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Premiere prise de position sur la résolution
sur la situation internationale proposée à la
Conférence extraordinaire des 30-31 mars 2002

C'est le vendredi 29 mars, veille de la Conférence que les membres parisiens de notre fraction ont reçu le projet de résolution sur la situation internationale, en accompagnement de la lettre du SI qui leur interdisait la participation à cette même conférence. Toujours déterminés à considérer notre combat de fraction comme se situant à l'intérieur du CCI, nous avons décidé de mettre celle-ci à l'ordre du jour de la réunion qu'a tenue notre fraction durant le week-end même du 30 mars. Le texte qui suit est la première partie d'un travail de synthèse élaboré à partir de cette discussion. La seconde partie paraîtra dans un prochain numéro du bulletin de la fraction.
Nous ne pouvons reproduire ici le projet de résolution pour la conférence. Les lecteurs extérieurs au CCI peuvent nous la demander à notre adresse postale ou à notre adresse e-mail. Bien évidemment, nous ne savons pas quels ont été les éventuels amendements à la résolution qui ont pu être adoptés par la conférence. Mais nous pouvons penser que cette résolution sera publiée dans la Revue Internationale du CCI.

La résolution sur la situation internationale proposée à la Conférence des 30-31 mars est une résolution particulièrement centriste, mais d'un centrisme grossier qui parvient très mal à cacher les contradictions qu'elle recèle en son sein. En cela, on peut, dans un certain sens, la saluer finalement, dans la mesure où « le faux est un moment du vrai ». C'est à dire qu'elle peut être utile au CCI pour comprendre qu'il existe dans ses orientations actuelles un certain nombre de problèmes sérieux non résolus qui aboutissent à des affirmations contradictoires et surtout que l'accélération actuelle de l'histoire réelle, de la réalité concrète, ne lui permet plus aujourd'hui de continuer à les ignorer. Elle lui révèle chaque jour un peu plus le caractère insupportable de ces contradictions et la nécessité de les confronter enfin sérieusement.

Armés de notre incurable optimisme, nous sommes convaincus que cette réalité concrète, y inclus le mouvement de notre classe, contraint aujourd'hui le CCI, que la majorité de ses militants en aient immédiatement conscience ou non, à réexaminer sérieusement ces problèmes et ces contradictions. Ceci dit, le faux ne sera effectivement « un moment du vrai » qu'à la condition expresse qu'il existe une volonté de faire ce réexamen, sans ostracisme et notamment sans craindre de nous faire à nous-mêmes cette autocritique impitoyable qui, comme le disait Rosa Luxemburg, est si vitale à la classe ouvrière. C'est pourquoi, ce que ne veut pas, et hélas ne voudra probablement pas, faire le CCI formel tel qu'il est devenu aujourd'hui, il appartient à notre fraction –qui prétend (hé oui) constituer le véritable CCI, la continuité de ses acquis et de sa méthode- de l'assumer. De fait, elle l'assume d'ores et déjà.

Notre fraction a déjà eu l'occasion dans nos bulletins précédents de souligner l'inquiétante tendance existant depuis un certain temps dans le CCI à faire de la « décomposition » l'alpha et l'oméga de toute la réalité qui se déroule sous nos yeux (non seulement du monde qui nous entoure mais aussi de notre propre activité). Présente depuis longtemps en notre sein et déjà identifiée - bien avant l'éclatement de la crise actuelle -par un certain nombre de camarades (y compris des non membres aujourd'hui de notre fraction), cette vision politique a maintenant achevé de prendre complètement le dessus dans le CCI. Elle l'a fait en effet à la faveur du coup d'Etat de la faction liquidationniste en mai dernier, c'est à dire dès lors que plus aucun contre-poids ne pouvait plus s'y opposer dans le cadre normal de la vie de l'organisation. Notre fraction a notamment montré comment cette tendance politique, qui se caractérise par le fait qu'elle théorise l'impuissance, et partant le renoncement au combat, a particulièrement révélé sa faillite devant les événements du 11 septembre et depuis : faillite à appréhender la situation, impuissance à agir en son sein dans un sens révolutionnaire.

La résolution nous donne non seulement l'occasion d'y revenir à nouveau, mais même de poursuivre notre réflexion et d'aller plus loin dans ce travail critique. Et notamment de constater que nous (et ce « nous » désigne ici le CCI comme un tout dont nous sommes toujours partie prenante comme fraction et comme militants individuels) n'avons pas su suffisamment mesurer dans le passé nos propres faiblesses et insuffisances, notre propre centrisme vis à vis de la tendance « démoralisation et impuissance » en notre sein, enfin et plus généralement nos propres manques de méthode dans l'appréhension de la situation, de ses perspectives et de nos tâches en son sein.

L'autocritique impitoyable que le développement réel de l'histoire exige que le CCI se fasse à lui-même aujourd'hui, il l'exige tout autant de nous, et même plus encore, de nous comme fraction interne du CCI. Car, comme toutes les fractions de l'histoire du mouvement ouvrier, nous ne saurions prétendre défendre les acquis programmatiques du CCI aujourd'hui piétinés par sa politique actuelle, sans mener en même temps le travail de bilan critique qui permet de comprendre comment le CCI en est arrivé là.

I . La guerre ? Quelle guerre ?

Plus de la moitié de la résolution est orientée autour d'un axe principal et unique : la démonstration que « une troisième guerre mondiale n'est pas à l'ordre du jour dans un futur proche ».

Pourquoi un tel axe ? Avons-nous donc besoin d'être rassurés sur ce point ? Est-ce vraiment là tout ce dont nous avons besoin pour assumer nos tâches ? Et surtout en quoi cette démonstration nous permet-elle vraiment « de comprendre ce que cette période contient de nouveau et appréhender ainsi la perspective réelle qui s'ouvre aujourd'hui » (point 2) ? Malheureusement la démarche de la résolution ne nous a pas convaincus et notamment elle ne nous a guère éclairés sur « la perspective réelle qui s'ouvre aujourd'hui ». Il nous parait au contraire que c'est là bien plutôt une manière d'éviter de se poser les véritables questions, extrêmement brûlantes, que pose à la classe ouvrière et son avant garde l'évidente politique de fuite en avant dans la guerre sinon de toutes les grandes puissances, au moins de la première d'entre elle, et surtout d'éliminer la question de nos responsabilités dans une telle situation.

Le premier point de la résolution s'attache en pratique à justifier le choix de cet angle d'attaque. Il commençait pourtant bien, c'est à dire en partant des questions réelles (et non pas imaginaires) posées par la situation. En effet, il affirme très justement que « depuis le 11 septembre, la guerre a jeté son ombre sur la terre entière ». A l'appui de ce constat terriblement juste, sont citées la « guerre contre le terrorisme » lancée par les USA non seulement en Afghanistan mais dans toutes les directions de par le monde, la violente poussée des budgets militaires américains et la brutale plongée dans la guerre totale des conflits indo-pakistanais et surtout israélo-palestinien.

Hélas, ici s'arrête aussitôt le constat de la réalité de la guerre qu'est d'ores et déjà en train d'imposer au monde la plus grande puissance impérialiste et de la dimension planétaire (« la terre entière ») de celle-ci. Car immédiatement, la résolution s'empresse de « partir en guerre » contre, non pas cette réalité devant nous, mais contre une « idée », ainsi présentée :

« Dans la période qui a suivi immédiatement le 11 septembre, il y a eu beaucoup de discussions ( ?) sur la possibilité d'une troisième guerre mondiale. Ce terme était utilisé à tout bout de champ dans les médias et était en général associé à l'idée d'un 'clash de civilisations', d'un conflit entre 'l'Occident' moderne et l'Islam fanatique (..). Il y a même eu des échos de cette idée dans certaines parties du Milieu politique prolétarien.. »

La résolution se lance ainsi dans une sorte de « polémique » contre ceux, médias bourgeois ou groupes du MPP confondus (étrange manière de les mettre dans le même sac, d'autant plus sur une question aussi fondamentale en termes de frontières de classe que la guerre impérialiste !), dont le discours évoque –ou pourrait éventuellement évoquer- une troisième guerre mondiale. Ce faisant :

1) La véritable signification de la propagande bourgeoise depuis le 11 septembre est totalement perdue de vue, en tout cas terriblement minimisée. Il est pourtant essentiel pour les révolutionnaires d'identifier et de dénoncer dans les campagnes sur « le clash de civilisations » , sur « le conflit entre l'Occident moderne et l'Islam fanatique » ou sur « la menace terroriste », un des aspects très concrets de cette « guerre qui a jeté son ombre sur la terre entière » : c'est à dire la dimension idéologique d'une politique de guerre voulue et orchestrée par la classe dominante, laquelle a toujours besoin, pour ce faire, de créer dans les populations et parmi les prolétaires « l'ivresse appropriée à la bestialité de ses actes » (). Au lieu de cela, la résolution voit dans cette propagande un « matraquage médiatique sur la troisième guerre mondiale » qu'il s'agirait pour les révolutionnaires de « réfuter » : « D'autres parties du milieu, telles que le BIPR, plus aptes à reconnaître que ce qui se cache derrière la campagne américaine contre l'Islam réside dans le conflit inter-impérialiste entre les Etats-Unis et ses principaux rivaux (...) sont néanmoins mal placées pour réfuter le matraquage médiatique sur la troisième guerre mondiale ».

Autrement dit, il ne s'agirait pas de dénoncer, derrière cette propagande, les vraies raisons de la guerre (ce que font effectivement Il Partito et le BIPR qui assument là leur responsabilité de communistes et d'internationalistes), mais de reprocher à cette propagande qu'elle insinue la possibilité d'une troisième guerre mondiale. Bref, on lui reproche, ni plus ni moins, que « d'exagérer » la gravité de la situation actuelle !!

Pourtant cette propagande est quelque chose de bien REEL, elle n'est que la dimension idéologique de la fuite en avant guerrière, et ce faisant elle est une composante de la politique militariste bourgeoise tout aussi réelle et concrète que le sont les bombardements en Afghanistan, la hausse des budgets militaires et les carnages au Proche Orient. Plus encore, elle constitue la dimension de la guerre qui, par excellence, touche aujourd'hui et concerne directement les prolétaires des pays centraux à qui elle s'attaque ouvertement dans leurs consciences. Et c'est bien sur ce terrain que nous pouvons -et nous devons- aujourd'hui agir comme révolutionnaires et mener le combat contre la guerre, avec nos faibles forces actuelles. Au lieu de cela, la résolution dit : la guerre ? quelle guerre ? Comme si tout cela n'était que faux semblants et comme si notre tâche était, non de combattre sur un terrain de classe contre la guerre, mais de rassurer les prolétaires contre un « matraquage médiatique » qui agiterait une menace sans fondements pour leur faire peur !! On trouve d'ailleurs, un peu plus loin dans la résolution, le constat que « la guerre américaine en Afghanistan a suscité une inquiétude considérable dans la population européenne » (point 5). Cette inquiétude est-elle artificielle, « fabriquée », ou bien est-elle justifiée et fondée ?.

D'un bout à l'autre, la résolution reste ambiguë sur ce point. Ainsi, le « mauvais procès » que fait la résolution à la propagande bourgeoise au point 1 -et son esquive du véritable procès à lui faire- semble malgré tout atténué au point 5 où on lit :« Aux Etats-unis, l'atmosphère de chauvinisme a submergé toutes les classes sociales et a été adroitement utilisée (?) par la classe dominante, non seulement pour déclencher à court terme sa 'guerre contre le terrorisme' mais pour développer une politique à plus long terme (souligné par nous) en vue d'éliminer le prétendu (pourquoi 'prétendu' ?) 'syndrome du Vietnam' c'est à dire la réticence de la classe ouvrière américaine à se sacrifier directement pour les aventures impérialistes ..» . Cependant, non seulement on semble dire que « l'atmosphère de chauvinisme » serait un phénomène contingent que la classe dominante se serait contentée « d'utiliser adroitement » (alors que c'était bien là une politique voulue de sa part !), mais, juste après, on ne reconnaît les « avancées idéologiques du capitalisme américain » que pour mieux les évacuer aussitôt, en clamant que « néanmoins, elles ne représentent pas une défaite historique pour la classe ouvrière ». C'est à croire que la seule question qui nous intéresse est de savoir si la classe ouvrière est « déjà défaite » ou bien « pas encore défaite » et non pas de nous placer nous même comme les protagonistes d'un combat qui est devant nous, qui n'est ni gagné ni perdu d'avance et qui nous est imposé, comme il est imposé à notre classe par l'offensive extrêmement concrète que mène la classe dominante contre elle.

On nous dira encore qu'on trouve au point 6, l'idée que « une troisième guerre mondiale n'est pas à l'ordre du jour dans le futur proche, mais ce n'est pas une source de consolation. Les événements du 11 septembre ont engendré un fort sentiment qu'une apocalypse est imminente ». Voilà qui est révélateur ! Les révolutionnaires ne sont là ni pour « inquiéter » ni pour « consoler » (deux formes symétriques de résignation à l'état de choses existant) mais pour se placer à l'avant-garde de la lutte prolétarienne contre l'ordre capitaliste. Ce qu'ils ont à faire particulièrement c'est donc bien de voir dans l'accélération actuelle de l'histoire, y compris et particulièrement de la guerre, un MOTIF DE LUTTE, DE PRISE DE CONSCIENCE ET DE RADICALISATION pour notre classe et de se placer à l'avant-garde de ce mouvement. Nous reviendrons dans la seconde partie de ce texte sur ce point 6 tout entier, mais hélas il faut bien déjà constater que la résolution ne fait que théoriser le renoncement à cette tâche d'avant-garde.

2) Non contente d'éviter de s'attaquer de manière révolutionnaire à la propagande bourgeoise, la résolution, en quête de moulins à vent à combattre, s'en prend donc au milieu politique prolétarien. C'est ainsi que les prises de position du milieu sont caricaturées pour les besoins de la croisade contre « l'idée de la guerre mondiale ». Ainsi, le tract du PCI (Il Partito) qui dénonce dans les justifications idéologiques actuelles autour des « croisades religieuses », le même besoin de bourrage de crânes qui fut nécessaire aux deux guerres mondiales, est cité pour tenter de ridiculiser les bordiguistes et les accuser de se « faire l'écho » des « idées des médias » !! On leur cherche querelle pour un mot, une formule qui, parce qu'elle fait le parallèle avec les deux premières guerres mondiales, parle de « la troisième », sans se préoccuper de savoir ce que le PCI (qui a certainement remarqué, comme tout le monde, que les GI's américains ne s'apprêtent pas à débarquer en Normandie demain matin !) met dans ce mot et en faisant mine d'ignorer tout ce que ce parallèle a de profondément juste du point de vue de la tâche de dénonciation de la propagande bourgeoise actuelle. Quant aux analyses du BIPR, elles sont carrément déformées, on lui prête « une tendance à penser (souligné par nous) que les blocs impérialistes qui mèneraient une troisième guerre mondiale sont déjà formés aujourd'hui », ce qui est un pur procès d'intention, totalement absurde là aussi et contredit par n'importe quelle lecture sérieuse des écrits du BIPR . On ne concède au BIPR son « aptitude à reconnaître que ce qui se cache derrière la campagne américaine contre l'Islam réside dans le conflit inter-impérialiste entre les Etats-Unis et ses principaux rivaux », que pour mieux lui dénier aussitôt toute validité en le jugeant «  mal placé pour réfuter le matraquage médiatique sur la 3eGM » !! Au fait, notre résolution est-elle vraiment claire de son côté que c'est bien dans la rivalité entre les USA et les Etats européens que réside la véritable cause de la guerre actuelle ? On va voir plus loin qu'elle est au contraire des plus confuses et contradictoires à ce sujet.

II. L'absence aujourd'hui de blocs militaires constitués est-elle un « obstacle à la guerre mondiale » ? Ou bien seulement un moment particulier dans le processus réel de la guerre impérialiste, y compris dans la dimension mondiale de ce processus ?

Le point 4 soulève la question de l'absence de blocs militaires aujourd'hui, toujours avec l'objectif explicite d'en faire un argument contre « l'idée d'une troisième guerre mondiale dans un futur proche ». De fait, ce point révèle de sérieux problèmes de méthodes ().

Trois explications, mises au même niveau, sont données au fait qu'on n'ait pas vu, depuis 89, se reconstituer une bipolarisation du monde en deux blocs. Elles ne sont pas vraiment nouvelles et il est vrai que le CCI les a mises de nombreuses fois en avant. Cependant, et justement parce que l'accélération de l'histoire nous contraint à  une plus grande exigence de rigueur, il nous paraît important aujourd'hui de les réexaminer attentivement :

Une chose saute aux yeux, (et la « guerre au monde » ouvertement déclarée par les USA aujourd'hui n'est certainement pas étrangère au fait que cela nous soit plus évident aujourd'hui qu'hier) : parmi ces trois « raisons », la seconde est fondamentale ! Elle constitue LA clé - incontournable pour le moment- qui caractérise les rapports de forces impérialistes actuels. Dès lors, il nous faut immédiatement nous poser la question suivante : qu'apportent à la démonstration les deux autres « causes » mises en avant ? Nous permettent-elles réellement de mieux comprendre le caractère « nouveau » de la situation ? Sont-ce elles qui font de la période actuelle quelque chose de vraiment inédit ? Que nous apprend l'histoire sur ce plan là ?

1) Commençons par la « troisième raison » qui nous est donnée : « la formation de blocs impérialistes requiert aussi une justification idéologique, surtout dans le but de faire marcher la classe ouvrière. Une telle idéologie n'existe pas aujourd'hui ». Et on précise plus loin : « le problème pour l'Amérique et ses principaux rivaux, c'est qu'ils partagent la même idéologie 'démocratique', ainsi que l'idéologie qui s'y rattache selon laquelle ils sont alliés plutôt que rivaux». Autrement dit, quelles que soient la réalité bien matérielle des « tensions grandissantes entre les Etats-Unis et leur principaux rivaux » (évoquées quelques lignes plus haut au deuxième tiret du même point 4), voilà que celle-ci serait entravée par « l'idée » ! Et notamment « l'idée qu'ils sont alliés plutôt que rivaux » serait plus forte que cette rivalité même ! Voilà une belle concession à la vision bourgeoise qui explique l'histoire par l'idéologie alors que c'est au contraire, pour un marxiste, l'histoire des rapports matériels réels qui donne naissance aux superstructures idéologiques. D'ailleurs, comme le reconnaît la résolution elle même un peu plus loin, la propagande anti-US est bel et bien déjà à l'œuvre en Europe comme reflet idéologique de l'opposition d'intérêts entre les Etats européens et Washington. Il n'y a pas là de « difficulté particulière » pour les bourgeoisies européennes, leur seule « difficulté » n'est autre que le fait que les Etats européens n'ont pas aujourd'hui –pas encore- les moyens militaires d'une politique ouvertement anti-américaine et c'est bien pourquoi ils n'y ont pas, pour le moment, immédiatement intérêt. Ce qui ne les empêche pas de faire valoir leur opposition sur les plans de la diplomatie comme de la propagande et de la préparation de leur « opinion publique ».

De plus, cette insistance sur le « manque de ciment idéologique » montre que nous sommes quelque peu prisonniers dans le CCI d'un « schéma » qui n'envisage la question de la guerre mondiale qu'uniquement dans les termes où elle s'était posée à notre génération, née après la seconde guerre mondiale : celui du règlement de compte généralisé entre les deux blocs militaires qui se sont cristallisés dans le prolongement direct de l'armistice de 1945 et qui furent stables ( au moins en ce qui concerne les zones centrales de la planète) pendant plus de 40 ans.

Evidemment, pour l'histoire bourgeoise officielle, le fondement du « conflit Est-Ouest » depuis la seconde guerre mondiale était le conflit idéologique entre « communisme » et « capitalisme ». Mais nous savons, nous, que ce n'était que l'apparence des choses et que l'efficacité et la « durabilité » de cette justification idéologique avaient des causes historiques bien particulières et constituaient le prix fort de la défaite de la vague révolutionnaire et des décennies de contre-révolution stalinienne. En vérité, toute l'histoire montre que la forme que prend la justification idéologique des alliances militaires et des guerres impérialistes est quelque chose de purement contingent et variable, tandis que leur cause réelle reste fondamentalement la même : les intérêts capitalistes bien compris des différents Etats qui se font concurrence jusqu'au point où la contradiction ne peut se résoudre que dans le heurt violent de l'affrontement militaire. Ensuite, l'histoire nous montre également que, ni la première ni la seconde guerre mondiale n'ont eu besoin de passer par l'étape de blocs durables, solidement cimentés idéologiquement et se dressant l'un contre l'autre durant des décennies pour éclater (). Par contre les deux blocs, soviétique et occidental, tout « cimentés idéologiquement » qu'ils étaient, ont finalement réglé leurs comptes sans guerre mondiale, mais à travers la succession des conflits périphériques de la guerre « froide », dont les Etats-Unis sortirent vainqueurs et l'URSS exsangue et en miettes. Raison de plus pour douter de l'argument selon lequel il faudrait voir dans l'absence « d'opposition idéologique » entre l'Europe et l'Amérique un facteur rendant impossible une troisième guerre mondiale.

2) Examinons maintenant la « première explication ». Elle affirme « ce facteur (le chacun pour soi) s'est principalement affirmé à cause du besoin impératif pour les grandes puissances de l'ancien bloc occidental de se libérer de la domination américaine ; mais il a aussi joué contre la possibilité que se forme un nouveau bloc ayant une cohésion contre les USA »

En vérité, le problème avec la formule « chacun pour soi » c'est que, alors qu'elle se voulait seulement au début une formule décrivant un certain nombre de phénomènes constatables depuis 1989, elle est maintenant devenue dans notre langage un « facteur », autrement dit une catégorie autonome constituant LA « cause mystérieuse » des dits phénomènes. De plus, nous avons fini par oublier que le « chacun pour soi », (si on le comprend dans le sens des motivations de la politique capitaliste), est en vérité une constante du capitalisme, lequel est par essence dominé par la concurrence entre capitaux privés puis entre Etats-nations concurrents. Aucun bloc, alliance ou regroupement de forces impérialistes dans l'histoire n'a été motivé par des raisons altruistes, mais bien par ce « chacun pour soi », c'est à dire qu'ils ont toujours constitué, dans des circonstances données, la meilleure –sinon la moins pire- manière pour chaque Etat impérialiste de défendre SES PROPRES intérêts.

Il y a eu dans le CCI une inversion de sens (qui s'est probablement imposé à nous insensiblement sans que nous en prenions clairement conscience). Alors que les phénomènes de « chacun pour soi » ne sont QUE la manifestation de l'absence de blocs à un moment donné, on en a fait une cause, et même LA cause !. En vérité, le concept de « la disparition des blocs » d'une part et celui de « chacun pour soi » pour caractériser les années 90 d'autre part, ne font que désigner la même réalité objective : le constat que chaque puissance impérialiste, grande ou petite, joue sa propre carte -y compris si cela s'oppose à celle de ses alliés anciens ou potentiels. Ce fait là n'est ni la « cause » de l'absence actuelle de blocs ni même la « conséquence » de la disparition du bloc US : il n'est pas autre chose que cette disparition même, comme conséquence de l'écroulement du glacis de l'URSS.

Lorsqu'il y a plus de dix ans, l'écroulement de l'empire stalinien eut lieu, nous avons eu raison de dire que celui-ci allait entraîner l'éclatement du bloc occidental en remettant sur le tapis l'ensemble des conflits tous azimuts qui divisaient déjà les différents Etats impérialistes mais qui restaient jusqu'alors plus ou moins contenus par la nécessaire discipline face à l'ennemi commun. Mais nous avons également eu raison de dire alors que c'est dans le développement de ces conflits « libérés » des anciennes structures, que se ferait le processus –inscrit dans la nature guerrière du capitalisme décadent – vers des nouvelles alliances impérialistes et vers une nouvelle bipolarisation du monde.

C'est pourquoi, autant c'est une lapalissade de dire que le « chacun pour soi » ne fait « qu'exprimer le besoin des puissances de l'ancien bloc occidental de se libérer de la domination américaine », autant dire que c'est ce même « chacun pour soi » (passant brutalement du statut de 'manifestation d'un besoin' à celui de 'cause'), qui entraverait à son tour la création d'une alliance impérialiste anti-US est une absurdité. Car, ce que nous montre, de manière particulièrement crue, la situation actuelle, c'est que c'est exactement le contraire qui est vrai : pour chaque puissance européenne, asiatique ou autre, quelle que soit la conscience qu'elle en a aujourd'hui et qu'elle en ait ou non les moyens matériels dans l'immédiat, il n'y a qu'un moyen, qu'une voie pour pouvoir efficacement défendre ses intérêts particuliers contre la surpuissante domination américaine : s'allier avec les autres pour former un bloc anti-US.

Ce processus est évidemment contradictoire, comme toute réalité en mouvement –ce que nous devrions pourtant savoir si nous n'avons pas oublié le marxisme et le caractère dialectique de tout mouvement réel-. Il exige que chaque Etat assume que ses rivalités avec les autres puissances voisines (par ex entre puissances européennes) passent au second plan par rapport à celle avec les USA, mais tous les processus de formation de blocs dans l'histoire n'ont été que cela : des moments de « résolution » d'un certain nombre de contradictions pour donner naissance à de nouvelles contradictions, celles qui opposent les blocs et alliances nouvellement formés !! Rien de réellement nouveau ici.

En effet, comment ne pas être saisis en relisant les lignes suivantes, rédigées en 1915 et qui ont aujourd'hui presque 90 ans :

« Ces événements, qui se succédèrent coup sur coup, créèrent de nouveaux antagonismes en dehors de l'Europe : entre l'Italie et la France en Afrique du Nord, entre la France et l'Angleterre en Égypte, entre l'Angleterre et la Russie en Asie centrale, entre la Russie et le Japon en Asie orientale, entre le Japon et l'Angleterre en Chine, entre les États-Unis et le Japon dans l'océan Pacifique - une mer mouvante, un flux et reflux d'oppositions aiguës et d'alliances passagères, de tensions et de détentes, au milieu de laquelle une guerre partielle menaçait d'éclater à intervalle régulier entre les puissances européennes, mais, chaque fois, était différée à nouveau. Dès lors, il était clair pour tout le monde :

        1° Que cette guerre de tous les États capitalistes les uns contre les autres sur le dos des peuples d'Asie et d'Afrique, guerre qui restait étouffée mais qui couvait sourdement, devait conduire tôt ou tard à un règlement de comptes général, que le vent semé en Afrique et en Asie devait un jour s'abattre en retour sur l'Europe sous la forme d'une terrible tempête, d'autant plus que ce qui se passait en Asie et en Afrique avait comme contre-coup une intensification de la course aux armements en Europe.

        2° Que la guerre mondiale éclaterait enfin aussitôt que les oppositions partielles et changeantes entre les États impérialistes trouveraient un axe central, une opposition forte et prépondérante autour de laquelle ils puissent se condenser temporairement. Cette situation se produisit lorsque l'impérialisme allemand fit son apparition. » (Brochure de Junius, chap III – pp 58-59 de l'Edition Spartacus 1994, les passages sont soulignés par nous)

Comme quoi « la guerre de tous les Etats capitalistes les uns contre les autres » n'est pas un phénomène « inédit » de l'histoire, qui serait propre à la phase actuelle du capitalisme. Comme quoi ceci ne constitue nullement un 'frein' à la guerre mondiale mais n'en est au contraire qu'un moment qui « doit conduire tôt ou tard à un règlement de comptes général », lequel ne peut éclater qu'au moment où « les oppositions partielles et changeantes entre les États impérialistes trouvent un axe central, une opposition forte et prépondérante autour de laquelle ils puissent se condenser temporairement ».

S'il est un facteur qui s'oppose à un tel processus aujourd'hui, ce n'est pas que les différences d'intérêts entre France et Allemagne par exemple soient, dans l'absolu, « trop fortes », ou à cause de ce mystérieux « chacun pour soi » qui en bloquerait les progrès, c'est ce qui est dit au second tiret : l'ENORME SUPERIORITE MILITAIRE AMERICAINE. C'est uniquement relativement à cette supériorité militaire écrasante des USA, que cela peut avoir un sens d'évoquer le poids des divergences existant entre la France, l'Allemagne et l'Angleterre et non pas « dans l'absolu » et « définitivement ». Devant une telle supériorité, une alliance militaire de l'Europe qui soit ouvertement dirigée contre les USA (en apportant par exemple un soutien militaire ouvert aux camps anti-américains sur les champs de bataille du Proche et du Moyen Orient) n'aurait dans l'immédiat aucune chance de faire le poids. Ce serait aller au casse-pipe garanti et cela toutes les puissances, autant que les USA, le savent bien. Voilà l'élément qui donne à la situation actuelle son caractère inédit. Et cette réalité incontournable n'est pourtant elle-même qu'un moment d'un processus, dont il ne s'agit pas de prédire s'il se réalisera ou pas, mais seulement de reconnaître, clairement et sans tourner autour du pot, qu'il est à l'œuvre.

Car, l'élément qui contredit (contradiction dialectique) la tendance à la formation d'un bloc militaire européen est en vérité celui-là même qui lui donne naissance et la nourrit. En effet, plus les USA s'affirment comme seule puissance contre toutes les autres confondues, plus ils le font sur le terrain de la violence militariste, et plus ils poussent celles-ci à donner naissance à une force unie opposée à la leur et qui puisse y répondre sur ce même terrain, c'est à dire à une alliance militaire anti-US. L'affirmation d'un intérêt, plus elle est forte et violente et plus elle pousse au développement de son contraire : en l'occurrence ici un bloc européen se renforçant sur le plan politique et impérialiste et surtout s'ARMANT. Il est d'ailleurs regrettable que, concernant la course aux armements, la résolution s'en soit tenue au seul constat de la hausse des budgets militaires US, car sur ce plan là, nous pouvons voir d'ores et déjà des éléments qui montre que l'Europe est contrainte d'y répondre par une avancée sur le terrain de la défense européenne : avion de transport européen, moyens satellites d'information, GPS européen...

Il faut cependant reconnaître à la résolution un éclair de lucidité quant à ce processus réel. En effet, on y lit au point 10 : « Toute cette situation renferme la potentialité d'un développement en spirale hors de contrôle (), forçant les Etats-Unis à intervenir toujours plus pour imposer leur autorité mais multipliant les forces qui sont prêtes à se battre pour contester cette autorité. Cela n'est pas moins vrai quand il s'agit des principaux rivaux des Etats-Unis. La « guerre contre le terrorisme » a déjà eu pour résultat une terrible aggravation des tensions entre les Etats-Unis et leurs alliés européens ». Et un peu plus loin : « Nous pouvons voir dans tout cela une nouvelle manifestation de la tendance à la formation de blocs impérialistes autour de l'Amérique et de l'Europe ». Il faut donc attendre le point 10 pour que la chose soit dite, mais... c'est pour ajouter aussitôt : « Pour les raisons données plus haut, les contre-tendances sont en progression. » Et patatras ! Voilà la catégorie « chacun pour soi » qui revient à la charge et, par la seule force de son invocation, détruit l'effort de compréhension matérialiste dialectique qui se faisait timidement jour.

III. Les fondements de la fuite en avant actuelle dans la guerre : crise et concurrence entre Etats capitalistes ou bien « décomposition » et « chaos » ?

La résolution consacre un point (le point 3) à la crise économique. Il est, lui aussi, axé autour de la fameuse question de la « non troisième guerre mondiale dans le futur proche ». Ce qui l'amène tout d'abord à se contredire quelque peu, mais ensuite, à révéler, malgré lui peut-être, l'aspect central de la situation présente et notamment de la fuite en avant actuelle dans la guerre. On y trouve successivement les affirmations suivantes :

        1) tout d'abord que même si « les conditions requises pour une troisième guerre mondiale n'existent pas dans le futur proche », pourtant « ce n'est pas le cas au niveau de la crise économique mondiale ». Autrement dit, au niveau de la crise, les conditions de la guerre mondiale sont réunies. Idée qui est reprise plus loin au début du point 4 sous la forme « au niveau de la seule crise économique, le capitalisme aurait pu aller à la guerre pendant les années 80 ».

        2) que « Finalement,(..) la (seconde) guerre mondiale, malgré la rançon de mort (..) et de destruction(...), a pu encore produire un bénéfice apparent(...) : une longue période de reconstruction », tandis que « une troisième guerre mondiale signifierait la destruction de l'humanité, ni plus ni moins »

        3) que « contrairement aux années 30, l'attaque de la crise n'a pas eu comme résultat immédiat une politique de 'chacun pour soi' au niveau économique, chaque pays se retranchant derrière des barrières protectionnistes. Cette réaction avait sans doute accéléré la course à la guerre à cette époque »

        4) que « la bourgeoisie proclame assez souvent qu'elle a tiré les leçons des années 30 et qu'elle ne permettra plus jamais à une guerre commerciale de dégénérer directement en guerre mondiale entre les plus grandes puissances. » et que « il y a une étincelle de vérité dans cette affirmation, dans la mesure où la stratégie du « management » international de l'économie a été maintenue malgré toutes les rivalités nationales-impérialistes entre les grandes puissances »

        5) que « Néanmoins, (...) l'horizon s'obscurcit et le futur de l'économie mondiale devient plus incertain chaque jour, ce qui ne peut qu'aiguiser les rivalités impérialistes »

        6) Et notamment que « la position extrêmement agressive que les Etats-Unis ont adoptée à présent est certainement liée à leurs difficultés économiques (souligné par nous). Les Etats-Unis, avec leur économie mal en point seront de plus en plus obligés de recourir à la force militaire pour maintenir leur domination sur le marché mondial ». Et qu'enfin « la gestion bourgeoise « globale » de la crise économique est donc extrêmement fragile et sera minée de façon croissante par les rivalités à la fois économiques et militaro-stratégiques »

Il ressort des idées 1 à 4 que bien qu'on pense que la crise est depuis longtemps suffisamment grave pour pousser les principaux Etats capitalistes dans la guerre mondiale, en fin de compte, cela n'était pas si vrai que cela puisque :

        - la bourgeoisie n'y a pas tellement intérêt car, contrairement à la seconde guerre mondiale, elle ne peut pas espérer y gagner ne serait-ce que le « bénéfice apparent de la reconstruction ».

        - dans les années 30, c'est le « chacun pour soi économique » qui a précipité la course à la guerre. Au contraire aujourd'hui, il existe un 'management international' de la crise qui a permis d'éviter que « la guerre commerciale ne dégénère directement en guerre mondiale entre les plus grandes puissances ».

Passons sur la question de savoir si la bourgeoisie des pays centraux se préoccupe vraiment du risque de destruction de l'humanité contenu dans une nouvelle guerre mondiale. Passons également sur l'étrangeté qui fait que la catégorie « chacun pour soi » appliquée au « terrain économique » et aux années 30 est considéré ici comme un « facteur de guerre mondiale », tandis qu'elle devient au point 4 un « obstacle à celle-ci » lorsqu'on l'applique au « terrain impérialiste » et à la période actuelle (cf plus haut).

Ce qui est par contre important dans ce point 3 et qui nous semble tout à fait juste, c'est le constat implicitement fait que les ravages de la crise n'ont en effet jusqu'à présent pas encore atteint le niveau où ils ne laissent aux principales puissances du monde pas d'autre issue, pas d'autre politique qu'un règlement de comptes généralisé. Il nous parait important de faire ce constat aujourd'hui, car il permet notamment de sortir la question du lien entre la crise et la guerre du domaine abstrait et statique dans lequel nous avons tendance à le cantonner dans le CCI et qu'exprime la formule quelque peu simplificatrice « au niveau de la seule crise économique, le capitalisme aurait pu aller à la guerre pendant les années 80 ».

Ce constat est juste, dans la mesure justement où il est dynamique et concret et notamment parce qu'il veut dire :

        - que la crise est bien à l'origine des conflits militaires toujours plus sanglants qui ravagent la planète depuis trente ans. C'est bien ce qu'on a vu avec l'URSS, qui, pris à la gorge par sa faillite économique n'avait pas d'autre choix que les aventures militaires dont notamment l'Afghanistan fut le chant du cygne. Mais c'est également ce qu'ont manifesté, à leur échelle, l'Irak envahissant le Koweït, l'Argentine investissant les Malouines et aujourd'hui Israël se lançant dans l'anéantissement de l'entité palestinienne, pour ne citer que quelques exemples. Enfin, dans tous les conflits de la périphérie, l'implication des grandes puissances elles-mêmes était bel et bien liée à leurs intérêts impérialistes, eux mêmes stratégiquement (sinon mécaniquement et immédiatement) déterminés par la rivalité entre leurs capitaux nationaux concurrents, rendue plus aiguë par la crise.

        - que cette même crise, malgré tout le « management » international des principaux Etats et malgré toute la politique consistant depuis 30 ans à en renvoyer les effets les plus brutaux et les plus dramatiques à la périphérie (y compris dans ses conséquences guerrières), va et EST DEJA en train de revenir avec violence au cœur du capitalisme et avec elle l'intensification de la concurrence économique et son cortège d'aiguisement des rivalités impérialistes, et donc de militarisme et de fuite en avant dans la guerre. C'est cela qu'expriment en fait les idées 5 et 6. Et notamment, nous ne pouvons que saluer ce passage que nous soulignons de la résolution : « la position extrêmement agressive que les Etats-Unis ont adoptée à présent est certainement liée à leurs difficultés économiques » , passage qui met le doigt sur un fondement essentiel de l'accélération actuelle de la situation, tout comme il faut saluer ce qui suit à savoir que « avec leur économie mal en point, les USA seront de plus en plus obligés de recourir à la force militaire pour maintenir leur domination sur le marché mondial ».C'est donc bien leurs marchés et la profitabilité de leur capital national que défendent en dernière instance les USA par leur politique d'agressivité militaire, tout comme avant eux l'Allemagne nazie ou l'URSS défendant son glacis.

Las, ce début de clairvoyance s'arrêtera là, tout comme s'arrête là toute considération sur la crise et sur les contradictions inhérentes au mode de production capitaliste comme moteur de l'histoire présente et à venir.

La suite de la résolution en effet n'a de cesse d'introduire toutes sortes de considérations qui ont en commun l'idée que la guerre actuelle (celle qui se déroule sous nos yeux) est nourrie par une autre dynamique que celle de la crise. Quelques exemples :

* Au point 4, on découvre avec surprise que Ben Laden est un « seigneur de guerres impérialistes » qui « cherche à jouer un rôle mondial » en « défiant la politique américaine » et que c'est là une « nouvelle confirmation » de la « force de la tendance au chacun pour soi ». C'est à croire que l'auteur de la résolution croit vraiment au mythe de « l'ennemi public n°1 » fabriqué pour les besoins du militarisme US ! La guerre contre le terrorisme et la lutte contre le « seigneur de la guerre » Ben Laden, seraient-elles finalement la véritable raison d'être du militarisme américain ? En tout cas, voilà où mène la thèse de la « force mystérieuse du chacun pour soi » : à reproduire tout simplement la propagande bourgeoise et à apporter sa petite caution à l'idéologie dominante ! C'est plus qu'inquiétant ! ()

* Les points 6 et 7 amènent l'idée que la guerre impérialiste de l'époque actuelle serait au fond d'une nature différente, du fait de la « phase de décomposition » et participerait de « dangers nouveaux et plus insidieux, ceux d'une descente graduelle dans le chaos et l'autodestruction ». « Dans un tel scénario », nous dit-on encore, « la guerre impérialiste (…) serait toujours le principal cavalier de l'apocalypse, mais il chevaucherait au milieu de famines, de maladies, de désastres écologiques à l'échelle planétaire et de la dissolution de tous les liens sociaux. » Ici tout lien avec la crise et les contradictions économiques du capitalisme a brutalement disparu ! La crise elle-même et son cortège de misère sociale ne fait apparemment pas partie du « décor » dans lequel chevauche ce « cavalier ». Et encore moins, bien sûr, la lutte des classes ! Nous reviendrons plus loin sur ce point 6 (et sur le fait que c'est malheureusement le CCI qui est aujourd'hui engagé dans un 'insidieuse' dérive : celle du renoncement théorisé à tout combat de classe). Disons déjà que la logique de raisonnement consiste à nier que ce soient bien les contradictions économiques du système qui le pousse dès aujourd'hui dans la guerre, au profit de l'idée que les guerres actuelles, en prenant une 'autre forme' que l'affrontement direct entre les grandes puissances, suivraient de ce fait une « logique de chaos » incontrôlable. Elles ne sont plus déterminées par la crise et par la politique des Etats capitalistes pour défendre leurs intérêts bien compris face à celle-ci, mais par la « décomposition », posée à son tour (comme pour le « chacun pour soi ») comme une force mystérieuse déterminant le cours des événements.

* Au point 9, on trouve également le passage suivant « Si, la 'guerre contre le terrorisme' révèle le besoin impératif pour les USA de créer un ordre mondial qui serait entièrement et pour toujours aligné sur leurs intérêts militaires et économiques, elle ne peut échapper au destin de toutes les autres guerres de l'époque : être un facteur supplémentaire de l'aggravation du chaos mondial, à un niveau beaucoup plus élevé cette fois que les guerres précédentes ». Ce passage introduit l'idée que les Etats-Unis auraient la louable intention de lutter contre le chaos, mais que, hélas, leur action ne fait que l'aggraver. Sans s'en rendre compte probablement, l'auteur de la résolution se retrouve à dire quelque chose qui n'est pas très différent de toute la propagande qu'on entend en Europe : « les USA ont raison de déclarer la guerre au terrorisme, mais ils s'y prennent de telle sorte qu'ils ne font que le nourrir ». L'erreur du raisonnement vient de ce qu'on s'imagine que les Etats-Unis « veulent créer un ordre mondial » ; or, même en précisant qu'ils le veulent « aligné sur leurs intérêts », cela ne change rien au fait que les Etats-Unis se fichent bien des catégories morales « ordre » et « désordre ». Dire que « En Afghanistan, l'intervention des Etats-Unis n'a rien fait pour stabiliser le pays » est un doux euphémisme ! On s'imagine donc que c'était leur but ? Idem concernant le Proche-Orient où on nous dit que « leur soutien à la politique ultra agressive d' Israël vis à vis de l'Autorité palestinienne a contribué finalement à enterrer le processus de paix d'Oslo », comme si on ne voulait pas voir que ce sont bel et bien les Etats-Unis qui ont effectivement décidé d'enterrer le processus d'Oslo ! Et pourquoi cela ? Parce que, effectivement, parmi les grandes puissances capitalistes du monde, ce sont aujourd'hui les Etats-Unis qui sont le plus acculés à la solution militaire par l'intensification de la concurrence mondiale et notamment par la mise en cause de leur position économique dominante par les autres puissances, et particulièrement l'Europe.

Voilà comment la résolution « découvre » que le militarisme provoque des destructions et du « désordre », que la guerre est une politique qui non seulement a des implications concrètes en termes de « chaos » et de destructions provoqués par ses propres armées mais une politique qui s'expose également aux dégâts produits par la riposte des autres protagonistes ! Et elle s'imagine qu'il s'agit là d'un phénomène nouveau, explicable seulement par « la décomposition » ? Non seulement l'histoire des guerres du 20e siècle ne montre que cela, mais c'était déjà vrai dans toutes les guerres de l'histoire ! Au 20e siècle, la terrible puissance de feu et surtout l'étroite interdépendance géostratégique de toutes les régions du monde a seulement donné au phénomène un caractère encore plus étendu, violent et destructeur, mais cela n'a pas attendu la « phase de décomposition » pour être vrai. Et surtout, aujourd'hui comme hier, cela ne change strictement rien aux CAUSES de la guerre qui résident toujours dans la crise des rapports de production capitaliste !

Dans la suite de ce texte, nous aborderons la question du « cours historique », autrement dit des perspectives de la situation présente. Nous reviendrons sur les implications pour les révolutionnaires de l'actuelle accélération de l'histoire qui représente une confirmation- plus claire que jamais- de la perspective d'affrontements de classes décisifs. Nous aborderons également quelques conclusions provisoires sur la nature opportuniste de la dérive dans laquelle est entraînée notre organisation.


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