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SITUATION INTERNATIONALE

Nous avons écrit ce texte avant le déclenchement de la guerre en Irak (il était fini le 10 mars). Depuis lors, nous avons néanmoins fait quelques rajouts dans sa dernière partie qui traite du danger du pacifisme. Le lecteur pourra constater que ce que nous avançons dans la partie sur la "bipolarisation impérialiste" n'a pas été démenti par l'éclatement de la guerre. Bien au contraire, la cristallisation impérialiste particulièrement autour des Etats-Unis et de l'alliance "européenne" actuelle franco-allemande s'est confirmée et se confirme encore dans la bataille diplomatique sur la "gestion" de l'après-guerre.

ALIGNEMENTS IMPERIALISTES, CAMPAGNES PACIFISTES…
LA BOURGEOISIE PERSISTE DANS SA MARCHE A LA GUERRE

Dans nos prises de position précédentes [1] nous avons mis en évidence qu'avec les événements du 11/09/2001, une rupture s'était opérée dans la situation internationale : le processus de bipolarisation impérialiste et de marche à la guerre est devenu une donnée à laquelle aucune puissance capitaliste, petite ou grande, ne saurait échapper.

"Il y a maintenant trois mois qu'une nouvelle phase s'est ouverte dans la situation mondiale.

Avec le 11 septembre, la guerre impérialiste - mode de vie du capitalisme décadent et réalité permanente sur la planète depuis la seconde guerre mondiale -, est revenue comme un boomerang au coeur des pays développés, et ce pour la première fois depuis 1945 (en tout cas avec un tel degré, une telle violence). Depuis le 11 septembre 2001, la guerre n'est plus seulement, pour les prolétaires des pays centraux, quelque chose de lointain dans l'espace, ni quelque chose de lointain dans le temps hantant la mémoire de leurs grands-parents. Elle est désormais terriblement présente, ici et maintenant. Telle est la nouvelle donne de la situation mondiale (...).

Si la brutale accélération mondiale de la situation depuis trois mois révèle et confirme quelque chose, c'est d'abord et avant tout : la nature impérialiste de tous les Etats, la faillite du mode de production capitaliste, sa plongée dans une crise mortelle face à laquelle la bourgeoisie n'a qu'une réponse, qu'une politique possible : la marche à la guerre, et enfin le fait que pour imposer la guerre à la société, notamment dans les pays centraux, la classe dominante doit affronter son ennemi mortel : la classe ouvrière. Tous ces éléments sont présents dans la situation d'aujourd'hui comme peut être jamais la génération actuelle de révolutionnaires n'avait pu le vivre" (La nouvelle situation mondiale et les tâches de l'heure pour les révolutionnaires, Bulletin n°4, 16 décembre 2001).

Nous avons posé cette analyse non pas en nous appuyant sur l'événement immédiat ou sur le caractère « spectaculaire » de tel ou tel foyer de tension guerrière. Nous avons dégagé la réalité de ce processus d'abord en confrontant le présent à l'expérience et aux leçons tirées du passé ainsi qu'à partir d'un examen des faits, de leurs interrelations, de leur enchaînement logique convergeant vers une tendance dominante.

Cela n'est pas seulement vérifiable au niveau des champs de bataille désignés (Afghanistan, Irak…), ou même de l'aiguisement de conflits jusque là « latents » (Israël-Palestine, Tchéchénie, Inde-Pakistan…), disions-nous, mais elle s'impose comme une véritable lame de fond qui se répand dans l'ensemble de la société et est pleinement vérifiable à travers :

- une accélération du processus de polarisation des alignements impérialistes [2] tendant vers une structuration des alliances autour de deux pôles rivaux : d'un côté les USA représentant le « pôle de la guerre » ; et de l'autre, l'Allemagne et son alliée la France, représentants le « pôle de la paix » ;

- la mise en place au gouvernement, dans un grand nombre de pays, d'équipes politiques plus adaptées (cf. notre bulletin n°13 sur la réélection de Shroeder en Allemagne) pour faire face à une situation qui impose un engagement plus déterminé sur le plan impérialiste mais également des mesures sans concessions (tant vis-à-vis de la classe ouvrière, que de la direction à donner à l'économie, via l'implication croissante et dirigiste de l'Etat dans son ensemble) ;

- la mise en place de dispositifs économiques visant à soumettre l'économie aux besoins de la crise et de la guerre : notamment à travers l'augmentation sans précédent des budgets militaires et de défense, la réduction drastique des budgets sociaux et des attaques magistrales aux conditions de vie des ouvriers.

- une véritable militarisation de toute la société, à travers des dispositifs législatifs et répressifs qui intéressent tous les plans de la vie sociale s'étendant même aux conditions de travail des salariés ;

- une offensive idéologique contre la classe ouvrière visant à lui faire choisir un camp (la démocratie) contre l'autre (le terrorisme) ou celui de "la paix" contre celui de la "guerre" et inversement.

Nous avons également montré que nous nous trouvions dans une situation atypique dans la période de décadence du capitalisme où la bourgeoisie essaie de forcer le passage pour aller à la guerre, sans avoir au préalable battu, ni même avoir engagé une confrontation d'ampleur avec le prolétariat ; le seul obstacle à cette guerre étant justement le prolétariat. Celui-ci conserve, aujourd'hui, intactes ses potentialités de lutte et ne se trouve défait ni physiquement ni idéologiquement.

"Il faut être lucide : il s'agit d'une accélération, une clarification de la question du cours historique et des enjeux. Donc on est dans une situation gravissime, non pas parce que le cours [historique] aurait été inversé, mais parce que les enjeux historiques vont commencer à réapparaître clairement, que les perspectives contradictoires des deux classes vont se poser ouvertement. La bourgeoisie a décidé de s'engager vers les affrontements décisifs de classe car elle n'a pas d'autre issue aujourd'hui. C'est dans ce sens que le cours historique n'est pas renversé et reste bien aux affrontements décisifs" (idem).

Le processus qui s'est enclenché depuis le 11 septembre et qui ne fait que commencer, ouvre une période d'affrontements de classe croissants menés par la bourgeoisie contre le prolétariat.

Enfin nous appelions les organisations révolutionnaires, notamment celles de la Gauche communiste, à assumer leurs responsabilités dans la classe pour faire face à une telle situation.

I. LE PROCESSUS DE PREPARATION VERS LA GUERRE GENERALISEE SE CONFIRME

Depuis lors, le cours de la situation s'est incontestablement accéléré confirmant nettement ce que nous avancions. Et cela plus particulièrement sur deux plans :

- l'accélération des alignements impérialistes ;

- le déchaînement d'une campagne idéologique pacifiste sans précédent comme préparation à l'embrigadement des ouvriers dans la guerre.

1. Derrière la deuxième guerre du Golfe : un pas important vers la bipolarisation du monde

"La plus significative des manifestations de l'accélération des tensions impérialistes se situe au niveau de la rivalité de plus en plus affichée entre les USA et leurs anciens alliés du vieux continent. C'est ce que révèle notamment l'opposition ouverte et très vive des européens (surtout de l'Allemagne) à la politique de Bush concernant l'Irak. Contrairement à la situation qui a prévalu lors de la 1ère guerre du Golfe, les USA n'arrivent pas à imposer leur politique hégémonique de « grand gendarme du monde » aux autres puissances occidentales (à quelques exceptions près). Au contraire, contre eux commence à apparaître une « résistance » de plus en plus organisée et cohérente. Bien que nous soyons encore loin de la constitution de blocs impérialistes rivaux indispensables au déclenchement d'une nouvelle guerre mondiale, il est évident que c'est cette tendance, inhérente au capitalisme décadent et en faillite, qui s'exprime ici" (Une nouvelle période s'ouvre - bulletin de la fraction nº14, 24 novembre 2002).

La décision du gouvernement Bush d'envahir l'Irak a comme conséquence parmi les plus notables, l'accélération d'une tendance inhérente au capitalisme décadent : la tendance à la polarisation des pays capitalistes autour des deux axes impérialistes qui pourraient potentiellement constituer deux nouveaux pôles impérialistes antagoniques : l'un constitué par les Etats-Unis et l'autre par l'Allemagne.

C'est ce qu'exprime le conflit diplomatique international des derniers mois. Son aspect central est la position ouverte, déclarée et décidée de l'Allemagne contre la guerre en Irak que prétendent mener les Etats-Unis. Cela a converti l'Allemagne en un axe de regroupement pour toutes les puissances et pays de moindre importance qui cherchent à se détacher de la tutelle américaine.

Cette position de l'Allemagne, et la décision de la France de s'allier à l'Allemagne sur ce thème, ont renforcé le nouvel axe. Ainsi s'est constitué momentanément sur la question de l'Irak un "bloc" de puissances qui s'opposent ouvertement à la guerre des Etats-Unis contre l'Irak : l'Allemagne, la France, la Russie, la Chine, alors que d'autres pays renforcent leur alliance avec les Etats-Unis (Angleterre, Espagne, Italie, Europe Orientale). Cette polarisation traverse des organismes internationaux comme l'ONU, le Conseil de sécurité, l'OTAN, provoquant des lézardes qui menacent de s'agrandir. Ainsi même elle provoque des convulsions dans tous les pays qui doivent se prononcer en faveur de l'un ou l'autre de ces deux axes (prise de position qui se cache derrière l'option "guerre ou désarmement pacifique").

Tout cela a lieu, bien sûr, dans le domaine diplomatique. Cependant ce domaine n'est que le point le plus avancé d'une polarisation qui a lieu dans les domaines les plus profonds du système capitaliste ; économique, politique et même militaire, même si la polarisation n'y a pas atteint un niveau si extrême.

Nous soulignons que nous ne parlons pas ici de regroupements déjà délimités ou fermement établis. Nous devons lutter contre la tendance au schématisme selon laquelle les blocs seraient une structure fixe, établie une fois pour toutes, comme nous étions habitués à la penser quand existait le jeu de blocs Etats-Unis-URSS (d'ailleurs s'agissait-il, à cette époque, d'une structure complètement fixe, puisque les pays changeaient de "bande" constamment).

Ce dont nous parlons est d'une dynamique de polarisation autour de deux axes - des deux puissances mondiales qui peuvent se poser comme chef de bloc - dynamique qui, avec le cas actuel de l'Irak, s'est finalement montrée clairement et ouvertement, qui a été reconnue par les bourgeoisies du monde comme un fait. Une dynamique autour de laquelle vont tourner à partir de maintenant toutes les relations entre Etats. Par exemple, la rupture de "l'unité européenne" sur la question de l'Irak montre cette dynamique. Il y a une lutte ouverte entre l'Allemagne et les Etats-Unis pour attirer derrière soi toutes les puissances, grandes, moyennes et petites d'Europe occidentale et orientale, une véritable polarisation sur ce sujet. "L'offensive" diplomatique des Etats-Unis (qui, outre l'Angleterre, s'est orientée sur l'Italie, l'Espagne et d'autres) sur l'Europe ne signifie pas l'impuissance ou l'impossibilité de l'Allemagne comme possible pôle de regroupement, mais au contraire elle exprime la reconnaissance, la préoccupation des Etats-Unis devant le danger que représenterait une Europe en cohésion autour de l'Allemagne et la France.

"Non seulement la primauté américaine est beaucoup moins durable que ce qu'elle apparaît, mais elle commence déjà à diminuer. Et le challenger qui monte, n'est pas la Chine ou le monde islamique, mais l'Union européenne, une politique qui émerge et qui est en voie de rassembler les impressionnantes ressources et les ambitions historiques des Etats-nations séparés de l'Europe (...). L'Europe renforce sa conscience et son caractère collectifs et développe un sens plus clair de ses intérêts et valeurs qui sont bien distincts de ceux des Etats-Unis. Les Etats membres de l'Union européenne débattent de l'adoption de la constitution d'une Europe élargie... construisant des forces armées capables d'opérer indépendamment de l'armée américaine et s'efforçant de parler d'une seule voix dans l'arène diplomatique...

La rivalité transatlantique qui a déjà commencé, s'intensifiera inévitablement... Bien qu'une confrontation militaire reste une perspective éloignée, cependant, la compétition Etats-Unis-Union européenne s'étendra bien au-delà du domaine du commerce (...). Une Union européenne ascendante testera sûrement ses muscles contre l'Amérique, spécialement si l'inclination unilatérale dans la politique étrangère américaine continue. Un Ouest autrefois uni apparaît bien sur le chemin de la séparation en deux moitiés concurrentes... (...).

Le goût croissant de l'Allemagne pour le leadership renforce la volonté politique de l'union. Partie de sa politique d'après-guerre de réconfort et de réconciliation, durant des décennies Bonn a agi légèrement sur les plans diplomatique et de défense. Cependant depuis 1999, quand le siège du gouvernement est revenu à Berlin symbolisant le renouveau de l'auto-confiance, l'Allemagne a guidé activement l'évolution de l'Union européenne, désignant le chemin pour la construction d'une Europe fédérale... Les Français avaient l'habitude d'être les seuls à voir l'Union européenne comme le contrepoids à l'Amérique, mais les autres membres l'ont maintenant rejoint... . "

(Charles Kupchan [3] - c'est nous qui soulignons [et traduisons de l'anglais] , The End of the West [La fin de l'Ouest].- The Atlantic Monthly, November 2002 , traduit par nous, http://www.theatlantic.com/issues/2002/11/kupchan.htm )

Les conflits impérialistes entre les grandes puissances ne s'expriment plus seulement dans les conflits et les guerres des pays "périphériques" mais maintenant ils s'expriment de manière ouverte comme une lutte déclarée entre elles-mêmes, même si pour le moment ils ont seulement un caractère "diplomatique". Mais ce n'est pas seulement l'Europe, mais tous les pays du monde qui vont entrer dans cette dynamique de polarisation qui va s'exprimer, et s'exprime déjà, dans des chantages, des alliances momentanées, des accords et des ruptures constantes. Avec le cas de l'Irak maintenant, chaque bourgeoisie nationale doit prendre partie pour l'un ou l'autre côté et cela va se produire dorénavant à chaque événement de la situation internationale, dans une tendance à la conformation de ces blocs... [4] .

La tension au sein de l'OTAN autour de "l'aide" à la Turquie illustre cela : les Etats-Unis essaient de maintenir l'OTAN comme un outil au service de leurs intérêts alors que l'axe France-Allemagne essaie de la mettre au service de "l'Europe". Les déclarations publiques des fonctionnaires des Etats-Unis en arrivent à considérer la rupture de l'OTAN comme la meilleure solution si celle-ci, déjà, ne leur servait plus à rien. Mais bien que tout cela se situe au plan "diplomatique", de fait est posée une rupture d'une alliance ou d'un accord au plan militaire. C'est un pas en avant car il marque l'intérêt "européen" d'une "indépendance" par rapport aux Etats-Unis au plan militaire.

D'autre part, les conflits "régionaux" vont prendre aussi cet aspect de polarisation. Par exemple, un des points qui a fait monter la température simultanément à la question de l'Irak, est celui de la Corée, une des prochaines cibles des Etats-Unis. Derrière la soumission de la Corée, c'est la question de l'alignement de la Chine et de la lutte pour le contrôle régional entre cette dernière et l'Inde... c'est-à-dire qu'est en germe la formation d'un second "front", le front oriental.

2. Les campagnes idéologiques de la bourgeoisie dans le monde entier participent à la préparation de la guerre

La violence de l'affrontement diplomatique et des déclarations publiques des dirigeants des grandes puissances impérialistes sur leurs adversaires exprime l'exacerbation brutale des antagonismes impérialistes depuis le 11 septembre 2001. Cet affrontement et ces déclarations font partie intégrante des campagnes idéologiques des uns contre les autres. La violence de l'affrontement et des campagnes idéologiques s'est brutalement révélé avec Rumsfeld quand il a parlé de la "vieille Europe". A partir de là, s'est déclenchée une guerre d'insultes réciproque par médias interposés entre les Etats-Unis et l'Angleterre d'un côté, la France et l'Allemagne, de l'autre. Nous assistons à la "naissance", pour ainsi dire, des thèmes idéologiques à partir desquels la bourgeoisie peut commencer à justifier l'antagonisme entre ces axes. Pour les Etats-Unis, il s'agit de la nécessité d'une espèce de... "nouveau Reich" où seule cette grande puissance est capable d'en finir avec le "terrorisme international et les "Etats voyous", la seule capable de garantir "l'ordre" et la "paix" dans le monde ; et les autres puissances déclarées maintenant "impuissantes" vont être appelées demain "complices du terrorisme" et de ces "Etats voyous". C'est déjà ce que les médias américains, et même l'administration américaine elle-même, Rumsfeld, Powell, jusqu'au président Bush lui-même, ont commencé à faire contre la France présentée comme complice de Saddam Hussein. En revanche, l'axe Allemagne-France commence à jouer le rôle du "démocratique" ; il s'agit de lutter contre "l'hégémonie", pour un monde "multipolaire" comme seul moyen de garantir aussi... la "paix". Il y a donc déjà aussi une rupture idéologique au plan des perspectives pour la société. "L'Europe renforce sa conscience et son caractère collectifs et développe un sens plus clair de ses intérêts et valeurs qui sont bien distincts de ceux des Etats-Unis." (Charles Kupchan, cité plus haut et souligné par nous).

Quant à la particulière violence des propos égrenés sur le terrain diplomatique, elle ne trouve aucun équivalent dans la période de "guerre froide" entre les deux blocs constitués. Une telle férocité "diplomatique" ne trouve de précédent qu'au coeur même des deux précédents conflits mondiaux. Cette violence sur le plan "diplomatique" a un objectif : attiser la mobilisation pacifiste et lui donner le ton comme nous le verrons plus loin.

La tendance à la formation d'un nouveau jeu de blocs impérialistes autour des Etats-Unis d'un côté et de l'Allemagne de l'autre est chaque fois plus ouvertement reconnue par les idéologues de la bourgeoisie eux-mêmes. Ainsi, les représentants les plus illustres de la bourgeoisie reconnaissent et suggèrent cette bi-polarisation. Bush avait donné clairement le ton, au lendemain des attentats du 11 septembre lorsqu'il affirmait "Tous ceux qui ne sont pas avec nous sont contre nous" ; et depuis, les porte-voix du "camp démocratique" ont pris le relais. A titre d'exemple, le journal français Libération (06/03/2003) reproduisait ainsi la réflexion de Pascal Boniface (directeur de l'Institut de relations internationales et stratégiques (Iris)-, et Dominique Moïsi -directeur adjoint de l'Institut français des relations internationales (Ifri)-, autour de "l'avenir des relations transatlantiques" :

"D.Moïsi : Un mot n'a pas été mentionné : l'Europe. Depuis des décennies, la France se présente comme une puissance européenne. Si son ambition est de créer un monde multipolaire plus harmonieux, cela passe par la définition d'une identité internationale de l'Europe. Or celle-ci ne peut se faire contre les Etats-Unis car il n'y a pas aujourd'hui d'accord au sein de l'Europe élargie pour dissocier l'identité européenne de l'identité atlantique. Le paradoxe ­ et aussi la grande contrainte de la diplomatie française ­, c'est que, pour atteindre notre objectif, nous avons besoin de tous les pays d'Europe.

P.Boniface : Je suis en désaccord. La position française permet de préparer l'Europe de demain. La France peut dire qu'elle contribue aujourd'hui à clarifier la relation entre l'Europe et les Etats-Unis, en donnant une alternative claire. Le fait qu'elle ait adopté un autre ton montre aux autres Européens, notamment aux pays candidats, que l'on peut ne pas être d'accord et survivre, que ce n'est pas la fin des temps. C'est cela l'option franco-allemande, parce que, sans les Allemands, grâce à qui un pôle de résistance européen a pu voir le jour, rien n'aurait été possible. On est encore minoritaire mais nos thèses progressent : il y a quelques années, la France aurait été totalement isolée avec une position de ce type. Mieux vaut donc peut-être accepter une Europe un peu plus divisée aujourd'hui plutôt qu'une Europe complètement impuissante, ou qui se limite à faire du suivisme demain".

Affirmer, comme nous l'ont écrit quelques lecteurs ou comme l'expriment encore certains groupes du milieu révolutionnaire, que rien n'a changé depuis le 11 septembre, que "la menace guerrière n'existe pas actuellement", que ce serait une "erreur" de parler "de marche vers la guerre de la part de la bourgeoisie", que la seule réalité notable dans la situation est celle de la "décomposition" et non pas celle d'une tendance à un regroupement d'alliances autour de deux pôles impérialistes, relève au mieux de l'aveuglement, au pire d'une irresponsabilité dans l'analyse des situations contenant de lourdes inconséquences sur le plan de l'intervention en direction de la classe ouvrière. L'actuel CCI tend à représenter l'expression la plus caricaturale de cet aveuglement qui mène à l'impuissance face aux événements et au défaitisme vis-à-vis de la classe ouvrière. Voici la position qu'il adoptait plusieurs mois après le 11 septembre :

"L'entrée du capitalisme dans la phase finale de son déclin, la phase de décomposition, est conditionnée par l'incapacité de la classe dominante à "résoudre" sa crise historique par une autre guerre mondiale, mais elle porte avec elle des dangers nouveaux et plus insidieux, ceux d'une descente plus graduelle dans le chaos et l'autodestruction. Dans un tel scénario, la guerre impérialiste, ou plutôt une spirale de guerres impérialistes, serait toujours le principal cavalier de l'apocalypse, mais il chevaucherait au milieu de famines, de maladies, de désastres écologiques à l'échelle planétaire, et de la dissolution de tous les liens sociaux. A la différence de la guerre impérialiste mondiale, pour qu'un tel scénario puisse aboutir à sa conclusion, il ne serait pas nécessaire pour le capital d'embrigader et de défaire les bataillons centraux de la classe ouvrière ; nous sommes déjà confrontés au danger que la classe ouvrière puisse être submergée progressivement par tout le processus de décomposition, et perde petit à petit la capacité d'agir comme une force consciente antagonique au capital et au cauchemar qu'il inflige à l'humanité" (Résolution sur la situation internationale, avril 2002, Revue internationale 110).

Cette vision apocalyptique ne comprend pas la nouvelle période ouverte avec le 11 septembre. Elle reste prisonnière d'un schéma abstrait - la "Décomposition", le "Chaos" et le "Chacun pour soi" au plan impérialiste - et ne permet pas de dégager clairement la tendance aujourd'hui dominante à la bipolarisation impérialiste et donc de prendre en compte la dynamique concrète vers la guerre impérialiste. De manière tout à fait empirique, selon les événements immédiats et quand il réussit à les reconnaître - ce qui n'est pas toujours le cas -, le CCI balance entre une vision "du chaos" et du "chacun pour soi" dans les rivalités impérialistes d'une part et une vision à la bipolarisation d'autre part [5] . Et, corollaire de cette vision, il tend à dénier tout rôle au prolétariat - "il ne serait pas nécessaire pour le capital d'embrigader et de défaire les bataillons centraux de la classe ouvrière" [6]  - ce qui le mène à la sous-estimation de l'offensive idéologique et politique de la bourgeoisie contre le prolétariat et inévitablement aussi à la sous-estimation, à l'indifférentisme et au défaitisme vis-à-vis des luttes ouvrières - il suffit de se rappeler l'attitude du CCI face aux luttes ouvrières en Argentine.

Heureusement d'autres groupes du camp prolétarien tels le BIPR et le PCI-Le Prolétaire restés fidèles à la vision classique du marxisme sur l'impérialisme, ont su de suite, au lendemain même du 11 septembre, appréhender la signification réelle et les conséquences impérialistes de l'attentat contre les Twin Towers de New-York. Ils ont su reconnaître la nouvelle situation ouverte avec le 11/9/01, la tendance - et nous disons bien tendance - à la polarisation entre deux axes impérialistes, Etats-Unis d'un côté, "Europe" de l'autre, comme processus dominant la scène impérialiste actuelle ; et d'autre part la gravité de l'offensive bourgeoise contre la classe ouvrière et la responsabilité historique du prolétariat dans cette situation. Nous renvoyons nos lecteurs à la lecture des différentes publications du BIPR (cf. le tract reproduit dans ce bulletin) et du Prolétaire [7] .

S'il est vrai qu'aujourd'hui nous assistons à un cours inévitablement contradictoire qui ne permet pas encore de délimiter une configuration définitive des constellations impérialistes, il y a un autre terrain où les événements se suivent avec une logique de fer. C'est celui de l'offensive idéologique et politique de la bourgeoisie contre la classe ouvrière dont le fer de lance est le pacifisme.

II. LE PACIFISME ENROLE DANS LES CAMPS IMPERIALISTES

Nous avons dit que la bourgeoisie s'engageait dans une marche à la guerre. Sur son chemin, elle trouve la classe ouvrière internationale. Celle-ci ne réussit pas à empêcher le déchaînement des différents conflits impérialistes "locaux" qui ensanglantent la planète. Mais elle n'est pas, idéologiquement et politiquement, prête à accepter les sacrifices économiques et physiques indispensables à l'ouverture de la voie à la guerre impérialiste généralisée - et cela indépendamment de la possibilité réelle aujourd'hui de la constitution d'un bloc impérialiste capable de rivaliser militairement, un minimum, avec les Etats-Unis dans une 3e Guerre mondiale. Plus même, elle constitue un frein non négligeable, même si indirect et tout relatif, dans le degré de participation des grandes puissances et de violence des conflits déjà existants. Les expressions de combativité ouvrière - Argentine bien sûr, mais aussi en Europe - qui renaissent ces derniers mois, les toutes petites réactions prolétariennes au déclenchement de la guerre en Irak (cf. ce numéro de notre bulletin), mais non moins réelles et significatives, sont des signes de cette "absence de disposition" du prolétariat pour "adhérer" aux conflits impérialistes d'aujourd'hui et pour accepter la perspective de la guerre impérialiste généralisée.

La bourgeoisie en est consciente. Elle est passée à un niveau nettement supérieur qu'auparavant dans ses attaques contre la classe ouvrière. La guerre en Irak sera essentiellement payée par la classe ouvrière. Ne paie-t-elle pas déjà les dépenses militaires "courantes" ? Après la crise irakienne, les inévitables augmentations déjà annoncées des dépenses militaires dans tous les pays vont imposer à la bourgeoisie d'attaquer encore plus les conditions d'existence et de travail de la classe ouvrière, et cela de manière brutale, et alors même que le capitalisme mondial est en récession ouverte. Cette situation d'attaques généralisées brutales de la bourgeoisie contre le prolétariat international signifie que "le cours historique est à des affrontements de classes décisifs" comme l'avait défini le CCI.

Cette gigantesque bataille politique entre les deux classes déterminantes de la société capitaliste qui s'engage aujourd'hui, va déterminer l'ouverture de la voie à la révolution communiste ou à la guerre impérialiste généralisée. Et dès les premiers combats, le prolétariat se retrouve confronté, immédiatement, aux campagnes idéologiques et politiques du pacifisme.

La bourgeoisie met en place l'idéologie pacifiste non seulement pour brouiller aux yeux des ouvriers l'alternative historique "socialisme ou barbarie" et la remplacer par "guerre ou paix", mais aussi et surtout pour embrigader et entraîner le prolétariat international dans un "camp" impérialiste contre l'autre ; aujourd'hui derrière un "pôle" contre l'autre. Notons au passage, et cela est d'importance, que l'ensemble des groupes de la Gauche communiste, CCI compris, ont mis au centre de leur propagande et de leur combat politique la dénonciation du pacifisme. Tous essaient justement de se fonder sur la position classique du mouvement ouvrier et en particulier sur Lénine - "le capitalisme, c'est la guerre" - qui a été le plus loin et le plus conséquent sur cette question : "Le pacifisme et le prêche abstrait de la paix sont un des moyens pour tromper la classe ouvrière. Dans le capitalisme, et surtout dans sa phase impérialiste, les guerres sont inévitables" (Lénine, Conférence des sections du POSDR à l'étranger, 1915) et "c'est seulement lorsqu'on appelle à la lutte révolutionnaire que la revendication de la «paix» prend un sens prolétarien" (Lénine, Le socialisme et la guerre, 1915).

Idéologiquement le pacifisme vise à faire croire que la "paix" est possible dans le capitalisme. La mystification de la "paix" s'adresse essentiellement et en premier lieu à la classe ouvrière. Mais il s'adresse encore plus à cette dernière, classe révolutionnaire, quand il essaie de masquer l'alternative historique "socialisme ou barbarie" en lui substituant "guerre ou paix". Au niveau politique, il s'agit de détourner la classe ouvrière de ses luttes et de ses minorités révolutionnaires se maintenant fermement sur le terrain internationaliste. Nous ne développons pas sur cet aspect qui a été globalement et correctement rappelé dans la presse communiste pour ce que nous avons pu en lire - BIPR, groupes bordiguistes et CCI. Soulignons simplement que la dénonciation du pacifisme s'accompagne systématiquement chez Lénine de l'appel à la lutte révolutionnaire du prolétariat dans les conditions du moment.

Nous nous permettrons de rajouter une citation de plus à celles déjà, nombreuses, qui ont été publiées dans la presse communiste pour l'occasion. Il nous semble que celle-ci ne se contente pas de rappeler la position de principe mais répond aussi à des questions concrètes d'aujourd'hui.

"Le mot d'ordre de paix peut être lancé en lien avec des conditions déterminées de paix ou sans condition, comme une lutte non pour une paix déterminée mais pour la paix en général. Il est clair dans ce dernier cas que nous nous trouvons face à un mot d'ordre qui, outre de ne pas être socialiste, manque complètement de contenu et de sens. Tous sont pour la paix en général, jusqu'aux Kitchener, Joffre, Hindenburg et Nicolas le Sanguinaire car chacun d'entre eux désire mettre fin à la guerre ; mais le quid de la question est précisément que chacun présente des conditions de paix impérialistes (c'est-à-dire de spoliation, d'oppression des peuples étrangers) au profit de «sa» nation. Les mots d'ordre doivent être lancés pour expliquer aux masses, dans la propagande et l'agitation, la différence inconciliable qui existe entre le socialisme et le capitalisme (l'impérialisme), et non pour concilier deux classes hostiles et deux politiques hostiles au moyen d'un bavardage qui «unit» les choses les plus distinctes" (Lénine, La question de la paix, juillet-août 1915, traduit de l'espagnol par nous, Editorial Progreso).

Lénine pointe avec justesse une autre dimension du pacifisme et qui prend aujourd'hui un aspect concret qui est particulièrement dangereux, un véritable poison, pour la classe ouvrière. Lénine dénonce le fait que le pacifisme mène... au choix d'un camp impérialiste contre un autre. C'est d'ailleurs à ce titre qu'il n'a de cesse de dénoncer le pacifisme de Kautsky et autres Plékhanov. Tous les camps impérialistes "sont pour la paix en général" jusqu'aux... Chirac, Poutine, Schröder, Blair et... Bush.

Nous assistons aujourd'hui à des campagnes pacifistes qui ne se contentent pas d'en appeler à la "paix" en Irak mais qui désignent déjà le fauteur de guerre, l'ennemi, le rival. Pour les uns, c'est "l'axe du mal" constitué par les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, pour les autres ce sont les "munichois" français et allemands alliés des dictateurs. Il y a toute une gradation de chaque camp "pacifiste" dans la désignation de l'ennemi qui est particulièrement efficace.

Chez les "anti-guerre", la gradation du fauteur de guerre, de l'ennemi, court du "va-t-en-guerre" Bush et de son équipe néo-conservatrice d'illuminés religieux, à la volonté "hégémonique" américaine, à "l'axe du mal" - expression "bushienne" reprise par la presse mexicaine pour désigner les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, l'Australie... -, à la "mondialisation" et au "libéralisme", pour finir au soutien de la lutte des Palestiniens contre Israël, à la défense de l'Irak et de Saddam Hussein, et au nationalisme arabe. Chez les "anti-guerre" contre l'Irak, l'anti-américanisme est l'idéologie, la marque, du nationalisme et du chauvinisme : "«Guerre à l'Amérique» constitue, depuis soixante ans, le seul et unique mot d'ordre de tous les pacifismes" (Robert Redeker, Le Monde, 26/3/03).

Chez les "pro-guerre", "l'anti-pacifisme" désigne l'ennemi au nom de la paix : le rappel incessant de Munich et du passé vichyste de la France (la collaboration de la bourgeoisie française avec l'Allemagne nazi), la mise en évidence des liens et de l'appui de la France et de l'Allemagne avec les dictateurs, met en place lui aussi "l'argumentaire" pour désigner l'ennemi à venir : "Ce néopacifisme planétaire est, par sa violence et son hostilité à l'égard de l'Amérique, un autre discours de la guerre. Il appelle à la mobilisation, au combat, à des formes de guerre. (...) Les néopacifistes transmuent l'Amérique en bouc émissaire de tous les peuples. (...) [l'article se termine sur] les erreurs systématiques des pacifistes et leurs choix en faveur des totalitarismes" (idem).

Un des traits du pacifisme d'aujourd'hui qui apparaît nettement dans les manifestations est qu'il se fait ouvertement derrière les gouvernements en place. L'ambiance qui se dégage de ces rassemblements selon les pays se décline directement en fonction du positionnement du gouvernement concerné, et recoupe dans bien des cas, les perspectives d'alliances impérialistes en cours. Ainsi plus les gouvernements affichent ouvertement une coloration pro-interventionnistes, Grande-Bretagne, Italie, Espagne et plus les manifestations sont massives. Tandis que, dans les pays ou les gouvernements déploient un discours non-interventionniste, et où ils sont facilement présentés comme les "garants de la paix", les voix pacifistes ne font qu'un derrière eux et portent haut et fort la condamnation des Etats-Unis comme "fauteurs de guerre". C'est notamment le cas en France et en Allemagne. De plus, ces rassemblements bénéficient globalement d'un regard bienveillant de l'Etat, quel qu'il soit, qui explique la couverture médiatique massive et favorable qu'ils reçoivent. En quelque sorte, on laisse entendre que ces mouvements par leur caractère massif, populaire, humaniste, peuvent avoir un poids sur le déclenchement ou non de la guerre. Le pacifisme est donc présenté comme le seul contrepoids possible à la guerre.

En décidant de protéger les éventuels déserteurs américains, le Bundesrat (chambre haute du parlement allemand) nous fournit un exemple significatif de l'intervention active des Etats capitalistes dans le développement du pacifisme au service d'un camp impérialiste contre un autre. L'Allemagne protégera les éventuels déserteurs américains : "en cas de guerre, la décision d'entamer des poursuites contre un déserteur devra tenir compte du fait «qu'il refuse catégoriquement de combattre par conviction politique»… ces cas de poursuites contre un déserteur devront être considérées d'autant plus favorablement que l'action militaire à laquelle le déserteur devrait participer, est en infraction avec le droit international" (tiré d'une dépêche AFP du 14/03/2003). Et cette dernière de commenter : "si les Etats-Unis partent en guerre contre l'Irak sans mandat de l'ONU, les déserteurs américains… pourront demander l'asile politique en Allemagne… C'est un motif supplémentaire de friction entre Washington et Berlin".

La bourgeoisie a décidé d'affronter la classe ouvrière par la manière forte tant sur les plans idéologique, politique, économique, et répressif. Si elle salue avec tant de vigueur les manifestations pacifistes, c'est que celles-ci font sont le fer de lance de l'offensive idéologique et politique contre la classe ouvrière.

Les groupes communistes

Les enjeux sont considérables. C'est une bataille politique d'importance cruciale qui est imposée au prolétariat international et à... ses minorités révolutionnaires.

Du point de vue des principes, les groupes communistes ont réagi correctement en dénonçant le caractère impérialiste de la guerre et en appelant la classe ouvrière à la lutte des classes.

D'un point de vue politique et d'analyse, le BIPR et le PCI-Le Prolétaire ont su dès le départ reconnaître la rupture et la gravité de la situation qui s'ouvrait avec le 11 septembre 2001. L'actuel CCI, pour sa part, a échoué à comprendre la signification des événements et, quand il a fini par réussir à appréhender une part de la réalité, il l'a fait contraint et forcé devant la réalité des événements, de manière complètement empirique, avec retard et à moitié [8] . Ses positionnements erronés et "indifférentistes" ont contribué à une intervention particulièrement "timide" - dans les manifestations pacifistes - et défaitiste vis-à-vis de la classe ouvrière - Argentine.

Pour leur part, et avec des forces nettement plus faibles - à tout le moins en France - Bilan et Perspective (BIPR) et Le Prolétaire ont assumé une intervention régulière et une présence politique relativement conséquente pour ce que nous en connaissons (à savoir en Italie, en France, en Grande-Bretagne et au Canada).

Pour notre part, nous avons demandé aux différents groupes, CCI compris, de participer à leur intervention à la seule condition que les prises de position correspondent globalement à nos positions générales. Quand cela n'a pas été possible, nous avons diffusé un tract au nom de notre fraction reprenant des extraits de notre article Une nouvelle période s'ouvre paru dans le bulletin 14.

Du point de vue "organisationnel", de la Gauche communiste autour de laquelle - sans préjuger du processus concret sur lequel les trois principales organisations ont des visions très différentes - devra se constituer le futur parti, le camp internationaliste apparaît à première vue assez dispersé. En particulier, il est assez navrant et triste de voir que la principale organisation, celle qui a le plus de forces militantes au plan international, s'enfonce chaque fois plus dans l'indifférentisme et le sectarisme tournant le dos à ses responsabilités. En même temps, et par un processus en apparence contradictoire mais profondément dynamique, la crise opportuniste ouverte du CCI ouvre la voie à une clarification politique au sein de ce "milieu", dans le camp prolétarien. Ce processus est accéléré par la gravité et les exigences de la situation internationale actuelle qui poussent les groupes communistes sérieux et de nombreux individus "militants" à débattre, à confronter les positions, à revenir sur les acquis de la Gauche communiste sans ostracisme et sans sectarisme, et à se situer et à combattre "ensemble", dans le même sens. Si d'un point de vue formel, le camp prolétarien semble affaibli, d'un point de vue historique et politique, un processus de renforcement et de clarification politiques sur le plan organisationnel encore fragile est en train de naître.

Dénonciation de la guerre impérialiste et défense conséquente de l'internationalisme prolétarien ; intervention et orientation comme avant-garde politique dans les luttes ouvrières ; débat, confrontation et clarification politiques des positions défendues par les différents groupes communistes ; lutte intransigeante et déterminée contre l'opportunisme et le sectarisme, le conseillisme, l'anarchisme et l'individualisme particulièrement en matière organisationnelle ; telles sont les responsabilités militantes de l'heure. Si les révolutionnaires réussissent à les assumer dans une situation qui va devenir de plus en plus dure et difficile, mais qui ouvre aussi la voie à des perspectives de réponses prolétariennes, alors ce processus aujourd'hui naissant qui mène au Parti communiste de demain se renforcera, se développera et s'approfondira.

La fraction


Notes

[Note 1] Cf. nos bulletins 4, 5, 6, 11, 13 et 14.

[Note 2] "C'est aussi une guerre longue, une guerre qui ne s'arrêtera pas à l'Afghanistan mais dont on annonce d'emblée l'ambition de s'attaquer l'un après l'autre à tous ceux que la bourgeoisie US estimera être des Etats voyous et des protecteurs du terrorisme , l'Irak, la Somalie sont les premiers en ligne de mire. (...).Le nouveau pas franchi par les USA qui élargit encore la zone de leur offensive vers l'Est, dans cette région du monde qui n'est plus le Moyen-Orient, mais déjà l'Asie, ne peut que heurter violemment les intérêts des Etats européens continentaux." (Bulletin 4, décembre 2001).

[Note 3] Charles Kupchan qui, outre d'être un distingué professeur universitaire, a été Directeur des affaires européennes au Conseil national de sécurité dans le gouvernement de Clinton après avoir fait partie du Département d'Etat américain dans l'Equipe de planification politique [Policy Planning Staff].

[Note 4] Il faut noter comment, au fur et à mesure que se rapproche l'invasion contre l'Irak, la polarisation devient plus violente, spécialement dans les pays où la bourgeoisie se trouve plus ou moins indécise ou divisée (Italie, Turquie...).

[Note 5] "La guerre contre le terrorisme" est donc vraiment une guerre de la décomposition capitaliste. Alors que les contradictions économiques du système poussent inexorablement à une confrontation entre les principaux centres du capitalisme mondial, le chemin vers un tel affrontement est bloqué et prend inévitablement une autre forme, comme dans le Golfe, au Kosovo et en Afghanistan – celle de guerres dans lesquelles le conflit sous-jacent entre les grandes puissances est "détourné" en des actions militaires contre des puissances capitalistes plus faibles. Dans les trois cas, le principal protagoniste, ce sont les Etats-Unis, l'Etat le plus puissant du monde, qui sont obligés de passer à l'offensive pour empêcher que ne surgisse un rival assez fort pour s'opposer ouvertement à eux, contrairement au processus qui avait conduit aux deux premières guerres mondiales." (Revue internationale 110, Résolution sur la situation internationale, avril 2002). Il est impossible de comprendre quelle est, selon l'actuel CCI, la tendance dominant les rivalités impérialistes aujourd'hui : tendance à la constitution de pôles impérialistes ou "chacun pour soi dans le chaos" ? Mais il est intéressant de relever que, contrairement à ce que dit la résolution adoptée, c'est l'obligation des Etats-Unis de passer "à l'offensive pour empêcher que ne surgisse un rival assez fort pour s'opposer à eux" qui inévitablement accélère en retour - oserons-nous dire "dialectiquement" - l'apparition chaque fois plus affirmée de son rival. Symptomatique du déboussolement et de la confusion, il est intéressant de noter que le mot "décomposition" tend ces derniers temps à disparaître des articles de la presse du CCI. Malheureusement, c'est plus par souci "tactique" et sectaire, afin de ne pas prêter le flan aux critiques générales du camp prolétarien (BIPR et nous-mêmes en particulier) que par clarification politique. Car la vision et la "méthode" d'analyse, idéaliste, reste la même. L'absence totale de référence à cette notion de la part des militants du CCI à la réunion des lecteurs du PCI (cf. compte-rendu dans ce numéro du bulletin) alors qu'elle est le socle de la position du Courant sur la situation internationale en dit long sur l'opportunisme politique et même de comportement du CCI d'aujourd'hui et sur sa "vision" du débat et de la clarification politique.

[Note 6] Est-il besoin ici, que l'on soit en accord ou en désaccord avec les positions "traditionnelles" du CCI, de relever que cette vision liquide sa position sur "le cours historique aux affrontements de classe". Et, est-il besoin de relever que cette vision tend à abandonner la position classique du mouvement ouvrier sur l'impérialisme et la tendance à la formation de blocs impérialistes.

[Note 7] "Combien de temps faudra-t-il pour que de cette concentration d'impérialismes concurrents qu'est l'Europe occidentale émergent les puissances qui se présenteront comme les ennemis des Etats-Unis? Une décennie, deux, trois décennies? Pendant combien de temps les économies des puissances impérialistes pourront supporter les cycles toujours plus aigus de crises de surproduction sans être obligées de se faire la guerre pour se partager le marché mondial? (...)Les facteurs des futurs contrastes inter-impérialistes que les conséquences des attentats, islamiques ou non, tendent à occulter, sont en réalité aujourd'hui à l'oeuvre dans le sous-sol économique; ils préparent les conditions des futurs affrontements militaires dans lesquels les grandes puissances impérialistes seront entraînées, non pour bombarder d'autres pays, mais pour se bombarder entre elles. (...) le véritable enjeu n'est pas la défaite du terrorisme islamiste - dont par ailleurs les Etats bourgeois se sont servis pendant des années et dont ils se serviront encore, non seulement pour la défense de certains réseaux d'intérêts, mais aussi contre le prolétariat: le véritable enjeu est la maturation de nouveaux alignements impérialistes en prévision des conflits futurs. Le véritable enjeu n'est pas la défaite du terrorisme islamiste - dont par ailleurs les Etats bourgeois se sont servis pendant des années et dont ils se serviront encore, non seulement pour la défense de certains réseaux d'intérêts, mais aussi contre le prolétariat: le véritable enjeu est la maturation de nouveaux alignements impérialistes en prévision des conflits futurs." (Le Prolétaire n°459, octobre 2001).

[Note 8] Il est intéressant de noter que c'est bien souvent la presse anglo-saxonne du CCI, Internationalism et World Revolution, qui a réagit le plus correctement sur ces événements, Internationalism réussissant à reconnaître les conséquences impérialistes (opposée au "chacun pour soi") et pour la classe ouvrière dans le 11 septembre et WR reconnaissant, certes après-coup, mais plus tôt que le reste du CCI, des expressions de combativité ouvrière en Argentine. En général, c'est sans doute les publications du CCI qui résistent le mieux, même si c'est largement insuffisant, à la dérive politique et à l'impuissance de l'actuel CCI. Il en est d'autres dont le contenu est particulièrement catastrophique. Nous essaierons d'y revenir dans un prochain numéro.


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