Internationalisme (GCF) - N° 9 - Avril 1946 Retour 

LA NATURE DE L'ETAT ET LA REVOLUTION PROLETARIENNE

Cette thèse sur l'Etat a été soumise à la discussion internationale et a été adoptée par la FFGC en mars 1946.


1– L'Etat apparaît dans l'histoire sur la base de l'existence des intérêts antagoniques divisant la société humaine. Il est le produit, le résultat des rapports antagoniques économiques. Tout en jouant un rôle en tant que facteur réagissant au cours de l'histoire, il est avant tout un objet directement déterminé par le processus économique et au cours de celui–ci.

En apparence placé au-dessus des classes, il est en réalité l'expression juridique de la domination économique, la superstructure, le revêtement politique du règne économique d'une classe donnée dans la société.

Les rapports économiques entre les hommes, la formation des classes et la place qu'elles occupent dans la société sont déterminées par l'évolution, le développement des forces productives à un moment donné. La raison d'être de l'Etat est exclusivement, dans sa fonction, de codifier, de légaliser un état économique déjà existant, de le sanctionner, de lui donner force de loi dont l'acceptation est obligatoire pour tous les membres de la société. Ainsi l'Etat veille au maintien de l'équilibre, à la stabilisation des rapports entre les membres et les classes, rapports issus du processus économique même, en empêchant toute manifestation des classes opprimées, contre toute remise en question qui se traduirait par la perturbation et l'ébranlement de la société. Ainsi l'Etat remplit une fonction importante dans la société assurant la sécurité, l'ordre indispensable à la continuation de la production ; mais il ne peut le faire que par son caractère conservatif. Au cours de l'histoire l'Etat apparaît comme un facteur CONSERVATEUR ET REACTIONNAIRE de premier ordre ; il est une entrave à laquelle se heurte constamment l'évolution et le développement des forces productives.

 

2– Pour remplir son rôle double d'agent de sécurité et d'agent de réaction, l'Etat s'appuie sur une force matérielle, sur la violence. Son autorité réside dans la force de coercition. Il possède un monopole exclusif de toutes les forces de violence existantes : la police, l'armée, les prisons.

De par le jeu de la lutte entre les classes, tout en étant le représentant de la classe dominante, l'Etat tend à acquérir une certaine indépendance. Avec le développement, la bourgeoisie déterminant des formations nationales, des vastes concentrations d'unités économiques, politiques, par le développement des antagonismes et des luttes des classes sur les échelles toujours plus grandes, par l'opposition aggravée contre les grands Etats capitalistes, l'Etat sera amené à pousser au paroxysme le développement de sa force coercitive afin de maintenir l'ordre à l'intérieur ; en forçant le prolétariat et les autres classes travailleuses à subir et à accepter l'exploitation capitaliste tout en reconnaissant juridiquement et formellement la liberté de l'individu ; à l'extérieur, en garantissant les frontières des champs d'exploitation économique contre la convoitise des autres groupes capitalistes et en tentant de les élargir aux dépens des autres Etats.

Ainsi, à l'époque capitaliste où la division horizontale et verticale de la société et la lutte engendrée par cette division atteint le point culminant de l'histoire humaine, l'Etat atteindra également le point le plus haut de son développement et son achèvement en tant qu'organisme de coercition et de violence.

Ayant son origine dans la nécessité historique de la violence, trouvant dans l'exercice de la coercition la condition de son épanouissement, l'Etat deviendra un facteur indépendant et supplémentaire de la violence dans l'intérêt de son auto–conservation, de sa propre existence. La violence en tant que moyen deviendra un but en soi, entretenu et cultivé par l'Etat, répugnant et s'opposant de par sa nature à toute forme de société tendant à se passer de violence en tant que régulateur des rapports entre les hommes.

 

3– dans la complexité des contradictions enchevêtrées et inextricables s'épanouissant avec le développement de l'économie capitaliste, l'Etat est appelé à s'immiscer à chaque instant dans tous les domaines de la vie : économique, sociale, culturelle, politique, aussi bien que dans la vie privée de chaque individu que dans ses rapports avec la société sur le terrain local, national et mondial.

Pour faire face à toutes ses obligations sociales immenses, l'Etat fera appel à une masse toujours plus grande d'hommes, les enlevant à toute activité, à toute participation à la production, créant ainsi un corps social à part aux intérêts propres ayant pour spécialité et pour charge d'assurer le fonctionnement de la machine étatique et gouvernementale.

Une fraction importante (10% et peut–être plus) de la société constitue ainsi une couche sociale indépendante (les politiciens, les hauts fonctionnaires, la bureaucratie, le corps juridique, la police et le militarisme) ayant des intérêts économiques propres, vivant en parasites de la société, ayant pour patrimoine et champ d'exploitation, réservés à eux, l'appareil étatique.

De serviteur de la société au service de la classe dominante, ce corps social – de par sa masse et surtout de par sa place dans la société à la direction du gouvernail étatique – tend à s'affranchir de plus en plus pour se poser en maître de la société et en associé de la classe dominante. Il possède en commun et en monopole exclusif les finances publiques, le droit de dicter les lois et de les interpréter, et la force matérielle de la violence pour les appliquer dans son intérêt.

Ainsi naît et surgit une couche sociale privilégiée nouvelle qui tire son existence matérielle de l'existence de l'Etat, couche parasitaire et essentiellement réactionnaire, intéressée à la perpétuation de l'Etat, relativement indépendante mais toujours associée à la classe dont le système économique est basé sur l'exploitation de l'homme par l'homme et dont le principe est le maintien et la perpétuation de l'exploitation humaine ainsi que la sauvegarde des privilèges économiques et sociaux.

 

4– Le développement de la technique et (globalement) des forces productives ne peut plus historiquement être enfermé dans le principe bourgeois de la possession privée des moyens de production1. Même la production capitaliste est obligée de porter atteinte à son principe sacro–saint de la possession privée des moyens de production et à recourir à une nationalisation capitaliste (… illisible …) économie comme les chemins de fer, les PTT et partiellement l'aviation, la marine marchande, la métallurgie et les mines. L'immixtion de l'Etat se fera sentir de plus en plus dans toute la vie économique, évidemment, dans l'intérêt et pour la sauvegarde du régime capitaliste dans son ensemble. D'autre part, dans la lutte entre les forces antagoniques de la société, entre les classes et groupes économiques, l'Etat ne pourra assumer son rôle de représentant et de médiateur qu'en s'appuyant lui–même sur une base matérielle, économique, indépendante et solide.

Dans cette évolution historique de la société capitaliste, l'Etat acquerra de plus en plus une figure nouvelle, un caractère nouveau, économique d'Etat–patron. Tout en gardant sa fonction politique d'Etat capitaliste et en l'accentuant, il évoluera sur le terrain économique vers un capitalisme d'Etat. L'Etat prélèvera une masse de plus–value en tant que part d'associés dans les branches et secteurs où subsiste la possession privée des moyens de production, au même titre que tout autre capital (bancaire ou foncier) ou il exploitera directement les branches et secteurs étatisés en unique patron collectif, en vue de la création de la plus–value. La répartition de cette plus–value se fera entre les membres le composant (mise à part la partie qu'il capitalisera en la réinvestissant dans la production) d'après le rang et la place de privilégiés acquis.

La tendance économique vers le capitalisme d'Etat, tout en ne pouvant pas s'achever dans une socialisation et une collectivisation dans la société capitaliste, reste néanmoins une tendance très réelle affranchissant en quelque sorte l'Etat d'un rôle strictement instrumental, le faisant apparaître dans son caractère nouveau, économique d'un patron collectif anonyme exploitant et extirpant collectivement la plus–value.

La possession privée des moyens de production, tout en ayant été la base fondamentale du système économique capitaliste et en subsistant encore aujourd'hui, peut parfaitement subir des modifications profondes à la phase finale du capitalisme sans pour cela mettre en danger les principes eux–mêmes de l'économie capitaliste. L'étatisation plus ou moins grande des moyens de production, loin de signifier la fin du système, s'accorde parfaitement avec ce système et même peut être la condition de son maintien à condition que le principe fondamental du système capitaliste persiste, à savoir : l'extirpation toujours plus grande de plus–value aux ouvriers se poursuivant au bénéfice d'une minorité privilégiée et puissante. L'opposition fondamentale entre l'économie capitaliste et l'économie socialiste ne réside donc pas dans la possession privée des moyens de production. Si le socialisme est incompatible avec la possession privée des moyens de production, l'absence de cette dernière (tout en étant une condition indispensable pour l'instauration de l'économie capitaliste) n'est pas forcément du socialisme puisque la réalité nous (montre) l'accommodation du capitalisme avec l'étatisation des moyens de production en s'acheminant vers le capitalisme d'Etat.

L'opposition fondamentale entre l'économie capitaliste et socialiste réside :

  1. dans le moteur et le but de la production : le principe capitaliste a pour moteur et but de la production la recherche de plus en plus grande de la plus–value ; le principe socialiste au contraire a pour but la recherche de la satisfaction des besoins de la société et de ses membres ;

  2. dans la répartition immédiate des produits et des valeurs créées ; le principe capitaliste est caractérisé par une part de plus en plus réduite de la masse des valeurs créées laissées pour la consommation, la plus grande part servant au réinvestissement en vue de l'élargissement de la production ; le principe socialiste réside dans l'accroissement proportionnel plus grand de la part des producteurs à la valeur produite pour sa jouissance immédiate.

La partie des valeurs produites directement consommable doit tendre à s'accroître par rapport à la partie destinée à être réinvestie dans la production en vue d'une reproduction.

Ainsi la tendance grandissante de l'Etat à l'indépendance au sein du capitalisme – tendance non seulement politique mais aussi économique –, loin de présenter un affaiblissement de la société capitaliste, ne fait que transférer la puissance économique du capitalisme à l'Etat en l'érigeant à la PUISSANCE, l'essence même du capitalisme. Face au prolétariat et à sa mission historique d'instauration de la société socialiste, l'Etat se présente comme le Goliath historique. De par sa nature, il (re)présente toute l'histoire passée de l'humanité, toutes les classes exploiteuses, toutes les forces réactionnaires. Sa nature étant, comme nous l'avons démontré, CONSERVATISME, VIOLENCE, BUREAUCRATISME, MAINTIEN DES PRIVILEGES ET EXPLOITATION ECONOMIQUE, il incarne le principe d'oppression irréductiblement opposé au principe de libération incarné par le prolétariat et le socialisme.

 

5– Toutes les classes jusqu'à ce jour n'ont fait que substituer leur domination, dans l'intérêt de leurs privilèges, à la domination des autres classes. Le développement économique des classes nouvelles se faisait lentement et longtemps avant d'instaurer leur domination politique au sein de l'ancienne société. Parce que leurs intérêts économiques coïncidant avec le développement des forces productives n'étaient que les intérêts d'une minorité, d'une classe, leur force s'accroissait au sein de l'ancienne société, économiquement d'abord ; ce n'est qu'à un certain degré de ce développement économique, après avoir économiquement supplanté, en partie résorbé l'ancienne classe dominante, que le pouvoir politique, l'Etat, la domination juridique viennent consacrer le nouvel état de fait. La bourgeoisie s'est développée longuement économiquement, le capital marchand s'est affermi et ce n'est que lorsque la bourgeoisie a dominé économiquement l'ancienne société féodale qu'elle a accompli sa révolution politique.

La révolution bourgeoise dût briser la résistance des féodaux, la superstructure idéologique, le droit féodal qui étaient devenus des entraves au développement des forces productives mais elle ne brisa pas l'Etat. Le principe de l'Etat étant la sauvegarde de l'exploitation de l'homme par l'homme, la bourgeoisie n'a fait que s'en emparer et continua à faire fonctionner la machine de l'Etat pour son propre intérêt de classe. Le processus des révolutions des autres classes dans l'histoire se présente donc de façon suivante :

  1. Edification et affermissement économique de la nouvelle classe au sein de l'ancienne société.

  2. Domination économique, révolution économique pacifique.

  3. Révolution politique violente consacrant le fait économique.

  4. Maintien de l'appareil d'Etat en le faisant fonctionner dans l'intérêt de la nouvelle classe. L'Etat s'identifie avec la nouvelle classe dominante.

  5. Résorption graduelle des anciennes classes dirigeantes qui survivent dans la nouvelle classe dominante.

 

6– Le prolétariat, à l'encontre des autres classes dans l'histoire, ne possède aucune richesse, aucun instrument de travail, aucune propriété matérielle. Il ne peut édifier aucune économie, aucune assise économique dans l'enceinte de la société capitaliste. Sa position de classe révolutionnaire réside dans le développement objectif de l'évolution, rendant l'existence de la propriété privée incompatible avec le développement des forces productives d'une part, et de l'impossibilité de poursuivre la reproduction élargie en une économie dont la base est la production de la plus–value d'autre part. Elle se heurte ainsi à l'absence du marché susceptible de réaliser cette plus–value. La nécessité objective de la société socialiste, en n'étant que la solution dialectique aux contradictions internes du système capitaliste, trouve en le prolétariat la seule classe dont les intérêts s'identifient avec l'évolution historique. La dernière classe de la société ne possédant rien, n'ayant aucun privilège à défendre, se rencontre avec la nécessité historique de supprimer tout privilège. Le prolétariat est la seule classe qui peut remplir cette tâche révolutionnaire de suppression de tout privilège, de toute propriété privée, pouvant développer les forces productives libérées des entraves du système capitaliste au bénéfice et dans l'intérêt de toute l'humanité. Le prolétariat n'a et ne peut avoir une politique économique au sein du régime capitaliste.

Il n'a aucune économie de classe à édifier avant ou après la révolution à l'encontre des autres classes et, pour la première fois dans l'histoire, c'est une révolution politique qui précède et crée les conditions d'une transformation sociale et économique. La libération économique du prolétariat est la libération de toute entrave, d'intérêt de classe, la disparition des classes. Il se libère en libérant toute l'humanité et en se dissolvant dans son sein.

L'Etat, principe de domination et d'oppression économique de classe, ne peut être conquis dans le sens classique par le prolétariat ; au contraire, les premiers pas vers son émancipation consistent dans la destruction révolutionnaire de cet Etat.

N'ayant aucune assise économique, aucune propriété, le prolétariat puise sa force dans la conscience qu'il acquiert des lois historiques objectives du processus économique. Sa force est exclusivement sa CONSCIENCE et son ORGANISATION. Le parti de classe, cristallisant la conscience de la classe, présente la condition indispensable pour l'accomplissement de la mission historique au même titre que ses organismes unitaires de lutte représentent sa capacité matérielle et pratique de l'action.

Les autres classes dans l'histoire, parce qu'ayant une assise économique au sein de la société pouvaient plus ou moins se passer d'un parti, étaient elles–mêmes à peine conscientes de l'aboutissement de leur action et elles s'identifiaient avec l'Etat, principe de privilège et d'oppression. Le prolétariat se heurte à chaque moment de son action en tant que classe à l'Etat ; il est l'antithèse historique de l'Etat.

La conquête de l'Etat par une classe exploiteuse dans un pays donné marquait le terme historique, le dernier acte révolutionnaire de cette classe. La DESTRUCTION de l'Etat par le prolétariat n'est que le PREMIER ACTE REVOLUTIONNAIRE de classe ouvrant pour lui et son parti tout un processus révolutionnaire EN VUE DE LA REVOLUTION MONDIALE D'ABORD ET ENSUITE SUR LE TERRAIN ECONOMIQUE EN VUE DE L'INSTAURATION DE LA SOCIETE SOCIALISTE.

 

7– Entre le degré atteint par les forces productives entrant en opposition avec le système capitaliste et qui font sauter le cadre de ce système et le degré de développement nécessaire pour l'instauration de la société socialiste, de la pleine satisfaction de tous les membres de la société, il existe un décalage très grand. Ce décalage ne peut être effacé par une simple programmatique, comme le croyaient les anarchistes, mais doit être comblé sur le terrain économique par une politique économique du prolétariat. C'est en cela que réside la justification théorique de l'inévitabilité d'une phase historique transitoire entre le capitalisme et le socialisme, phase transitoire où la domination politique et non économique appartient à la classe révolutionnaire qui est la dictature du prolétariat.

La maturation des conditions économiques en vue du socialisme est l'œuvre politique du prolétariat, de son parti et ne peut être solutionnée sur le terrain national, mais exige des assises mondiales. Le capitalisme, s'il est un système mondial, ne l'est que dans la mesure de la domination mondiale du capital et le développement économique des différents secteurs de l'économie mondiale, de même que celui des différentes branches industrielles ne se fait que dans la limite compatible avec l'intérêt du capital. Autrement dit, le développement de différents secteurs et branches de l'économie mondiale a été profondément entravé. Le socialisme, par contre, trouve ses assises dans un très haut degré de développement économique de tous les secteurs de l'économie mondiale. La libération des forces productives des entraves capitalistes dans tous les pays par la révolution prolétarienne sur l'échelle mondiale est donc la première condition d'une évolution économique de la société vers le socialisme.

La politique économique du prolétariat se développe sur la base de la généralisation de la révolution à l'échelle mondiale et est contenue non dans l'affirmation unilatérale de développement de la production mais essentiellement dans le rythme harmonieux de développement de la production avec la progression proportionnelle du niveau de vie des producteurs.

La phase transitoire exprime sa filiation économique avec l'ère historique pré–socialiste en ce sens qu'elle ne peut satisfaire tous les besoins de la société et contient la nécessité de la poursuite de l'accumulation. Toute politique qui misera sur la plus haute accumulation en vue de l'élargissement de la production n'exprimera pas une tendance prolétarienne mais ne serait que la suite d'une économie capitaliste. Tandis que la politique économique du prolétariat s'exprimera par l'accumulation nécessaire, compatible et conditionnée avec l'amélioration des conditions de vie des ouvriers avec l'augmentation relative et progressive du capital variable.

Après sa victoire révolutionnaire sur la bourgeoisie, le prolétariat, d'une part, devient la classe dominante politiquement qui, à travers son parti de classe, assure pendant toute la phase transitoire la DICTATURE de sa classe en vue d'acheminer la société vers le socialisme et, d'autre part, conserve sa position de classe dans la production, ayant des intérêts économiques particuliers immédiats à défendre et à faire prévaloir au travers de ses organisations économiques propres, les syndicats, et ses moyens de lutte, la grève ; et cela durant toute la phase transitoire.

 

8– La destruction révolutionnaire de l'Etat capitaliste, instrument de la domination de classe, est loin de signifier la destruction des positions économiques de l'ennemi et sa disparition. L'expropriation et la socialisation des principales branches clés de la production sont des mesures premières et indispensables de la politique économique du prolétariat. L'existence de secteurs économiques arriérés dans l'espace comme dans diverses branches de la production, et particulièrement l'agriculture, ne permet pas de passer immédiatement à une économie socialiste et à la disparition totale de la propriété privée. L'édification socialiste, ne pouvant surgir d'une affirmation programmatique, est le fruit d'un long processus économique où, sous la direction politique du prolétariat2, la gestion socialiste doit battre et vaincre la gestion capitaliste sur le terrain économique. L'existence de ces secteurs économiques arriérés et la subsistance inévitable de la propriété privée présentent un danger redoutable, un terrain économique de conservation, de consolidation et de renaissance des forces sociales s'opposant à la marche vers le socialisme.

La phase transitoire est la phase d'une lutte acharnée entre le capitalisme et le socialisme avec l'avantage pour le prolétariat d'avoir conquis une position politique dominante mais non définitive pouvant automatiquement assurer la victoire finale.

L'issue de la lutte, la garantie de la victoire finale réside pour le prolétariat exclusivement dans la force de sa conscience idéologique et dans l'aptitude de la traduire dans la politique pratique.

Toute faute politique, toute erreur tactique devient une position de renforcement de l'ennemi de classe. L'anéantissement des formations politiques de l'ennemi de classe, de ses organes, de sa presse est une mesure indispensable pour briser sa force. Mais cela ne suffit pas. Le prolétariat doit avant tout veiller à l'indépendance des organismes de classe qui lui sont propres et empêcher leur altération en les exposant à des tâches et à des fonctions étrangères à leur nature. Le parti, représentant la conscience de la mission historique de la classe et du but final à atteindre, exercera la dictature au nom du prolétariat ; le syndicat, organisation unitaire de la classe exprimant sa position économique et ses intérêts immédiats qu'il est appelé à défendre, ne peut s'identifier à l'Etat ni s'intégrer en ce dernier.

 

9– l'Etat, dans la mesure où il est reconstitué après la révolution, exprime l'immaturité des conditions de la société socialiste. Il est la superstructure politique d'une structure économique non encore socialiste. Sa nature reste étrangère et opposée au socialisme.

De même que la phase transitoire est une inévitabilité historique objective par laquelle passe le prolétariat, de même l'Etat est un instrument de violence inévitable – pour le prolétariat – dont il se sert contre les classes dépossédées mais avec lequel il ne peut s'identifier. ET LE MOINS QU'ON PUISSE DIRE, C'EST QU'IL (l'Etat) EST UN FLEAU DONT LE PROLETARIAT HERITE DANS SA LUTTE POUR ARRIVER A SA DOMINATION DE CLASSE (Engels, préface à "La guerre civile en France").

Dans sa nature, en tant qu'institution sociale, l'Etat instauré après la victoire de l'insurrection prolétarienne reste une institution étrangère et hostile au socialisme.

L'expropriation et la nationalisation, l'exclusivité de la gestion de l'économie, l'impréparation historique des classes travailleuses à la direction de l'économie, la nécessité de recourir à des spécialistes techniciens, à des hommes venant des couches et des classes exploiteuses et de leurs serviteurs séculaires, l'état désastreux de l'économie à la sortie de la guerre civile sont autant de faits historiques concourrant à renforcer la machine de l'Etat et ses caractères fondamentaux de conservatisme, de coercition (… illisible …). L'obligation historique pour le prolétariat de s'en servir ne doit nullement entraîner l'erreur théorique et politique fatale d'identifier cet instrument avec le socialisme. L'Etat, comme les prisons, n'est pas le symbole du socialisme ni de la classe appelée à l'instaurer : le prolétariat.

La dictature du prolétariat, exprimant la volonté de la classe révolutionnaire de briser les forces et les classe hostiles et d'assurer la marche vers la société socialiste, exprime également son opposition fondamentale à la notion et à l'institution de l'Etat. L'expérience russe a mis particulièrement en évidence l'erreur théorique de la notion de "l'Etat ouvrier", de la nature de classe "prolétarienne" de l'Etat et de l'identification de la dictature du prolétariat avec l'utilisation par le prolétariat de l'instrument de coercition qu'est l'Etat.

 

10– En se rendant maître de la société par la révolution victorieuse contre la bourgeoisie, le prolétariat hérite d'un état social nullement mûr pour le socialisme et qui ne peut atteindre cette maturité que sous sa direction. Il hérite dans tous les domaines, économique, politique, culturel, social, des Etats et de nations, des structures et des superstructures, des institutions et des idéologies extrêmement variées, arriérées qu'il ne peut effacer de par sa simple volonté, avec lesquels il doit compter, dont il doit combattre et atténuer les effets les plus nuisibles. La violence n'est pas le moyen essentiel ; elle ne doit être employée que strictement dans la limite de la violence employée par l'ennemi de classe et pour la briser.

La violence doit être absolument et catégoriquement exclue des rapports du prolétariat avec les classes laborieuses et dans son sein. D'une manière générale, les moyens employés pour assurer la marche vers le socialisme relèvent et découlent du but à atteindre, c'est–à–dire du socialisme même.

Dans les premiers temps de la phase transitoire, le prolétariat sera obligé d'utiliser les instruments qui lui ont été légués par toute l'histoire passée, histoire de violence et de domination de classe. L'Etat est un des instruments de la force et le plus haut symbole de violence, de spoliation et d'oppression dont le prolétariat hérite et dont il ne peut se servir qu'à la double condition :

  1. de considérer et de proclamer la nature antisocialiste de l'Etat avec lequel il ne peut jamais et à aucun moment s'identifier, en s'organisant et en lui opposant constamment ses organismes de classe, le parti et les syndicats, en l'entourant du contrôle vigilant et de chaque instant de toute la classe ;

  2. "d'atténuer les plus fâcheux effets dans la mesure du possible, comme l'a fait la Commune." (Engels, dans la préface à "La guerre civile en France")

L'expérience russe nous prouve que la conscience qu'ils avaient du danger que continue à représenter l'Etat dans les mains du prolétariat et les mesures nécessaires à prendre à son égard préconisées par nos maîtres n'étaient pas vaines.

Ces mesures – élection par les masses laborieuses de représentants révocables à tout moment ; destruction de la force armée détachée du peuple et son remplacement par l'armement général du prolétariat et des classes laborieuses ; démocratie la plus large pour la classe et ses organisations ; contrôle vigilant et permanent de toute la classe sur le fonctionnement de l'Etat ; un salaire limité et ne dépassant pas celui de l'ouvrier qualifié pour les fonctionnaires de l'Etat – doivent cesser d'être des formules mais être appliquées à la lettre et renforcées autant que possible par des mesures politiques et sociales complémentaires.

L'histoire et l'expérience russe ont démontré qu'il n'existe pas d'Etat prolétarien proprement dit, mais un Etat entre les mains du prolétariat dont la nature reste antisocialiste et qui, dès que la vigilance politique du prolétariat s'affaiblit, devient la place forte, le centre de ralliement et l'expression des classes dépossédées du capitalisme renaissant.

LES SYNDICATS APRES LA REVOLUTION

11– Les syndicats, organismes unitaires et de défense des intérêts économiques du prolétariat, ont leur racine dans la mécanique de la production. Ils surgissent de la nécessité où se trouve le prolétariat d'opposer une résistance à son exploitation économique, à l'extirpation d'une masse toujours plus grande de plus–value, c'est–à–dire à l'augmentation du temps de travail non payé.

Le développement de la technique, en augmentant la productivité, diminue le temps de travail nécessaire à l'entretien des producteurs. En régime capitaliste la plus grande productivité n'entraîne pas la diminution du temps de travail ni l'amélioration proportionnelle du niveau de vie des ouvriers. Au contraire le développement de la productivité poursuivi par les capitalistes est fait dans le but unique d'accroître la production de la plus–value.

L'opposition entre Capital et Travail, entre le capital constant et le capital variable, entre le capitalisme et le prolétariat autour du problème économique : la part de chacun dans la production est une opposition fondamentale engendrant une lutte de classe constante. C'est dans cette lutte contre le capital que le prolétariat donne le sens de son organisation de classe de défense de ses intérêts économiques immédiats par l'association de tous les exploités : le syndicat.

Quelle que soit l'influence des agents de la bourgeoisie, c'est–à–dire de la bureaucratie réformiste dans le syndicat et la politique qu'elle fait prévaloir, sabotant et dévoyant la fonction des syndicats, elle ne peut changer sa nature de classe qui reste telle tant que cet organisme reste indépendant, non rattaché à l'Etat capitaliste.

 

12– La révolution prolétarienne ne détruit pas d'emblée l'existence des classes dans la société et les rapports de production entre les différentes classes. La révolution victorieuse n'est que "l'organisation du prolétariat en classe dominante" qui, au travers de son Parti, ouvre un cours historique, imprime une tendance économique partant de l'existence de classes et de leur exploitation vers une société sans classe.

Cette phase transitoire du capitalisme au socialisme sous la direction politique du prolétariat se traduit sur le terrain des rapports post–économiques par une politique énergique tendant à diminuer l'exploitation des classes, à augmenter constamment la part du prolétariat dans le revenu national, du capital variable par rapport au capital constant. Cette politique ne peut être donnée par une simple affirmation programmatique du Parti et encore moins être dévolue à l'Etat, organisme de gestion et de coercition. Cette politique trouve sa condition, sa garantie et son expression dans la classe elle–même et exclusivement en elle, dans la pression qu'exerce la classe dans la vie sociale, dans son opposition et sa lutte contre les autres classes.

L'organisation syndicale en régime capitaliste est une tendance au groupement des ouvriers contre leur exploitation, tendance qui est constamment empêchée, entravée par la pression et la répression de la bourgeoisie dominante. C'est seulement après la révolution que l'organisation syndicale, devient réellement l'organisation unitaire de la classe groupant tous les ouvriers sans exception et peut réellement prendre et imposer pleinement la défense des intérêts immédiats du prolétariat.

 

13– Le rôle de l'organisation syndicale après la révolution ne réside pas seulement dans le fait qu'elle est la seule organisation pouvant assurer la défense des intérêts immédiats du prolétariat, ce qui à lui seul suffirait à justifier la pleine liberté et l'indépendance totale des syndicats, le rejet de toue tutelle et immixtion de l'Etat mais encore l'organisation syndicale est un baromètre vivant extrêmement sensible reflétant instantanément la tendance qui prédomine dans la gestion et évoluant dans le sens du socialisme (augmentation proportionnelle du capital variable) ou dans le sens du capitalisme (accroissement proportionnellement plus grand du capital constant). Dans l'oscillation de la gestion économique vers une politique capitaliste (déterminée par la pression économique de l'immaturité relative et par les classes non prolétariennes subsistantes), le prolétariat, au travers de l'existence de son organisation syndicale indépendante et sa lutte spécifique intervient, réagit et représente le facteur social exerçant la contre–pression dans le mécanisme économique en vue d'une gestion socialiste.

Attribuer aux syndicats la fonction de la gestion de l'économie ne fait nullement disparaître les difficultés essentielles issues de la situation économique présente ni son immaturité réelle et ne résout aucunement ses difficultés. Par contre on aliène la liberté du prolétariat et de son organisation, on annihile la capacité de son (…).

[Note FICCI: Manifestement, il manque une ou plusieurs pages de la copie de l'original ayant servi ici, ce qui est confirmé par le fait que ces thèses passent ici du point 13 au point 16.]

LA GESTION ECONOMIQUE

16– La gestion économique après la guerre civile est le problème le plus difficile, le plus complexe auquel doit faire face le prolétariat et son Parti. Il serait puéril de vouloir donner la solution à priori de tous les aspects pratiques que présentent ces problèmes. Ce serait transformer la doctrine marxiste en un système de préceptes définitifs valables et applicables à tout moment, et cela sans tenir compte des situations concrètes, circonstancielles, variées se présentant différemment dans divers pays et dans divers secteurs de la vie économique.

C'est exclusivement dans l'étude pratique des situations, au fur et à mesure qu'elles se présenteront, que nous dégagerons la solution contenue et donnée par les situations elles–mêmes. A l'instar de nos maîtres, nous pouvons seulement indiquer aujourd'hui, dans les grandes lignes, les principes généraux devant présider à la gestion économique dans la phase transitoire, et cela à la lumière de la première expérience donnée par la Révolution russe.

 

17– L'avènement du socialisme exige un très haut développement de la technique et des forces productives. Le prolétariat, au lendemain de la révolution victorieuse ne trouve pas achevé le développement de la technique. Il ne résulte nullement de cette affirmation que la révolution soit prématurée mais, au contraire, que le degré atteint par le développement se heurte à l'existence du système capitalisme, justifiant l'affirmation de la maturité des conditions objectives de la Révolution, c'est–à–dire de la nécessité de la destruction du système capitaliste devenant une entrave au développement des forces productives. Il appartient au prolétariat de présider à une politique de plein épanouissement, de plein développement des forces productives permettant au socialisme de devenir une réalité économique.

Le développement de la technique et des forces productives est la base de la politique économique du prolétariat nécessitant l'accumulation d'une partie de la valeur produite en vue d'améliorer, d'intensifier et d'assurer une reproduction élargie. Mais le socialisme n'est pas donné par la vitesse du développement des forces productives, le rythme est subordonné et limité aux possibilités concrètes issues de l'état politique et économique existant.

 

18– La gestion économique ne peut à aucun instant être séparée du développement de la lutte politique de la classe et cela sur la scène internationale. La révolution victorieuse dans un seul pays ne peut s'assigner comme tâche le développement de son économie indépendamment de la lutte du prolétariat dans les autres pays. La révolution russe a donné la démonstration historique que la poursuite séparée d'un développement économique de la Russie en dehors de la marche ascendante de la révolution dans les autres pays a amené la Russie à une politique de compromission avec le capitalisme mondial, politique de pactes et d'accords économiques à l'extérieur, de concessions à l'intérieur qui se sont avérées autant de moyens de renforcement économiques du capitalisme en pleine situation de crise, le sauvant de l'écroulement, et d'autre part apportant un trouble profond dans les rangs du prolétariat en pleine lutte révolutionnaire (accord de Rapallo).

Les accords économiques, qui devaient avoir pour seul résultat la recherche du renforcement économique partiel du pays de la révolution, ont en réalité abouti à un renforcement économique et politique du capitalisme, à un renversement du rapport de forces dans la lutte des classes en faveur du capitalisme contre le prolétariat. Ainsi le pays de la révolution victorieuse a accentué son isolement, perdu sa seule alliée, garantie du développement ultérieur : la révolution internationale, et devient une force économique et politique dévoyée et résorbée sous la pression grandissante de son ennemi historique : le capitalisme. La politique économique du prolétariat dans un pays ne peut donc s'assigner comme but de résoudre les difficultés et de résorber le retard du développement de la technique dans les cadres étroits d'un pays.

Le sort de l'économie et son développement sont indissolublement liés et directement subordonnés à la marche de la révolution internationale et doit consister dans une politique en vue de l'attente provisoire à l'intérieur et d'aide à la révolution internationale.

 

19– La poursuite du rythme accéléré non en proportion du développement de la capacité de consommation aboutit, comme l'a démontré l'expérience russe, au développement de la production des articles destinés à la destruction, suivant aussi sur ce plan la tendance générale du capitalisme mondial qui, dans sa phase décadente, ne peut assurer la poursuite de la production que par l'instauration de l'économie de guerre.

En opposition à cette politique ayant pour but le plus grand rythme de développement industriel, sacrifiant les intérêts immédiats du prolétariat, culbutant dans l'économie de guerre, la politique prolétarienne consistera dans un rythme proportionnel au développement de la capacité d'absorption des producteurs et déterminant la production des articles de consommation immédiatement nécessaires pour satisfaire les besoins des travailleurs.

L'accumulation ne suivra pas le critère d'un plus grand rythme de développement industriel mais exclusivement celui compatible avec la satisfaction progressive des besoins immédiats.

La gestion économique aura, pour base et principe, avant tout la production des articles de première nécessité, l'harmonisation graduelle des diverses branches de la production ensuite, et particulièrement entre la ville et la campagne, entre l'industrie et l'agriculture.

 

20– Tant que les forces productives et la technique n'ont pas atteint un développement suffisamment haut supplantant partout, dans toutes les branches de la production, la petite production, il ne pourra être question de la disparition complète des classes moyennes de l'artisanat et de la petite paysannerie.

Le prolétariat après la révolution ne pourra collectiviser que la grande industrie développée et concentrée, les industries clés, les transports, les banques et la grande propriété foncière. Il expropriera la grande bourgeoisie. Mais la petite propriété privée subsistera et ne sera résorbée que par un long processus économique. A côté du secteur socialiste, dans l'économie, subsistera un secteur privé de petits producteurs et les relations économiques entre ces divers secteurs se présenteront d'une façon variée, multiple, allant du socialisme au coopérativisme et à l'échange libre des marchandises entre l'Etat et les particuliers aussi bien qu'entre les producteurs individuels et isolés.

Comme dans la production, le problème de l'échange, des prix, du marché et de la monnaie auront une grande diversité.

La politique économique du prolétariat consistera à tenir compte de cette situation, à rejeter la violence bureaucratique comme moyen de régulariser la vie économique et, se basant seulement sur le terrain des possibilités réelles de résorption et de supplantation par le développement de la technique, tendra à liquider progressivement la petite propriété et la production isolée en incorporant ces couches de travailleurs dans la grande famille du prolétariat.

 

21– La vie et la gestion économique de la société exigent un organisme centralisé. La théorie consistant à laisser à chaque groupe de producteurs le souci de sa propre gestion est le rêve utopique d'un idéal petit–bourgeois, réactionnaire. Le développement de la technique exige une participation des grandes masses de travailleurs, leur coopération dans la production.

La production de chaque branche est étroitement liée à l'ensemble de la production nationale et de la production internationale. Elle exige la mise en mouvement de grandes forces, de grandes puissances, de plans d'ensemble que seule une administration centralisée peut assurer. D'autre part, c'est vouloir transformer chaque membre et chaque groupe de la société en autant de petits propriétaires aux intérêts propres et opposés et de revenir à l'époque marchande que la grande industrie a depuis longtemps rayée de l'histoire.

La société socialiste engendrera l'organe de l'administration sociale et de la gestion économique. A l'époque transitoire entre le capitalisme et le socialisme, cette fonction de gestion économique ne peut être assumée que par le pouvoir politique issu de la révolution qui, sous le contrôle de toute la population travailleuse, dirige et gère l'économie de la société.

La participation la plus large, effective, directe de tous les travailleurs à tous les échelons du nouveau pouvoir paraît être le seul mode assurant la gestion de l'économie par les travailleurs eux–mêmes.

La Commune de Paris nous a donné une première indication de ce nouveau type d'Etat et la révolution russe, en reprenant et reproduisant cette première ébauche, lui a donné sa forme définitive par les organisations de représentants de tous les travailleurs sur leur lieu de travail et de localité : l'organisation des Conseils (les Soviets).

 

22– Dans les élections aux organes de direction et de gestion, dans les Conseils, participe tout homme qui travaille et ne sont exclus que ceux qui ne travaillent pas ou vivent du travail d'autrui. Dans les Conseils se trouve l'expression des intérêts de tous les travailleurs, c'est–à–dire aussi des couches non prolétariennes.

Le prolétariat – de par sa conscience, sa force politique, la place qu'il occupe au cœur de l'économie de la société, dans l'industrie moderne, par sa concentration dans les villes et les usines, ayant acquis un esprit d'organisation et de discipline – joue le rôle prépondérant dans toute la vie et l'activité de ces Conseils, entraînant sous sa direction et son influence les autres couches des travailleurs.

C'est au travers de ces Conseils que les prolétaires, pour la première fois, apprennent, en tant que membres de la société, l'art d'administrer et de diriger eux–mêmes la vie de la société.

Le Parti n'impose pas aux Conseils sa politique de gestion de l'économie par décrets ou en se réclamant de droit divin. Il fait prévaloir ses conceptions, sa politique en la proposant, la défendant, la soumettant à l'approbation des masses travailleuses s'exprimant dans les Conseils (Soviets) et en s'appuyant sur les Conseils ouvriers et les délégués ouvriers au sein des Conseils supérieurs pour faire triompher sa politique de classe.

 

23– De même que les rapports du parti avec la classe s'expriment au travers de l'organisation syndicale, de même les rapports entre le prolétariat et son Parti avec les autres classes travailleuses s'expriment au travers des Conseils (Soviets).

De même que la violence au sein de la classe ne fait que fausser les rapports de celle–ci avec le Parti, de même la violence doit être rejetée dans les rapports entre le prolétariat et les autres classes travailleuses et couches travailleuses. Ces rapports devraient être assurés par la pleine liberté d'expression et de critique au sein des Conseils, des députés ouvriers et paysans.

D'une façon générale, la violence, en tant que moyen d'action entre les mains du prolétariat, sera indispensable pour briser la domination du capitalisme et de son Etat, et pour garantir par la force la victoire du prolétariat contre la résistance et la violence des classes contre–révolutionnaires pendant la guerre civile.

Mais, en dehors de cela, la violence n'est d'aucun secours dans l'œuvre constructive de l'édification socialiste et de la gestion économique, au contraire elle risque de dévoyer l'action du prolétariat, de fausser ses rapports avec les autres couches laborieuses et de déformer sa vision des solutions de classe qui sont contenues et garanties exclusivement par la maturation politique des masses et de leur développement.

Gauche Communiste de France (avril 1946)


Notes:

1 Dans le texte original, le point 4 commence en fait ainsi : Le développement et la technique et les forces productives ne peut plus, historiquement, être enfermé dans le principe bourgeois de la possession privée des moyens de production." (???)

2 Le texte original parle, manifestement de façon erronée, de "direction économique du prolétariat".


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