Home | Bulletin Communiste FICCI 9 | 

CONTRIBUTION SUR LES GROUPEMENTS, TENDANCES ET FRACTIONS

Le texte qui suit est une réponse à l'article publié dans la Revue Internationale 108 (février 2002) du CCI. Ecrit alors que nous étions encore dans le CCI – même si nombre d'entre nous, étions déjà suspendus et que tout contact militant ou personnel avec nous était déjà interdit aux militants -, cet article sert à justifier théoriquement, "historiquement", le refus de reconnaître notre fraction au sein du CCI et notre exclusion à venir. Notre réponse démonte pierre par pierre l'argumentation de l'article qui n'est qu'un article de circonstance : "Les lecteurs auront compris qu'il existe une fraction interne dans le CCI aujourd'hui. Mais il faut dire tout de suite que cette fraction n'est même pas reconnue contrairement à ce que mettent en avant les statuts du CCI. Pourquoi ? Parce que, selon la direction actuelle, cette fraction n'est pas une véritable fraction. En effet, elle ne rentre pas dans le schéma développé dans l'article de la dernière Revue Internationale (nous avons vu qu'il n'avait aucune justification dans l'histoire du mouvement ouvrier). Mais aussi parce que cette fraction ne serait qu'un "clan". C'est une notion nouvelle dans le mouvement ouvrier. Elle est très intéressante pour nos liquidationnistes car elle leur permet d'évacuer toute discussion politique et divergence politique. On déclare que telle position politique est portée par un clan, et hop le tour est joué, elle n'a plus d'existence politique."
Notre réponse montre comment le CCI est obligé de déformer ou d'ignorer des pans entiers de l'expérience de l'histoire ouvrier, particulièrement de l'histoire de ses fractions, et donc qu'il tombe inévitablement dans l'oubli et la trahison de ses propres principes organisationnels et des principes du mouvement ouvrier. Dans le combat politique immédiat contre notre fraction, il est inévitablement contraint d'accélérer sa dérive opportuniste.
Quand nous étions encore au sein du CCI, la direction actuelle nous avait "proposé" de répondre à cet article. Cette invitation était à usage interne afin de montrer qu'on "pouvait toujours débattre dans le CCI" face aux réticences des militants. Quelques semaines plus tard, nous étions exclus…

I - Les groupements, tendances et fractions dans le mouvement ouvrier

L'on peut paraphraser la phrase "L'histoire de Lénine c'est l'histoire des fractions" en disant "l'histoire du mouvement ouvrier c'est l'histoire des fractions".
Le développement des groupements dans les différentes internationales suit un cours différent selon les phases que traversent le mouvement ouvrier et la lutte de classe. Dans les phases de développement, les groupements arrivent à dépasser leurs divergences et à tendre vers l'unité du parti. Dans les phases de recul profond, la tendance est à l'éclatement, à la dispersion. Les seuls regroupements qui arrivent à se faire sont en général une réponse à la dégénérescence du parti.

1 - Les groupements, tendances et fractions dans le mouvement ascendant

I ère Internationale

Nous ne souhaitons pas nous attarder dans cette période trop longtemps car nous sommes à l'époque de la naissance du mouvement ouvrier et de sa constitution. Cependant nous pouvons déjà dire que les caractéristiques essentielles que nous voulons mettre en évidence sont amplement contenues dans cette période. Et Marx lui-même a été capable de voir que dans la période naissante du mouvement ouvrier, il fallait mettre l'accent sur ce qui permet le regroupement des forces révolutionnaires. C'est à travers la fusion de toutes sortes d'organismes et même des sociétés ouvrières que naît la I ère Internationale. (lettre d'Engels à Lafargue du 19 janvier 1972 sur la discipline et l'autorité dans l'Internationale). Par contre, la période de contre-révolution qui suivit la répression après la Commune de Paris vit que l'apparition des groupements, tendances ou fraction dans l'Internationale prennent un autre tour jusqu'à entraîner sa disparition.

II ème Internationale.

A la fin du XIX° siècle, les conditions historiques vont mûrir avec le développement prodigieux du capitalisme et la formation de nouveaux Etats bourgeois. C'est à partir de cette base nouvelle que se créent les grands partis de masse sociaux-démocrates. Malgré toutes les critiques restées secrètes que Marx et Engels ont faites, à juste titre, à leurs partisans en Allemagne, la fusion des "lassalléens" avec le parti socialiste ouvrier dit d'"Eisenach" en 1875 sur la base du programme de Gotha, a permis que se développe le grand parti de la social-démocratie allemande qui a été le creuset du mouvement ouvrier moderne.
De la même façon en France le parti constitué après le Congrès de Marseille en 1879, connu deux fractions : la fraction “ collectivistes ” de Guesde et de Lafargue et la fraction “ possibiliste ” de Brousse qui regroupait les réformistes.

Si l'on prend l'exemple du POSDR, ce que nous avons développé ci-dessus se vérifie de façon lumineuse.
Après 1905, les 2 fractions : mencheviks et bolcheviks se regroupent une première fois en 1906 et une deuxième fois en 1910.
En novembre 1906 le comité central bolchevik vote à l'unanimité une résolution d'union entre bolcheviks et mencheviks. "Et quelques semaines après le Natchalo fusionnait avec le Novaïa Jizn qui à maintes reprises fit de chaleureux éloges de mes articles" (Trotsky in deuxième discours de Trotsky devant la Commission centrale de contrôle du PCUS – juin 1927) "C'était la période des tendances d'unité."
Puis avec la marche à la guerre, nous retrouvons le phénomène de dispersion non seulement dans les 2 fractions principales mais également en leur sein. C'est ainsi que dans le POSDR en 1910 il existe 3 fractions bolcheviks : celle de Lénine, les ozovistes et les conciliateurs, et 3 mencheviks : l'unitaire, celle de Plekhanov contre l'unité et les conciliateurs dont Trotsky.

III ° Internationale

Nous donnerons la parole au plus digne des révolutionnaires, membre du PCUS qui a parfaitement connu cette période, Trotsky: (Cours nouveau du Parti bolchevik - in Bulletin Communiste n° 3 janvier 1924).
"Il suffit d'étudier l'histoire de notre parti, ne fût ce que pendant la révolution, c'est à dire pendant la période où la constitution de fractions est particulièrement dangereuse, pour voir que la lutte contre ce danger ne pouvait se borner à la condamnation formelle et à l'interdiction.
C'est en automne 1917 qu'a surgi dans le parti, à l'occasion de la question capitale de la prise de pouvoir, le désaccord le plus redoutable. Le rythme des événements donne une acuité extrême à ces désaccords qui aboutit presque immédiatement à la constitution d'une fraction : sans le vouloir peut être, les adversaires du coup de force firent bloc avec des éléments n'appartenant pas au Parti, publièrent leurs déclarations dans des organes du dehors, etc..
(1) A ce moment l'unité du parti tenait à un cheveux. Comment la scission réussit-elle à être évitée? Uniquement par le développement rapide de la situation et de son dénouement favorable.". (…)
Et ce qui est plus important : "La fraction, le danger de scission furent alors vaincus non par des décisions formelles sur la base des statuts, mais par l'action révolutionnaire."

Trotsky poursuit " Le deuxième grand dissentiment surgit à l'occasion de la paix de Brest-Litovsk. Les partisans de la guerre révolutionnaire (2) constituèrent alors une fraction véritable ayant son organe central.(3) ( ...) Provoquer une scission (4) n'eut pas été difficile (…) il suffisait de lancer l'interdiction contre la fraction communiste de Gauche Néanmoins, le parti adopte des méthodes plus complexes : il préféra discuter, expliquer, prouver par l'expérience et se résigner temporairement à cette anomalie menaçante qu'était l'existence d'une fraction organisée dans son sein.

Autre exemple décrit par Trotsky : " La question militaire provoqua également la constitution d'un groupement assez fort et assez opiniâtre, opposé à la création d'une armée régulière avec un appareil militaire centralisé, des spécialistes, etc.."

Enfin Trotsky cite le débat sur la question syndicale (5). "Des groupements nettement accusés se constituèrent à l'époque de la discussion mémorable sur les syndicats (…) [entraînant] "un malaise profond du parti."
"La discussion sur le rôle des syndicats et de la démocratie ouvrière recouvrait la recherche d'une nouvelle voie économique. L'issue fut trouvée dans la suppression de la réquisition des produits alimentaires et du monopole des céréales;" (…)
Le groupement le plus durable et, par certains côtés, le plus dangereux, fut celui de 'l'Opposition ouvrière' ." (6)(..) "Mais cette fois encore on ne se borna pas à une interdiction formelle." (…)

Trotsky constate que chaque fois qu'il y eut la création de fractions dans le PCUS dans la période révolutionnaire, la crise fut dépassée par la discussion et par l'avancement des faits. Il va le développer au moyen d'un nouvel exemple; il en tire des leçons fondamentales sur comment faire dans une organisation communiste pour régler une telle crise.
"Le 10° congrès put, avec des raisons de croire que sa décision ne resterait pas lettre morte, interdire formellement la constitution de fractions. Mais comme le montre l'expérience et le bon sens politique, il va de soi qu'à elle seule, cette interdiction ne renfermait aucune garantie absolue ni même sérieuse contre l'apparition de nouveaux groupements idéologiques et organiques. La garantie essentielle, en l'occurrence, c'est une direction juste." (..)
"Ce serait du 'fétichisme d'organisation' que de croire que, quels que soient le développement du parti, les fautes de la direction, le conservatisme de l'appareil, les influences extérieurs, etc.…, il suffit d'une décision pour nous préserver des groupements et des bouleversements inhérents à la formation des fractions." (..)

Et il va l'expliquer en citant l'exemple de l'organisation de Petrograd.
"Un exemple éclatant nous est fourni par l'histoire de l'organisation de Petrograd. Peu après le 10 ° congrès, qui avait interdit la constitution de groupements et de fractions, surgit à Petrograd une lutte d'organisation très vive, qui amena la formation de deux groupements nettement opposés l'un à l'autre. (..)
Le comité central (…) assuma le rôle d'arbitre entre les 2 groupements et, en fin de compte, réussit à assurer non seulement leur collaboration, mais leur fusion complète dans l'organisation. Voilà un exemple important qui mérite d'être retenu et qui pourrait servir à éclairer quelques cerveaux bureaucratiques."

L'histoire du mouvement révolutionnaire nous permet d'affirmer qu'une organisation communiste saine et révolutionnaire arrive à solutionner ce genre de crise en préférant "discuter, expliquer, prouver par l'expérience…". Les organisations dégénérescentes aboutissent à la création d'un autre type de groupements, les fractions, comme cela a été magistralement développé et théorisé par la Gauche italienne en exil. Elle en a fait la preuve irréfutable par son travail et en passant le témoin à la Gauche communiste d'aujourd'hui.

2 – Les groupements, tendances et fractions dans les autres périodes, notamment celles de difficultés du mouvement ouvrier

I ère Internationale
La I ère Internationale a accompli son œuvre d'unification du mouvement révolutionnaire mais elle s'est disloquée, après l'échec de la Commune de Paris de 1871, par l'existence en son sein d'un grand nombre de groupements : proudhoniens, blanquistes, bakouninistes, trade-unionistes anglais qui représentaient un bloc des plus disparates aux nuances antiparlementaires et fédéralistes. La décision de Marx au Congrès de La Haye de transférer le siège du Conseil Général de Londres à New York n'était que l'aboutissement de cette constatation. Pour ne pas laisser sombrer l'Internationale dans la confusion et dans la lutte de tendances et cliques, Marx a agi dans le sens de sa dissolution et, dans un premier temps, dans le sens du transfert de son conseil général de Londres à New York.

La II ème internationale.
La II ème internationale n'a pu se créer (juillet 1889) qu'à partir de l'existence de grands partis de masses de différentes nationalités.
C'est la raison pour laquelle les fractions au sein de la II ème internationale n'ont pu se créer que dans sa phase de maturité au début du XX° siècle. La II ème Internationale n'a connu, excepté dans quelques pays comme en Russie ou en Hollande, que des courants appelés “ aile droite ” ou “ aile gauche ”, courant “ intransigeant ” ou “ révolutionnaire ” ou “ réformiste ”.
“ Du point de vue idéologique, le déplacement vers la gauche s'opérait dans le sens de la continuité dialectique qui appelle l'opportunisme à engendrer les réactions prolétariennes et communistes.
Mais tout ce processus était appelé, dans les partis socialistes, à se développer exclusivement à l'intérieur de l'organisation.
La manœuvre de la direction opportuniste consistait – du point de vue de l'organisation – à maintenir dans le sein du parti les fractions de gauche. L'initiative de la scission a toujours appartenu aux fractions de gauche et non à la direction.
De toute façon, les fractions de gauche pouvaient rester en stricte liaison avec le parti et elles étaient assurées de l'aliment naturel pour leur développement, c'est à dire des membres de l'organisation du parti. 
” (Bulletin d'information de la Fraction de la Gauche italienne n°3 novembre 1931).

III° Internationale.
Du fait de la création du nouveau régime intérieur des organisations communistes de la plus grande unité et centralisation internationale, la question de la discipline intérieure prend un autre caractère. C'est la raison pour laquelle dans la phase de dégénérescence de l'IC et des PC, la vie des fractions est tout autre : tout ce qui pousse à l'unité dans la phase de montée des luttes pousse encore plus fortement à la désunion dans la phase de déclin des luttes. Les groupements et fractions ne sont pas maintenus dans le parti et ce n'est pas eux qui scissionnent, c'est la direction qui les exclut.
“ La direction nous exclut du parti, et de ce fait elle nous enlève la source naturelle de notre expansion. La parole de la scission des partis communistes a déjà été prononcée par le centrisme alors que les conditions politiques pour la scission n'existaient pas et n'existent pas encore ”. (Bulletin d'information de la Fraction de la Gauche italienne n°3 novembre 1931). La gauche italienne poursuit sa réflexion, en disant : “ dans les partis de la II° Internationale, la controverse restait essentiellement théorique… ”. Dans l'IC la discussion théorique a été rapidement biaisée, empêchée, écourtée et remplacée par la question de la discipline ce qui a abouti rapidement à l'exclusion des Oppositions.

II – La Gauche italienne et le problème de la fonction des fractions

La Gauche italienne n'en est pas restée à une vision purement formelle pour décrire l'existence d'une fraction. En effet, il ne s'agit pas uniquement :

Par contre, ce qui fonde l'existence d'une véritable fraction c'est l'existence d'une crise communiste.
“ La fraction ainsi comprise, c'est l'instrument nécessaire pour l'éclaircissement politique qui doit définir la solution de la crise communiste ”. (souligné par nous) “ Et l'on doit juger comme arbitraire toute discussion opposant l'issue de la fraction exclusivement dans le redressement du parti, à l'issue de la fraction dans un deuxième parti, et vice-versa. L'une ou l'autre dépendront de l'éclaircissement politique obtenu, et ne peuvent pas dès maintenant caractériser la fraction. Il est possible et souhaitable que cet éclaircissement se concrétise par le triomphe de la fraction dans le parti lequel retrouvera alors son unité. Mais on ne peut pas exclure que cet éclaircissement précise des différences fondamentales qui autorisent la fraction à se déclarer elle-même, contre le vieux parti, le parti du prolétariat; celui-ci, à la suite de tout le processus idéologique et organisatoire de la fraction, relié aux développements de la situation, trouvera les bases effectives pour son activité. Dans un cas, comme dans l'autre, l'existence et le renforcement de la fraction sont les prémisses indispensables pour la solution de la crise communiste. ” (Bulletin d'information n°3, novembre 1931)

“ Pas de doute à cet égard ; la fraction ne peut que coïncider avec la solution de la crise communiste; elle disparaît dans le parti redressé ou elle devient le parti. Mais, il faut dire clairement que pour la réalisation de la première hypothèse nous devons considérer la transformation du parti et du point de vue idéologique et du point de vue organisatoire, inséparablement ; c'est-à-dire que l'idéologie et l'organisation, et par conséquent l'activité du parti, doivent être la conscience et de la volonté collective du parti.
Par suite de circonstances, dont la connaissance nous aidera à former le programme de la fraction, les relations normales d'interdépendance entre la base du parti et l'appareil dirigeant ont été rompues, et substituées par des relations de pure dépendance mécanique de la base à l'appareil : la conscience et la volonté collective du parti, qui devraient créer l'appareil et lui donner les directives fondamentales sont suffoquées : la base a perdu le contrôle de l'appareil et celui-ci vit de sa propre vie, ce qui constitue la cause fondamentale de ses grandes fautes et peut amener les partis à leur perte définitive. Le même phénomène maladif, avec des conséquences non moins :funestes à l'échelle mondiale se retrouve entre les sections nationales et le centre dirigeant international et dans ce centre même entre la majorité et une toute petite minorité toute puissante. Mais les historiques du prolétariat sont inséparables de sa conscience et de sa volonté s'exprimant par son spécifique instrument, le parti de classe. Cela signifie que le parti qui n'est pas l'expression constante de la conscience et de la volonté collective de l'avant-garde prolétarienne ne peut pas donner les garanties nécessaires pour 1a direction des luttes vers l'accomplissement des tâches historiques du prolétariat 
”. (Idem)

Contrairement à ce qui est développé dans l'article sur la fraction de la Revue internationale n°108 du CCI (7), il existe plusieurs moments dans l'existence de la fraction. Celle-ci n'implique pas forcément que l'on aboutisse à la création d'un nouveau parti. C'est la vie du parti, de l'organisation qui détermine l'évolution et le positionnement de la fraction.
“ Dire que le mot d'ordre de la sortie des PC implique la rentrée dans la fraction, donc sa transformation en parti, ne représente pas la solution prolétarienne à la trahison du centrisme ” (intervention de Jacobs in Bilan n° 23 page 767).
Effectivement si nous prenons l'exemple de l'Opposition de Gauche et de la fraction italienne il a existé, si l'on veut rester simple, deux grands moments qui ont abouti à 2 fonctions différentes :

La gauche italienne donne, d'ailleurs, une définition de la fonction d'une fraction au cours des 2 périodes définies ci-dessus.
-"L'opposition" est le courant qui admet que les partis reconquerront la capacité de guider le prolétariat à la" "révolution, à travers les formes spécifiques de vie de l'organisation du parti (assemblées, conférence, congrès, "etc..).
-"La "fraction" est l'organisme qui se base sur l'affirmation fondamentale que seulement par son canal, le parti "reconquerra la capacité de guider le prolétariat à la victoire."

Cette définition est contenue dans la résolution de la CE de la fraction de gauche du PCI sur les tâches de la fraction de gauche du PC d'Allemagne Bulletin d'information de la fraction n°5 de mars 1932.

En effet, avant 1928, la fraction d'Opposition (8) se donne pour tâche de reconquérir le parti et l'Internationale et a pour volonté politique de rester dans le parti jusqu'à son exclusion. Après 1928, la fraction italienne reconnaît que l'IC a trahi avec “ la politique de socialisme dans un seul pays ”(l'IC n'a plus un caractère internationaliste). Mais, elle fait encore une distinction de nature avec les partis communistes. Ces partis, pour elle, peuvent encore être redressés. Donc, en dehors ou à l'intérieur des partis communistes, elle se donne le même but de redresser les partis. C'est la raison pour laquelle elle adopte le nom de “ Fraction italienne du parti communiste italien ”. En fait, elle accomplit la même fonction dans ces deux moments.

Après 1935, la fraction italienne comprend que les partis communistes ont définitivement trahi. Et, la création des nouveaux partis ne passera qu'à travers les fractions de Gauche.
La Fraction affirme que le futur parti ne pourra revivre qu'à travers le canal de la fraction. C'est seulement la fraction qui pourra guider le prolétariat à la victoire. L'ancien parti est mort. La fraction met en avant l'idée que la fraction fait le pont avec le futur parti.

III – Comment le problème est-il posé dans le numéro 108 de la Revue Internationale : la fraction “ pure ”

L'histoire du mouvement ouvrier que nous avons retracé à grands traits nous enseigne :

La thèse de l'article réécrit l'histoire du mouvement ouvrier à sa façon, c'est-à-dire en la déformant. On nous dit que :

A) "Une fraction ne peut être formée qu'après un long débat, une lutte intense dans l'organisation, où les divergences ne sont plus limitées à un ou deux points, mais impliquent une orientation totalement différente".

Le rédacteur de l'article aurait dû lire un peu mieux Lénine et il aurait vu comment celui-ci pose le problème pour justifier la création de fractions: "A la question que ne faut-il pas faire? (que ne faut-il pas faire en général et que ne faut-il pas faire pour ne pas provoquer la scission?) je répondrais avant tout 'Ne pas dissimuler au Parti les raisons naissantes et croissantes d'une scission, ne rien dissimuler des circonstances et des événements constituant ces raisons'. " - volume IV des Œuvres page 318 - (en gras dans le texte de Lénine).

Trotsky raconte, lui-même ces discussions qui ont eu lieu "en cette même année 1921, quelques mois après notre X° Congrès se tint le III° Congrès de l'Internationale communiste, qui joua un rôle énorme dans l'histoire du mouvement ouvrier international" (Lettre de Trotsky à l'institut historique du parti du 21 octobre 1927 in Bulletin Communiste n° 29/30 de décembre 1928) "Une lutte très sérieuse s'y déroula. Cette lutte passa également par notre Bureau politique". (..) "Le danger d'alors était que la politique de l'Internationale prenne la ligne des événements de mars en Allemagne, c'est à dire cherche à créer fictivement une atmosphère révolutionnaire".
La situation était très grave au sein du bureau politique : "Dans notre délégation (du bureau politique) il y avait d'un côté Zinoviev, Boukharine et Radek ; d'un autre côté Vladimir Illitch, Kamenev et moi. Chaque groupe tenait de véritables séances. A ce moment, Lénine déclara : 'Nous créons une nouvelle fraction'. Dans les conversations qui suivirent au sujet du texte de la résolution, je représentais la fraction de Vladimir Illitch, et Radek la fraction de Zinoviev". (Idem et sténographie de la séance du Bureau Politique du PC de l'URSS du 18 mars 1926 p. 12 et 13)

Nous pourrions citer de nombreux exemples qui montrent que la vie du mouvement ouvrier ne se réduit pas à la vision que le CCI cherche à imposer aujourd'hui pour les besoins de "sa cause".

B) Avoir une cohérence.

Nous pouvons rappeler les exemples déjà énumérés ci-dessus mais nous pouvons une fois de plus faire appel à Lénine pour montrer que cette vision est d'une part réductionniste mais également fort étrange.

Au X° Congrès du PCUS, Lénine sur un amendement de Riazanov condamnant de façon catégorique la création de fraction disait : "Et si l'on se trouve par exemple en présence d'une question comme la question de la conclusion de la paix de Brest (Litovsk), pouvez-vous garantir que de telles questions ne se reproduiront pas ? On ne peut pas répondre de cela. (…) Je le regrette mais, là, je crois que la suggestion du camarade Riazanov n'est pas réalisable. Nous ne pouvons pas priver la masse du parti et les membres du Comité Central du droit de s'adresser au Parti si une question capitale provoque des différends. Je ne me figure pas comment nous pourrions le faire". (idem page 292 cité par Zinoviev au Plénum du CC d'octobre 1927 et traduit de la Pravda du 2 novembre 1927)

Citons ce que disait Souvarine dans :"Notre tactique, notre programme", quand il a recréé le Bulletin communiste et donné naissance à l'Opposition en France en 1924.
" Ainsi toutes les oppositions révolutionnaires aux déviations (…) dans quelque pays et dans quelque parti ouvrier que ce soit, ont commencé par critiquer l'orientation, la politique, la pratique des mouvements au sein desquels elles sont nées. Elles ont toutes essuyé le même reproche : Vous ne savez que critiquer.' (…)
"En réalité, il n'est pas vrai que nous n'ayons su que critiquer. Le fait est que nous avons été assez modestes pour ne rien prétendre inventer ; nous voulions et nous voulons seulement redonner force et vie aux principes et aux méthodes qui ont fait l'Internationale communiste ".
Voilà bien ce que la fraction interne du CCI a toujours mis en avant, depuis sa création.
Voilà ce que le rédacteur de l'article de la dernière Revue Internationale n°108 ne comprend pas et ne peut pas comprendre car il s'appuie sur la vision qu'une fraction doit obligatoirement aboutir à une scission. S'agit-il de sa part d'une manifestation d'ignorance crasse ou d'une volonté délibérée de déformer l'histoire ?

C) Et effectivement, cette vision qui veut que l'on crée une fraction qu'après un long débat (ce qui aboutit à une cohérence achevée, si on pousse le raisonnement à son terme) amène inévitablement à la scission. Or nous avons vu dans toute la première partie de cette contribution que les fractions ou groupements n'ont pas toutes abouti à la scission, loin s'en faut.

Tout le débat du congrès de 1935 de la Fraction italienne porte sur la compréhension que si la gauche n'avait pas été exclue du parti communiste italien, elle serait restée en son sein jusqu'en 1935. Sur cette question, tout le monde est d'accord au sein de la gauche italienne.
Le débat a porté sur la fonction de la fraction à ce moment-là. Il y a 2 positions :

De ce débat, on constate que la fraction italienne, 7 ans après sa fondation, n'a pas encore une cohérence achevée et qu'elle n'a pas une compréhension totale de sa fonction.

Et si l'on pousse la réflexion un peu plus loin, l'on comprend les racines de la crise actuelle du CCI. Le rédacteur et les organes centraux du CCI actuels montrent à travers cet article qu'ils sont gangrenés par l'idéalisme. En effet, le rédacteur de l'article reprend la position de Gatto Mamonne, son idéalisme se manifeste par l'incapacité de comprendre la complexité des situations politiques. Aujourd'hui le CCI a un schéma tout fait dans sa tête et le plaque sur la réalité. Pour lui, le scénario est le suivant : programme achevé, création d'une fraction et cours inévitable vers la scission. Si l'on ne se trouve pas devant ce schéma-là, l'on ne se trouve pas devant l'existence d'une véritable fraction. Même si la réalité ne lui donne pas raison, le CCI tente de la distordre pour la faire rentrer dans sa logique de pensée.

IV- Notre rôle aujourd'hui : où en sommes nous ?

Les lecteurs auront compris qu'il existe une fraction interne dans le CCI aujourd'hui. Mais il faut dire tout de suite que cette fraction n'est même pas reconnue contrairement à ce que mettent en avant les statuts du CCI. Pourquoi ? Parce que, selon la direction actuelle, cette fraction n'est pas une véritable fraction. En effet, elle ne rentre pas dans le schéma développé dans l'article de la dernière Revue Internationale (nous avons vu qu'il n'avait aucune justification dans l'histoire du mouvement ouvrier).
Mais aussi parce que cette fraction ne serait qu'un "clan". C'est une notion nouvelle dans le mouvement ouvrier. Elle est très intéressante pour nos liquidationnistes car elle leur permet d'évacuer toute discussion politique et divergence politique. On déclare que telle position politique est portée par un clan, et hop le tour est joué, elle n'a plus d'existence politique.

Tout ce charabias actuel du CCI montre en lui-même la gravité de la situation, l'existence d'une crise politique (comme le définissait la fraction italienne pour l'existence d'une fraction) et la nécessité d'une fraction.

Où en sommes nous ? Quelle est la fonction de la fraction actuelle dans le cours de la crise du CCI ?
Sommes-nous dans le cadre d'une Opposition et de la lutte fractionnelle pour le redressement du CCI ou d'une fraction du style de la fraction italienne de la gauche Communiste internationale d'après 1935 qui avait pour tâche la création d'un nouveau parti ?

Aujourd'hui nous sommes dans le cadre du redressement de l'organisation. L'organisation peut être redressée. C'est le combat qu'il nous faut mener.
"Au sens politique, la formule "redressement du parti" peut s'expliquer seulement dans la direction d'une action suivie qui veut profiter des voies normales de la vie des partis (assemblées, congrès, etc.) pour opérer une modification de la politique de l'organisation. (..) (Bulletin d'Information de la fraction de gauche italienne n° 3, novembre 1931 pages 9-10).
C'est pourquoi nous reprenons la citation ci-dessous du Bulletin d'Information :
"Et l'on doit juger comme arbitraire toute discussion opposant l'issue de la fraction exclusivement dans le redressement du parti, à l'issue de la fraction dans un deuxième parti, et vice-versa. L'une ou l'autre dépendront de l'éclaircissement politique obtenu, et ne peuvent pas dès maintenant caractériser la fraction. Il est possible et souhaitable que cet éclaircissement se concrétise par le triomphe de la fraction dans le parti lequel retrouvera alors son unité. Mais on ne peut pas exclure que cet éclaircissement précise des différences fondamentales qui autorisent la fraction à se déclarer elle-même, contre le vieux parti, le parti du prolétariat; celui-ci, à la suite de tout le processus idéologique et organisatoire de la fraction, relié aux développements de la situation, trouvera les bases effectives pour son activité. Dans un cas, comme dans l'autre, l'existence et le renforcement de la fraction sont les prémisses indispensables pour la solution de la crise communiste. ”

La fraction interne du CCI le 3/03/02

PS : Même si nous ne pouvons pas développer ici, il nous reste à dire un mot sur les réunions "secrètes" qui sont avancées contre nous et qui sont utilisées pour nous accuser d'avoir enfreint la discipline de l'organisation.
D'abord, il faut préciser que les membres de la fraction ont tenu des réunions, qualifiées ultérieurement de "secrètes", pour se constituer en un "Collectif de travail" durant le mois d'août 2001. Cela nous a été reproché. Mais n'importe quel individu qui réfléchit et qui n'est pas idéaliste sait qu'avant de se déclarer d'accord sur un document il faut un minimum s'être vu et avoir discuté. Pas le CCI !

Nous pouvons donner des exemples de ce genre de réunions dans l'histoire du mouvement ouvrier :

les organisations secrètes de l'Opposition en Russie dès 1924/25 "Autour de notre Centre de Leningrad se groupait une vingtaine de sympathisants. La tendance Zinoviev affirmait pouvoir compter sur cinq à six cents membres clandestinement organisés. Nous doutions de ce chiffre (..) Le groupe Zinoviev, sachant notre faiblesse, réclamait la fusion immédiate des organisations. (…) Nous, nous tenons des réunions semi-clandestines quartiers par quartiers". (Victor Serge, Mémoire d'un révolutionnaire – p. 676)


Notes:

(1) Trotsky ne cite pas de qui il s'agit, Il s'agissait de membres éminents du parti : Zinoviev et Kamenev, Rykov, Chliapnikov, Riazanov, etc.
(2) Les principaux étaient : Boukharine, Radek, Ossinsky, Sapronov, Smirnov, Piatakov, Préobrajensky.
(3) On sait que Trotsky n'approuva pas cette fraction. Avant de se rallier à la position de Lénine, il défendait la position de "Ni paix, ni guerre".
(4) Pour la première fois dans cette période Lénine a été mis en minorité. C'est le changement de vote de Trotsky qui permis à Lénine de regagner la majorité.
(5) De novembre 1920 (V° Congrès des syndicats) jusqu'en mars 1921 (X° congrès du parti). Le comité central se partagea en 2 groupes l'un de 8 membres dont Lénine et l'autre de 7 dont Trotsky, Boukharine, etc.. Le X° congrès vota finalement la résolution inspirée par Lénine.
(6) Tendance qui préconisa, lors de la discussion sur les syndicats, de transmettre à ceux-ci la direction de l'économie. Les principaux représentants furent : Chliapnikov, Medvediev, Kollontaï.
(7) L’article de la Revue n°108 utilise en grande partie l’argumentation de Gatto Mamonne, contenu dans Bilan n° 24, alors qu’il existait une discussion dans la fraction comme l’indique son Congrès de 1935 au moment où les PC trahissent la classe ouvrière. Gatto Mamonne défend une résolution qui est minoritaire face à celle qui est défendue par Jacobs et Vercesi. (Cf. Bilan n°23).
(8) Toute l’Opposition de Gauche y compris la Gauche italienne, voir notre brochure Contribution à l’histoire de la GI et son chapitre sur les relations entre la GI et l’Opposition de Gauche.


Home | Bulletin Communiste FICCI 9 |