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Concluant notre dernier aperçu de la situation internationale, nous y notions la tendance de l'économique à céder la pas au politique, et ce sur un rythme accéléré. Ainsi, nous affirmions que la conjoncture économique en Tchécoslovaquie favorisait l'initiative russe. Non que cette initiative fut déterminée par des considérations purement économiques. Ce qui, par ailleurs, provoquait une accélération du rythme dans le cours vers la guerre, c'est que, si limité ce pouvoir fut-il, la bourgeoisie de la propriété dite privée n'en conservait pas une certaine autorité. Appuyée sur les promesses américaines, cette bourgeoisie devait tenter de contrecarrer, "saboter" la politique de planification nécessaire à l'organisation rationnelle de l'économie russe et de celles qui lui sont subordonnées ; pour ce faire, disputer activement le pouvoir aux staliniens. C'est pour parer à cette menace que Moscou dut brusquer les choses.
Ainsi que tout le laissait prévoir, cette initiative a suscité de violentes réactions américaines. Et Washington, elle aussi, a donné son coup de pouce aux évènements. Sans doute, la situation de l'Europe occidentale ne lui laisse, vis-à-vis de Washington, qu'une marge réduite d'indépendance. Mais cette marge, les Américains pouvaient la laisser subsister encore. Chose assurée, l'intégration de l'Ouest européen à son système pouvait se faire progressivement et sur un rythme plus lent. Une prolongation de l'aide intérimaire pouvait, par exemple, remédier quelque peu au délabrement européen. Ce sont là hypothèses, dira-t-on. Certes, mais non absolument gratuites. Telles méthodes ayant l'avantage de sauvegarder les apparences auraient favorisé les positions dites de la "troisième force" sans nuire à la pénétration yankee. Or, le coup de Prague a provoqué une accentuation du rythme dans l'assujettissement de l'Europe occidentale aux volontés impérialistes de Washington et de Wall Street conjuguées. Par-dessus rapports et demandes des Seize, Washington a suggéré et approuvé le pacte des cinq. Dés avant d'éprouver les effets du Marshall ballon d'oxygène, les cinq organisent la tête de pont américaine en Europe et obtempèrent sans murmurer aux injonctions américaines.
Priés par Washington de dresser un tableau de leurs besoins, les Seize commencèrent par faire celui de leurs désastres. Leurs rapports d'experts constatent une ruine aux effets de quoi seul le bon cœur américain pourrait pallier. L'Europe des Seize a subi, du fait de la guerre, une importante diminution de son standing économique : destruction, disparition ou usure massive du matériel productif et de transports ; liquidation des investissements à l'étranger ; fermeture à ses produits de la plupart des marchés auparavant ouverts ; enfin, anéantissement du puissant fournisseur et client allemand. Passant aux solutions, les seize proposaient le rétablissement, au moins à son niveau de 1938, de leur capacité de production, rétablissement obtenu par un (...) indigène de production ; puis fixaient le montant de l'aide américaine, aide à laquelle les seize ne pouvaient offrir aucune contre-partie économique sérieuse. De plus, établissant le montant de leurs demandes, ils misaient sur des conditions aussi aléatoires que l'abaissement des prix américains, l'inexistence de conflits sociaux ou la récupération des marchés perdus pendant la guerre. Ils entendaient, leurs deux grands surtout, disposer de cette aide au mieux de leurs intérêts, éviter particulièrement un redressement quelconque de l'économie allemande.
Washington, dès l'abord, réduisit les chiffres proposés (de 29 à 17 milliards de dollars), puis posait ses conditions : la Maison-Blanche imposait son droit de regard et de contrôle économique et politique, fixait la quantité de marchandises concédée à ses vassaux, leur interdisant toute production jugée comme pouvant éventuellement concurrencer l'industrie américaine, et mettait pratiquement la main sur toute l'Allemagne occidentale, abandonnant, provisoirement peut-être, la Sarre à son client français.
On comprendra, sans dessin, que cette politique n'a pas l'agrément du Kremlin. Ce dernier réagit :
1º) en intégrant plus étroitement Est et Centre européens à son économie (mise au pas de la Tchécoslovaquie, éviction des derniers propriétaires étrangers en Roumanie, projet de nationalisation des ¾ de l'industrie hongroise, y échappant les sociétés à capital mixte hungaro-russes, "conversations" fino-russes) ;
2º) en utilisant la situation précaire des masses travailleuses en Europe occidentale, afin de fomenter des grèves sporadiques, troublant par là "l'ordre social" et les bonnes résolutions des Seize quant à l'effort de production ;
3º) en représentant aux agriculteurs et commerçants que l'afflux des produits américains fera considérablement augmenter l'offre de marchandises et partant réduira leurs marges bénéficiaires, marges déjà compressées par la fiscalité excessive qu'engendre la nécessité de reconstruire l’appareil de production.
Enfin les Russes pousseront rigoureusement à la défense d'avancées stratégiques que les initiatives locales yankees pourraient bientôt menacer (Allemagne, Grèce, Chine du Nord).
Aux conditions américaines, aux réponses qu'entend lui opposer la Russie, chacun des Seize réagira selon sa situation propre. Voyons pour exemple les réactions de la France et de la Suisse. La Suisse vient de conclure un accord commercial avec la Russie, en conclusion de laborieuses négociations. "La collaboration industrielle de la Suisse, dit très bien "Le Monde" du 20/3/1948, est infiniment précieuse à la Russie ; et d'autre part nul n’ignore que la Confédération, menacée sur le marché mondial par la concurrence américaine, cherche à développer toujours davantage ses relations commerciales avec les pays de l'Est… L'industrie suisse va donc se trouver associée à la réalisation des plans économiques que l'Union Soviétique entend opposer au plan Marshall". La Suisse, relativement épargnée par la guerre, cherche encore un "équilibre". Mais, nous verrons plus loin où en est la politique de neutralité.
En France, Schumann-Mayer essaient de promouvoir une politique de baisse portant surtout sur les produits industriels "d’intérêt familial". Il s’agit surtout de mesures "psychologiques" promises à fournir à la CGT-FO et autres organisations menant le bon combat antistalinien.
Suivant les premières douleurs provoquées par le coup de Prague, le discours de Truman était attendu comme les cris d'une accouchée le sont d'une famille respectueuse ; ce discours est susceptible, comme tout autre phénomène, d'un assez grand nombre d’interprétations.
Voyons simplement s'en organiser deux thèmes :
1) accélérer le vote du plan Marshall, y rallier les hésitants. Il ne faut pas oublier en effet que la Grande-Bretagne peut, à bref délai, se trouver acculée aux dernières extrémités financières. La publication du Livre Blanc est un véritable appel au peuple. Le Livre Blanc note, en particulier, que la Grande-Bretagne n'a plus aucune réserve en dollars. Le prêt américain, devant courir sur une période de cinq ans, s'est trouvé résorbé en dix-huit mois : conséquence de l'augmentation des prix américains ainsi que de l'énorme déficit anglais en matières premières et en main d’œuvre. L'aide américaine arrive à expiration au 31 mars de cette année et seul l'apport de fonds américains peut éviter une banqueroute à la Grande-Bretagne. L'écroulement de l'économie anglaise signifierait celui de pans entiers de l'édifice capitaliste. Et, débitrice du monde entier, l'Angleterre utilise cette perspective comme un moyen de chantage. Quant à la France, sa situation est d'ores et déjà catastrophique et seul le plan Marshall, venant étayer le plan Mayer, peut, sous condition d'application immédiate, conjurer l'approche de la faillite. Notons au passage que, malgré sa dévaluation monétaire, la France a moins exporté en janvier-février 1948 que pendant la période correspondante de 1947, et que le volume des importations accuse une tendance à diminuer ; cette stagnation du commerce extérieur a pour accompagnatrice celle du commerce intérieur, favorisant l’écho petit-bourgeois…
(…) et paysan, soit aux sollicitations du PCF, soit aux discours fascisants de De Gaulle. Et l'Amérique impérialiste préfère les chauves généraux type Schumann, au général chevelu qui connaît le chemin de Moscou. Pour l’Italie, le discours, venant après les recommandations de Marshall et celles du pape, s'inscrit dans la ligne du "bien voter", après quoi, demain, l'on vous nourrira gratis.
2) rétablissement de la puissance militaire yankee : Truman demande l’adoption du service militaire obligatoire ainsi que la remise en vigueur d'un système de conscription partielle. Il faut voir, là, avec le souci de répondre à des nécessités d'ordre stratégique, de préparation à la guerre, la volonté de cultiver la psychose de guerre des masses américaines, de leur prouver que les démocrates et leur candidat–président (se donnant pour tel) sont résolus à ne reculer devant aucun sacrifice pour assurer la défense des "peuples libres" ; et la dernière opération russe vient à son heure, qui permet de dénoncer l'approche de l'homme au couteau entre les dents. Vu sous cet angle, l'anti-stalinisme de Truman est l'antifascisme de Roosevelt, le paravent derrière lequel se cache la volonté de "domination mondiale" des USA. L’établissement du service militaire pourrait enfin s'avérer être une mesure prophylactique dont l'emploi serait commandé par des perspectives de dépression économique (chômage). Et le vil et roublard baptiste approuve sans réserve le pacte à Cinq, déclarant que "la détermination des nations libres d’Europe de se défendre elles-mêmes aura pour contrepartie une détermination égale, de notre part, de les aider."
La pierre angulaire de la reconstruction européenne, comme dit Bidault, repose sur la recherche et l'étude accélérées des modalités d'union douanière entre les cosignataires ; y sera incluse "l’élimination de toute divergence dans leur politique économique", c'est-à-dire l'ébauche d'une planification, analogue à celle de l'Europe russe. Des mesures militaires ont été prévues à Bruxelles, en quelque sorte, in abstracto ; nul doute qu'elles feront l'objet de discussions plus concrètes entre les experts français, britanniques et bénéluciens. Permission sera accordée aux Américains de coller l'oreille à la porte. Les Scandinaves sont avisés que leur présence au bas du pacte ne soulèverait aucune objection, bien au contraire (des liaisons militaires existent avec Londres de ce côté) ! Et l'Italie est amicalement prévenue que son association aux Cinq serait la marque de sa rentrée dans "le concert des puissances occidentales" ; on verra après les élections. Il faut signaler que les accords de Bruxelles mettent fin définitivement au mythe de la neutralité : il y a longtemps que les neutres n'existent plus, sinon "bienveillants" ; mais l'aspect juridique de cette neutralité en vient à s'évanouir sous la sollicitation du cours vers la guerre.
Quelques autres incidences
a) Les exportations des USA à destination de la sphère russe ont été dix fois moindres, au cours de l'année 1947, que celles destinées aux seize pays du plan Marshall. Mais, les administrateurs américains des services intéressés se sont aperçus "avec stupeur" que, parmi les produits exportés vers la Russie, figurait, pour une bonne part, du matériel de guerre. Là, c'est sûr, l'embargo sera mis. Cette mesure est d'autant plus significative que les États-Unis ont besoin de métaux rares d'origine russe (chrome, manganèse). L'impérialisme yankee tente donc, quoiqu'il lui en puisse coûter, d'asphyxier les Russes, adversaires impérialistes. Et puisqu'il y a du chrome en Turquie, il ira en Turquie ; il y est déjà.
b) en Palestine, Washington retourne entièrement ses positions. Rappelons rapidement quelques éléments de la situation palestinienne : l'arrivée de forts contingents d’émigrants juifs en Palestine y provoqua, en son temps, de forts investissements de capitaux détenus par leurs congénères de la Diaspora (nom générique des colonies juives dans le monde) ; il s'y fonda une industrie que la guerre et les besoins des fronts africain et birman ainsi que l'afflux de réfugiés, travailleurs spécialistes, ont contribué à rendre relativement importante sur le plan local. Le coût élevé de la production (voir plus bas à propos de l’Italie) met aujourd’hui les sionistes dans l'étroite dépendance du capital judéo-new-yorkais. Et ce dernier est, lui, solidaire du grand capital et de l'État américain. D'autre part, les féodaux arabes ont du s’intégrer à la Ligue arabe, cela pour se défendre en tant que féodaux précisément. Les ficelles de cette Ligue étaient tenues à ce jour par la Grande-Bretagne ; mais celle-ci doit, volens nolens, en céder les commandes aux maîtres américains du grand capital.
Le partage de la Palestine s'expliquait, aux yeux de la Maison-Blanche, par des considérations électorales (importance sur ce plan de la minorité juive aux États-Unis) ainsi que par l'intérêt de posséder un pied-à-terre non loin des concessions anglaises de pétrole. Mais la faiblesse britannique a permis et permettra plus encore, aux Yankees, de s'emparer, plus vite qu'ils ne pensaient, des clefs de la situation dans les pays arabes. Et l'accentuation du rythme dont nous parlions plus haut a balayé les considérations électorales.
Truman sera ou non élu, mais les États-Unis renforcent leurs points névralgiques dans le Proche-Orient. Pendant que s'entre-égorgent ouvriers, paysans et petits-bourgeois juifs et arabes, il est opportun de se souvenir que la "Vérité" trotskiste considérait les gangsters juifs de l'Irgoun comme luttant objectivement contre l'impérialisme anglais ; Washington est assez de cet avis.
Dans la conjoncture actuelle, les élections italiennes prennent une importance extraordinaire. De leur résultat dépend la confirmation de ce que l'Italie est pratiquement à l’heure actuelle : une colonie du capital américain. Mais cette confirmation n'est pas donnée à l’avance, comme l’était par exemple le résultat des élections roumaines, comme sera celui des élections tchèques. L'alliance stalino-réformiste aura d'autant plus de voix qu'elle recueillera celles de tous les opposants au régime américano-De Gaspéri. Toute spéculation, donc, quant aux résultats de ces élections relève de la structure mentale d'un habitué du PMU. Mais il n'est pas sans intérêt de revoir, sans trop s'y attarder, les particularités de la situation italienne au sein du monde capitaliste d'une part, dans le mouvement ouvrier de l'autre. Nous négligerons délibérément le phénomène fasciste.
L'Italie aux Américains !
L'industrie italienne manque, sur place, de matières premières en quantité suffisante pour vendre ses produits aux cours mondiaux - ces produits seront des produits chers - ; son marché intérieur est limité à l'extrême (absence d'une paysannerie et d'une petite bourgeoisie aisées) ; son marché extérieur, conséquence du coût élevé de production, n'existe qu'en fonction d'accords politiques. L'industrie italienne est donc une industrie parasitaire à laquelle prêtent vie commandes et subventions de l'État. La disparition de l'Allemagne est totale, et comme fournisseur (les exportations allemandes en produits finis couvraient avant-guerre 50 % des besoins italiens) et comme client ; l'effort de guerre, les destructions militaires, l'occupation allemande puis anglo-saxonne, une inflation fantastique faisant accuser, en 1947, un coût de vie 50 fois supérieur à celui de 1938, ont rendu plus instables encore les positions du capital italien. Ce dernier est un capital hautement concentré : neuf sociétés par actions détiennent ensemble un tiers du capital total ; et, du fait même de son caractère parasitaire, le capital industriel a du rechercher l'appui sans cesse élargi de l'État.
Le régime fasciste, durant le plus long temps de son règne, favorisa et accentua progressivement la mainmise des monopoleurs sur le capital d'État (création d’entreprises mixtes où le capital d'État minoritaire est utilisé, à ses fins propres, par le capital des monopoles). L'expérience néo-fasciste de 1943, où le capital d'État tendait à évincer le capital privé, ne fut qu'un accident sans conséquences historiques. On peut dire qu'en Italie le capital d'État est soumis aux oligarques monopoleurs. La situation désastreuse de l'économie italienne au lendemain de la guerre, la concentration extrêmement poussée du capital industriel et du capital financier qui lui est subordonné, la mainmise des monopoleurs sur le capital d'État - soit durant le fascisme, soit passé l’expulsion des représentants stalino-réformistes au gouvernement – sont autant de conditions qui rendaient aisée la subversion de cette économie aux capitalistes yankees. On verra, par exemple Dupont-De-Nemours "converser" un brin avec Montecatini (puissant trust de l'énergie chimique), des sociétés mixtes italo-américaines se fonder, les techniciens américains affluer et l'Italie devenir l'atelier de réparation du matériel américain en Europe. L'homme lige des trusts, le ministre démo-chrétien des finances, Einaudi, poussera encore à la ruine du moyen et du petit capital privés en instituant, au travers des banques, un régime de restrictions (politique dite de déflation). Enfin, un marché noir, de proportion inconnue ailleurs (sinon en Allemagne occidentale), le nombre important de chômeurs expliquent la présence, dans les mains bourgeoises, d'une masse de manœuvre tout à la fois armée de réserve du capital, matériel d'exportation et base nécessaire d'un pouvoir politique qui, le cas échéant, peut devenir un pouvoir fort.
Si le nord de l’Italie est une des régions les plus industrialisées d'Europe, le sud, lui, est un pays de grande propriété foncière où le paysan est, si l'on peut dire, attaché à la glèbe. Le salariat rural se caractérisera donc par un analphabétisme fréquent, de basses superstitions religieuses et d'un fanatisme réactionnaire. Les bourgeois y recrutent leurs flics et les utilisent comme une masse de manœuvre opposable aux ouvriers du nord. En Émilie-Romagne, ainsi qu’en Toscane, le régime traditionnel de la petite propriété artisanale ou foncière favorise un certain courant anarchiste, anticlérical, individualiste, aussi bien, d'ailleurs, que le courant contraire, religieux et patriote. En Sicile, coexistent les deux formes de propriété et, partant, les deux courants politiques ; les Siciliens louchent volontiers vers la solution séparatiste pour que la question sicilienne soit, à leurs maîtres, un utile instrument de pression.
Nous avons vu, à propos de la Tchécoslovaquie, comment le capital, aux mains d'une bureaucratie appuyée sur une base de masse, asseyait son pouvoir : le parti unique, les comités d'usine et d'action. Mais, en Italie, les conditions particulières de l'industrie, la présence d'une église formidablement étayée sur la grande propriété foncière, la misère populaire, la demeure des papes et de séculaires superstitions, l'exercice du parlementarisme bourgeois et la multiplicité des partis, conséquente à l'affaiblissement profond de la petite bourgeoisie ; tout cela mêlé aboutit à une super structure complexe au possible. Aujourd’hui, il semble que l'essentiel des forces de la bourgeoisie ancienne se trouve à l'intérieur du parti démo-chrétien. Cependant, une certaine fraction de cette bourgeoisie et une part très large de la classe ouvrière - auxquelles le poids très lourd de la domination américano-De Gaspéri est insupportable - forment un front unique derrière Togliatti-Nenni.
Situation politique de la classe ouvrière
Le mouvement ouvrier italien a une très longue tradition de luttes. Et c'est dans cette tradition passée, celle "de toutes les générations passées qui pèse comme un cauchemar sur le cerveau des vivants", c’est dans cette tradition qu'il faut voir l'une des causes de sa faiblesse actuelle, de sa perméabilité aux mots d’ordre de Togliatti-Nenni. Les combats du prolétariat d'Italie ont été menés sur un plan revendicatif à l’intérieur même du cadre bourgeois. Ils ont eu, pour aboutissant dernier, une sanction officielle, le gouvernement du jour endossant les avantages acquis de haute lutte. Ainsi l'on put voir, en 1920, les métallos italiens lockoutés occuper et gérer leurs usines, instituer des conseils d’usines. Le conflit terminé à leur avantage, rapporte D. Guérin, ils obtinrent, au moins sur le papier, un droit de regard sur la gestion des entreprises, "le contrôle ouvrier". Autant en emporta le vent, les réformistes, refusant de sortir du cadre bourgeois des revendications économiques, laissèrent pourrir le fruit d'une victoire chèrement gagnée. En septembre 1920, le prolétariat, menant sa lutte sur le plan revendicatif, menaçait déjà toutes les positions capitalistes en Italie. Mais cette lutte, il ne sut la hisser au plan politique. Les prolétaires d'Italie étaient inhibés par des conceptions de lutte valables sans doute auparavant, ces luttes permettant l'obtention d'avantages réels pendant la période ascendante du capital. Ils ne comprirent pas, ne purent comprendre comment (et à regret bien sûr !) les capitalistes pouvaient leur accorder avantages verbaux sur avantages verbaux, augmentations nominales de salaires et promesses (sur papier) de contrôle ouvrier ; le tout sans laisser véritablement entamer leur armature. Les prolétaires furent incapables de prendre le pouvoir, non par "trahison" de dirigeants - qui à tout prendre en valaient bien d’autres -, mais parce qu'ils n'avaient pas une vision claire de la situation ; passer du plan de la lutte de classe revendicative à son plan politique et s’y maintenir désormais parce qu'ils n'eurent pas conscience de la nécessité de poser et de réaliser le mot d’ordre "Tout le pouvoir aux soviets" alors constitués. Et l'erreur d’appréciation de Bordiga, laissant dire au jour de la "marche sur Rome "que cette marche n'aurait jamais lieu, n'a qu'un intérêt de petite histoire. En 1920, dès la fin des grèves revendicatives - et toute grève économique a nécessairement une fin bourgeoise - les jeux sont faits, le fascisme pouvait s'emparer du pouvoir avec l'appui des monopoleurs. En 1920, la situation internationalement révolutionnaire était favorable à l'instauration du pouvoir soviétique ; dans le présent cours descendant de la révolution, le prolétariat, en tant que force organisée ayant ses objectifs propres, disparut, à l'exception toutefois de petits groupes d'avant-garde. Ne subsiste plus, dès lors, que le salariat comme catégorie économique dont la lutte est dépourvue de tout caractère communiste et internationaliste. Ce salariat obtiendra - et encore - des réajustements purement nominaux d'un pouvoir d'achat sans cesse diminuant ; quant à ses activités politiques, elles seront canalisées, utilisées par les dirigeants stalino-réformistes que lui impose la tradition et son corollaire, ce faux-semblant de Togliatti-Nenni arrachant aux patrons abhorrés "des améliorations progressives" du sort des travailleurs. Ces dirigeants n'ont pas le pouvoir de déloger les nouveaux propriétaires américains de l'Italie. Mais ils peuvent gêner l'exécution de leur plan en maintenant un certain état d'effervescence sociale ; et, pour l'heure, le Kremlin n'en demande pas plus.
Le coup du père Bidault
La conjoncture politique italienne est dominée par l'approche des élections d'avril. Chacun des deux partis véritablement en présence, démo-chrétien et stalinien, cherche à mettre en son jeu le plus d'atouts possible. Un mot sur "la troisième force" : elle est en Italie plus carnavalesque et inexistante qu'ailleurs.
Une véritable course contre la montre s'est engagée pour savoir qui "rendra" Trieste à sa mère patrie. Et le tandem Bidault-Sforza a battu au sprint celui de Tito-Togliatti. Dans l'affaire de Trieste, l'intérêt politique prévaut, et de loin, sur les intérêts économiques et stratégiques en jeu. Trieste "irrédente" à des fins électorales le chauvinisme de l'un ou l'autre des partis donataires.
Quant au projet d’union douanière, formulé par le tandem étoilé, il ne prend de sens que dans le cadre du pacte des Cinq.
Cette analyse incomplète (Europe russe, Extrême-Orient) des faits résultant de la situation internationale en mars 1948 n'a de signification qu'en fonction d'une tendance générale.
Nous avons démontré en toutes occasions que, dès la "fin" de la dernière guerre impérialiste mondiale, s'ouvrait un cours vers une troisième guerre, cela étant la conséquence de l'irréductibilité des antagonismes impérialistes. Empruntant grossièrement au vocabulaire de la physique moderne, ce pronostic pourrait être qualifié de "probabilité statique". En un mot, tout ce qui se passe dans le mode capitaliste actuel prend son sens dans la perspective d'un cours général vers la guerre. Quant à fixer précisément le temps où se produira l'ouverture des hostilités à l'échelle mondiale, c'est affaire de journalistes et d'astrologues. L'ouverture des hostilités dépend de causes impondérables, rebelles à l'analyse et qui, tout compte fait, importent peu pour le déroulement global du processus d’évolution de la société humaine. Nous savons que le cours vers la guerre n'est réversible que par une action généralisée et concertée du prolétariat. Et que, dans la présente situation de cours vers la guerre et de confusion théorique, cette action ne se fera pas. La lutte des "antibessistes" sauce 3e force, celle des pacifistes du "barrage à la guerre" sont nécessairement vouées à l’échec. Plus, tendre à faire croire que la paix est possible au sein du régime capitaliste renforce-ce régime et contribue ainsi objectivement à la propagande belliciste.
L'avant-garde ouvrière, consciente de cette situation, doit, dès maintenant, se préoccuper de la transformation de la troisième guerre mondiale impérialiste en guerre civile de classe, sans bluff ni utopie.
COUSIN
[Fraction de la Gauche Communiste International]
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