Home | Bulletin Communiste FICCI 3 | |
Voici une courte prise de position sur le Texte d'orientation.
Je m'étais déjà prononcé contre le Texte d'orientation lors du SI mensuel de juin sur la base du projet en anglais qui nous avait été présenté. Mais à la lecture de la version définitive, je maintiens mon désaccord. Ce texte vient vérifier les craintes exprimées déjà au SI mensuel de juin – et que la majorité des membres du BI présents refusaient de voir – d'une remise en cause non seulement des orientations d'activités en matière de fonctionnement et de comportement militant depuis au moins 1996 et des leçons du combat de 93, mais aussi d'une remise en cause et d'une révision de nos acquis et principes organisationnels. En soi, ça ne me choque pas. Mais pourquoi nous avoir assuré du contraire lors du SI de juin alors que c'était contenu dans le rapport même de la Commission d'investigation ?
Disons-le de suite, je n'ai pas l'intention, ni le temps, de reprendre les soi-disant grandes "avancées théoriques" des dix premières pages. Qu'il y ait des "choses justes et intéressantes à discuter" sur la confiance est la moindre des choses, surtout pour un texte d'orientation, et n'enlève rien au fait qu'il y a aussi et surtout beaucoup de confusions théoriques et politiques dans le texte. C'est cela qui est grave. Mais le plus grave n'est pas là.
L'objet de la longue logorrhée soi-disant "théorique" n'a pour but que d'introduire le point 6 du texte, intitulé "Pas d'esprit de parti sans responsabilité individuelle". Là se trouve l'essentiel car là nous abordons le concret, les implications concrètes en matière d'organisation. Le texte s'attaque particulièrement aux statuts du CCI et aux leçons du combat de 93-96. En voulant légitimer un certain nombre de comportements et d'attitudes "informels" – contraire à l'esprit et à la lettre des statuts et de toute règle de fonctionnement -, il ouvre la porte à l'abandon du respect strict des règles de fonctionnement de l'organisation et à l'abandon des statuts. Nous ne citerons ici que de courts passages qui sont particulièrement significatifs de l'insistance dangereuse du point 6 sur la vie en-dehors du cadre formel de l'organisation.
Le premier paragraphe commence par affirmer qu'il y a eu une méfiance envers le développement de rapports personnels des camarades entre eux. Soit. Mais cela reste abstrait. On aimerait savoir à qui et à quoi il est fait référence, du concret quoi. Mais ensuite, on en déduit une première chose :
"En opposition à cela, [souligné par moi comme dans les autres citations] les structures formelles de nos activités ont commencé à être considérées comme offrant, en quelque sorte, une garantie contre le retour du clanisme".
Pourquoi "en opposition à cela" ? La méthode est déjà faussée parce qu'on réintroduit une opposition cadre formel-cadre informel. Mais surtout, que dit le CCI et le marxisme en matière d'organisation ? Que les structures formelles de l'organisation sont, non pas la garantie, mais la condition sans laquelle il ne peut y avoir de fonctionnement correct et de tissu organisationnel sain. Et donc aussi des rapports fraternels et "sociaux" entre camarades dans le respect de l'esprit et de la lettre des statuts.
A la fin du paragraphe suivant, et dans la même logique, on nous affirme que "ce n'est pas la méfiance envers le plein développement de la vie politique et sociale en dehors des réunions de section, mais la véritable confiance dans cette tradition du mouvement ouvrier qui nous rend plus résistants au clanisme". Tout à l'opposé, le CCI sait que c'est le plein développement de la vie politique des réunions de section, donc dans le cadre formel de l'organisation, qui est la condition, et non la garantie, du fonctionnement correct de l'organisation et du renforcement du tissu organisationnel.
La déduction "logique", "mécanique", de tout cela ? "Sous-jacente à cette démarche injustifiée envers la vie 'informelle' d'une organisation ouvrière réside l'utopie d'une garantie contre l'esprit de cercle (…). Une telle démarche tend à transformer les statuts en des lois rigides, le droit de regard en surveillance et la solidarité en un rituel vide".
Laissons de côté la remise en cause du "devoir de regard de l'organisation" qui est introduite ici, encore un acquis du combat de 93-96 qu'on liquide. Plus grave est l'attaque contre les statuts. Le CCI se revendique du combat de toujours, de Lénine à… MC (à ses écrits) pour le respect non pas "rigide" mais rigoureux des statuts. Sans le respect ferme des statuts, sans leur défense, il n'y a plus d'organisation.
"L'anarchisme de grand seigneur ne comprend pas que des statuts formels sont nécessaires précisément pour remplacer les liens limités des cercles par la large liaison du Parti. Le lien, à l'intérieur des cercles ou entre eux, ne devait ni ne pouvait revêtir une forme précise, car il était fondé sur la camaraderie ou sur une « confiance » incontrôlée et non motivée. La liaison du Parti ne peut et ne doit reposer ni sur l'une ni sur l'autre, mais sur des statuts formels, rédigés « bureaucratiquement » (du point de vue de l'intellectuel indiscipliné), dont seule la stricte observation nous prémunit contre le bon plaisir et les caprices des cercles…" (Un pas en avant, deux pas en arrière, Lénine). La stricte observation des statuts… Désolé, c'est sans doute aux yeux de certains une nouvelle marque de clanisme de ma part, et surtout d'acharnement personnel contre des camarades, mais je préfère la vision de Lénine à celle qu'on nous propose aujourd'hui.
Ce texte introduit aussi une "avancée théorique historique" concrète sur la confiance qui fera date, c'est sûr. Loin de la "confiance vérifiée" défendue par l'ensemble du mouvement ouvrier, le texte nous invite à faire surtout confiance dans les discussions particulières, parallèles, en petit cénacle, c'est-à-dire en petits cercles plutôt que dans le cadre formel, dans les "structures formelles" de l'organisation. Ces cercles sont formés des "amis", d'initiés, d'éclairés, de militants "capables par leur propre qualité et propres capacités d'argumentation" de sauver l'organisation. Après avoir liquidé le respect "rigoureux" des statuts, c'est-à-dire le cadre collectif et la responsabilité collective, le Texte d'orientation y substitue la "responsabilité individuelle" face au danger unique et éternel du clanisme :
"C'est vraiment une illusion de croire qu'on peut combattre le clanisme sans la responsabilisation des membres individuels de l'organisation (…). Et ce serait paranoïaque 1 de penser que la surveillance 'collective' pourrait se substituer à la conviction et à la vigilance individuelles de ce combat (…). Les clans se développent à cause de l'affaiblissement de la vigilance et du sens des responsabilités au niveau individuel".
C'est faux. La détérioration – clan ou pas clan- du tissu organisationnel est d'abord et avant tout due à un affaiblissement de la vigilance et du sens des responsabilités au niveau collectif. Ce qui ne veut pas dire que la responsabilité individuelle ne peut pas jouer un rôle. Mais sans cadre collectif, la responsabilité individuelle ne peut s'exprimer et devenir facteur actif. Pour le Texte, ce n'est plus le cadre formel et collectif qui arme avant tout l'organisation, mais la "responsabilité individuelle" ! Voilà ce qui nous est proposé.
Et le Texte insiste pour que cela soit bien clair. Il ne s'agit donc pas d'un dérapage.
"Si la lutte contre l'esprit de cercle dépendait seulement de la santé des structures collectives formelles, il n'y aurait jamais de problème de clanisme dans les organisations révolutionnaires. Les clans se développent à cause de l'affaiblissement de la vigilance et du sens des responsabilités au niveau individuel". Pourquoi une telle insistance sur la responsabilité individuelle, son importance, et en même temps cette méfiance – pour le moins – envers les structures collectives formelles ? Pourquoi introduire une telle séparation, une telle opposition, entre cadre collectif et responsabilité individuelle ? Sinon pour faire passer au second plan les structures formelles ?
Certes, il nous est rappelé à la suite que "la responsabilité collective et la responsabilité individuelle, loin de s'exclure mutuellement, dépendent l'une de l'autre, et se conditionnent l'une l'autre." Ca fait dialectique. C'est bien. Mais c'est une dialectique à la BIPR. Ca vise à impressionner. Mais c'est vide. Car c'est du "tout est dans tout". Car si les deux "se conditionnent l'une l'autre", la dimension responsabilité collective est le facteur déterminant dans le rapport et l'unité qui doit exister entre les deux.
Nous nous arrêtons là car le temps presse. La camarade Elise attend après moi pour sortir le BII. Cette prise de position m'a été demandée hier par le SI mensuel d'août. En effet, les camarades m'ont reproché de proposer un rapport d'activité alternatif –écrit - pour le BI plénier de septembre au lieu de prendre position par écrit sur le Texte d'orientation et le rapport de la CI. J'avais jugé qu'il valait mieux se centrer sur des questions d'orientation générales plutôt que de répondre du tac au tac. Si j'avais répondu du tac au tac, sur les différents points particuliers, j'imagine qu'on m'aurait reproché de ne pas me prononcer sur les orientations générales et de faire de l'escarmouche ou de l'esquive. Donc les camarades auront les deux, le général et les points particuliers.
En conclusion, je pense donc qu'il y a dans le Texte d'orientation une remise en cause de fait des statuts et du cadre collectif de fonctionnement. En insistant sur la vie informelle, en dehors du cadre formel de l'organisation, dont personne n'a nié la réalité et la nécessité, on affaiblit d'autant le respect du cadre formel.
De plus, le rapport de la CI et le Texte d'orientation dénaturent les vraies leçons du combat de 93-96. Ils n'y voient que la lutte contre le clanisme. Ils réduisent d'ailleurs toutes les crises organisationnelles à cette seule question. Or les leçons de 93 ne se limitent pas au clanisme. Plus même, cet aspect n'est pas le principal aspect. Le combat de 93-96 a mis en évidence en particulier deux autres aspects qui sont beaucoup plus fondamentaux : la question du mode de vie et du comportement des militants ; et la question de l'infiltration dans nos rangs d'aventuriers et d'éléments hostiles, voire provocateurs liés à l'Etat. Ces questions-là sont plus importantes encore que le seul clanisme et les deux textes tendent à nous les faire oublier derrière l'omniprésence du clanisme dans toute l'histoire du CCI, voire du mouvement ouvrier.
Je rejette donc ce texte.
Juan, 5/8/2001
1 Je ne connais rien à la psy. C'est sans doute valable dans certaines situations personnelles. Mais j'avoue en avoir plus que marre des explications psy sur les positionnements politiques. Depuis Simon, nous savons que c'est un des terrains privilégiés pour manipuler et détruire des camarades. Encore une leçon de 93-96 qui est oubliée et rejetée.
Home | Bulletin Communiste FICCI 3 | |