Internationalisme (GCF) - N° 4 - Juin 1945 Retour 

QUAND L’OPPORTUNISME DIVAGUE…

NOUS SOMMES ENTOURES D’ENNEMIS DE TOUTES PARTS ET IL NOUS FAUT MARCHER PRESQUE CONSTAMMENT SOUS LEUR FEU.

NOUS NOUS SOMMES UNIS EN VERTU D’UNE DECISION LIBREMENT CONSENTIE AFIN DE COMBATTRE NOS ENNEMIS ET DE NE PAS TOMBER DANS LE MARAIS VOISIN DONT LES HOTES N’ONT CESSE DE NOUS BLAMER D’AVOIR CONSTITUE UN GROUPE SPECIAL ET PREFERER LA LUTTE A LA CONCILIATION.

OR, VOILA QUE CERTAINS D’ENTRE NOUS VIENNENT NOUS DIRE : ALLONS DANS LE MARAIS !

ET SI L’ON ESSAIE DE LEUR FAIRE HONTE, ILS REPLIQUENT : QUELLE SORTE DE GENS ARRIERES VOUS ETES ! N’AVEZ VOUS PAS PEUR DE NOUS DENIER LA LIBERTE DE VOUS INVITER A SUIVRE UNE VOIE MEILLEURE ?

OH OUI, MESSIEURS ! VOUS ETES LIBRES NON SEULEMENT DE NOUS INVITER MAIS D’ALLER OU BON VOUS SEMBLE, FUT-CE DANS LE MARAIS ; C’EST LA D’AILLEURS QU’EST VOTRE VERITABLE PLACE ET NOUS SOMMES PRETS A VOUS AIDER A Y TRANSFERER VOS PENATES.

MAIS ALORS, LACHEZ-NOUS LA MAIN, NE VOUS ACCROCHEZ PAS A NOUS ET NE SOUILLEZ PAS LE GRAND MOT DE LIBERTE PARCE QUE, NOUS AUSSI, NOUS SOMMES “ LIBRES ” D’ALLER OU BON NOUS SEMBLE, LIBRES DE COMBATTRE LE MARAIS ET CEUX QUI Y BARBOTTENT…

Lénine (Que faire ?)


En toute période, la lutte implacable de classe use, à la longue, ses combattants. Les grandes défaites et la période qui les suit accusent une usure non seulement physique du prolétariat mais provoquent encore un terrible désarroi dans les rangs du parti de la révolution. En plus de la fatigue, le doute, le manque de confiance s’emparent des militants. Les uns se retirent temporairement ou définitivement de l'organisation de combat, les autres se détournent de l’idéal et du programme révolutionnaires pour s’accrocher à des idéologies anciennes ou nouvelles. Souvent ce n’est qu’une minorité qui a la force de se livrer à l’examen des causes de la défaite et à celui de la situation nouvelle pour corriger et enrichir, de par l’expérience vivante, le programme – arme et condition de la victoire de la révolution.

Le pire danger qui, en de telles périodes, guette le prolétariat et son avant-garde, c’est la manifestation d’une tendance qui, sous prétexte de la liberté de réexamen, révise les fondements théoriques et programmatiques acquis, vérifiés au feu des expériences des luttes passées du prolétariat. A la place du renforcement et du dépassement des positions politiques acquises, les situations nouvelles leur servent de tremplin pour ramener l’avant-garde et le prolétariat en arrière, en deçà de ses positions acquises.

L’accusation de dogmatisme figé, d’orthodoxie morte, contre ceux qui restent fidèles aux principes est l’accusation classique et préférée de tous les révisionnistes de tous les temps qui cachent leur révisionnisme sous l’apparence de découvertes nouvelles, de nouvelles théories et de nouvelles interprétations historiques.

Le cours vers la guerre et la guerre ont dévasté les rangs du prolétariat. La plupart des groupes révolutionnaires ont été emportés dans le tourbillon de la guerre ; et jusque dans nos rangs de la Gauche Communiste, nous avons ressenti ce souffle dévastateur. A la veille de la guerre, les premiers signes d’un révisionnisme, parmi nous, se sont fait sentir. Celui-ci s’est manifesté alors dans la négation des antagonismes inter-impérialistes précipitant la société capitaliste dans la guerre mondiale, dans la négation d’une perspective d’une guerre généralisée, dans la découverte d’une théorie économique dite d’économie de guerre qui permettrait au capitalisme décadent de sortir de la crise économique, ouvrant une ère d’essor économique pouvant assurer l’amélioration des conditions de vie des travailleurs. Au cours de la guerre, cette tendance s’est manifestée par la théorie de l’inexistence sociale du prolétariat durant la période de l’économie de guerre, ce qui interdirait toute possibilité d’action, de vie et d’existence même d’un organisme politique de la classe. Mais cette tendance, se développant et s’épanouissant pendant la guerre, devait donner aujourd’hui sa pleine signification.

Nous avons eu l'occasion dans les bulletins internationaux de nous expliquer sur plusieurs points de la nouvelle théorie de cette tendance. L'activité présente et le dernier discours programme de Vercesi dont nous avons le compte-rendu sténographique ne laisse plus subsister aucun doute sur le sens de l'évolution de cette tendance. Saisissant l'occasion qui s'offre à nous et portant le débat devant le prolétariat, nous estimons remplir notre devoir de révolutionnaires en réaffirmant les positions marxistes de la Gauche Communiste contre l'assaut et la défiguration que tentent de faire ceux qui tombent dans l'opportunisme.

Pour mieux illustrer notre pensée, nous serons obligés de reproduire de très larges extraits du document de Ver. et des citations diverses. Cette méthode a certainement l'inconvénient d'alourdir notre étude et nous nous excusons, mais aussi c'est la méthode qui offre le moins de risque de mal interpréter ou de défigurer la pensée de l'adversaire. Ceci d'autant plus que le texte de Vercesi présente souvent des obscurités, des énigmes et des contradictions que nous n'étions pas toujours à même de déchiffrer.

LE NEO-ANTIFASCISME

La Gauche Communiste se trouvait être le seul courant en opposition à toute la gamme des groupes trotskistes ou autres, issus de la 3ème Internationale au cours de sa dégénérescence, à ne pas arborer l'antifascisme comme position de classe du prolétariat. Notre position à ce sujet, nous l'avons exprimée et défendue des dizaines et des centaines de fois. On la trouvera dans toutes nos publications pendant plus de 20 années de lutte, et tout particulièrement après l'arrivée d'Hitler au pouvoir. L'objet de cette critique n'est pas la redémonstration de notre position en général, mais de répondre à ceux qui, tout en l'acceptant dans le passé, la rejettent aujourd'hui. Nous nous bornerons à rappeler en quelques mots les grandes lignes de notre position.

L'opposition Démocratie-Fascisme n'est pas une opposition historique fondamentale, comme tentent de le faire croire les "antifascistes". En le faisant, ils ne font que cacher l'opposition de classe qui, elle seule, est fondamentale dans la société divisée en classes. Cette opposition s'exprime dans le dilemme : capitalisme-socialisme ou bourgeoisie-prolétariat.

DEMOCRATIE ET FASCISME SONT DEUX ASPECTS, DEUX FORMES DE DOMINATION DE LA MÊME CLASSE. Ils expriment des situations particulières dans le temps et dans l'espace, nécessitant des formes politiques particulières pour le maintien de la domination capitaliste sur le prolétariat. Le recours au fascisme traduit une situation économique particulièrement critique dans laquelle les luttes sociales et la combustion révolutionnaire du prolétariat risquent de faire sauter en l'air tout l'édifice social du capitalisme. La forme "démocratique" du capitalisme laisse alors la place à la forme fasciste consistant dans la destruction violente de toute vie de la classe ouvrière, de ses organisations économiques, culturelles et politiques. Pour étouffer toute possibilité d'organisation du prolétariat le capitalisme ne peut le garantir qu'en interdisant toute organisation, toute presse qui n'est pas celle de l'Etat.

Les chefs, les partis de la "démocratie" capitaliste ne quittent l'arène politique qu'après avoir préparé, assuré la venue du fascisme. Un lien de classe lie la "démocratie" au fascisme. Ce n'est pas par la marche spectaculaire sur Rome mais par la voie "pacifique", par l'appel direct du gouvernement "démocratique" que Mussolini prend le pouvoir. Hitler viendra au pouvoir appelé par Hindenburg, champion de la défense de la constitution démocratique de Weimar, le président du Reich, de la social-démocratie, et par la machination de Von Papen, autre champion de la "démocratie".

L'antifascisme ne fait alors qu'estomper les frontières de classe et masquer l'enjeu historique et immédiat de la lutte. L'immobilisation du prolétariat par une idéologie étrangère à sa classe, derrière la défense de la "démocratie" permet à cette même démocratie d'aplanir et d'ouvrir la voie au fascisme. Après avoir assuré le triomphe de fascisme, la bourgeoisie réussit à empêcher la mobilisation du prolétariat sur le seul terrain de la lutte contre le fascisme, sur le terrain de défense des revendications de classe contre le capitalisme, en l'enveloppant de la fumée incolore antifasciste. L'antifascisme s'avère être ainsi une arme redoutable entre les mains du capitalisme, immobilisant le prolétariat pour assurer l'avènement du fascisme d'abord, et sa domination ensuite.

Sur le terrain international, l'antifascisme sera la meilleure arme du capitalisme pour faire accepter aux ouvriers des pays "démocratiques" la guerre de brigandage impérialiste. C'est sous le drapeau de l'antifascisme que les ouvriers renonceront "bénévolement" à la lutte de classe et, réintégrant la "nation", ils seront traînés pour la défense de la "patrie" dans l'union sacrée.

Telle est la position de la Gauche Communiste qui, dénonçant l'antifascisme, appelle le prolétariat à la lutte contre le fascisme, lutte qui ne pouvait vraiment être efficace qu'en se plaçant sur le terrain de classe. Prolétariat contre capitalisme sous toutes ses formes : fasciste, démocratique et dictature staliniste.


Il est le propre de l'opportunisme de ne pas combattre les positions révolutionnaires de front, mais de justifier la pratique opportuniste présente par une soi-disant situation nouvelle. Bien mieux, on se revendiquera d'autant plus des résolutions et des positions révolutionnaires du passé que cela permettra de camoufler l'opportunisme pratiqué dans le présent.

Le trotskiste se réclamera de la 3ème Internationale dans le passé pour adhérer, dans le présent, au parti socialiste et à la 2ème Internationale. Le stalinien se réclamera de la position de Lénine contre la guerre dans le passé pour faire joyeusement la guerre aujourd'hui. L'anarchiste fera appel à Bakounine dénonçant l'oppression de l'Etat, tout en justifiant la participation dans l'Etat capitaliste espagnol et dans la répression anti-ouvrière en 1936. Vercesi, lui, ne manquera pas à la règle et il "confirmera" la position contre l'antifascisme d'hier pour justifier l'antifascisme d'aujourd'hui. Ecoutons-le :

"Je confirme donc que nous avons eu raison d'affirmer que la tactique indirecte s'exprimant au travers de la formule antifasciste conduisait à la rupture principielle, ce qui est arrivé avec la guerre. Aujourd'hui, nous avons encore une fois raison quand, en face de l'Etat capitaliste qui est dans l'incapacité de liquider le fascisme et les fascistes, nous exaltons l'opposition violente du prolétariat au fascisme et aux fascistes et favorisons le heurt entre le prolétariat et l'Etat capitaliste."

Pour que la somme des mots ne fasse pas oublier au lecteur le fond du débat, soulignons qu'il ne s'agit pas d'exalter ou non l'opposition violente du prolétariat au fascisme. Hier comme aujourd'hui, toujours nous devons et avons exalté l'opposition du prolétariat au fascisme. Le problème est : de quelle façon, par quelle méthode, sur quelle base se fait cette exaltation ? Est-ce par la lutte de classe, du point de vue de classe et sur le terrain indépendant de classe, indépendamment de toutes les formations et organisations politiques du capitalisme, ou est-ce en collaboration avec des groupements qui sont liés au fascisme par le lien de classe ? C'est-à-dire au travers des comités antifascistes, groupant ceux-là même qui ont fait le lit au fascisme ? C'est là, et uniquement là-dessus, que porte le débat ; et les mots sur l'exaltation etc., ne font qu'embrouiller la question.

Vercesi, d'ailleurs, est catégorique sur ce point et c'est en cela que consiste l'opposition qu'il fait entre hier et aujourd'hui. Hier nous dénoncions toute la campagne "antifasciste" comme une campagne destinée à tromper le prolétariat, à l'empêcher de se regrouper sur son terrain de classe, à l'emprisonner dans une idéologie de l'ennemi de classe. Aujourd'hui nous devons non seulement participer à cette campagne qui aurait changé sa nature profonde mais pratiquement participer aux comités de coalition antifasciste. C'est ce que fait Vercesi en prenant l'INITIATIVE de la formation d'un comité de coalition antifasciste où participent socialistes, maximalistes, staliniens, anarchistes, parti républicain, "Justice et Liberté", toutes les organisations "ouvrières" et bourgeoises sans exception et où Vercesi, au nom de la fraction de gauche, s'assure respectablement le poste de secrétaire du comité.

Avant d'examiner la tâche que s'est donnée ce comité et son action, essayons d'abord de comprendre la justification que donne Vercesi d'un tel changement d'attitude envers l'antifascisme.

Nous savons déjà que cette nouvelle position est justifiée par la situation nouvelle qui s'est créée. En quoi consiste cette nouvelle situation ? Vercesi n'est pas très clair sur ce point. Par moment il parlera de crise économique de l'économie de guerre qui aurait déterminé la chute du "fruit pourri" qu'était le régime fasciste. Ailleurs il parlera de l'inexistence sociale du prolétariat, ce qui ne l'empêchera pas de déclarer plus loin que les partisans dans le nord de l'Italie luttent pour la révolution. Toutefois, une chose est clair pour lui : les régimes fascistes sont en train de crouler (on ne sait pas pour quelle raison exactement), ce qui détermine une volonté dans le prolétariat de son écrasement total. C'est cette volonté du prolétariat de lutte contre le fascisme qui nous imposera un changement de "tactique" à l'égard de l'antifascisme et de la participation dans les comités antifascistes, ne présentant plus le danger de fourvoyer le prolétariat comme c'était le cas auparavant. Et pourquoi cela ?

Vercesi répond : "Existe-t-il dans la situation actuelle une éventualité quelconque qui permet encore une fois à l'Etat capitaliste d'attirer le prolétariat et de l'immobiliser s'il continue de mener la lutte antifasciste." Et plus loin, dans les pays où le fascisme s'est déterminé, c'est-à-dire en Italie et en Allemagne… est-il possible à l'Etat capitaliste de rejeter ce qu'il avait fait avant 1939 ? Et Vercesi de conclure : "A mon avis, il faut répondre par la négative et ce parce que les ouvriers exigent aujourd'hui l'écrasement du fascisme."

Remarquons d'abord que Vercesi prend soin de bien distinguer entre les pays "où le fascisme s'est déterminé", c'est-à-dire a existé, des autres pays. Dans son discours, il insistera beaucoup sur cette distinction. Sa nouvelle tactique indirecte, il l'applique au pays qui ont connu le régime fasciste. Pour les autres pays, nous ne savons rien de sa pensée ni de la tactique à employer. Il ne nous dit rien là-dessus. Cela serait pourtant d'un très grand intérêt de savoir ce qu'il en pense. Nous le regrettons vraiment beaucoup mais force nous est de nous borner à suivre, dans notre critique, la trace de Vercesi. Voyons donc. Dans le premier passage, Vercesi se demande si l'Etat capitaliste de ces pays pourrait encore immobiliser le prolétariat s'il continue de mener la lutte antifasciste et, continuant comme si de rien n'était, il précise sa pensée "de répéter ce qu'il avait fait avant 1939". Pardon, nous sommes, semble-t-il, victimes d'une regrettable confusion. Dans ces pays, en Italie et en Allemagne, il y a deux phases distinctes d'un même Etat capitaliste. La première, celle de l'Etat capitaliste "démocratique" qui immobilise le prolétariat par la lutte "antifasciste" pendant qu'il favorise la préparation, le renforcement du fascisme qui doit prendre la direction de la machine étatique en succession de la "démocratie". La deuxième phase est celle de l'Etat capitaliste fasciste qui immobilise le prolétariat par la violence directe. Confondre ces deux phases et parler, comme le fait Vercesi, de l'Etat capitaliste immobilisant le prolétariat par l'antifascisme comme il l'avait fait avant 1939, revient à parler de l'Etat fasciste faisant de l'antifascisme et de créer une confusion inextricable entre les fonctions et la division du travail de la "démocratie" et le fascisme, œuvrant tous deux pour la sauvegarde du capitalisme.

Le stalinisme a fait la confusion en créant la notion de social-fascisme ; Vercesi, lui, crée aujourd'hui celui de l'Etat fasciste antifasciste, ce qui n'est pas plus heureux.

Mais pourquoi l'Etat capitaliste antifasciste (comme l'appelle Vercesi) qui a succédé ou succèdera dans les pays où il y avait le fascisme ne pourrait-il pas se servir de l'antifascisme pour immobiliser encore une fois le prolétariat ? Vercesi répond : "…parce que les ouvriers exigent aujourd'hui l'écrasement du fascisme." Mais cette exigence là, les ouvriers la proclamaient aussi hier ; cela n'a pas empêché l'Etat capitaliste et les forces politiques du capitalisme, ses divers partis, de fourvoyer le prolétariat et de l'immobiliser. Pourquoi cela ? Mais justement parce qu'ils se sont placés, ou on les a placés, sur le terrain d'exigences antifascistes et non sur leur terrain de classe anticapitaliste. La réponse de Vercesi n'en est pas une et sa justification de l'antifascisme d'aujourd'hui rejoint les justifications des menées antifascistes de toujours.

Par ailleurs, on essaiera de donner une justification de l'antifascisme d'aujourd'hui par le fait de l'incapacité de l'Etat capitaliste de liquider le fascisme et les fascistes, et qu'en exaltant l'opposition des ouvriers contre le fascisme nous favorisons le heurt entre le prolétariat et l'Etat.

Cette argumentation pêche par deux côtés. Premièrement, s'il est vrai qu'en exaltant l'opposition du prolétariat contre le fascisme nous favorisons le heurt entre lui et l'Etat qui s'avère incapable de liquider les fascistes, cela était encore plus vrai d'exalter l'opposition du prolétariat contre le fascisme quand celui représentait et s'identifiait à l'Etat capitaliste. Secondement, peut-on vraiment favoriser le heurt entre le prolétariat et l'Etat capitaliste en se coalisant dans un comité politique avec les partis politiques qui font partie de l'Etat capitaliste ?

"Evidemment, dit Vercesi, si sur le terrain général nous devions supposer que le problème révolutionnaire ne va pas se poser, cette position serait fausse, non parce qu'elle pourrait fourvoyer le prolétariat (très bien, très bien !) mais parce qu'elle pourrait le déterminer à poser un acte d'aventure, les possibilités réelles n'existant pas pour obtenir cette désarticulation du prolongement de l'Etat antifasciste italien."

Ainsi, c'est parce qu'aujourd'hui nous supposons que le problème révolutionnaire va se poser que nous devons participer dans une coalition antifasciste avec les forces du capitalisme qui ne peuvent être que contre-révolutionnaires. Dans la langue courante cela signifie que, devant une menace de la révolution, nous devons participer à une coalition capitaliste, c'est-à-dire renforcer la résistance du capitalisme. Vercesi appelle cela : "favoriser le heurt du prolétariat contre l'Etat capitaliste" par la tactique indirecte.

Qu'est cette tactique indirecte ? Il s'agit de règles, de tactiques élaborées au 2ème congrès du parti communiste d'Italie et faisant partie d'un ensemble connu sous le nom de Thèses de Rome, qui est un document fondamental de la Gauche Communiste. La "tactique indirecte" traite particulièrement des règles d'action du parti communiste ne posant pas l'attaque directe pour la prise du pouvoir. Citons quelques passages sur la tactique indirecte :

Paragraphe 32 "Une des tâches essentielles du parti communiste pour préparer idéologiquement et pratiquement le prolétariat à la lutte révolutionnaire pour la dictature est la critique impitoyable du programme de la gauche bourgeoise et de tout programme qui voudrait chercher la solution des problèmes sociaux dans les cadres des institutions démocratiques et parlementaires bourgeoises."

Comme on voit, on est loin de cette tactique de Vercesi qui consiste à favoriser le heurt entre le prolétariat et l'Etat capitaliste en compagnie de la gauche bourgeoise. Quant à ces coalitions heureuses de Vercesi et qu'il appelle "la tactique indirecte", nous lisons dans le paragraphe 31 :

"Il (le parti communiste) ne peut proposer une tactique avec un critère occasionnel et temporaire et en calculant qu'il pourra ensuite exécuter, au moment où cette tactique apparaîtra dépassée, un brusque changement de front qui transformera en ennemis ses alliés d'hier."

Dans le paragraphe suivant (33) où il est question de l'utilisation de l'expérience faite par un gouvernement de gauche, il est spécifié que la propagande du parti sera efficace dans la mesure où le parti n'aura non seulement pas participé mais aura dénoncé à l'avance cette faillite.

Le parti démontrera, au cours de l'expérience, l'unité de front de toute la bourgeoisie contre le prolétariat et "comment les partis qui se prétendent ouvriers mais se coalisent avec la bourgeoisie (ceci s'applique très bien à ceux qui, tout en s'intitulant Gauche Communiste, coalisent avec une fraction de la bourgeoisie dans un comité antifasciste) NE SONT RIEN D'AUTRE QUE SES COMPLICES ET SES AGENTS."

Même dans le front unique syndical – le seul front unique que nous concevons – nous ne préconisons pas la constitution des comités dirigeants formés de représentants de diverses fractions qui se sont déclarés d'accord pour une action commune. Les communistes, afin de garder leur pleine liberté et d'élargissement de la plate-forme de lutte au moment où cela serait nécessaire et possible, afin d'attirer l'attention des masses sur le programme communiste spécifique "éviteront la constitution des comités dirigeants de lutte et d'agitation dans lesquels le parti communiste serait représenté et compromis parmi les autres partis politiques."

Cette tactique indirecte nous semble être diamétralement opposée à sa caricature présentée par Vercesi.

Remarquons encore que, si nous ne savons pas la "tactique" que préconise Vercesi pour les pays qui n'ont pas connu la domination fasciste, nous ne savons pas davantage sur celle qu'il préconise pour les pays qui l'ont connue. Nous ne parlerons pas de l'Allemagne dont il ne souffle pas un mot ; mais même pour l'Italie nous ne sommes pas plus renseignés. Faut-il, en Italie, participer à ces coalitions antifascistes ? Faut-il les dénoncer auprès du prolétariat ? Nous ne saurons rien. L'horizon de Vercesi se borne à B. où il applique en virtuose sa tactique indirecte contre le "prolongement de l'Etat antifasciste italien".

Vercesi - qui, comme nous aurons l'occasion de le voir par la suite, se réfère à tort et à travers au milieu social – pousse vraiment, en l'occurrence, cette référence en proclamant une tactique indirecte produit et valable exclusivement de par le milieu social de sa petite ville provinciale.

"La vie de la colonie italienne et de son expression gouvernementale en la représentation diplomatique, écrit Vercesi, n'est possible qu'au travers des formes correspondantes à la société actuelle, c'est-à-dire au travers de la reviviscence de la couche capitaliste de la colonie" d'où il résulte "ce problème oppose d'une façon violente les prolétaires de la colonie italienne contre la prolongation en B. de l'Etat capitaliste et antifasciste italien." Et voilà pourquoi Vercesi, devant la reviviscence de la couche capitaliste qui oppose d'une façon violente les prolétaires contre la prolongation de l'Etat capitaliste et antifasciste, s'empresse, pour favoriser le heurt, de créer un comité de coalition. Pour de la tactique, elle est plutôt directe et capitaliste par-dessus le marché.

Et voilà quelques spécimens de la phrase révolutionnaire destinée à teinter en rouge l'antifascisme.

"Tous ces ouvriers, auxquels on a dit qu'on avait fait la guerre pour abattre le fascisme, sont portés à poser à leur organisation, tout autant que sur le plan social, le problème de l'abattement du fascisme et l'écrasement des fascistes." Vercesi oublie apparemment que c'est surtout aux ouvriers des pays "démocratiques" que le capitalisme a tenu ce langage pour leur faire accepter la guerre. Sa tactique indirecte de l'antifascisme s'appliquerait alors surtout à ces prolétaires ? Le grand branle-bas "antifasciste" sert toujours à l'Etat capitaliste de ces pays pour duper le prolétariat. C'est sous l'étiquette "antifasciste" que les staliniens se sont présentés aux élections récentes en France.

"Le socialisme n'est pas le produit direct du capitalisme mais sa négation" dit justement Vercesi ; mais cela ne l'empêche pas, quand il a besoin, d'affirmer le contraire : "La révolution est-elle oui ou non le produit direct de la guerre ? Oui répond cette fois-ci Vercesi oubliant que la révolution est la négation de la guerre impérialiste et non son produit direct. Tout cela pour justifier cette autre affirmation qui vraiment ne manque pas d'audace : "Le dilemme prolétriat-Etat, dissimulé encore actuellement sous l'expression antifascisme-Etat, ne pose-t-il pas l'opposition révolution-Etat ? Oui."

Ainsi l'antifascisme – que le capitalisme, dans tous les pays du monde, réchauffe sans cesse pour servir de nourriture aux ventres creux du prolétariat, afin de justifier les 6 ans de massacres, qui lui servent de justification dans la répression contre les révolutionnaires appelés, pour les besoins de la cause, fascistes – c'est cet antifascisme entretenu par tous les partis et coalitions capitalistes que l'on nous présente comme étant la négation de l'Etat, comme étant le synonyme de prolétariat et révolution.

Mais sentant bien que cela ne va pas tout seul, Vercesi avoue : "Toutefois, il y a UNE PETITE CONCESSION QUE NOUS AVONS DU FAIRE. AVANT 1939, nous disions 'pas de lutte antifasciste mais lutte CONTRE le fascisme. AUJOURD'HUI, nous avons été obligés, du fait de la situation nouvelle qui s'était créée, de ne PAS POSER IMMEDIATEMENT ce problème de la lutte contre le fascisme, ce qui est une position rigoureusement exacte, et d'accepter cette expression du problème de la lutte antifasciste."

Le petit mot "cette expression" est là juste pour camoufler toute l'étendue qui sépare la formule de la lutte contre le fascisme (et l'antifascisme) de cette autre formule capitaliste de "la lutte antifasciste".

Et voilà en quoi consiste la petite concession "que nous avons dû faire".

Rappelons encore la tactique indirecte telle qu'elle était formulée dans les thèses de Rome (page 30) : "Toute attitude qui cause ou comporte le passage au second plan de l'affirmation intégrale dans sa propagande qui n'a pas seulement une valeur théorique mais découle surtout des positions prises quotidiennement dans la lutte prolétarienne réelle et qui doit mettre continuellement en évidence la nécessité pour le prolétariat d'embrasser le programme et les méthodes des communistes, toute attitude qui ne se ferait pas de la jonction d'événements contingents donnés, un moyen pour passer outre mais une fin en soi, conduirait à un affaiblissement de la structure du parti et de son influence dans la préparation révolutionnaire des masses."

L'opportunisme a la mémoire courte. Et quand on s'écrie : "Nous sommes des antifascistes parce que nous sommes convaincus que l'Etat ne fait pas et ne fera jamais la révolution…", nous répondrons que nous nous trouvons en présence d'une argumentation portant sur une conception prélogique et d'enfoncement des portes ouvertes. Et quand on ajoute : "… parce que nous ne tombons pas dans le piège de croire que parce qu'il s'efface, l'Etat est détruit", nous nous demandons où Vercesi a-t-il vu l'effacement de l'Etat ? Pas en Italie en tout cas.

Nous ne comprenons pas davantage cette nébuleuse explication sur "le problème de tactique indirecte est celui de déterminer l'impossibilité dans la déliquescence, c'est-à-dire d'imposer la présence de l'Etat capitaliste" et tous ces tortueux raisonnements pour justifier la participation dans le comité de coalition antifasciste.

A tout cela, nous préférons et opposons cette position de "l'incompatibilité évidente de l'appartenance simultanée au parti communiste et à un autre parti, s'étend plus loin que les partis politiques, jusqu'à ces mouvements qui n'ont pas de nom et d'organisation de parti, bien qu'ils aient un caractère politique…" (Thèses de Rome)


L'activité antifasciste

"Le parti de la classe ne représente l'antithèse qu'à la condition de s'opposer, dans tous les instants et dans tous les domaines, à la thèse capitaliste."

Cette citation que nous empruntons à Vercesi même, nous la faisons entièrement nôtre. Elle exprime une idée marxiste révolutionnaire que nous ne saurons pas mieux formuler. Cela prouve que Vercesi a encore des réminiscences du marxisme, dans le camp duquel il a occupé, pendant trois décades, une place notoire. Peut-être que ce passé l'emportera demain sur le glissement révisionniste d'aujourd'hui. Qu'il soit bien entendu que nous ne combattons pas les hommes, les personnalités, mais les idées qu'ils expriment quand ces idées et leurs actions nous semblent préjudiciables aux intérêts de la classe et de la cause de la révolution.

Nous avons examiné précédemment la thèse du néo-antifascisme, nous allons maintenant voir la concrétisation de cette thèse dans l'activité pratique.

Le comité de coalition antifasciste de B. se crée sur la base suivante : 1) assistance, 2) activité culturelle, 3) contre les menées fascistes.

Nous ne nous arrêterons pas sur l'assistance. L'assistance sociale, le prolétariat ne peut l'organiser en collaboration avec la bourgeoisie. Cette assistance, il l'exige et l'impose à la bourgeoisie par sa lutte de classe. Il dénonce la bourgeoisie comme la seule responsable de la misère des masses. Ce n'est qu'après le renversement, par la révolution, de l'Etat capitaliste que le prolétariat pourra efficacement organiser l'assistance sociale.

L'entraide, la solidarité envers les victimes du capitalisme, envers les combattants pour la cause du prolétariat, les ouvriers ne peuvent l'organiser qu'indépendamment des groupements capitalistes. C'est là un problème de classe qui ne peut être résolu que sur le terrain de classe, sous le contrôle de la classe, par les organismes de classe, les syndicats, le parti et une organisation comme le Secours Rouge.

Sur l'activité culturelle, nous pouvons dire la même chose. Ce dont le prolétariat a besoin dans la société capitaliste, c'est la dénonciation du mensonge bourgeois sur la culture en général. Dans une société divisée en classes, la culture est au service de la classe dominante et imprégnée d'une conception de classe. Pour l'éducation culturelle, les communistes s'efforceront de la faire au travers et sous la direction des organisations de la classe. Les possibilités de l'éducation culturelle du prolétariat ne peuvent qu'être très limitées dans la société capitaliste. Loin de se gargariser avec des mots sur l'éducation culturelle en général de la classe, à la manière des anarchistes, les communistes porteront leurs efforts pour donner aux prolétaires avant tout les éléments qui leur sont nécessaires pour la poursuite de la lutte, les éléments qui leur sont nécessaires pour discerner entre leurs intérêts et les positions de leurs ennemis de classe. C'est une éducation politique que les ouvriers ont besoin avant tout. C'est pourquoi nous voyons dans le passage suivant où Vercesi formule sa conception sur l'activité culturelle, non pas l'expression de la position communiste mais celle du secrétaire du comité de coalition :

"Vous comprendrez d'autant mieux, dit Vercesi, qu'à mon avis il était nécessaire de pouvoir déterminer, au sein du prolétariat, un soulèvement de son cerveau au niveau de l'expression théorique des problèmes politiques que de les inciter à se borner aux questions propres à la politique et aux dissentiments qui opposent les partis."

Le style imagé sur le "soulèvement du cerveau au niveau de l'expression théorique des problèmes politiques" ne saurait nous cacher et ne pas nous rendre méfiant sur la culture infusée aux ouvriers…

Le modèle restera encore, pour nous, le jeune Marx faisant des conférences aux ouvriers de Bruxelles sur "Salaires, travail et profits".

Mais ces deux premiers points ne sont que des accessoires. La vraie raison d'être de ce Comité, c'est son caractère politique ou antifasciste. Vercesi distingue deux aspects de l'activité antifasciste du Comité : l'épuration et la dénonciation.

Voilà dans quels termes il s'explique sur l'épuration :

"Ici, il faut faire attention à l'expression formelle (!!!) de l'activité qui a été menée à B.

Cette position (de l'épuration) est absolument fausse (!)."

Peut-être allons nous assister à un ressaisissement de Vercesi. Prêtons donc notre attention aux arguments avec lesquels il démontrera que cette position de l'épuration est fausse :

"J'ai dit qu'il n'est pas possible, dans les pays où le fascisme a déferlé, de se purger du fascisme.

"Mais le danger que j'avais justement soulevé dans l'article était que, sous le couvert de ce que l'on appelait l'épuration, il se vérifie qu'à côté de deux ou trois fascistes que l'on aurait foutus en prison, on aurait justifié une répression contre l'ensemble de la masse ouvrière."

C'est tout, c'est bien tout. Le danger que signale Vercesi est absolument réel. Mais aussi important que soit ce danger, il n'est qu'un aspect secondaire de la question. Vercesi passe sous silence le point capital du problème de l'épuration. L'épuration est une arme démagogique, une berceuse destinée à endormir, à duper, à détourner le prolétariat de son action de classe. C'est une sérénade destinée à l'empêcher d'orienter son action de classe vers l'assaut contre l'Etat-capital.

Nous ne sommes ni pour ni contre l'épuration, nous dénonçons ce slogan de foire comme une duperie capitaliste.

Vercesi, lui, ne voit pas le contenu de classe et le but visé par cette duperie. Ne voyant qu'une mauvaise "expression" qui risque de faire des ouvriers les victimes de l'épuration, il préconisera une formule qui n'aura pas cet inconvénient. Il veut une bonne et juste épuration. Aussi, en vrai révolutionnaire, il fera un acte d'éclat. Voyez : "A la formule de l'épuration nous avons essayé de faire substituer l'autre de la lutte contre les crimes fascistes et contre les fascistes."

On ne peut évidemment pas reprocher à Vercesi d'avoir échoué dans sa tentative de substituer les formules. Si le Comité antifasciste ne l'a pas suivi dans cette substitution, ce n'est pas de sa faute ; lui, il a le grand mérite "d'avoir essayé" et il se tient pour quitte.

Devançant les reproches qu'il sent qu'on pourrait lui adresser, il s'écrie indigné : "On ne peut pas demander à nous ni aux fractions de gauche de pouvoir obtenir une victoire JUSQUE DANS LES MOTS." Çà c'est répondu ! Car, voyez vous, pour Vercesi, ce qui reste comme différence entre sa formule et celle des autres groupes antifascistes du Comité – les staliniens, les socialistes, le parti républicain – n'est qu'une question de mots.

Et il ajoute : "Il faut demander une victoire dans la substance des choses." Aucun doute pour Vercesi qui croit avoir obtenu cette victoire "dans la substance des choses". Pour nous non plus, aucun doute ne subsiste là-dessus. Dans la substance des choses et quelle que soit la formule de Vercesi, il se trouve prisonnier de cette officine de l'Etat capitaliste italien qui s'appelle Comité antifasciste ; et, solidaire avec la politique de ce Comité, Vercesi participe au dévoiement et à la duperie de la classe ouvrière.

Il ne faut pas encore beaucoup de ces "victoires dans la substance" pour que Vercesi renonce non seulement "aux mots" mais oublie jusqu'au souvenir de ce qu'est un révolutionnaire, jusqu'au souvenir de ce qu'il fut autrefois.

Sur la dénonciation des fascistes

"Pour ce qui concerne la dénonciation des fascistes, dit Vercesi, le problème se pose ainsi : l'Angleterre, l'Amérique et la Russie disent 'Nous voulons punir les fascistes'." Qu'est-ce que cela veut dire ? Nous savons bien ce que dit le capitalisme international. Allons nous démontrer auprès des ouvriers que le capitalisme international ne fait que de la démagogie, qu'il est lié avec les fascistes et le fascisme, que l'histoire de punir les fascistes est une duperie grossière, que cette duperie consiste à trouver un bouc émissaire pour détourner la colère des masses, accumulée par tant d'années de souffrances et de massacres, de tous les responsables fascistes, démocrates et staliniens, ou bien allons nous essayer de faire battre les uns par les autres, c'est-à-dire les fascistes par les démocrates, en dénonçant à ces derniers les fascistes et, si les démocrates ne les punissent pas, alors ils se démasqueront devant les ouvriers ?

Vercesi, à qui on ne peut reprocher d'être avare de mots, est sur ce point plus que laconique. Au risque de nous étendre encore, nous allons reproduire tout le passage concernant la question de la dénonciation, en le commentant au fur et à mesure. La chose en vaut vraiment la peine. D'autant plus que c'est un des points principaux dans l'activité de tous les Comités de libération, les comités de coalition antifasciste et de multiples comités d'épuration, de vigilance de toutes sortes, dans les usines et partout où le capitalisme tente d'embrigader les ouvriers.

Ne pas répondre à la question que nous venons de poser, se contenter de répéter simplement que l'Angleterre, l'Amérique et le Russie disent : "Nous voulons punir les fascistes", c'est accréditer, auprès des ouvriers, cet infâme mensonge.

Il faut être atteint d'un crétinisme démocratique incurable pour l'affirmer quand, en réalité, le capitalisme international tente, par tous les moyens, de mettre à l'abri de la colère des masses les grands chefs fascistes. La Russie, pour soustraire les chefs nazis, a trouvé pour les Von Paulus, les Von Salomon et autres canailles une place dans les comités de 'l'Allemagne libre". Dans tous les pays occupés par l'armée rouge, la Russie instaure des gouvernements où participent les anciens chefs et généraux fascistes.

En Italie, la milice fasciste a été incorporée, par un décret gouvernemental, dans la police d'Etat. Et si Mussolini et sa bande ont été massacrés, c'était là un acte populaire direct, contre la volonté du gouvernement cherchant encore une fois, comme en 1943, à manœuvrer pour les sauver. En Allemagne, les Alliés maintiennent le gouvernement de Donitz composé de hauts dignitaires fascistes et chefs SS. C'est sur les chefs fascistes que les Alliés s'appuient pour le maintien de l'ordre en Allemagne, en Autriche et partout ailleurs.

En France, en Belgique, tandis qu'on fusille la petite racaille, les chefs sont tous sans exception graciés en attendant leur libération par une amnistie un jour ou l'autre. Le capitalisme "démocratique" ménage son équipe fasciste, tout comme hier l'équipe fasciste a ménagé et a conservé à l'abri l'équipe démocratique, les Jouhaux, les Blum, les Daladier et autres Herriot.

Voilà la vérité qu'il faut inlassablement mettre en évidence devant les masses. Si les Etats crient tant pour la punition des fascistes, ce n'est que pour assourdir, avec de la démagogie et des mensonges, la colère des masses. Et, quand même quelques têtes fascistes tombent, c'est une façon de jeter du lest pour calmer les ouvriers. En se contentant de constater les désirs du capitalisme au lieu de dénoncer les mensonges, en cherchant à mettre le capitalisme international au pied du mur au lieu de dénoncer à l'avance les illusions qu peuvent garder les ouvriers dans les sentiments antifascistes de la "démocratie", on ne fait que fortifier ces illusions et rendre un service notable au capitalisme.

Mais Vercesi ne s'arrête pas là. Le problème est bien plus ample et va plus loin que la volonté des capitalistes de punir les fascistes. Il s'agit, en l'occurrence, de l'attitude qu'on prend envers le problème de la dénonciation des fascistes que le Comité antifasciste auquel participe Vercesi considère comme sa tâche.

Cette fois-ci Vercesi n'a même pas cherché une nouvelle formule à substituer, il va carrément justifier cette activité. Voilà comment il l'explique :

"Ecoutez (écoutez bien), si demain, dans n'importe quelle circonstance que ce soit, la police française, belge ou anglaise ou de n'importe quel pays se présent à un prolétaire et lui dit qu'elle veut mettre un fasciste en prison, ce prolétaire doit répondre doit répondre que l'expression politique de ce geste ne parviendra pas à le tromper sur la réalité du geste même, mais ce prolétaire ne deviendra pas le défenseur du fasciste menacé par l'Etat capitaliste."

Quel langage filandreux et répondant à côté de la question ! C'est la méthode typique de l'opportunisme qui, en simplifiant, escamote le fond de la question. Pour Vercesi, il n'y a qu'une alternative : dénoncer (quelle dérision) les fascistes à la police ou se faire les défenseurs des fascistes. Exactement comme le posent les staliniens, comme le posent tous les traîtres dans toutes questions. C'est dans ces alternatives capitalistes qu'on enferme de force le prolétariat quand on ne lui laisse que le choix : ou de faire le jeu de Franco ou se faire massacrer pour la défense de la République capitaliste espagnole. Pareillement, dans la guerre, on l'enferme dans l'alternative : ou la défense de la patrie démocratique ou de faire le jeu du fascisme des pays de l'axe. A ces alternatives capitalistes, nous avons toujours opposé la seule et unique réponse : briser l'alternative pour lui opposer le prolétariat se rassemblant sur son terrain propre, de classe, pour ses objectifs propres de classe.

Le prolétariat n'a pas – quoi qu'en dise Vercesi devenu un protagoniste de l'antifascisme – à choisir de collaborer ou avec la police "démocratique" (encore un pas et nous voilà avec "la police avec nous !") ou avec les fascistes. Convaincu (et c'est à nous de l'aider à acquérir cette conviction) que l'un soutient l'autre, que l'un est le fourrier de l'autre, le prolétariat doit engager sa lutte contre le régime capitaliste comme tel, considéré comme une unité, comme un tout solidaire contre lui.

Quel charmant tableau, idyllique presque, qu'on nous brosse. Voyez donc cela :la police se présentant au prolétaire et lui faisant part de son intention de mettre en prison le fasciste ; tout juste si on ne dit pas que la police vient demander à l'ouvrier la permission de le faire. Sur quoi, l'ouvrier répond à la police : "Petit polisson, tu ne tromperas pas, je t'ai à l'œil !" et il le laissera arrêter le fasciste. Quelle triste idée vraiment Vercesi nous donne sur son évolution !

Quand la police se présente à un prolétaire, camarade Vercesi, ce n'est pas pour lui faire des confidences ni pour lui faire part de ses intentions antifascistes mais pour frapper l'ouvrier. L'Etat ne demande pas de permission aux ouvriers pour arrêter les fascistes. Vous escamotez, vous défigurez le fond du problème, camarade Vercesi. Ce que l'Etat demande présentement aux ouvriers, c'est de se faire les auxiliaires de la police, non pas pour arrêter les fascistes mais pour intégrer les ouvriers, pour les incorporer dans les filets de l'Etat capitaliste, dans son appareil policier, pour les faire quitter leur terrain de classe et leur lutte de classe. Et c'est à cette question qu'il faut répondre sans équivoque, camarade Vercesi. Oui ou non, le rôle d'auxiliaire de la police qu'on veut faire jouer aux ouvriers, est-il un crime et la plus abjecte trahison envers la cause du prolétariat ? Vercesi, après avoir escamoté le fond de la question, en guise de réponse conclut : "Il n'y a aucune compromission d'ordre principiel sur la question de la dénonciation des fascistes eux-mêmes."

Bien, bien ! Après cette réponse, conclusion de Vercesi : il ne nous reste qu'à tirer les rideaux et laisser aux ouvriers conscient le soin de donner leur avis.


LE PARTI OU LE PROBLEME DE L'INTERVENTION DU FACTEUR CONSCIENT DANS LA LUTTE DE CLASSE

Le problème de l'organisation de classe, du parti politique du prolétariat, son programme et son rôle dans la lutte pour l'avènement d'une société nouvelle, la société communiste, a toujours été la préoccupation qui a dominé les cerveaux de tous les révolutionnaires prolétariens d'avant Marx jusqu'à nous. Il n'existe peut-être pas de problème qui ait été plus passionnément, plus âprement débattu parmi les révolutionnaires que celui-là. De la conspiration des Egaux de Babeuf à la Ligue des Communistes, du Chartisme au Blanquisme, de la 1ère à la 3ème Internationale, des marxistes aux anarchistes et opportunistes, tous les courants et tendances qui agissent au sein du prolétariat ont été amenés à poser et à se situer face à ce problème capital de la formation du parti. Les solutions diverses données à la nature et au rôle du parti par les différents courants idéologiques agissant dans le prolétariat à diverses époques historiques de sa lutte, l'obscurité, l'erroné, l'inachevé de ces solutions marquent la difficulté à laquelle s'est heurté le prolétariat pour solutionner ce problème qui, tout en n'étant engendré par la lutte de classes, est toutefois lié historiquement à cette lutte d'une manière étroite. La solution ne pouvait donc être donnée que parallèlement au développement de la lutte de classe dans la maturation objective des situations historiques.

L'expression la plus achevée de la solution au problème du rôle que l'élément conscient, le parti, est appelé à jouer pour la victoire du socialisme a été donnée par le groupe de marxistes russes de l'ancienne Iskra et tout particulièrement par Lénine qui, dès 1902, a donné une définition principielle du problème du parti dans son remarquable ouvrage Que faire ?. La notion de parti de Lénine servira de colonne vertébrale au parti bolchevik et sera un des plus grands apports de ce parti dans la lutte internationale du prolétariat. Combattant non seulement les mencheviks et opportunistes du mouvement ouvrier international, mais aussi les courants de gauche et les groupes révolutionnaires, comme Trotsky et Luxemburg, qui défendaient des théories d' "organisation-processus" et de la spontanéité de la lutte révolutionnaire du prolétariat, Lénine démontrait que la conscience du socialisme n'est pas un produit engendré spontanément dans la lutte de classe mais qu'au contraire cette conscience doit être introduite, injectée du dehors dans la lutte du prolétariat et, d'autre part, si les mouvements de révolte du prolétariat sont dus à la maturation des conditions objectives, ces mouvements ne peuvent aboutir à la victoire qu'à la condition de l'existence préalable du parti de la classe, conscient et aguerri, qui, à la tête du prolétariat, le dirige à l'assaut de l'Etat capitaliste.

L'histoire devait magistralement confirmer la position de Lénine. Sans entrer dans l'examen d'autres et multiples facteurs de la situation russe, nous pouvons affirmer que, si en octobre 1917 la révolution prolétarienne a triomphé, cela est dû avant tout à la réalisation de cette condition décisive, à l'existence de ce parti que Lénine infatigablement a forgé pendant 20 ans. Par contre, 1918 en Allemagne devait apporter la défaite de la révolution, dont une des causes et non la moindre, malgré une magnifique et héroïque combativité des masses, dans la formation tardive du parti, partant dans son inexpérience, dans son hésitation et dans son incapacité de guider la révolution à sa victoire. C'était la rançon et l'infirmation expérimentale de la théorie de Rosa Luxemburg sur la spontanéité du mouvement révolutionnaire.

La fraction de gauche qui a donné naissance au parti communiste d'Italie a repris intégralement la notion du parti de Lénine et l'a approfondie. C'est à la lumière de cette notion, en rapport avec la nature du parti, de son programme et de ses principes, qu'elle a établi le critère des règles, de la tactique consignés dans les Thèses de Rome. Au cours de la dégénérescence de l'IC, c'est en partant de la notion du parti de Lénine qu'elle a pu dégager la notion fondamentale de la filiation historique qui existe au travers de la fraction, issue du parti en dégénérescence et évoluant vers la formation du nouveau parti de classe. La place occupée par les bolcheviks entre la 2ème et la 3ème Internationales sera désormais occupée, dans la situation historique actuelle, par les fractions de la Gauche communiste qui, en donnant naissance au nouveau parti, assurent la filiation de la 3ème à la 4ème Internationale.

Tout moment de la vie de la fraction est un moment du processus de la formation du parti. Il est naturel que toute activité théorique et politique de la fraction, ou de ses militants, soit examinée sous l'angle de ce processus. Le néo-antifascisme devait donc tenter de faire une place, dans ce processus de la formation du parti, à ses nouvelles théories et, du même coup, nous gratifier d'une nouvelle interprétation de ce processus. Fidèles à notre méthode, nous allons maintenant suivre pas à pas les développements théoriques et les explications historiques de Vercesi, en essayant de le comprendre d'abord (ce qui, comme on le verra, n'est pas toujours chose aisée) et de la combattre ensuite.

C'est en ces termes que commence la partie relative au problème du parti, qui lui servent en quelque sorte d'entrée en matière.

Lénine et Luxemburg

"Ajuster la fraction au point de vue programmatique et politique à la hauteur des tâches qui lui reviennent, c'est là le problème d'ordre programmatique et politique, non un accroissement numérique des effectifs."

Nous n'avons pas grand chose à répondre là-dessus sinon que cette entrée en matière ne veut absolument rien dire. Affirmer qu'un problème programmatique est un problème programmatique et non un problème d'accroissement numérique revient à dire qu'une table est une table et non une vache.

Passant ensuite au problème de la formation du parti, Vercesi affirme que c'est là un problème qui ne relève pas de la volonté mais des situations historiques. Cela est absolument juste. L'histoire nous fournit des exemples où, durant de longues périodes, l'existence des partis ou même la tendance à leur formation fut contraire par les situations données du moment, et cela en dépit du fait de la présence des hommes et des chefs tels que Marx et Engels. Ainsi l'organisation de la Ligue des communistes disparaît après la clôture des situations révolutionnaires en Europe après 1848, et ses militants se retrouvent 12 ans après, lors de sa fondation, dans la 1ère Internationale.

Mais ici également il ne faudrait pas pousser cette thèse à l'absurde, à une sorte d'automatisme fataliste qui consisterait à dire : tout ce qui existe ne peut pas ne pas exister et tout ce qui n'existe pas ne peut pas exister. Cela reviendrait à ramener à zéro l'action et les erreurs des hommes et à les considérer comme n'ayant aucune influence sur le déroulement des situations. Les hommes ne peuvent résoudre que les problèmes que l'histoire pose et dont elle contient la solution ; mais les hommes peuvent aussi, pour des raisons contingentes, ne pas être à même de les résoudre bien que les conditions objectives contiennent la solution.

"La théorie devient une force matérielle puissante dès qu'elle saisit les masses" écrivait Marx. Ceci est également vrai pour une théorie erronée qui, dans la pratique, devient aussi une force matérielle, un obstacle historique.

Les erreurs de l'IC, lors de sa fondation, concernant la formation des partis communistes par la fusion des courants centristes au sein des nouveaux partis et dans l'admission large dans la 3ème Internationale, ont indiscutablement contribué à rendre plus vulnérable l'IC à l'opportunisme et à affaiblir la résistance révolutionnaire en son sein contre la dégénérescence qui a suivi. La faiblesse numérique des fractions de la Gauche communiste n'est nullement une fatalité ; elle résulte entre autre de l'insuffisance théorique des militants des partis communistes, des erreurs politiques et organisationnelles des fractions elles-mêmes ainsi que des fautes terribles commises par Trotsky et qui ont pesé lourdement sur tous les militants et groupes révolutionnaires qui ont été exclus de l'IC et qui présentaient pourtant des éléments susceptibles de donner naissance à des fractions communistes.

En combattant le volontarisme dans la question du parti – qui s'est particulièrement manifesté, chez les trotskistes, dans les proclamations de temps à autre de nouveaux avortons de partis et des Internationales – il faut se garder de ne pas tomber dans un fatalisme impuissant et (…). Le marxisme s'oppose non seulement au volontarisme idéaliste qui croit pouvoir tout faire mais également à l'objectivisme fataliste qui aboutit à ne rien faire et à attendre. Egalement opposé à l'un et à l'autre, le marxisme enseigne que "les hommes font eux-mêmes leur histoire" dans la mesure où les hommes saisissent le déroulement objectif, les lois et le sens de ce déroulement. En agissant, en participant à ce déroulement, ils l'influencent par leur action, le modifient, accélèrent ou retardent son cours.

Toute autre est la méthode qui servira à Vercesi pour examiner les divergences qui opposèrent Lénine à Rosa sur le problème du parti. Partant d'une conception fataliste, Vercesi tentera de prouver que l'opposition Lénine-Rosa ne relevait pas des conceptions justes ou erronées que défendaient ces 2 chefs du prolétariat sur le problème du parti mais que chacun d'eux exprimait la situation particulière de son pays.

De ce point de vue il n'y a pas de position juste ou erronée mais des situations nationales différentes, entraînant des solutions différentes à un même problème.

D'après Vercesi il importe essentiellement, pour la compréhension de la divergence Rosa-Lénine, de mettre en lumière la différence des situations russe et allemande qui consisterait d'après lui à ceci :

- En Russie, le pouvoir politique se trouvait entre les mains de la monarchie absolutiste qui représentait la domination des hobereaux féodaux réactionnaires. Face au régime monarchiste réactionnaire se dressait l'antithèse, la révolution bourgeoise, en même temps que surgissait historiquement et s'affirmait la classe prolétarienne. Pour Lénine, il s'agissait d'assurer "la faufilade (?) du prolétariat dans la révolution bourgeoise". A plusieurs reprises Vercesi reviendra à cette idée de la double antithèse, de la double négation qui s'est présentée en Russie en face de la thèse féodale et qui s'exprimait dans la bourgeoisie et dans le prolétariat. C'est cette situation particulière de l'existence d'une antithèse bourgeoise qui permettait et nécessitait, pour Lénine, l'inoculation du parti dans l'encastrement des contrastes sociaux de la succession féodalité-bourgeoisie afin de faire prévaloir l'antithèse prolétarienne.

- La situation allemande était toute différente. Là, la bourgeoisie était au pouvoir et il n'existait historiquement qu'une seule antithèse, celle du prolétariat. De cette situation particulière différente il s'ensuivit que : "Cette possibilité de l'intervention de l'organisation aussi méthodique, aussi bien déterminée que celle se présentant dans le milieu russe n'existait pas, et ce pour la bonne raison que le capitalisme était au pouvoir en Allemagne… le prolétariat devait envahir la scène sociale… réclamant la réalisation du socialisme." Et c'est cette situation particulière de l'Allemagne qui expliquerait la thèse de Rosa sur la spontanéité.

Cette façon d'examiner les divergences qui existaient entre Lénine et Rosa est, comme nous le verrons plus loin, viciée dans le fond ; mais il n'est pas inutile en passant de souligner quelques erreurs contenues dans l'analyse que fait Vercesi des situations particulières de Russie et d'Allemagne.

Pour ce qui concerne la Russie, s'il est exact qu'elle n'avait pas encore accompli sa révolution bourgeoise et, de ce fait, n'avait pas réalisé tous les objectifs et réformes politiques et économiques nécessaires au plein épanouissement du capitalisme, il n'est pas exact de présenter la Russie comme une société féodale. Les grandes réformes agraires abolissant le servage, promulguées par Nicolas 1er, sont des réformes marquant la dislocation de la société féodale et ont un caractère nettement bourgeois. L'économie russe n'est plus une économie féodale ; c'est une société extrêmement complexe où subsistent des forces féodales aux côtés d'éléments capitalistes mais où la vie économique est dominée par l'élément capitaliste. C'est une légende de présenter unilatéralement l'économie russe comme une économie arriérée. Il ne faut pas oublier que la Russie a fait des pas de géant dans la voie du capitalisme moderne. Dès 1900, la Russie présentait dans les domaines industriel et bancaire le type de concentration capitaliste le plus avancé du monde. L'état retardataire de la Russie surtout dans l'agriculture se combinait avec une industrie qui, par sa technique et sa structure, se trouvait au niveau du capitalisme mondial et, sous certains rapports, le devançait.

Tandis qu'aux Etats-Unis 35% de l'effectif total des ouvriers industriels travaillaient dans les petites usines occupant jusqu'à 100 ouvriers contre 17,8% dans les usines occupant plus de 1000 ouvriers. En Russie le pourcentage s'établit respectivement à 17,8% dans les petites entreprises et à 41,4% dans les grandes usines. Dans les principaux centres industriels ce pourcentage était encore plus élevé : 44,4% pour Petrograd et allant jusqu'à 57,3% pour la région de Moscou.

La fusion du capital bancaire avec l'industrie a été certainement poussée plus loin que dans tout autre pays capitaliste. L'économie russe a été dominée et impulsée par le capitalisme international auprès de qui le capitalisme russe jouait en quelque sorte un rôle analogue aux compradores chinois. 40% de tous les capitaux investis dans l'économie russe étaient des capitaux étrangers et plus spécialement des capitaux français, anglais et belges.

Cette grande transformation de l'économie russe en une économie capitaliste moderne se faisait sous la pression du capitalisme international et de la bourgeoisie russe dictant ses volontés à l'Etat monarchiste absolutiste.

Il est parfaitement vrai que cet Etat monarchiste présentait une survivance féodale réactionnaire et une entrave politique supplémentaire au plein épanouissement du capitalisme. Toutefois, la bourgeoisie russe – tard venue dans l'histoire, au moment où le capitalisme, en tant que système mondial, rentrait dans sa phase ultime et finale, posant le problème de la révolution prolétarienne – ne pouvait plus représenter une classe révolutionnaire et prétendre jouer un rôle progressif. La bourgeoisie russe ne représentait pas une antithèse, une négation de l'absolutisme mais, au contraire, elle a rapidement manifesté sa sénilité en s'intégrant et en composant avec le régime monarchiste. Par des concessions réciproques, économiques et politiques, entre la bourgeoisie et les forces féodales, au travers du pouvoir de la monarchie et d'avorton de constitution qu'est la Douma, les intérêts des classes dominantes, y compris ceux de la classe bourgeoise, se sont assurés contre les masses travailleuses et pour l'exploitation du prolétariat. Il est erroné de présenter la situation russe comme contenant deux antithèses, celle de la bourgeoisie et celle du prolétariat. Outre que, dans l'époque du capitalisme évolué, l'antithèse sociale ne peut être conçue que sur le plan international et non relevant des particularités nationales, la situation russe, si elle présente une particularité c'est bien celle de la résorption de l'antithèse bourgeoise qui se fond et s'accommode avec l'ancien régime dès que surgit sur l'arène historique l'antithèse prolétarienne.

C'est essentiellement là que réside l'enseignement de la particularité de la situation russe et qui apparaît nettement dans la révolution de 1905 où toutes les forces du capitalisme bloquent et composent avec la monarchie face à la menace de la révolution du prolétariat. Cet enseignement nous permettra de comprendre que, dans les pays arriérés, coloniaux et semi-coloniaux, n'existe plus et ne peut plus exister, à l'époque du développement du capitalisme, une antithèse bourgeoise. Ces pays ne reproduiront pas l'évolution des pays avancés, en passant par tous les stades que ces derniers ont connus dès que surgirent des solutions historiques plus avancées ; c'est que les conditions des stades intermédiaires ont disparues et les forces sociales qui représentent ces stades cessent par là même de présenter une antithèse révolutionnaire pour se fondre dans la thèse et présenter avec elle un bloc social réactionnaire.

Il existait une opposition d'intérêt et une lutte politique entre la bourgeoisie et la monarchie. On peut et on doit tenir compte de cette lutte quand on examine la situation. Mais on ne peut pas parler de la bourgeoisie russe comme une classe opprimée, comme une antithèse existant dans le milieu social russe parallèlement à l'antithèse prolétarienne sans tomber immédiatement dans la confusion et dans des contradictions inextricables. La Russie faisait partie intégrante du capitalisme mondial et c'est en tant qu'Etat capitaliste qu'elle acquiert tous les caractères du capitalisme moderne, c'est-à-dire le caractère impérialiste. C'est en tant que puissance impérialiste que la Russie fait la guerre contre le Japon en 1903 et c'est toujours en tant que telle, avec des visées exclusivement impérialistes, qu'elle participe à la première guerre impérialiste mondiale. La possession exclusive de la machine étatique par la bourgeoisie russe n'aurait pas modifié substantiellement la politique intérieure et extérieure de cet Etat. La continuation de la guerre jusqu'au bout pour les mêmes buts impérialistes, le maintien des mêmes traités secrets avec les impérialismes anglo-français faits par le tsarisme, par les partis bourgeois au pouvoir entre février et octobre 1917 le prouvent nettement. Sans vouloir faire une analogie entre la Russie et le Japon, nous pouvons toutefois remarquer, dans ces deux pays, une évolution semblable de transformation de la société féodale en société capitaliste, s'opérant avec la survivance d'un régime politique et la subsistance d'un Etat issu historiquement du féodalisme. En Russie avant 1917, la bourgeoisie assure sa domination et ses intérêts économiques au travers de la forme particulière de l'Etat existant issu des conditions historiques particulières au développement de la bourgeoisie dans ce pays. Dans ce pays ne se posait pas le problème de "faufiler le prolétariat" dans la révolution bourgeoise, comme le dit Vercesi, et cela pour la seule raison que la révolution devait être prolétarienne ou ne pas être. A ce sujet nous croyons pouvoir affirmer que la position de Lénine en 1905 sur l'étape intermédiaire de "la dictature démocratique des ouvriers et des paysans" entre le tsarisme et la dictature du prolétariat présentait des lacunes et des obscurités qu'il devait lui-même surmonter en 1917 contre les "vieux bolcheviks" lui reprochant de reprendre la vieille théorie de Trotsky et de Parvus, appuyée internationalement par Rosa et exprimée dans le mot d'ordre de la dictature du prolétariat.

Parler de l'antithèse bourgeoise existant en Russie c'est non seulement reprendre ce qu'il y avait d'inactivité chez Lénine en 1905 mais c'est nier l'expérience d'octobre 1917 qui a définitivement démontré qu'une seule antithèse pouvait exister à notre époque dans n'importe quel pays, celle du prolétariat. C'est par ricochet attribuer à Lénine une conception volontariste diabolique consistant à "faufiler" le prolétariat au travers de l'encastrement des contrastes sociaux de la succession féodalité-bourgeoisie.

En ce qui concerne l'Allemagne, la photographie de la situation que nous présente Vercesi a subi également de sa part de fortes retouches. Si, en Russie, il ne voit d'aucune façon la bourgeoisie associée au pouvoir, il exagère en présentant la bourgeoisie allemande complètement maîtresse du pouvoir et de l'Etat.

On sait que la révolution bourgeoise en Allemagne échoua en 1848 et, par la suite, il revenait à Bismarck, au travers de la subsistance de l'Etat des hobereaux prussiens, d'assurer l'évolution de la société allemande vers le capitalisme moderne. Les principales réformes économico-politiques de la bourgeoisie, l'unification de la monnaie, des poids et mesures, la formation de l'Etat moderne reviennent à l'Etat bismarckien.

Et encore l'unification complète de la nation allemande s'est accomplie partiellement par la constitution de Weimar et définitivement par le régime hitlérien qui a supprimé l'antagonisme et l'existence des Etats particuliers en Allemagne.

La domination absolue et exclusive de la bourgeoisie allemande est un fait tout récent et commence à la contre-révolution de Weimar. Cela ne signifie pas que la bourgeoisie n'était pas au pouvoir ou que l'Allemagne n'était pas un pays capitaliste, mais seulement qu'en Allemagne également la bourgeoisie dominait par l'intermédiaire de l'Etat bismarckien et en composant avec cet Etat.

En exagérant dans un sens pour la situation russe et dans l'autre sens pour la situation allemande, Vercesi veut trouver une "explication" (plutôt une justification) objective historique pour la conception du parti de Lénine et pour celle de Rosa et qui existerait dans la différenciation qualitative des deux situations dans ces deux pays.

Nous nous sommes arrêtés un peu longuement à l'examen de ces deux situations pour démontrer que dans les deux pays il s'agit de particularités, de variantes locales d'une situation générale mondiale unique. La différence entre les situations en Allemagne et en Russie n'était pas qualitative-historique mais quantitative-contingente. La solution du problème du parti ne relève pas d'une situation contingente particulière à un pays mais de la situation historique générale et valable pour tous les pays.

Ayant abandonné la méthode marxiste susceptible de donner une réponse correcte au problème du parti et lui préférant on ne sait quel "objectivisme" basé sur les particularités de chaque pays, Vercesi ne ferait que s'embourber dans des contradictions croissantes. Il ne sortirait d'une contradiction que pour tomber dans une nouvelle, plus grave et plus profonde que la précédente.

D'après Vercesi, la particularité de la situation russe consistait dans la non-existence exclusive de l'antithèse prolétarienne, c'est-à-dire de la révolution socialiste, et dans l'existence simultanée de l'antithèse bourgeoise, c'est-à-dire de la révolution bourgeoise. C'est ce qui a permis, toujours d'après Vercesi, la conception de Lénine de l'intervention volontariste du parti. Ainsi le prolétariat russe pouvait se "faufiler" parce que la situation n'était pas révolutionnaire dans le sens prolétarien. Résultat : victoire.

Mais la conception de Lénine1, nous dit Vercesi, pouvait s'appliquer en dehors de la Russie, dans tous les pays d'Europe où l'antithèse bourgeoise n'existait pas. En Allemagne se posait pour le prolétariat la révolution socialiste ; en conséquence de quoi, Rosa devait attendre que le prolétariat aille spontanément au pouvoir et non agir comme pouvait le faire Lénine en Russie. Résultat : échec.

Après nous avoir promené au travers des particularités des situations et nous avoir conduit de Russie en Allemagne et d'Allemagne en Russie pour nous expliquer la position de Rosa traduisant la situation allemande, Vercesi aboutit à ce résultat surprenant de la victoire de la révolution d'Octobre en Russie et de la défaite de 1919 en Allemagne.

A moins de renverser tout et d'attribuer ce résultat à la maturation objective en Russie et à la non-maturation en Allemagne, on ne voit pas comment expliquer et interpréter ce résultat ; mais du coup, cela serait renverser tout l'échafaudage, si péniblement construit par Vercesi, sur la double antithèse en Russie et l'unique antithèse (celle du socialisme) existant en Allemagne. La corde au cou, Vercesi est obligé de reconnaître dans ce résultat la confirmation de la thèse de Lénine et l'infirmation de celle de Rosa.

Tout en continuant à proclamer que la conception de Lénine sur la nécessité de la formation du parti au travers de la succession fraction-parti ne pouvait être appliquée en Allemagne parce que se posait spontanément la volonté du prolétariat de réaliser le socialisme, Vercesi dit que Rosa était à son tour dans l'erreur "de penser que le processus de formation du parti pouvait se faire en dehors de la succession fraction-parti", ce qui revient à dire que Rosa s'est trompée dans la spontanéité et dans la conception "organisation-processus". Mais dire cela c'est revenir tout simplement à la thèse de Lénine. A quoi donc servaient tous les détours de Vercesi ? Il aurait bien mieux valu nous épargner les élucubrations sur les situations particulières et les faufilades, et définir la Russie comme faisant partie d'une situation générale posant à l'ordre du jour le problème de la révolution prolétarienne, d'où nécessité de la formation du parti en Russie au travers de la succession fraction-parti. En Allemagne, plus nettement, la situation évoluait vers la révolution prolétarienne dont existait la nécessité de la formation du parti par succession de la fraction. Les deux facteurs de la succession sont la maturation objective des conditions et la volonté agissante subjective (si nous ne voulons pas la révolution, elle ne viendra pas). L'erreur de Rosa consistait dans la négation du 2ème facteur et non dans la différenciation qualitative des deux situations qui, remarquable conclusion de Vercesi, devait engendrer cette fatalité : Rosa s'est trompée parce qu'elle ne pouvait que se tromper.

Vercesi ne nous dit toujours pas en quoi consistait l'erreur de Rosa. D'après lui, Rosa s'est trompée dans la spontanéité parce qu'en Russie ne pouvait se poser que la solution qu'il attribue à Lénine (inoculation du parti dans l'encastrement des contrastes sociaux de la succession féodalité-bourgeoisie, OUF !) ; mais en Allemagne où ne se posait pas le problème de cette inoculation, pourquoi Rosa s'est-elle trompée ? Là-dessus Vercesi reste muet comme une tombe. Cela n'empêchera pas Vercesi d'écrire d'un côté : "Lénine, en 1903 (pourquoi pas en 1902 dans Que faire ?, ou encore en se référant à des écrits antérieurs de Kautsky ?), prouvera que la conscience est importée dans le mouvement", tout en se contredisant par ailleurs : Cette possibilité (importation de la conscience) de l'intervention de l'organisation, aussi méthodique et aussi bien déterminée que celle se présentant dans le milieu russe, n'existait pas et ce pour la bonne raison que, le capitalisme étant au pouvoir en Allemagne, le prolétariat devait envahir l'arène sociale… réclamant la réalisation du socialisme." Après tout, on n'est pas à une contradiction près 2.

Le plus drôle, dans les explications de Vercesi sur les divergences qui opposèrent Lénine et Rosa sur la question du parti, se trouve dans le fait suivant : pour Vercesi, chacun traduisait une situation particulière de son milieu ou, si l'on veut, Lénine parlait "russe" tandis que Rosa parlait "allemand" (nous laissons de côté ce qu'il y a de bouffon dans cette distinction d'un Lénine "russe" et d'une Rosa "allemande"). Or, justement à propos du problème du parti, Lénine – polémiquant violemment contre tous les mencheviks russes – se référait surtout à l'expérience du prolétariat allemand et à l'autorité de Kautsky. Rosa, elle, s'appuiera essentiellement sur l'expérience du mouvement révolutionnaire du prolétariat russe pour défendre la théorie de la spontanéité. 3

Vercesi termine, pour démontrer l'erreur de Rosa, en confondant les deux situations (russe et allemande) qu'il avait précédemment différenciées et opposées. De plus, il posera du même coup pour tous les pays capitalistes la solution (qu'il avait qualifiée faussement auparavant de volontariste) de Lénine qu'il avait précédemment condamnée comme ne pouvant pas se poser pour les pays capitalistes.

'Elle (l'impossibilité de la spontanéité) se trouve dans le processus dialectique lui-même ; et dans ce processus nous voyons que la condition d'un retournement de l'antithèse prolétarienne contre la thèse bourgeoise doit être retournée." (souligné par nous).

"L'antithèse prolétarienne, au lieu d'être spontanée, est l'intervention de la conscience dans un milieu qui, laissé à lui-même, retombe dans la thèse capitaliste."

La géniale "synthèse" de Vercesi

"Procédons maintenant, dit Vercesi, à la synthèse de Rosa et de Lénine qui est imposée par les événements actuels. Lénine a donné une solution absolument correcte à l'encastrement social russe en mettant l'accent sur l'intervention de l'organisation et sur le despotisme (?) des règles de celle-ci et ce parce qu'il devait éviter que l'une des deux antithèses provenant de la thèse tsariste, c'est-à-dire l'antithèse bourgeoise, puisse éliminer la thèse prolétarienne. Luxemburg ne pouvait que donner une solution incorrecte au problème de l'intervention de l'organisation et de sa technique parce que, avant les révolutions occasionnées par la guerre de 1914-18 qui posèrent l'inévitabilité de la formation non spontanée des partis communistes, la projection spontanée du prolétariat pouvait être considérée comme résultante de la réalité sociale, ne contenant aucune autre thèse possible que la prolétarienne. Elle ne pouvait que ne pas comprendre que la thèse bourgeoise – et ceci parce que le passé ne peut pas mourir spontanément et ne peut se survivre qu'en pénétrant dans ce qui représente l'avenir et en le désarticulant – n'en pénètre pas moins dans tous les filaments du parti de classe?"

Cette grande tirade en code secret signifie en langage clair : le capitalisme ne peut pas mourir spontanément, d'où nécessité de l'intervention du parti. Lénine, au travers de la double antithèse à la thèse féodale russe, pouvait saisir la nécessité de cette intervention. Tandis que Rosa, avant les révolutions occasionnées par la guerre, devant la seule antithèse possible à la thèse capitaliste, ne pouvait pas comprendre la nécessité de l'intervention du parti et était forcée de faire jouer un certain fatalisme. Voilà ce que dit Vercesi.

La révolution allemande de 1918 infirmait la position fataliste et spontanée de Rosa en prouvant que, quel que soit le nombre d'antithèses, l'intervention du parti est une nécessité historique indispensable pour imposer l'antithèse prolétarienne.

Ce que Lénine posait dès 1902 dans son Que faire ? s'est avéré valable pour tous les pays. Toute la rhétorique ambiguë de Vercesi ne sert qu'à justifier "l'inévitabilité" historique de l'erreur de Rosa.

En fait de synthèse des positions de Lénine et de Rosa, Vercesi nous apporte dans un jargon pédantesque la théorie de Lénine. L'apport de Vercesi consiste uniquement, au travers de la justification qu'il veut historique de l'erreur de Rosa, à se trouver une issue, lui permettant demain de poser comme inévitable la reproduction de certaines erreurs ayant déjà été résolues par l'avant-garde.

Plus loin Vercesi, qui veut s'attribuer la découverte du principe de l'intervention de Lénine, présente ce dernier comme un interventionniste à la façon de la 3ème période de l'IC stalinienne. Cette caricature donquichotesque de la théorie de Lénine lui permet d'opposer "le rachitisme idéologique (!) de l'ensemble de la construction de la théorie marxiste de Lénine appliquée aux pays capitalistes" à la génialité du "modeste" militant" militant qui, 43 ans après Lénine, redécouvre que l'intervention du parti "ne fait que pressentir dans le temps et l'espace, qu'établir au moment du départ d'un événement donné ce que l'événement contient déjà en lui-même, et que cet événement ne pourrait toutefois procréer sans l'intervention du parti de classe."

Singulière application du principe de l'intervention de la conscience

On aurait pu croire qu'une fois redécouvert le principe de l'intervention du parti de Lénine, Vercesi s'en tiendrait là et nous aurions été quittes d'avoir tourné quelques temps dans le labyrinthe de sa pensée. Mais ce serait mal le connaître. Vercesi se chargera vite de nous détromper de nos illusions en faisant quelques sorties ahurissantes dont nous allons reproduire ici quelques extraits :

"Mais il nous appartient… d'intervenir, en tant que fraction, chaque fois que la forme spécifique du capitalisme est éliminée ; dans n'importe quel domaine de la vie sociale, quand la forme spécifique de la vie du capitalisme est balayée, quand la condition politique de ce balaiement a été donné par l'inexistence de l'Etat capitaliste qui personnifie la société, la fraction a le devoir d'intervenir."

Autant de mots, autant d'énigmes et de contradictions. Qu'est-ce encore que cette "forme spécifique de la vie du capitalisme" ? L'Etat capitaliste probablement. Qu'est-ce alors "la condition politique de ce balaiement "qui est donné (la condition) par l'inexistence du capitalisme" ? C'est un jeu de mot ou une façon à la Vercesi de tourner en rond : la condition de la disparition de l'Etat est donnée par la disparition de l'Etat !

Mais la perle est dans le devoir de la fraction d'intervenir après que tout cela ait été réalisé. Nous pouvons comprendre qu'après avoir parlé pendant plusieurs heures durant, la langue de Vercesi ait fourché.

Si la fraction n'intervient qu'après l'inexistence de l'Etat capitaliste, il est à croire que la formation du parti par la succession fraction-parti s'effectuera au moment du passage de la société socialiste au communisme. Enfin, il n'est jamais trop tard pour bien faire !

Vercesi continue à insister sur sa nouvelle trouvaille (sa fameuse synthèse est complètement… oubliée) :

"Je répète donc, il faut que la fraction intervienne chaque fois que le capitalisme est balayé" (souligné par nous).

En fin de compte, on aimerait être fixé sur le moment où l'intervention devient un devoir car, pour la nouvelle théorie "synthétique", il existe une distinction entre les moments où le devoir est de ne pas intervenir et d'autres où le devoir est d'intervenir. Ainsi, pendant la guerre impérialiste pour prendre un exemple, le devoir bien compris était la dissolution de la fraction car on n'intervient qu'après la disparition de l'Etat. Par contre la fraction doit intervenir dans les comités antifascistes considérés, bien entendu, comme étant un domaine d'où le capitalisme a été balayé.

Un peu plus loin, Vercesi nous dit que la condition première pour que le prolétariat puisse se retrouver est représentée par l'exclusion des manifestations de l'Etat capitaliste. Donc, d'après Vercesi, jusqu'à la prise du pouvoir le prolétariat ne se retrouve pas. On se demande comment le prolétariat, sous la direction du parti, peut prendre le pouvoir sans se retrouver ; à moins que le capitalisme et son Etat ne disparaissent d'eux-mêmes, et cela pour ne pas contrarier la loi historique et pour permettre ainsi au prolétariat de se retrouver. C'est vraiment trop gentil de la part du capitalisme et nous sommes très touchés de cette noble intention.

Mais voilà que le camarade Vercesi découvre du nouveau et va plus loin : la condition première, c'est-à-dire l'exclusion des manifestations de l'Etat capitaliste est réalisée par… la fraction !!!

Pour que l'on ne nous accuse pas de mal interpréter, nous reproduisons le passage en entier :

"Je répète donc, il faut que la fraction intervienne chaque fois que le capitalisme est balayé ; elle doit avoir la force d'intervenir pour réaliser la condition première pour que le prolétariat puisse se retrouver. Cette condition est représentée par l'exclusion des manifestations de l'Etat capitaliste. La fraction, qu'elle soit une minorité ou même une individualité, c'est elle qui a réalisé cette condition historique et politique, représentant la condition fondamentale pour que les masses prennent le départ."

On ne peut retirer comme impression de ce passage que celle d'un verbiage et de contradictions prélogiques.

Et voilà, un peu plus loin, un autre passage dans ce genre :

"Sans ce départ (dont la condition est réalisée par la fraction), pas de possibilité d'intervention consciente du prolétariat ; et ce problème se reposera sur toute l'échelle des situations imposées actuellement à la situation de la classe ouvrière sur la question de l'économie de guerre."

Comprenne qui voudra et ce qu'il voudra. Nous, nous y renonçons.

Négation de la fraction

D'un côté, Vercesi dit : "Au point de vue politique et organisationnel, personnifier le prolétariat n'est possible qu'à la condition de rester fidèle au programme de la fraction et à l'ensemble des documents politiques de la fraction elle-même." D'un autre côté, il dit : "Pour reprendre la petite expérience du Comité de coalition, il nous revenait le devoir de nous situer au sein de ce milieu qui se présentait devant nous et de déterminer la condition fondamentale pour que la fraction puisse personnifier la situation nouvelle."

Nos camarades lecteurs sont déjà familiarisés avec le raisonnement "dialectique" propre à Vercesi. Nous avons ici un spécimen de ce raisonnement. Dans le premier passage il est dit que la condition pour personnifier le prolétariat est donnée par la fidélité au programme de la fraction ; dans le 2ème passage ce n'est plus dans la fidélité au programme mais dans la participation au comité de coalition qu'on "détermine la condition fondamentale" de la personnification.

Nous pensons, quant à nous, que la fraction devait se situer en dehors de ce milieu, face au prolétariat et ne pas présenter la plus petite communauté d'idée avec ce milieu qui exprime un contenu capitaliste. C'est ainsi seulement qu'on peut personnifier non pas la situation nouvelle mais le prolétariat dans la situation nouvelle, et cela, comme le dit Vercesi plus haut, en restant fidèle au programme de la fraction.

La confusion qu'on fait ici entre la personnification de la situation avec la personnification du prolétariat dans la situation ne sert qu'à cacher l'abandon du programme de la fraction et sa propre infidélité à ce programme. Ce n'est pas pour rien que Vercesi a tant tourné autour de la théorie des situations particulières à propos de Rosa. A chaque abandon qu'il fera , il fera appel à la situation particulière nouvelle.

Mais ce qui est plus grave c'est qu'il accepte de nier la vie organisationnelle de la fraction sous le prétexte fallacieux de ne pas être exclu comme traître à la classe ouvrière par un milieu représentant les intérêts capitalistes. Nous reproduisons textuellement le passage en question :

"Au point de vue de l'organisation, si nous avions suivi les règles précédentes, le climat politique antérieur, l'engrenage politique qui préexistait, il est absolument certain que nous n'aurions pas pu mener le travail qui a été fait (Quel travail ? L'épuration ? Les dénonciations ?), nous aurions été exclus comme traîtres à la classe ouvrière qui prônaient une politique tout à fait contraire aux intérêts du prolétariat et de la fraction."

Ceci est vraiment remarquable. Si nous étions restés fidèles au programme de la fraction (à son climat politique antérieur, comme dit Vercesi dans son langage recherché), nous n'aurions pu faire le travail que nous avons fait 4.

De deux choses l'une : ou bien notre programme, nos positions politiques, nos règles sont justes et permettent d'agir dans l'intérêt du prolétariat, ou bien pour faire ce "travail" nous devons les abandonner et elles sont donc fausses. Proclamer la fidélité aux documents de la fraction mais les écarter, les mettre au rancart pour pouvoir faire du travail, c'est le coup de chapeau classique, respectable devant un convoi funèbre. Il ne faudrait tout de même pas que Vercesi assimile la fraction à lui-même.

Le 2ème argument, celui d'être exclu comme traître à la classe ouvrière, n'est pas nouveau ; ce qui est nouveau c'est que Vercesi partage cet avis.

Kerenski employait cet argument contre Lénine, Staline l'emploie contre l'avant-garde révolutionnaire. Qui fait-il suive, Lénine ou Vercesi ? Est-ce le fait d'être taxé de traître ou est-ce le fait d'être exclu de ce milieu anti-prolétarien ou est-ce les deux choses qui ont persuadé Vercesi que notre politique constitue "une politique tout à fait contraire aux intérêts du prolétariat et de la fraction" ? Vercesi semble craindre bien plus d'être exclu de ce milieu du Comité de coalition que de la fraction, et entre les deux il a choisi.

Et voilà en quelque sorte le testament politique de Vercesi en guise de conclusion :

"Mais, pour que le prolétariat puisse comprendre son avenir, il lui faut des hommes qui cherchent à comprendre le présent et qui savent d'avance que, pour comprendre le présent, il faut S'EXTRAIRE de son passé, que toutes les portes doivent être ouvertes pour déterminer l'attitude politique que nous devons avoir."

On sera vraiment de mauvaise foi d'accuser Vercesi de na pas être clair pour une fois. Il revendique le droit de s'extraire de son passé. Oui, c'est bien cela que Vercesi fait depuis quelques temps. Et nous rappelant de la réponse de Lénine - faite il y a un demi siècle à ceux qui se plaignirent du despotisme de l'orthodoxie marxiste et qui revendiquèrent aussi la liberté de s'extraire de leur passé -, nous disons à Vercesi :

"Vous êtes libre de vous extraire de votre passé, vous êtes libre, absolument libre d'aller où bon vous semble, même dans le Comité de coalition antifasciste où cohabitent fraternellement toutes les forces du capitalisme ; au besoin nous vous aiderons à transporter vos pénates dans ce nouveau milieu qui est le vôtre mais lâchez nous la main, Monsieur, car nous aussi nous sommes libres de rester fidèles au prolétariat, à la fraction, à notre passé, libres de vous combattre impitoyablement et de vous dénoncer au prolétariat."


ENCORE SUR LA SIGNIFICATION DES EVENEMENTS DE JUILLET 1943 EN ITALIE

La Fraction italienne et nous-mêmes avons eu l'occasion de nous expliquer longuement sur la signification des événements de 1943 en Italie. On trouvera, dans les bulletins internationaux publiés depuis, les études et les articles condamnant sans retour la position de Vercesi sur ce point. Si nous revenons encore une fois aujourd'hui, c'est pour ne pas laisser sans réponse, même courte, les nouvelles sorties de Vercesi et surtout pour confronter Vercesi avec lui-même.

On connaît les positions de Vercesi. Après avoir, pendant quelques jours, cru que le cours de la révolution s'est ouvert avec les événements de 1943 en Italie, il est vite revenu sur son "erreur" et définitivement revenu. Les événements de 1943 étaient "la crise économique de l'économie de guerre", c'était "une révolution de palais" ; La chute de Mussolini était "le fruit pourri qui tombe" ; c'était tout ce que l'on veut hormis une manifestation de classe du prolétariat italien. Cette interprétation des événements de 1943 lui était nécessaire pour justifier sa position sur l'inexistence sociale du prolétariat et surtout pour combattre toute activité, toute possibilité d'une activité révolutionnaire aussi restreinte soit-elle, décriée et qualifiée par lui comme de "l'activisme", de l'aventurisme ne pouvant représenter et exprimer que le capitalisme. L'attente et le passivité absolues seules convenaient aux révolutionnaires. Et c'est par cette passivité absolue que l'on pouvait rester fidèle au prolétariat.

Mais voilà que brusquement tout change et le pourfendeur de "l'activisme qui ne pouvait exprimer que le capitalisme" se trouve à la tête d'un comité antifasciste en compagnie de tous les partis bourgeois. Et cette fois-ci on nous dirait que ne pas participer à cet activisme nous mettra en dehors du prolétariat, comme des "traîtres". Voyons un peu comment on explique cette ahurissante conversion.

"Avez vous vu, s'écrie Vercesi, en Italie une opposition directe contre l'Etat capitaliste en 1943 ? Jusqu'à présent pas encore, à part les événements en novembre 1943 à Turin. Nous n'avons pas vu d'opposition. Qu'est-ce que cela signifie ? Qu'au point de vue social, le prolétariat social n'a pas fait encore son apparition."

Ainsi, deux ans après, Vercesi ne voit pas encore la signification de ces événements où, par des grèves et des manifestations, le prolétariat italien a secoué tout l'édifice politique de la machine étatique fasciste. La pleine signification nous sera révélée par la suite : d'une part par les mesures prises par le capitalisme mondial qui divisera l'Italie en deux zones afin de mieux pouvoir maîtriser les violentes manifestations de classe du prolétariat, et d'autre part par le refus obstiné des ouvriers d'Italie de se laisser embrigader à nouveau dans les armées impérialistes dans les deux zones, par son refus de continuer à se faire massacrer dans la guerre impérialiste, malgré la propagande et la présence des socialistes et communistes-staliniens au gouvernement accourus à la rescousse du capitalisme. Le mouvement de classe du prolétariat italien porte encore certainement l'empreinte d'une confusion ; cela est inévitable au premier moment, d'autant plus qu'il a manqué en Italie la présence active de l'avant-garde qui est un des facteurs déterminants et indispensables pour la dissipation de la confusion. C'est l'intervention de l'avant-garde qui permet au prolétariat de prendre pleinement conscience du but de son propre mouvement et des moyens pouvant lui assurer la victoire.

Très caractéristiques sont ces quelques mots : "à part les mouvements en novembre 1943 à Turin". Vercesi le dit certainement pour être quitte avec le proverbe qui veut que les exceptions confirment la règle. Une petite exception, voyez vous, les mouvements de Turin, qu'est-ce que cela prouve pour Vercesi ? Rien, une petite exception ! Turin représente pourtant pour l'Italie ce qu'étaient Saint-Pétersbourg ou Moscou pour la Russie. C'est un des plus grands centres industriels de l'Italie et du prolétariat italien. Une simple petite exception !!

Mais Vercesi, oubliant ce qu'il vient de dire pour justifier son "activisme" singulier d'aujourd'hui, dit un peu plus loin :

"En un mot, les masses réclament la révolution puis qu'elles ont accepté de participer et de se faire égorger dans la guerre, non pour assurer la victoire de l'un ou de l'autre mais pour écraser le fascisme."

Voyons, "le prolétariat n'a pas fait son apparition du point de vue social" mais "les masses réclament la révolution". Passons sur la contradiction criante et demandons nous seulement pourquoi l'emploi de ce terme vague de "masses" ? Cela n'est pas par hasard. Il s'agit en l'occurrence des masses des partisans de l'Italie du nord, ceux encasernés par la bourgeoisie dans la résistance. Pour justifier sa participation au comité de coalition avec la bourgeoisie, Vercesi a besoin à la fois de nier l'existence du prolétariat et de découvrir les nouvelles forces de la révolution, les "masses" des partisans, en raison de quoi il inaugure sa tactique dite indirecte.

Polémiquant contre ceux qui voyaient le prolétariat dans les événements de 1943 en Italie et proclamant comme devoir de l'avant-garde de manifester sa présence par son action, Vercesi recourt aux arguments suivants :

"Si en réalité des possibilités sociales avaient existé en 1943, vous auriez vu l'invasion des rues et des places et de tous les édifices publiques ; rien ne serait resté debout, comme il ne restera rien debout, absolument rien de tout le capitalisme et de tous les fascistes, le jour où le prolétariat reprendra la parole en Italie ; ce jour sera une bacchanale de sang et tout sera balayé, et c'est alors que nous pourrons parler de la présence de la classe prolétarienne en Italie."

Voilà une apparence d'arguments forts destinés à vous impressionner et convaincre sans réplique ; mais à regarder de plus près, ce ne sont que des mots creux et fanfarons. Il n'est pas exact que, dès que le prolétariat apparaît, il bouleverse tout immédiatement. Dans la réalité, le cours de la révolution connaît des hauts et des bas, il peut être momentanément freiné, dévié, reflué pour rebondir plus puissamment par la suite, ou même être complètement arrêté et défait. La révolution russe nous offre le meilleur exemple d'une révolution qui devait pourtant être victorieuse, passant par un long moment d'hésitation et de recul. Le 1923 allemand nous offre un autre exemple historique où l'hésitation du parti communiste et l'application à grande échelle de la tactique du front unique devaient endiguer la marche du prolétariat et permettre au capitalisme de liquider la situation révolutionnaire avant que celle-ci ait pu évoluer et atteindre son point culminant.

Vercesi le sait très bien puisque, plus loin, il dira comme si de rien n'était :

"Une fois que l'histoire épuise les possibilités de survie du capitalisme, le prolétariat entre en scène. Il y entre d'abord par une première phase extrêmement confuse qui engendre de son sein des positions générales aussi confuses qui passent par le tri d'une deuxième expérience…"

Cette "première phase extrêmement confuse", Vercesi l'accorde au mouvement de la résistance des partisans du nord – qui sont trompés et se sont fait les auxiliaires de l'impérialisme anglo-saxon et russe – mais il le dénie catégoriquement aux grèves de 1943 de Turin, de Milan, de toute l'Italie ; il le dénie à ces mouvements qui ont disloqué l'armée italienne et qui portaient comme devise : "A bas la guerre!"

Comme nous comprenons bien, à présent, les raisons profondes du scepticisme et des exigences sévères formulées par Vercesi à l'égard du prolétariat italien :

"Si en 1943, dit Vercesi, des grèves contre la guerre avaient surgi en Italie, la conséquence inévitable (surtout à Turin qui est une des villes industrielles les plus fondamentales de la vie économique italienne) aurait été, avec une logique implacable, un ébranlement révolutionnaire qui aurait eu ses répercussions à l'étranger et dans tous les pays capitalistes. C'est pourquoi, qu'importe ce qu'ont crié les ouvriers à Turin, à mon avis ces grèves ne représentent pas l'apparition du prolétariat sur l'arène sociale."

Les ouvriers de Turin ont crié en faisant des grèves contre la guerre et contre le gouvernement fasciste mais cela "importe" peu, car Vercesi, lui, n'est pas dupe et ne croit pas que ces grèves représentent l'apparition du prolétariat.

Il serait peut-être non sans intérêt de rappeler au grand sceptique Vercesi le "Rapport sur la situation en Italie" présenté au congrès de la Fraction italienne (voir Bilan n° 22, septembre 1935) où nous lisons :

"… une évolution pacifique du fascisme vers sa démocratisation ou vers sa succession par un gouvernement démocratique étant exclue. Si un pareil gouvernement devait ressurgir en Italie, ce serait uniquement au feu des luttes révolutionnaires déjà livrées par le prolétariat et il représenterait une nouvelle rançon que les ouvriers devraient payer à la contre-révolution pour ne pas avoir su forger le parti, le guide de la révolution, alors que les conditions pour la victoire avaient mûri."

Ce rapport, adopté par tous et aussi par Vercesi, fut écrit par le camarade Philippe qui, croyons nous, devait être un tout proche cousin de Vercesi. Il est vrai que Vercesi fut alors un marxiste, un révolutionnaire, un membre de la Fraction italienne de la Gauche communiste.


NOUVELLE REFORME DE LA THEORIE DE L'ECONOMIE DE GUERRE

Vercesi s'est enfin rendu compte que, dans sa théorie de l'économie de guerre, il avait négligé un facteur important, l'échange. Il l'introduit comment ?

"Il arrive que la possibilité a été offerte au capitalisme de résoudre le problème du fonctionnement de la société capitaliste au travers de la réalisation de la plus-value dans la zone productive qui est la zone fondamentale de tout le processus économique. La non-utilité économique des produits supprime l'éventualité et la nécessité de la transformation du produit."

Ainsi la réalisation de la PV s'effectue dans le premier acte du procès de production capitaliste et ceci grâce à la possibilité de non-transformation du produit. Mais ceci n'est pas une réalisation de la PV puisque cette dernière, incorporée dans le produit, ne se transforme pas par l'échange en un accroissement du capital constant et du capital variable.

Ce qui est plus étonnant c'est qu'il fait entrer une notion d'utilité et de non-utilité qui nous semble toute morale. Nous nous expliquons : Marx disait que si un homme s'amuse à arrondir un caillou, la somme de force de travail qu'il dépense n'ajoute rien à la valeur nulle du caillou, car ce travail d'une part la mer le fait et d'autre part il ne trouvera pas d'acheteur sur le marché. Son travail a été concrétisé dans un produit non-utile parce que non-échangeable. Le camarade de BR qui, d'après Vercesi aurait dit nonante bêtises desquelles sort la vérité, pour cette bêtise, était plus près de la réalité que la bourde astronomique de Vercesi. Si c'est en fonction de la non-utilité morale de la production de guerre que l'échange se fait, on repose la question : comment ?

Ici, nous devons retourner en arrière pour étudier l'échange.

"Il nous est possible, aujourd'hui, de comprendre que les phénomènes de l'échange se présentent dans le marché avec les caractères qu'ils reçoivent dans la sphère de production."

Vérité évidente : l'échange contient les caractères de PV que lui donne la production ; mais le processus de l'échange de la production diffère de sens, de lieu et d'endroit. Et c'est ce processus que nous aimerions voir mis en évidence par Vercesi qui, tout au long de son document, n'en dit pas plus. Quand il n'est pas dans le lieu commun, il tombe dans l'erreur la plus grossière. Pour lui, le socialisme permettra à l'échange d'avoir ses lois propres. Entend-il, par là, indépendante de la production ? Si telle était la production socialiste, elle serait encore plus anarchique que la capitaliste, car sa production serait de consommation et l'échange n'aurait pas cette caractéristique puisque ce n'est qu'en société capitaliste qu'on assiste à un échange dépendant de la production.

Une autre trouvaille, encore plus riche de désespoir, consiste à déclarer que "si, ici, la condition pouvait avoir été réalisée par l'économie capitaliste d'échanger le capital variable contre une fraction du capital constant sans qu'aucun solde ne reste, le marché enregistrerait ce fait au travers d'une distribution harmonieuse des produits et nous n'aurions pas de classes antagoniques."

Tout d'abord, si une telle possibilité avait été donnée au capitalisme d'après lui-même, c'eut été le socialisme car, si cela avait supprimé les classes antagoniques, cela aurait supprimé les classes tout court.

Mais ceci c'est le socialisme à la Vercesi ; et toute société qui touche à son capital constant pour en échanger une fraction égale au capital variable désaccumule, et nous tombons de quelques siècles en arrière au travers d'une distribution étrangement harmonieuse. Car l'échange d'une fraction du capital constant en capital variable n'augmente pas le capital constant ; et après 4 à 5 cycles, il n'existerait plus de capital constant. Est-ce la théorie d'Adam Smith qu'il reprend ? En effet, dans la production de valeurs, Adam Smith ne voyait que du capital variable et de la PV ; cependant, à l'encontre de Vercesi, ce n'est pas l'échange du capital constant par le capital variable mais parce que le capital constant ne représentait que du capital variable et de la PV réunis.

Toujours d'après le dernier passage de Vercesi, nous aimerions connaître avec quoi il échange la PV ? Car, pour ce qui est du capital constant et du capital variable, il nous le dit. Le grand ennui dans sa théorie de l'échange c'est qu'il ne parle pas du tout du vrai problème qui reste : la réalisation de la PV.

Quand en société capitaliste on parle de l'échange, c'est la PV qui pose ce problème. En effet le capitaliste, qui a dépensé du capital constant et du capital variable, retrouve dans la société la quantité de valeur qu'il a mis en circulation ; il n'en est pas de même pour la PV qui est une valeur supplémentaire que lui fournit la force de travail qu'il a achetée. Cette valeur supplémentaire demande un acheteur pour être transformée en capital constant et capital variable additionnels et permettre l'accumulation.

Si, comme le dit Vercesi, "la non-utilité économique du produit supprime l'éventualité et la nécessité de sa transformation", on se demande 1°- comment le capitalisme retrouve le capital constant et le capital variable qu'il amis en circulation, 2°- comment réalise-t-il la PV incorporée au produit puisque ce produit, dans le procès de circulation, ne se transforme pas ?

La non-utilité est un mot nullement magique et nous ne voulons pas être dupes comme lui de son ergotage. Car, plus loin, nous assistons à un revirement total de sa conception. Précédemment, il résumait que la capitalisme a la possibilité de résoudre le problème du fonctionnement de la société capitaliste et qu'il ne peut le résoudre qu'économiquement. Quelques lignes après il dit :

"Ce qui aurait pu le codifier (le capitalisme) cela aurait été la possibilité historique qui lui aurait été offerte d'ouvrir à son exploitation de nouveaux marchés coloniaux puisque les précédents n'avaient pas suffi à amortir les heurts du régime capitaliste lui-même."

Nous ne relevons que la volte-face de Vercesi, la plus significative. Tout ce qu'il a construit précédemment tombe avec juste raison devant cet argument massue qui, malheureusement pour lui, est de Rosa Luxemburg.

Et alors la non-utilité du produit n'arrive pas à "codifier" (nous croyons qu'il faut prendre ce terme dans le sens de "résoudre") "le problème du fonctionnement de la société capitaliste". Vercesi tourne en rond et ce n'est pas nous qui le faisons tourner. Nous, les pontifes – terme méprisant qu'il décoche à notre intention -, avons plus confiance dans le travail cohérent de Marx et de Rosa pour nous aider dans la compréhension su processus économique actuel.

La valeur d'un produit est donnée par la force de travail socialement nécessaire pour sa fabrication. Cette force de travail se retrouve dans le produit sous trois formes : le capital constant – machines, matières premières -, le capital variable - salaires des ouvriers -, la PV – le travail non payé à l'ouvrier. Si l'on considère le schéma de la production capitaliste donné par Marx :

1)- C+V+PV = moyenne de production,

2)- C+V'+PV = moyenne de consommation 5,

on s'aperçoit que ni les capitalistes ni les ouvriers ne sont capables de réaliser la portion de PV qui se transforme en C et V additionnels.

Cette réalisation ne peut s'opérer que dans la sphère extra-capitaliste. Une fois cette sphère disparue, la réalisation globale de la PV ne s'effectue plus.

La PV produite par les allemands n'a pas été réalisée et ne se retrouvera pas dans le prochain cycle de reproduction. La PV américaine s'étant effectuée au détriment du capital constant et du capital variable allemand, nous n'assistons plus à une reproduction élargie globalement.

Pour le capitalisme américain, il y a reproduction élargie ; pour le capitalisme allemand il n'y a même pas reproduction tout court. Le capital social de toute la société, la réalisation de la PV s'effectuant au détriment du concurrent le plus faible par une translation de capitaux et non par l'adjonction de nouvelles valeurs réalisées. Ne considérer la production élargie que dans les limites de l'intégration de la PV dans le produit (1er acte du procès de production capitaliste), c'est ne pas permettre de faire la liaison entre le 1er cycle de production et le suivant.

Reproduction élargie signifie qu'entre deux crises périodiques la moyenne de production (en valeur) est en hausse par rapport à la période précédente. Devant cette explication le brave Vercesi part en bataille en déclarant que de 1933 à 1939 la moyenne de production des valeurs est sûrement supérieure à celle de entre 1918 et 1933. Tout d'abord, ceci est à vérifier.

La production pour la seule année 1939 est à peine égale à celle de 1929 - point culminant de la production mondiale en Allemagne et Italie, inférieure en Amérique, France et Angleterre, supérieure au Japon (ceci au détriment de la Chine). De plus, de 1929 à 1933, la production cherche à se réaliser tandis qu'en 1939 elle est encore au 1er stade du procès capitaliste : intégration de la PV dans le produit.

La période qui doit être mise en rapport avec celle de 1918-33 va de 1933 à 1945 et 1946 même, car c'est seulement la guerre qui traduit, dans la période actuelle, l'échange permettant la reprise du cycle de production. Mais ce qui est ahurissant à entendre, c'est la confusion que Vercesi fait entre la production (de valeurs) et la productivité et, comme il n'est pas ignorant à ce point, il jongle :

"Il est même absolument ridicule de nier que la production massive actuelle n'accuse pas une formidable augmentation de la productivité du travail et, par cela même, une formidable incorporation de valeurs dans les produits, c'est-à-dire des produits eux-mêmes."

La productivité ne signifie nullement une augmentation de la valeur de la production. Un avion, qui en 1914 nécessitait 100 heures de travail, en 1945 ne nécessite plus que 20 heures de travail par exemple. De sorte qu'en 1914 on produit un seul avion pour la même valeur que les 5 avions produits en 1945.

La productivité a augmenté mais pas la production de valeurs. Et quand on identifie, comme il le fait, "la formidable augmentation de l'incorporation de valeur dans les produits" avec les produits eux-mêmes par la productivité, ceci signifie que la valeur du produit n'est pas seulement donnée par la quantité de travail mais aussi par les machines permettant de produire un objet en un temps de plus en plus court ; ou alors l'idée de Vercesi est très simple et découle de son "sens commun".

Les 5 avions produits en 1945 en 100 heures de travail valent plus que l'avion produit en 1914 dans le même temps de travail. Pourquoi ? Parce que l'arithmétique du "sens commun" prouve fort justement que 5 avions c'est plus qu'un avion. Mais le "sens commun" dit aussi que la quantité d'argent que l'on paiera pour un des 5 avions sera le 1/5ème de la quantité d'argent payée pour l'avion construit en 1914.

Cette économie de guerre – résultat du travail de modeste contribution de Vercesi à l'élaboration du parti de classe de demain – a été précédemment introduite par l'étude des divergences entre Lénine et Rosa au sujet du développement du capitalisme. On s'apercevra comment, tout en donnant tort à Rosa, il conclut dans le sens de Rosa, comme il l'a fait quand il parle de la codification du système capitaliste à propos de l'économie de guerre.

Le dissentiment entre Lénine et Rosa ? Le voici :

"Voici en quoi consistait le dissentiment entre Lénine et Luxemburg ; Lénine disait, et je crois qu'il a eu raison, que les phénomènes essentiels de la société capitaliste se font dans la zone de production ; Luxemburg affirmait, et elle a essayé de le démontrer, que les problèmes de l'économie capitaliste doivent être examinés non seulement en ce qui concerne la production mais aussi en ce qui concerne l'échange et la relation existant entre la production et l'échange."

Nous rapprochons ce passage de deux autres passages pour mieux faire comprendre où réside le dissentiment.

"Il disait (Lénine) que les problèmes fondamentaux se déterminent dans la zone de production et il en arrivait à la conclusion d'admettre la réalisation de la PV dans l'économie capitaliste. Et ceci prouve qu'il existait dans un milieu social où l'Etat capitaliste n'existait pas la possibilité de la réalisation de la PV puisque le marché extra-capitaliste n'était pas à rechercher en dehors de la Russie mais existait à l'intérieur de ses frontières."

"Lénine considérait la possibilité de la réalisation de la PV parce qu'en Russie existait l'éventualité historique que la bourgeoisie puisse résoudre, au point de vue économique et politique, les problèmes spécifiques à sa classe. Là où la position de Rosa était fausse c'est quand elle croyait qu'il était indispensable pour la bourgeoisie de résoudre le problème de l'accumulation capitaliste ; parce que, si elle ne retrouvait pas ce problème, le prolétariat spontanément était appelé à fonder le parti de classe."

Donc, pour Vercesi, le dissentiment semble se réduire à cette seule chose : que Lénine prétendait à l'importance primordiale, dans la société capitaliste, du premier acte du procès capital, tandis que Rosa voyait le problème d'une manière plus approfondie en posant une relation entre la production et l'échange.

Si Vercesi veut faire dire à Lénine "l'échange n'est rien, la production est tout", il falsifie le problème et l'on ne comprendrait pas "L'impérialisme, stade suprême du capitalisme" où Lénine essaie de rechercher dans l'échange l'impasse dans laquelle se trouve la production. Quand il déclare que cette guerre est faite en vue d'un nouveau partage du monde, c'est de l'échange que Lénine parle.

Il est inconcevable de donner raison à Lénine de l'erreur que Vercesi veut lui faire faire.

Il est encore plus inconcevable de prétendre que Lénine avait raison de considérer que la PV pourrait se faire dans l'économie capitaliste parce que, par rapport à la Russie, Lénine ne remarquait pas que ce pays permettait d'immenses marchés extra-capitalistes permettant le développement du capitalisme.

Et, après cela, avoir l'impudence de donner tort à Rosa d'avoir plus juste que Lénine, même pour ce qui a trait à la Russie, c'est le monde à l'envers ; ou alors Vercesi prend ses auditeurs pour des imbéciles.

Que Rosa se soit trompée sur la spontanéité de la formation du parti de classe n'implique en rien la fausseté de sa théorie économique des marchés extra-capitalistes ; et, si Lénine, partant de données économiques fausses arrive à l'énumération réelle du processus de formation du parti de classe, nous n'allons tout de même pas jeter un voile sur sa théorie économique et, contre l'évidence que Vercesi lui-même fait ressortir, donner raison à Lénine même dans son erreur.

On comprend, après tout son bavardage, qu'il doute de la valeur révolutionnaire de sa contribution idéologique.


PROBLEME DE LA TRANSFORMATION DE LA GUERRE IMPERIALISTE EN GUERRE CIVILE

"Lénine, parfaitement cohérent à toutes choses dont je vous ai parlées tant de fois, intervient et nous dit que, pour réaliser la révolution la révolution bourgeoise, il n'y a qu'un seul moyen, c'est le moyen qui a servi à Bismarck pour fonder l'Etat allemand et qui servi à Cavour pour réaliser l'unité italienne, qui en quelque sorte a servi à Napoléon pour consolider l'œuvre que d'autres avaient commencée en 1793.

Si la Russie gagne, nous sommes fichus. En effet, la seule éventualité pour que le développement industriel amené par l'économie de guerre en Russie en 1914-18 puisse s'éclore en une société bourgeoise consistait en une victoire militaire de la Russie, ce qui aurait déterminé la condition spécifique pour fonder une société capitaliste en Russie. Et Lénine intervient parce qu'il peut le faire à cause du caractère particulier du milieu dans lequel il vit, où au travers de la défaite de la Russie il est possible d'éliminer la constitution d'un Etat capitaliste. De plus, Lénine exprimait une situation historique qui n'avait pas encore liquidé le problème que la redistribution des marchés coloniaux s'accompagne avec l'adjonction d'autres marchés coloniaux 6. Cette éventualité signifiait aussi que la révolution prolétarienne en Russie ne serait encastré dans la révolution mondiale mais aurait représenté une seule étape dans cette direction. C'est dans ces éléments historiques que Lénine agit entre 1914 et 1918. Tandis que Rosa, se trouvant en Allemagne et par rapport à l'Allemagne, ne pouvait suivre Lénine car la révolution bourgeoise avait déjà été faite dans ce pays et le problème se posait autrement."

Vercesi fait prendre à Rosa la position de Riazanov selon laquelle l'internationalisme ne signifie pas souhaiter la victoire du capitalisme étranger sur le capitalisme national car on n'affaiblira pas le capitalisme mais on livrera le prolétariat à un impérialisme étranger.

"Mais Lénine ne courait pas ce risque parce que, en face de Lénine, ne se posait pas le problème d'une victoire allemande pouvant intervenir et subjuguer l'économie russe."

De sorte que la position de Lénine, toujours d'après Vercesi, n'était valable que pour la Russie et ce que disait Lénine, concevable en raison des éléments historiques où il agit entre 1914 et 1918, n'avait pour lui qu'une application en Russie seulement. Rapprochons le premier passage de cette réponse de Lénine aux Riazanov et autres internationalistes honteux : "La classe ouvrière, dans la guerre réactionnaire, ne peut pas ne pas désirer la défaite de son propre gouvernement. C'est un axiome. Seuls les discutent les partisans conscients ou les domestiques sans caractère des social-chauvins."

Et la résolution de Berne (Le Social-démocrate N° 40) : "Dans tous les pays capitalistes le prolétariat doit maintenant désirer la défaite de son gouvernement."

Quant à la position de Rosa, elle s'est exprimée au Congrès de Stuttgart (1907) par l'amendement qu'elle fit ajouter, qui soulignait que le problème consistait non seulement à lutter contre l'éventualité de guerre, ou de la faire cesser le plus rapidement possible, mais aussi et surtout à utiliser la crise causée par la guerre pour accélérer la chute de la bourgeoisie, à tirer de toute façon partie de la crise économique et politique pour soulever le peuple et précipiter, par là même, la chute de la domination capitaliste.

On est loin de l'interprétation de Vercesi sur la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile.

A quoi veut en venir Vercesi ? Car plutôt que de faire mentir Lénine et Rosa, il eut été préférable qu'il endosse pleinement la responsabilité se ce qu'il écrit.

Le défaitisme n'est un moyen que pour le prolétariat des pays dont le capitalisme n'est pas au pouvoir, ce qui amène forcément, pour cette guerre, le rejet du mot d'ordre de Lénine de transformation de la guerre impérialiste en guerre civile.

Allant plus loin, le caractère d'économie de guerre de 1914-18 enlève à la révolution de 1918 en Allemagne le caractère de facteur ayant déterminé la fin de la guerre impérialiste en la transformant en guerre civile.

La révolution de 1918 résultait-elle de la crise de l'économie de guerre ? Oui doit répondre Vercesi. Et toute cette monstrueuse théorie pour arriver à ce résultat. Pas de guerre civile, d'où pas de prolétariat pendant la guerre, d'où pas d'action de la fraction.

Vouloir ramener l'enseignement de Lénine et de Rosa à l'échelle de Vercesi, c'est rendre nul et non avenu tout le travail de la 2ème et de la 3ème Internationale dont chaque parti n'a pu agir, penser qu'en rapport aux seuls éléments historiques de leur secteur sans tenir compte de l'internationalisation du problème. C'est aussi ne pas comprendre la valeur du travail de Marx puisque ce dernier n'a écrit qu'en rapport aux éléments historiques de la révolution bourgeoise allemande avortée. Zimmerwald ne représente pas une plate-forme du prolétariat international mais est un vulgaire mélange de conclusions tirées d'éléments historiques différents et dont chaque prolétariat n'a à prendre que les conclusions présentées par ses représentants. Merheim et Bourderon pour la France, Ledebour pour l'Allemagne, Lénine pour la Russie. Seulement Lénine avait tort de s'en prendre à Ledebour qui continuait à voter les crédits de guerre au Reichstag. Et Liebknecht était un pauvre utopiste dont le geste en 1916 à la Postdamer Platz était contre-révolutionnaire, parce que crier que le premier ennemi à abattre c'est sa propre bourgeoisie dans un pays où la révolution bourgeoise avait déjà été faite (c'est Vercesi qui le dit) c'était faire le jeu de l'impérialisme adverse.

Et voilà à quelle déduction on est obligé d'arriver avec sa façon d'analyser les divergences entre Lénine et Rosa. Par bonheur pour le prolétariat, Lénine et Rosa ne se sont pas confinés à l'étroitesse "des éléments historiques où ils agirent entre 1914 et 1918". Ils ont posé des problèmes et résolu différemment ces problèmes pour la classe ouvrière en général.

La transformation de la guerre impérialiste en guerre civile a bien représenté la lutte du prolétariat allemand en 1918 malgré l'économie de guerre de Vercesi.

Et dans cette guerre-ci ? Voilà les conclusions que tire Vercesi :

"Cette guerre pendant 6 ans, a-t-elle donné la possibilité au prolétariat de n'importe quel pays de se manifester de façon effective sur la scène sociale ? Non."

Le prolétariat italien a parodié sa manifestation effective en tant que classe en 1943. Nous n'avons assisté qu'à une simple farce dont les acteurs et victimes ont été les ouvriers de Milan et de Turin.

La farce c'est Vercesi qui, maintenant, la joue dans ce Comité antifasciste, résultat de ses études sur la tactique indirecte. Le prolétariat, au prix de "Abas la guerre!", n'a pas voulu amuser la galerie mais se soustraire effectivement, en tant que classe, à la guerre par une lutte violente que seuls les bombardements et la division dans la tâche de répression ont pu maîtriser momentanément sans parvenir à réintroduire le prolétariat dans la guerre.

Et en Allemagne, où ces derniers mois nous avons assisté à une véritable offensive de la classe ouvrière dans divers centres importants contre l'Etat nazi, c'est de la mascarade pour Vercesi.

"Cette guerre a-t-elle donné la possibilité d'une fermentation idéologique au sein des fractions de gauche ? Non."

Nous sommes heureux de constater au moins que Vercesi ne se prend pas au sérieux et que toute son économie de guerre ne représente aucune fermentation idéologique. Mais l'ignorance n'est pas un argument car le seul fait de la formation de la Gauche Communiste française qui vit et lutte est un contredit à sa réponse. De plus, quand il aura lu tout le travail effectué par la Gauche Communiste italienne et la Gauche Communiste française - en vue de l'élaboration des positions de classe du prolétariat face à toute la démagogie capitaliste et à la grossière erreur du BI de la Gauche Communiste qui ouvrait en 1938 comme perspective la révolution et non la guerre – peut-être se rendra-t-il compte que c'est lui seul qui est en dehors de la fermentation idéologique qui se fait.

Mais voyons comment il explique son erreur dans le BI en 1938 ?

"Mais si, pour Munich, j'avais fait une erreur, c'est que moi, tout autant que Lénine ou Luxemburg, je n'avais pas saisi qu'il s'était présenté pour le capitalisme de réaliser la PV et que le phénomène de l'échange était résolu au moment même de la production, ce qui m'avait fait supposer qu'il était possible que la production inutile, parce qu'inutile, puisse aussi ne pas encombrer le marché et, par suite aussi, avoir une possibilité de non-utilisation dans la guerre. Les événements ont prouvé encore une fois ce qui est contenu dans le Premier Chapitre du Capital de Marx, que toute production exige un marché et que même la production inutile doit être utilisée. Et c'est là la grande lacune théorique qui existait dans une tentative, que j'avais faite en 1938, d'expliquer les événements."

D'une part Vercesi déclare n'avoir pas saisi que l'échange se réalise au moment même de la production, ce qui l'a conduit à cette erreur, d'autre part il constate, d'après les événements, que toute production exige un marché.

Pourquoi faire un marché puisque l'échange s'effectue au moment même de la production ?

A moins que l'échange et le marché aient, pour Vercesi, des secrets que nous ignorons. Car, jusqu'à nouvel ordre, un marché est la condition nécessaire à l'échange (pour nous du moins). Nous croyons saisir le secret si on se reporte aux expériences de brûlage de café et autres produits pendant les années précédant la guerre. La production de guerre a besoin d'un marché où se déverser non économiquement mais matériellement et dont les soldats seront les consommateurs. Drôle de marché !

Ne pouvait-on pas déverser les obus dans l'océan comme on a fait pour le lait en 1930 ? Que Vercesi fasse cette proposition à la conférence de San Francisco et la paix sera éternelle.

Et nous terminerons ce chapitre par une nouvelle contradiction :

"Le substrat à la réapparition du prolétariat, en tant que classe, est donné par l'ensemble de la production qui ne peut pas être vendue dans les limites de la société capitaliste, donc par toute la masse de la PV qui n'est pas réalisable."

Et l'économie de guerre à quoi sert-elle ? Vraiment Vercesi aurait pu s'épargner tous ses efforts précédents ou bien, comme il le pense, l'échange s'effectue au moment même de la production et alors le prolétariat ne pourra jamais réapparaître.


LA METHODE D'ANALYSE DE VERCESI ET SES CONCLUSIONS

"Mais à partir de 1927 existait l'éventualité que ce que nous allions écrire de la première à la dernière ligne de notre revue et de tous les documents de la fraction aurait pu ne servir à rien du tout parce que nous étions séparés du corps qui pouvait seul nous exprimer, c'est-à-dire du prolétariat italien. Je ne veux pas dire par là que tout ce que nous avons fait doit être jeté au panier mais je veux dire que tout ce que nous avons fait doit être soumis, aussitôt que les événements le permettront, à la vérification des cadres engendrés par le processus historique qui conduit à la formation du parti de classe en Italie."

"C'est une question de principe absolu qui nous a conduit à dire ceci, que les cadres qui surgissent actuellement en Italie ont certainement raison et que nous qui avons vécu séparés de notre corps, de notre source vitale, nous pouvons avoir tort."

Plus loin : "Bordiga, aujourd'hui, est celui qu'il était en 1921, 1926, 1927 ; ce qu'il est resté pendant toute la période fasciste et pendant toute la guerre ; et il est aussi celui qui, en 1943, exprime ses idées avec la fumée contingente de ces événements et qui susceptible de pouvoir les réexprimer avec toute sa limpidité au moment où la situation permet un retour complet du prolétariat révolutionnaire."

Et tout ceci se termine par cette excommunication qu'il prétend condamner.

Le premier point que l'on peut retirer de tout ce fatras de mots, de questions et de réponses imaginatives c'est qu'il affirme certaines choses sans chercher à les démontrer ou à les approfondir. Ce sont des credos qu'il pose ; et ce qui est grave c'est qu'ils ne reposent que sur des sentiments plutôt que sur une étude objective.

Pendant la guerre d'Espagne en 1936, Vercesi condamnait violemment et avec raison la politique des divers partis ouvriers confusionnistes et même celle de la minorité de la fraction italienne. Pourtant, ceux qu'il condamnait étaient bien plongés dans leur corps social "qui pouvait seul les exprimer". La position de Vercesi était-elle fausse à cette époque ? Lui-même reconnaît que non quand il traite de l'antifascisme avant cette guerre.

Mais allez mettre Vercesi face à ses contradictions. Peine perdue. Vercesi n'est plus un marxiste mais un jongleur de mots à tendance nationaliste : chaque révolutionnaire, dans son analyse, dépend du secteur local du capitalisme d'où il est issu et uniquement de lui ; ses analyses, ses perspectives ainsi que les principes de son action ne sont valables que pour son secteur seulement ; de plus, ce révolutionnaire, expatrié, doit s'incliner à priori devant la justesse de vue de ses camarades restés dans la mère patrie, car lui ne peut plus penser juste, son corps étant séparé de son esprit.

Qu'il existe une éventualité que ce que nous écrivons maintenant sur la France – nous qui pourtant y sommes – est sujet à caution, ceci est indiscutable. Pourquoi devons-nous avoir raison d'avance et à priori sur nos camarades hors de France ?

L'histoire, au contraire, nous apporte des preuves que des camarades qui s'expatrièrent en raison de la répression capitaliste avaient eu des vues plus justes que ceux demeurés dans la mère patrie. L'exemple le plus démonstratif est celui de Lénine qui entre en Russie après plus de 18 ans d'absence avec le résultat d'une fermentation idéologique intense, les Thèses d'avril qu'il présente comme le nouveau programme devant remplacer celui de 1903 élaboré pourtant dans le corps "qui seul permet d'exprimer un programme". Et la victoire de la révolution en 1917 fut pourtant possible d'après le corps des Thèses d'avril.

Nous savons déjà la réponse de Vercesi sur ce point : 1- Lénine s'extrayait de son passé et de toute l'histoire passée du mouvement ouvrier ;

2- ce qui est valable pour la Russie ne l'est plus pour l'Italie.

Les différences entre les divers secteurs du capitalisme prennent le pas sur l'uniformité du système bourgeois dans tous les secteurs du monde. Les principes d'action ne sont plus conditionnés par l'uniformité du régime capitaliste mais essentiellement par les particularités de chaque secteur envisagé, et ceci nous conduit directement à cette position nationaliste de Vercesi sur les partisans italiens qui ne sont pas comme les autres partisans parce que ceux d'Italie ont sûrement raison et qu'il n'y a pas à discuter.

"Le problème se pose : les partisans unifiés peuvent-ils fournir la base de la reconstruction de l'appareil de l'Etat capitaliste dans l'Italie du nord ? A cette question je réponds catégoriquement non. Les partisans de l'Italie du nord luttent pour la révolution ; ils ne luttent pas pour la défense du capitalisme italien, quoi qu'en pensent Churchill, Roosevelt et Staline."

Que Vercesi prenne ses désirs pour des réalités, un esprit détaché de son corps, un esprit détaché de son corps est normalement porté à s'illusionner.

Seulement Churchill, Staline, Roosevelt, eux ne s'illusionnent pas. Que les masses désirent confusément sortir du chaos de la guerre, ceci est certain ; que la forme de regroupement du prolétariat en partisans soit une possibilité de détourner la classe ouvrière de sa lutte propre, ceci est encore plus certain et les 3 grands se servent de cet instrument pour étouffer le prolétariat en tant que classe.

Venir dire ensuite aux partisans sur un ton de pape :

"On veut faire de vous ce que vous ne deviendrez pas. Nous ne pouvons pas collaborer avec vous ; nous sommes obligés de déterminer la base d'un autre rassemblement de masse et c'est ici que vous finirez par vous diriger."

On ne comprend plus alors comment "les partisans luttent pour la révolution. La théorie de la spontanéité réapparaît chez Vercesi bien qu'il l'ait combattu à propos du dissentiment Lénine-Rosa.

Nous terminons par une dernière citation en rappelant que Vercesi fait parti d'un comité antifasciste avec des bourgeois et des staliniens. Mettant en garde les camarades de la fraction contre ceux qui, restés fidèles au marxisme, se refusent à suivre Vercesi, il s'écrie :

"Dans la deuxième hypothèse, ces cerveaux seront consignés au pontife qui garde les textes sacrés ; et ce pontife, comme tous les pontifes, sera prochainement exécuté par le prolétariat révolutionnaire. Je m'affirme d'ores et déjà disposé à participer à cette exécution dans l'intérêt du prolétariat et de son parti de classe."

Cette exécution des pontifes ne l'a-t-il pas déjà commencée dans ce comité antifasciste avec les bourgeois et les staliniens ?

Tout ce que l'on peut dire, c'est qu'il est fort possible qu'il participe à l'exécution des pontifes mais pas dans l'intérêt du prolétariat et de son parti de classe, car les bourgeois et les staliniens du comité antifasciste n'ont jamais représenté le prolétariat ; quant à Vercesi, il ne le représente plus.

SAMAR

NOTA. L'écriture automatique a pu donner des chefs-d'œuvre en littérature, la politique est plus exigeante. "Les types", "les pontifes", "les sacristains" préfèrent s'en rapporter à Marx et l'expérience passée du prolétariat révolutionnaire pour s'aider dans la compréhension de la situation présente plutôt que de suivre l'élaboration imaginative du Picasso de la révolution.

1 Note de l'éditeur : La cohérence politique du texte nous amène à penser qu'il y a ici, dans le texte original, une erreur de frappe : c'est à l'évidence de "la conception de Rosa" dont il s'agit ici.

2 On connaît la théorie professée par Vercesi selon laquelle l'économie de guerre fait disparaître les conditions de l'existence sociale de la classe, théorie qui lui a servi à nier la possibilité d'exprimer le prolétariat pendant la guerre. Cela ne l'empêche pas d'affirmer aujourd'hui : "L'antithèse prolétarienne étant donnée par l'existence même de la thèse, la condition est établie pour qu'elle puisse se cristalliser autour de la formation du parti de classe."

3 Il faut d'ailleurs remarquer que Rosa était de la Pologne russe, qu'elle s'est formée en tant que militante en Russie où elle a fondé le parti social-démocrate de Pologne, et que toute sa vie elle suivra de très près toute la vie politique et le mouvement ouvrier russe. Lénine, de son côté, vivra en Europe et se formera en assimilant mieux que personne l'expérience du mouvement ouvrier européen.

4 Une mise au point s'impose. Quand Vercesi parle de "nous", ce n'est qu'une façon de parler. Ce "nous" ne signifie nullement et n'engage en rien la Fraction italienne qui, elle, a condamné et ce travail et son auteur.

5 Marx disait à propos de la réalisation de la PV : "La demande ouvrière ne suffit pas puisque le profit provient précisément de ce que la demande ouvrière est plus petite que la valeur de leurs produits, et qu'il est d'autant plus grand que cette demande est relativement plus petite.

La demande réciproque des capitalistes ne suffit pas davantage." (Histoire des doctrines économiques)

6 Confrontez ceci avec la réalisation de la PV par la non-utilité du produit.


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