Home | Bulletin Communiste FICCI 27 | 

Compte rendu d'une réunion entre le BIPR et la fraction(1)

Vers la fin du mois de juin dernier s’est tenue, à Paris, une nouvelle réunion entre une délégation du BIPR et les membres parisiens de la Fraction interne du CCI.

Cette réunion est une concrétisation supplémentaire et significative des liens que cherche à développer notre fraction avec le BIPR, et plus largement avec les organisations et éléments du camp prolétarien. Pour nous, elle s'inscrit dans le cadre d'une politique de regroupement des forces révolutionnaires qui est vitale dans la période que nous vivons ; politique dans laquelle le BIPR s'avère être le principal (voire le seul) pôle, notamment depuis que le CCI, notre organisation (qui nous a exclus), s'est engagée dans une dérive de dégénérescence.

Lors de cette réunion, la discussion s’est principalement déroulée autour de deux thèmes préalablement convenus : la situation internationale avec ses implications au niveau de l’intervention des révolutionnaires d’une part, la place et les responsabilités du BIPR dans le milieu des révolutionnaires prolétariens d’autre part.

I - Situation internationale

Cette discussion a permis de dégager rapidement un accord sur l’analyse des tendances principales qui marquent la situation internationale durant cette dernière période : qu’il s’agisse de la crise économique, des tensions impérialistes ou encore de la lutte de classe, ces trois volets connaissent actuellement une accélération significative. La crise économique et la guerre n’ont jamais paru autant liées et de façon aussi évidente - comme deux manifestations d'une même réalité : la faillite du capitalisme – pour nos générations de révolutionnaires et de prolétaires. Les enjeux historiques se sont nettement précisés dans l’évolution de la situation internationale au cours de ces dernières années et plus particulièrement depuis le fameux 11/09/2001.

Ainsi :

- depuis le printemps 2001, la crise économique repart de plus belle avec des manifestations importantes dans les pays du centre du capitalisme, pour l’économie américaine notamment (chute d’Enron) ;

- avec le 11/09/2001 les tensions impérialistes se multiplient, se précisent (un antagonisme essentiel se manifestant de plus en plus clairement entre les USA et certaines puissances, notamment européennes, réunies derrière le couple germano-français2) et prennent une tournure de plus en plus inquiétante pour l'avenir de l'humanité : la question de la guerre revient à l’avant-scène ;

- l’opposition frontale et ouverte entre les classes se manifeste de nouveau avec des signes importants de reprise des luttes de la classe ouvrière, en particulier au cœur de l’Europe (Grande-Bretagne, France, Italie) depuis le printemps 2003 et cela dans la foulée des mouvements sociaux en Argentine (2001/2002).

Dans la période ouverte par les événements du 11/09/2001, chaque bourgeoisie nationale est de plus en plus contrainte pour défendre ses intérêts globaux nationaux, de se situer en appui ou en opposition à l’un ou l’autre pôle : USA d’une part, pôle germano-français d’autre part. Chaque bourgeoisie nationale est donc obligée de se positionner en vue d’une confrontation généralisée ultérieure. Nous soulignons ici une tendance dominante de la situation actuelle (tendance qui a déjà existé dans la période de décadence du capitalisme) et non d’un troisième conflit généralisé serait imminent.

Une convergence dans l’analyse a été affirmée quant au rapport de forces de plus en plus évident se jouant entre les USA d’une part, les puissances européennes d’autre part : les USA sont contraints, pour défendre leurs intérêts économiques et impérialistes, d’"avancer en leur nom propre et non plus au nom du bloc occidental disparu. Dans ce cadre, les oppositions franco-allemandes sont des oppositions nécessaires : si les bourgeoisies européennes veulent défendre leurs intérêts, cela ne peut se faire que contre les USA" (délégation du BIPR). Ce contexte fait que "pour une organisation révolutionnaire, elle doit se préparer à œuvrer dans un cadre qui est aujourd’hui USA d’un côté et Europe de l’autre" (BIPR).

Des nuances ont été apportées de la part du BIPR, notamment sur la solidité à terme du pôle franco-allemand, du fait des faiblesses des bourgeoisies européennes (en particulier au niveau militaire) vis-à-vis des USA. Dans le but de pallier à ces "faiblesses", le BIPR tendait à mettre en avant la "nécessité pour les Etats actuels de l'Union européenne, d'œuvrer pour un Etat européen".

Cette partie de la discussion fut l'occasion, pour la fraction, de préciser ce que nous indiquons comme une tendance à la "marche à la guerre de la bourgeoisie". Tout en soulignant un accord quant à la dynamique vers la guerre impérialiste dans laquelle sont poussés les différents impérialismes, les camarades du BIPR ont précisé leur point de vue : si les perspectives de guerre sont contenues dans la situation, il faut néanmoins rester prudents en particulier dans l'emploi de concepts tels que le "cours historique" : "nous ne disons pas que le cours historique n'est pas à la guerre, mais pas non plus à la révolution", ont précisé les camarades.

La signification des luttes ouvrières qui se sont développées ces dernières années dans le monde, a également suscité un échange de vues.

Bien que la délégation du BIPR a clairement affirmé son accord "sur le fait que les luttes en Argentine, en France, en GB, en Italie, signent un processus de « reprise » de luttes de classe", elle a tenu, là également, à souligner le souci de prudence qu'a le BIPR concernant cette question. Ce souci s'est exprimé à travers l'insistance qu'il fallait considérer cette reprise comme un "processus en cours", non linéaire, non établi une bonne fois pour toute ; elle a tenu à se démarquer d'une "tendance à figer une lutte vivante dans des schémas", tendance exprimée par le CCI dans les années 1980, selon les camarades, lorsqu’il parlait de "vagues" de luttes.

Enfin, un accord s'est rapidement dégagé sur le développement de thèmes idéologiques contre la classe ouvrière ces derniers temps. L'offensive politique de la bourgeoisie est très importante. A partir des attentats du 11/03/04 à Madrid, on a vu l'anti-terrorisme devenir le thème de campagne privilégié contre la classe ouvrière afin que celle-ci se range derrière la lutte antiterroriste de l’Etat bourgeois. Cela passe par les campagnes qui ont fait suite aux attentats du 11/03 mais aussi, en Europe en particulier, par la mise en avant de la question des tortures dans les prisons américaines en Irak, pour créer tout un climat essayant de faire apparaître la guerre comme inéluctable dans la tête des ouvriers. Il s’agit de pousser la classe ouvrière à un sentiment d’impuissance face à la guerre. L'autre pan de cette campagne vise à présenter les bourgeoisies européennes comme munichoises, lâches, soutenant le terrorisme. Face à ce piège tendu au prolétariat, il était donc fondamental de dénoncer le terrorisme et l’antiterrorisme tel que l’a notamment fait le BIPR.

Cette discussion fut également l'occasion pour la fraction d'insister sur la question de la méthode d'analyse de la situation face au souci, avancé à plusieurs reprises par la délégation du BIPR, de nuancer les différentes tendances décelables dans la situation comme sur la question de la "marche à la guerre de la bourgeoisie" ou de la "reprise de la lutte de classe", plus nettement affirmées par notre fraction.

En effet, pour nous, aussi loin qu'on remonte dans le temps, les marxistes ont toujours déterminé leur intervention sur la mise en évidence nette des tendances dominantes au sein d'une situation. Dans le cadre d'une analyse historique du capitalisme, ils ont toujours cherché à définir les successions et les changements de périodes, à préciser quelles étaient les grandes tendances dans une situation donnée et n'ont jamais hésité à déceler, expliquer la réalité des dynamiques qui opèrent dans celle-ci. C’est avec cette méthode que Luxemburg pouvait, quelques années avant que la 1ère guerre mondiale n'éclate, affirmer sans hésitation et clairement que la tendance à la guerre généralisée était en marche. 3

Même s’il faut se garder de tout schématisme, car il peut toujours exister des tendances susceptibles de renverser la dynamique générale, il est néanmoins très important, quand on décèle ces tendances, de les affirmer de manière conséquente pour la classe ouvrière et l’avertir de leurs implications.

II – La place et la responsabilité du BIPR dans le milieu révolutionnaire

Ne seront évoqués ici que quelques-uns uns des arguments échangés dans cette partie, la plus fournie et la plus riche, de la discussion.

Pour évaluer correctement la situation du milieu révolutionnaire actuel, on ne peut s’appuyer sur la considération du seul critère numérique, pas plus que sur celui de l’influence qu’il a immédiatement sur la classe ouvrière ; à eux seuls ces critères ne pourraient conduire qu’à se lamenter sur la faiblesse de ce milieu. Même faibles numériquement les organisations révolutionnaires représentent un jalon indispensable, vital pour l’avenir du prolétariat.

Dans un contexte d'accélération de l'histoire tel que nous le vivons actuellement, la question de l’analyse de la situation et l’intervention qui en découle d’une part, la capacité à rassembler les minorités révolutionnaires, à orienter la réflexion, à fournir un cadre pour la clarification des positions politiques d’autre part, constituent les paramètres fondamentaux permettant la réelle évaluation du milieu révolutionnaire et en particulier celle des groupes qui le composent

C’est la vision que l’on peut avoir de la dynamique de la situation qui constitue l’élément déterminant pour apprécier une organisation.

Les développements de la situation actuelle, offrent toute une série d’éléments de clarification pour la classe ouvrière qui redresse la tête, à la condition toutefois que les organisations révolutionnaires se montrent capables de l’aider à en clarifier les véritables enjeux.

Un constat politique s’impose, selon notre fraction : il n’y a plus aujourd’hui qu’un seul pôle de regroupement parmi les groupes se revendiquant de la gauche, contrairement aux années 1970 où trois organisations (le PCI-Le Prolétaire, le CCI et le BIPR) avaient les capacités de jouer ce rôle. Depuis cette période, le PCI s'est trop affaibli et divisé pour continuer à pouvoir assumer cette tâche. Aujourd’hui le CCI tourne le dos à cette responsabilité du fait de sa logique sectaire (il joue le rôle de repoussoir à la discussion) et de sa dérive politique qui le mène de plus en plus loin vers l'opportunisme, qui le rapproche progressivement de l'abandon du marxisme et des positions de classe. La seule organisation ayant la capacité de jouer ce rôle de pôle de référence et de regroupement, armée d’une expérience concrète sur laquelle s’appuyer, c’est le BIPR.

Même avec des forces peu nombreuses, le BIPR n’en est pas moins la seule organisation qui soit capable de défendre dans la classe, de façon pratique à travers l’intervention dans la lutte, les positions communistes, internationalistes contre la propagande bourgeoise et qui soit en même temps capable de servir de pôle de regroupement.

Pour jouer ce rôle, le BIPR s’appuie sur ses positions programmatiques. Mais ce n’est pas simplement sur la nature des positions politiques défendues que nous pouvons conclure à cet état de fait. C’est aussi sur le plan de la capacité d'impulser le débat de pousser à une réelle clarification politique au sein de ce qu’on appelle le camp prolétarien, le milieu internationaliste et vis-à-vis de ceux qui ont le souci de s’inclure dans une dynamique de construction du parti, que cette organisation est active. C’est ainsi, par exemple, que le BIPR est au centre du débat actuel sur la décadence du capitalisme.

Sur la question de la confrontation impérialiste, sur la question de la maîtrise de la lutte contre les syndicats qui a resurgit suite aux mouvements de lutte en France, en Italie…, le BIPR se retrouve dans la position d'orienter, cette discussion.

Un dernier aspect, non des moindres, qui a été discuté au cours de cette réunion comme une préoccupation centrale des minorités révolutionnaires, c’est la question de la construction de l’organisation sur laquelle la fraction défend des positions plus catégoriques que le BIPR. Elle estime en effet qu’il y a un combat politique incontournable et majeur sur ce plan là aussi. Un combat qui se mène contre la bourgeoisie (opportunisme en matière d'organisation, pénétration d'éléments "troubles", etc.), contre la pénétration d’idéologies propres à la petite-bourgeoise (individualisme, rejet de la nécessité de s’organiser, refus de toute référence au mouvement ouvrier…). Mais plus encore que sur les autres questions, cette lutte se joue au sein des groupes qui se réclament de la classe ouvrière et qui se réfèrent même à la Gauche communiste. Nous avons regretté que, dans cette lutte, la tendance, dans le camp prolétarien actuel, soit à ce que les groupes la mène chacun dans son coin, et cela contrairement à ce que nous enseigne l'histoire et la tradition du mouvement révolutionnaire (Cf. l'implication de la Social-démocratie allemande dans les problèmes du POSDR au début du 20ème siècle et celle de la Fraction italienne, au début des années 1930, face à la dispersion des forces "communistes de gauche" en France°.

Cependant, dans son attitude avec le groupe Los Angeles Workers Voice aux USA (cf. Internationalist Communist 21, la revue du BIPR en anglais), le BIPR a montré de quelle manière et avec quel état d'esprit on doit tendre à mener le débat entre révolutionnaires, et quelle méthode utiliser pour défendre une conception saine de l’organisation. Il combat ainsi, concrètement, la dispersion des forces et minorités révolutionnaires.

Sur ce plan aussi, malheureusement, le CCI actuel développe des "théories" et une pratique qui s'opposent de plus en plus à cette politique vitale.

Ces différents plans passés en revue nous permettent de conclure qu’il existe bien deux dynamiques au sein de l’actuel camp prolétarien, ces deux dynamiques allant dans deux sens opposés : l’une pour créer un cadre de regroupement pour rassembler les énergies révolutionnaires, favoriser et orienter les débats et la réflexion collective, permettre l'intervention la plus large au sein de la classe ouvrière, cette dynamique, dans laquelle notre fraction s'inscrit, est portée, aujourd'hui, essentiellement par le BIPR ; l’autre allant dans le sens opposé, celui d’entretenir, voire d'accroître la dispersion, la confusion politique, est portée par le CCI et contre laquelle la fraction mène le combat ouvertement.

Dans une dernière partie, cette réunion a permis de jeter les bases d’un travail commun dans lequel le débat doit prendre une place de première importance. Ce travail de discussion politique doit être assumé clairement : « on ne conçoit pas le débat comme un processus en chambre » dit le BIPR, mais comme un moment du nécessaire regroupement des énergies révolutionnaires.

Nous avons pleinement conscience, les camarades du BIPR et nous-mêmes, que le processus entamé avec ces discussions est un chemin long qui sera sans doute marqué par des hauts et des bas en fonction des situations que nous rencontrerons et qui exigeront des minorités communistes des prises de position claires, parfois divergentes, et une intervention décidée. Sur ces choses là, la concordance des analyses n’est pas immédiate. Nous sommes décidés à faire face à de telles situations. Mais l’essentiel est qu’une dynamique de regroupement existe au sein du camp prolétarien et, là aussi, la fraction est bien décidée à participer de toutes ses forces à ce processus.

La fraction


Notes:

1. La publication de ce compte-rendu se fait avec l'accord du BIPR.

2. "L'axe franco-allemand s'oriente vers les besoins du capitalisme européen, c'est-à-dire vers la construction d'un bloc impérialiste pour lutter, globalement, pour les intérêts du capital européen (...). La direction qu'a prise l'Union [européenne] peut cependant être reconnue et cette direction est vers un bloc impérialiste alternatif opposé à celui des Etats-Unis" (Revolutionary Perspectives 32, été 2004, la revue de la Communist Workers Organisation, traduit par nous de l'anglais).

3. Dans un article écrit en août 1911 et intitulé "Le Maroc", elle dénonçait, au nom de la SD, la politique impérialiste des grandes puissances de l'époque, en particulier celle de l'Allemagne à travers l'épisode de la canonnière Panther envoyée au large d'Agadir pour faire pression sur la France. Elle parlait d'"une aventure politique coloniale menant les peuples au bord du précipice d'une guerre mondiale" et affirmait : "Pour le prolétariat conscient, il s'agit avant tout de saisir l'affaire marocaine dans sa signification symptomatique, faire l'estimation de ses larges connexions et de ses conséquences."

Home | Bulletin Communiste FICCI 27 |