuvre remarquable ".
Enfin, en France c’est Lucien Laurat qui popularisera la théorie économique de Rosa ; il milite dans les années 30 avec Souvarine et il écrit un très important livre : L’accumulation du capital en 1930 (traduit en espagnol aux éditions Hoy) puis, en 1931, il fait un suivi de la situation économique et impérialiste dans un nouveau livre : Bilans, cent années d’économie mondiale. Enfin, il faut citer notamment la brochure de Jehan de la Gauche communiste internationale Le problème de la Guerre publié dans Cahier d'Etude de la Ligue des communistes internationalistes qui reprend la théorie de Luxemburg pour la développer.
Après la deuxième guerre mondiale la discussion autour des positions de Rosa Luxemburg se poursuit ; elle est mieux connue de nos lecteurs. Nous citerons seulement le très important travail de Fritz Sternberg dans Le conflit du siècle.

4 Il y a de substantielles différences entre la version française de ce livre (édition Maspéro) et la version espagnole (édition Grijalbo). Cette dernière est moins "absolue" et plus précise, nous semble-t-il. Nous avons donc directement traduit ce passage de la version espagnole.

5. La division entre ‘léninistes’ et ‘luxemburgistes’ dans le camp prolétarien est le produit du recul de la révolution au milieu des années 1920 et, plus concrètement, de la ‘bolchévisation’ de l’Internationale, anti-chambre du stalinisme que nous n’avons pas de raison de reproduire.


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