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Comme nous l'avons indiqué dans la présentation de ce bulletin, nous publions une prise de position sur la signification du résultat des élections en Allemagne. Bien que nous n'ayons pas eu le temps de la discuter collectivement, nous estimons important de la publier sans attendre afin qu'elle puisse participer à la réflexion de l'ensemble des forces du milieu politique prolétarien. C'est la raison pour laquelle nous la présentons comme une contribution individuelle.
Les élections en Allemagne viennent de donner un nouveau mandat au SPD pour assumer les responsabilités gouvernementales. Cependant, tous les commentateurs bourgeois ont souligné, à juste raison, que Schroeder a sauvé son fauteuil de justesse ; et, effectivement, ce qui ressort des résultats électoraux c'est que ce sont les Verts qui lui sauvent la mise (ce qui signifie qu'il se trouve dans une situation où, comme jamais auparavant, sa majorité dépend d'eux) et que la CDU-CSU est aujourd'hui le 1er parti d'Allemagne.
Pour comprendre cette situation, il faut répondre à certaines questions :
Pourquoi la bourgeoisie allemande, dont on sait qu'habituellement elle maîtrise parfaitement son jeu politique, accorde-t-elle un nouveau mandat au SPD sans lui donner les meilleures garanties de stabilité ?
Pourquoi a-t-elle, au sein de la coalition de gauche, réduit le poids du SPD et augmenté celui des Verts ?
Pourquoi, alors qu'elle a renforcé de façon importante la CDU-CSU, n'est-elle pas allée jusqu'à lui donner les responsabilités gouvernementales ?
Eliminons d'abord la fausse piste qui nous est indiquée par les médias bourgeois concernant le recul du SPD, consistant à mettre en avant une perte de crédit de celui-ci due à « l'usure du pouvoir » ; ce n'est qu'un argument de circonstance car, aux dires de ces mêmes médias, les verts ont, au contraire, tiré profit de leur passage au pouvoir (la popularité de Fischer). Comme nous le voyons, la bourgeoisie nous propose, dans le même temps, 2 thèses, une pour le SPD et une pour les Verts, qui sont antagoniques et qui se rejettent. Celui qui la suit ne prouve que sa stupidité.
Eliminons ensuite et surtout l'explication selon laquelle la classe dominante vient de montrer qu'elle ne maîtrise pas totalement le jeu électoral parce que, justement dans ce cas-là, elle fait la preuve du contraire. Dans ce pays central du capitalisme, la mascarade électorale est l'occasion pour la bourgeoisie de mettre en place le meilleur dispositif politique possible pour faire face à la situation et aux enjeux qui se présentent à elles.
De la fin des années 1960 jusqu'à aujourd'hui, et contrairement à la politique qui prévalait dans les années 1930, la bourgeoisie mondiale ne s'était pas encore engagée ouvertement dans une politique de marche à la guerre mondiale. Durant toute cette période, ce n'est ni le niveau de la crise économique, ni la nécessité historique, ni les moyens politiques et militaires qui lui ont manqué pour mener cette politique mais la possibilité de l'imposer au prolétariat mondial, en particulier à ses bastions les plus puissants, ceux d'Europe occidentale. Cet obstacle qu'elle avait réussi à lever dans les années 1920 avec la défaite de la vague révolutionnaire, elle ne l'a toujours pas levé aujourd'hui.
Depuis que le prolétariat a mis fin, en 1968, à la période de contre-révolution en reprenant le chemin des luttes, la bourgeoisie n'a jamais réussi à lui imposer de défaite majeure, ni physiquement ni idéologiquement. C'est donc un prolétariat qui conserve toutes ses potentialités de combat auquel elle a à faire face aujourd'hui et c'est en ce sens que nous affirmons qu'elle n'a pas réussi à lever l'obstacle prolétarien. Ce qu'il y a de nouveau et de particulier dans la situation qui s'est ouverte le 11 septembre 2001, c'est le fait que la bourgeoisie, contrairement à ce qu'elle avait fait dans les années 1930, s'engage dans une politique de préparation directe à la 3ème guerre mondiale sans avoir préalablement muselé le prolétariat. La différence entre ces 2 périodes réside d'abord dans la situation de la classe ouvrière, qui n'est pas battue aujourd'hui, et dans l'attitude de la classe dominante ; elle ne réside pas dans une modification qualitative des conditions objectives.
Il faut donc aujourd'hui, à la bourgeoisie, tout faire pour imposer au prolétariat sa politique guerrière, avec tout ce que cela signifie d'acceptation de sacrifices au niveau économique, de campagnes idéologiques patriotiques et belliqueuses les appelant au sacrifice suprême, etc. C'est ce à quoi nous commençons à assister avec les battages idéologiques qui ont fait suite au 11/09, avec les dispositifs politiques qu'elle met actuellement en place dans les pays centraux, avec des équipes pour développer des politiques gouvernementales guerrières décidées et des forces de gauche dans l'opposition qui retrouvent de plus en plus un langage et des pratiques plus adaptés à la lutte des classes afin de dévoyer, de bloquer toute réaction ouvrière qui peut s'y opposer.
Aujourd'hui, la bourgeoisie mondiale, notamment celles des grandes puissances, doit donc apporter des réponses à 2 questions fondamentales : la guerre généralisée comme issue à la faillite de son système d'une part et le prolétariat comme seule obstacle à celle-ci d'autre part ; il lui est impossible d'esquiver la 2ème question si elle veut apporter une réponse définitive à la 1ère.
A travers les dernières élections et la victoire de la coalition SPD-Verts, la bourgeoisie allemande a privilégié la question de la guerre tout en se préparant à la possibilité de répondre, dès que ce sera nécessaire et de la meilleure manière possible, à la question prolétarienne.
- Concernant la politique impérialiste, la coalition SPD-Verts, notamment ces dernières années, a fait la preuve de ses grandes capacités. C'est sous son gouvernement que l'Allemagne a fait ses premières interventions militaires extérieures (Kosovo, Afghanistan), ce qui n'était pas arrivé depuis la fin de la 2ème guerre mondiale. Il s'agit là d'un pas historique et particulièrement significatif de la part de la bourgeoisie allemande qui montre son intention de se doter d'un outil militaire opérationnel et digne de ses prétentions impérialistes de premier plan.
De plus, à la veille des élections, les prises de position de Schroeder et Fischer contre la politique des USA vis-à-vis de l'Irak ont été une nouvelle manifestation, voire une garantie, de leurs capacités à traiter ces questions. Il est donc évident que la bourgeoisie n'avait aucun intérêt à changer une équipe qui lui donne autant satisfaction dans ce domaine cruciale pour elle, une équipe dont elle n'a, pour l'instant, pas besoin pour une autre tâche (le prolétariat).
Nous avons là une confirmation éclatante, de la part d'une bourgeoisie de premier plan, que la situation qui s'est ouverte après le 11 novembre 2001 est bien celle d'une marche à la guerre généralisée. L'Allemagne s'affirme ouvertement comme le principal rival des USA, notamment en se déclarant sans ambiguïté ni réticence contre l'intervention en Irak. La clarté et la détermination de son opposition font qu'elle se démarque de tous les autres rivaux (France, Russie
).
En même temps, elle joue sur le fait que, contrairement à la situation qui prévalait au moment de la guerre du Golfe (1991), la politique américaine est, hormis pour la Grande-Bretagne, loin d'être approuvée, que ce soit chez les grands impérialismes ou chez les moins grands (les pays arabes par exemple). De ce fait, en tant que grande puissance, sa politique impérialiste actuelle, marquée par son opposition aux USA, a toutes les chances d'avoir des échos de par le monde et la fait apparaître naturellement et de plus en plus clairement comme le leader de tous les anti-yankees. C'est une manifestation évidente de la tendance naturelle, dans le capitalisme décadent, à la formation de blocs impérialistes en vue d'une guerre mondiale.
- Concernant la question prolétarienne, il est clair que celle-ci ne se pose pas de façon immédiate et n'oblige pas, aujourd'hui, la bourgeoisie à se doter, dans l'opposition, de forces de gauche importantes. Cependant, il est important de constater que la classe dominante, tout en maintenant ses principaux partis de gauche au pouvoir, se dote d'une configuration qui pourra lui permettre de modifier aisément et rapidement son dispositif politique si la question prolétarienne l'y contraint. En effet, il suffit, par exemple, que les Verts, voire même une toute petite minorité d'entre eux, s'opposent à la politique gouvernementale pour faire basculer la majorité, la faire changer de camp, de permettre à la droite de revenir aux responsabilités et à la gauche de retourner dans l'opposition.
Le résultat des dernières élections en Allemagne n'a rien d'aléatoire. Il montre au contraire que la bourgeoisie de ce pays capitaliste de premier plan a parfaitement intégré les enjeux de la situation, en particulier de celle qui prévaut depuis le 11 septembre dernier.
Jonas, le 28 septembre 2002.
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