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LE ROLE DU CENTRISME DANS LA CRISE ACTUELLE DU CCI

En complément au texte précédent répondant à certaines critiques politiques qui nous sont faites, nous voulons revenir sur la question du centrisme aujourd'hui dans le CCI et du rôle qu'il a déjà joué dans la crise actuelle. Dans notre bulletin précédent, nous avons publié un texte sur la question du centrisme au travers de l'expérience allemande durant la 1e Guerre mondiale. Jusqu'alors, nous avions surtout insisté sur l'expérience des Fractions, en particulier de la Fraction italienne, au sein des PC lors du processus opportuniste de la "bolchévisation" dans les années 20 qui n'a été que la première étape de la stalinisation des PC. Nous avons vu aussi l'expérience de la GCF, et principalement de MC qui a en a tiré les principales leçons, qui se considérait comme, et était de fait, une fraction au sein du PCint issu de la Gauche italienne à partir de 1943. Entre ces trois expériences, il y a une continuité historique dans le combat que les fractions de gauche ont du mener contre l'opportunisme et la trahison des principes prolétariens – ce qui ne veut pas dire comme le prouve l'exemple du PCint que le développement de l'opportunisme, voire la dégénérescence, mène tout droit et rapidement dans le camp de la bourgeoisie en l'absence d'événements historiques décisifs. L'étude et la réappropriation des deux dernières nous permet, comme Fraction, d'asseoir notre démarche et notre combat actuel. Elle devrait permettre aux camarades du CCI qui nous lisent sans a-priori de reconnaître pour le moins quelques parallèles avec la dynamique que connaît aujourd'hui le CCI ; en particulier, dans l'usage de la même méthode et des mêmes pratiques par les organes exécutifs au main de la tendance liquidationniste et dans la collaboration de fait active qu'y apporte le centrisme – nous ne confondons pas le centrisme qui est une attitude qui vise à la conciliation avec l'opportunisme et le "marais" qui lui exprime des hésitations et des doutes. Au nom de l'unité formelle et de la discipline formelle, à coup de provocations, de mensonges, de discrédit des militants, de magouilles, de la politique du scandale comme disait Bordiga, et du "coup de force permanent", en particulier en faisant voter dans la précipitation, sans discussion, les rapports de la CI au nom de la confiance, le Texte d'Orientation et le rapport d'activités du BI sur la CI permanente et autonome, on étouffe les débats et la vie politique et on liquide les acquis théorico-politiques. Et le centrisme apporte sa caution et sa participation à cette politique.

L'expérience allemande est particulièrement intéressante car elle pose clairement la question du rôle du centrisme dans ce type de situations qui voient deux lignes politiques opposées et irréconciliables s'affronter. Là-aussi les mêmes méthodes de l'opportunisme sont à l'œuvre. Certes de manière beaucoup plus aiguë, mais toujours aussi irréconciliables, deux lignes politiques, l'internationalisme prolétarien à l'union sacrée avec sa bourgeoisie, s'opposent et s'affrontent tout comme dans les autres expériences. De cet affrontement implacable, irréconciliable – ne peut subsister qu'une des deux orientations, qu'une des deux lignes -, la Gauche internationale avec les Spartakistes va s'affronter à la question du centrisme et en tirer des leçons politiques.

Nous sommes revenus sur cet épisode historique car la question du centrisme est une des questions qui sont posées au CCI et à la Fraction. Depuis maintenant presque un an, au sein du SI, puis dans le BI, puis dans le congrès, puis dans les discussions individuelles, jusqu'à aujourd'hui encore, combien de camarades ne nous ont-ils pas dit, ou fait savoir, qu'ils étaient d'accord avec nous sur le fond des questions, mais pas sur la méthode. Qu'ils n'étaient pas d'accord avec l'analyse d'un clan-pavillon-bis à l'origine des difficultés et de la crise actuelle. Qu'ils n'étaient pas d'accord avec la remise en cause de la politique menée depuis 1996. Qu'ils n'étaient pas d'accord avec les rapports de la CI. Qu'ils n'étaient pas d'accord avec le Texte d'Orientation car il posait la question de la confiance de manière abstraite – en fait idéaliste. Qu'ils n'étaient pas d'accord avec la proposition d'une CI permanente. Mais qu'ils n'étaient pas d'accord non plus avec notre "méthode". En parlant de notre méthode, ces camarades évoquent le fait de poser ouvertement, franchement, les divergences sur la table. Ils y voient une attaque contre l'unité de l'organisation.

Et pourtant malgré leurs désaccords, ces mêmes camarades ont voté l'analyse de l'existence d'un clan-pavillon-bis comme cause de la crise actuelle ; de fait ont commencé à accepter –ce qui était et est inéluctable (1) – la remise en cause de toute la politique du CCI depuis 1996 en matière de fonctionnement ; ont adopté les rapports de la CI sur la seule base de la confiance que tout militant devait à cette dernière – formidable ce décret sur la confiance dans la CI ! - ; ont voté pour le Texte d'Orientation et ont adopté –au moins pour les membres du BI – le rapport d'activités de septembre 2001, c'est-à-dire qu'ils ont accepté et ouvert la voie au changement des statuts afin de "légaliser" l'existence de la Commission d'Investigation permanente et autonome. Et tout cela à une vitesse vertigineuse.

On comprendra que la "méthode" de notre centrisme ne nous a pas convaincus de son efficacité. Pour ne rien dire de la force et de la profondeur de ses convictions politiques, voire de son courage politique. Que les camarades nous comprennent bien, nous ne faisons pas ici une critique individuelle (2). Qui plus est, et jusqu'à aujourd'hui, le positionnement des camarades est aussi en grande partie déterminé par leur vécu, par leur expérience propre, puisque l'essentiel de l'histoire de la crise actuelle a été sciemment ignoré, passé sous silence et, quand ce n'était pas possible, déformé. Le fait de vivre à Paris et d'avoir eu des responsabilités dans les OC durant des décennies, et donc ayant vécu en première ligne les difficultés du SE et du SI, ou bien de vivre à Toulouse, ou à Stockholm, n'est pas sans incidence jusqu'à aujourd'hui dans le positionnement des uns et des autres. Sinon comment expliquer que 4 membres sur 6 de l'ancien SI (et avant l'autocritique 5 sur 6), 3 sur 5 (et avant l'autocritique 4 sur 5) de l'ancien SE, s'opposent à l'analyse actuelle sur la crise ? A moins de croire au complot du clan-pavillon… Mais là, en l'occurrence, on n'a pas peur du ridicule. Malheureusement, et contrairement à l'expression française (3), le ridicule est en train de tuer le CCI et la conviction et la conscience de beaucoup de camarades. Quand il faudra expliquer cela au MPP, ça risque d'être plutôt comique… mais aussi très triste.

Il y a eu trois types d'attitude centriste depuis le début de cette crise. Il y a l'attitude du centrisme dont la manifestation la plus claire a été celle de nombreux membres du BI au congrès et après le congrès, voire au sein du SI avant le congrès : au nom de l'unité de l'organisation, on passe sous silence ses désaccords car ils ne sont pas prioritaires. Malheureusement, en les taisant, on finit par oublier ses désaccords et on se contente de voter sans réelle conviction, mais en croyant sauvegarder l'unité de l'organisation. Il y a ensuite le centrisme des camarades qui ont exprimé dans un premier temps leur désaccord avec les orientations actuelles, en particulier avec le Texte d'Orientation, avec la proposition de CI permanente, voire avec les rapports de la CI sur le clan-pavillon-bis mais qui, finalement, devant l'affrontement ouvert, frontal, à assumer ont jugé qu'il valait mieux laisser passer l'orage, reconnaître et critiquer ses supposés "torts claniques", pour pouvoir rester… dans l'organisation – conscients de la politique disciplinaire qui se mettait en place - et continuer à défendre son point de vue sur le fond. Malheureusement, une autocritique affinitaire et "clanique" en entraînant une autre, et marqué par ce clanisme supposé, ces camarades sont obligés de donner chaque fois plus de gages, voire de surenchérir dans l'autocritique, et sont réduits au silence sur le fond. Et finalement, il y a le centrisme "conséquent" si l'on peut dire, c'est-à-dire celui qui finit par comprendre son impuissance : non disposé à se soumettre contre sa conviction politique, mais non disposé non plus à mener le combat ouvert et sans concession contre le liquidationnisme, ce centrisme-là démissionne de l'organisation et du combat.

Dans tous les cas, notre centrisme d'aujourd'hui est prisonnier de l'unité formelle, d'une unité qui n'existe plus, et qui ne peut plus exister. Il est assez significatif que le BI lors du congrès ait voulu reconduire le même SI qu'auparavant – alors que nous proposions de le changer de lieu et donc de changer l'équipe - en espérant qu'on allait pouvoir revenir à la situation antérieure, à une situation "calme", "normale". Bref revenir au train-train quotidien, au fonctionnement et à la vie "régulière" du CCI. Alors que ce n'était déjà plus possible. Combien de camarades sincères et honnêtes sont-ils venus nous voir pour nous demander de reconnaître nos "supposés" torts claniques – n'étaient-ils pas eux-mêmes passés par cette autocritique ? Comme s'il fallait obligatoirement en passer par là -, afin qu'on retrouve au plus vite l'ancien SI et un fonctionnement normal ? A vrai dire, peu leur importait qu'il y ait vraiment clan ou pas clan. Ils voulaient au plus vite revenir à la situation d'avant. Au calme et à la tranquillité. Quelle illusion et quelle faiblesse politique !

Adeptes du militantisme intégral, la tranquillité et le calme n'est pas le souci premier des liquidationnistes. Ils ont bien compris qu'il s'agissait d'une lutte "sans quartier" : ils voulaient discréditer les porteurs de la politique antérieure, celle de 1996 à 2000. En leur faisant reconnaître leur démarche clanique, c'était toute la politique menée par le CCI, le BI et le SI qui aurait été discréditée. Ayant échoué sur ce point, ils sont obligés d'éliminer et d'exclure la Fraction et ses militants. Ils n'ont pas d'autre choix et ne peuvent revenir en arrière. Et ils ne veulent pas de la confrontation politique avec les positions passées du CCI défendues par la Fraction aujourd'hui. Pour notre part, nous l'avons dit depuis le 9 mai, il n'y a pas place pour la coexistence des deux lignes politiques qui ont surgi lors du congrès : l'une élimine l'autre (4.). C'est ce combat que l'ancien SI n'a pas voulu mener. C'est cet antagonisme que le BI n'a pas su voir. C'est ce combat que les liquidationnistes mènent maintenant depuis deux ans au moins à leur manière, c'est-à-dire en cachette, dans le dos de l'organisation et de ses militants. C'est ce combat que nous menons ouvertement et ce depuis la contribution du SI de mars 2000. Même dans le pire des cas, à savoir une implosion ou une sectarisation du CCI, il ne sera pas dit que la seule leçon politique qui sera tirée de cet échec sera que le CCI est mort "d'une guerre de chefs" ou du clanisme – ce qui revient en grande partie au même. Le travail de Fraction que nous assumons –même si nous échouons à sauver les acquis et les principes du CCI en son sein - assure au moins que les leçons politiques seront tirées pour le futur.

Les quelques mois que nous venons de vivre confirment une autre leçon de l'histoire du mouvement ouvrier : l'impuissance du centrisme n'est impuissance que pour lui-même. Aujourd'hui dans le CCI, il est une arme dans les mains de l'opportunisme. Dans la situation d'aujourd'hui, il n'est que deux voies pour notre centrisme. La première est celle choisie par sa grande majorité et qui est celle du renoncement à la lutte politique au nom de l'unité formelle. Les 6 mois qui viennent de s'écouler ont définitivement montré la faillite de cette politique et l'usage qui en est fait contre l'opposition minoritaire et contre les principes du CCI. Une concession politique, une lâcheté politique, appelle, sauf à rompre brutalement, à une autre concession, à une autre lâcheté politique. C'est exactement le même processus dans lequel d'autres militants tout aussi sincères, courageux, dévoués, et avec une autre expérience que la notre, ont été entraînés et détruits dans les années 20. L'autre, est celle de l'affirmation ouverte et franche des désaccords politiques, le refus de voter sans conviction, le refus de la politique du scandale et des sanctions à tout propos. Elle est celle du centrisme qui veut rompre avec l'indécision et la veulerie politique. Elle est celle du combat – cela n'est pas nécessairement dans la Fraction qui, elle, a une cohérence générale - pour la confrontation politique à partir des textes écrits et adoptés. Elle est aussi celle de l'acceptation du risque d'être accusé, discrédité, voire attaqué dans son honneur militant, devant toute l'organisation. Elle est celle de la dynamique à l'abandon du centrisme pour la défense intransigeante des principes et de ses convictions. Elle est celle de l'unité historique, théorique, politique, et organisationnelle du prolétariat. Elle est celle de la lutte.

La première, celle du renoncement, finira par s'accorder avec l'opportunisme pour exclure les empêcheurs de tourner en rond de la Fraction (5). Elle n'hésitera pas à "sauver" sa peau, c'est-à-dire "sa place", sa reconnaissance, dans l'organisation au main de l'opportunisme, en sacrifiant les opposants et la Fraction (6). La seconde est celle de la lutte, de la fidélité aux principes et à ses convictions. Elle devra se lever et s'opposer à la politique majoritaire actuelle et pourra s'appuyer sur les positions et les travaux de la Fraction. A chacun de choisir.

La Fraction, le 13/12/01.



1 C'est ce que nous avions affirmé au SI mensuel de juin 2001 et nombreux étaient les camarades du BI incrédules qui nous répondaient que ce n'était pas possible, et que si c'était le cas, ils ne seraient pas d'accord.

2 Un certain nombre de camarades qui ont partagé nos positions à différents moments, nous ont attribués que nous pourrions avoir un sentiment de trahison de leur part à notre égard quand ils "changeaient de position" -à vrai dire, nous préférons parler concrètement et directement, quand ils avaient fait une "autocritique" sur leur clanisme et leurs sentiments "négatifs" passés à l'égard de Louise. Rassurons-les : ce sentiment ne nous a jamais effleurés. Nous n'avons pas de rancœur ou de déception à l'égard de camarades qui "nous auraient laissé tomber". Nous sommes surtout tristes qu'ils puissent nous prêter de tels sentiments et qu'ils "pensent" comme cela, dans ces termes. C'est bien la preuve qu'il y a quelque chose de vicié dans la politique actuelle, et surtout très peu de politique dans leur changement de position. De plus, nous respectons leur souci de l'unité de l'organisation, même si nous pensons qu'ils le comprennent mal aujourd'hui. Et ils gardent toute notre estime de militant communiste. Contrairement à ce que beaucoup de camarades croient, nous ne définissons pas nos positions et positionnements politiques à l'affinitaire, ni même à l'orgueil blessé – nous laissons l'orgueil aux militants-fil-rouge et l'affinitaire aux adeptes de la psychologie. Nous nous contentons d'essayer de faire une critique politique d'un comportement et d'un "courant" politique en notre sein.

3 "Le ridicule ne tue pas"

4 cf. la contribution de Juan dans BIRI 244, Première et rapide prise de position sur le 14e congrès du CCI : "Les termes d'un débat et d'un combat politique sur des positions politiques divergentes en matière d'organisation, de fonctionnement et de militantisme et d'engagement militant, sont posés et ne pourront plus être mis sous la table, cachés, ni même esquivés. Le congrès a été traversé par deux pratiques politiques en terme de débat et de fonctionnement, deux méthodes pour aborder les questions, deux analyses de la situation du CCI, et même deux visions politiques et théoriques du militantisme communiste" (10/5/01). Cette contribution écrite est la reprise de son intervention du 9/5/01. Voilà quel était le vrai scandale. Voilà ce que ne pouvaient accepter les liquidationnistes. Voilà pourquoi il fallait discréditer Juan.

5 Déjà lors des BI pléniers ou des SI mensuels, voire en section de Paris, on a vu des camarades du centre exprimer leur énervement et leur impatience devant notre volonté de ne pas céder et d'imposer la confrontation politique.

6 C'est déjà le cas qu'illustre lamentablement la pauvre camarade Aurora, "culpabilisée" de ses mauvais sentiments à l'égard de Louise, avec son "faux" témoignage sur Juan qui ont valu à ce dernier une suspension et son isolement de l'organisation et des camarades.


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