Internationalisme (GCF) - N° 23 - 15 Juillet 1947 | Retour |
Chers camarades,
Nous avons reçu votre lettre du 18 mars nous faisant part de votre intention de convoquer une conférence des groupes révolutionnaires de Hollande, Belgique et France.
Quoique n'ayant pas reçu votre document de discussion - "Le nouveau monde" (dont vous annoncez la traduction et l'envoi) -, nous déclarons immédiatement notre accord avec l'initiative prise par vous et notre volonté de faire que cette conférence, à laquelle nous participerons, soit une rencontre fructueuse pour le mouvement ouvrier international.
Vous n'ignorez surement pas que, depuis juillet 1945, notre groupe a ressenti et a proclamé la nécessité d'une reprise des relations entre les groupes restés fidèles à la cause de l'émancipation du prolétariat.
La dégénérescence de l'Internationale Communiste a vu surgir bien des groupes exprimant une réaction de classe contre l'opportunisme et la trahison. Mais le long cours réactionnaire, qui a précédé la 2ème guerre mondiale, a eu raison de ces groupes, les a fourvoyés politiquement ou dispersés physiquement. La 2ème guerre mondiale n'a fait qu'accentuer cette dispersion. Seuls quelques petits groupes extrêmement faibles ont résisté à ce rouleau compresseur.
Il était naturel, d'autre part, que la monstruosité de la guerre ouvrît les yeux et fît ressurgir de nouveaux militants révolutionnaires. C'est ainsi qu'en 1945 se sont formés, un peu partout, des petits groupes qui, malgré l'inévitable confusion et leur immaturité politique, présentaient néanmoins, dans leur orientation, des éléments sincères tendant à la reconstruction du mouvement révolutionnaire du prolétariat.
La 2ème guerre ne s'est pas soldée, comme la 1ère, par une vague de luttes révolutionnaires de la classe. Au contraire, après quelques faibles tentatives, le prolétariat a essuyé une désastreuse défaite, ouvrant un cours général réactionnaire dans le monde. Dans ces conditions, les faibles groupes qui ont surgi au dernier moment de la guerre risquent d'être emportés ou disloqués. Ce processus peut déjà être constaté par l'affaiblissement de ces groupes un peu partout et par la disparition de certains autres, comme celle des "Communistes révolutionnaires" en France.
Cependant, l'existence et le développement de ces groupes dans leur ensemble présentent un intérêt certain, car ils sont incontestablement des manifestations de la vie de la classe et de son expression idéologique, avec tout ce qu'ils contiennent de tâtonnement et d'hésitation reflétant les difficultés réelles rencontrées par le prolétariat durant ces 30 dernières années. Dans une période comme la nôtre, de réaction et de recul, il ne peut être question de constituer des partis et une internationale, comme le font les trotskistes et consorts (car le bluff de telles constructions artificielles n'a jamais servi qu'à embrouiller un peu plus le cerveau des ouvriers). Il serait cependant criminel de négliger l'effort de regroupement des militants révolutionnaires.
Aucun groupe ne possède, en exclusivité, "la vérité absolue et éternelle" et aucun groupe ne saurait résister, par lui-même et isolément, à la pression terrible du cours actuel. L'existence organique des groupes et leur développement idéologique sont directement conditionnés par les liaisons inter-groupes qu'ils sauraient établir et par l'échange de vues, la confrontation des idées et la discussion qu'ils sauraient entretenir et développer à l'échelle internationale.
Cette tâche nous paraît être de la première importance, pour les militants, à l'heure présente et c'est pourquoi nous nous sommes prononcés et sommes décidés à oeuvrer et à soutenir tout effort tendant à l'établissement de contacts, à multiplier des rencontres et des conférences élargies.
Mais, ici, nous devons faire quelques observations :
L'objectif qu'on se propose d'atteindre est bien précis. Il ne s'agit pas de discussions en général mais bien de rencontres qui permettent des discussions entre des groupes prolétariens révolutionnaires. Cela implique forcément des discriminations sur la base de critères politiques, idéologiques. Il est absolument nécessaire, afin d'éviter des équivoques et afin de ne pas rester dans le vague, de préciser autant que possible des critères.
En prenant l'initiative de la conférence, en invitant tel groupe et non tel autre, vous avez évidemment obéi, vous-mêmes, à des critères politiques et non à des appréciations sentimentales. Mais, cela reste chez vous par trop vague.
A/ En éliminant le courant trotskiste, vous avez certainement tenu compte de son appréciation de l'État russe et de sa position de défense de cet État qui font du trotskisme un corps politique se situant hors du prolétariat. Nous partageons, sur ce point, votre façon de voir et estimons que l'attitude envers l'État russe doit être considérée comme un point critère de délimitation. Mais, au lieu d'être sous-entendu implicitement, nous croyons qu'on ferait mieux et un grand pas en avant en l'affirmant explicitement.
B/ Vous invitez, par contre, le "Libertaire", c'est-à-dire la Fédération anarchiste française. Vous n'ignorez pas que les anarchistes français, tout en considérant comme une "faute" la participation de leurs camarades espagnols au gouvernement capitaliste de 1936-38, n'ont jamais rompu avec eux, ni dénoncé leur action comme trahison du prolétariat. Il ne s'agit pas simplement de la participation au gouvernement mais de toute une politique qui, partant du "Frente popular", du front unique avec une fraction "démocratique" de la bourgeoisie contre une autre fraction "réactionnaire", "fasciste", a fait de l'anarchisme un courant politique qui a participé, sous l'étiquette de "l'anti-fascisme", à la guerre impérialiste en Espagne.
Ce sont les mêmes raisons politiques qui ont rendu possible la participation des anarchistes aux maquis de la Résistance en France, qui interdisent à la fédération de prendre position sur ce problème (c'est-à-dire à la participation à la guerre impérialiste tout court) en en faisant un problème de conscience individuelle.
"L'anti-fascisme" ainsi que "la défense de l'URSS" ont servi et servent encore comme principaux moyens pour duper et rassembler le prolétariat sur le terrain du capitalisme. Nous estimons qu'il est nécessaire d'affirmer clairement que tout courant se rattachant à "l'anti-fascisme" se rattache à la défense du capitalisme et de son État et, partant, n'a pas de place dans un rassemblement du prolétariat.
C/ Il est à peine nécessaire d'insister sur le fait que doivent être éliminés des rencontres et des conférences tous les groupes qui, sous un quelconque prétexte idéologique (défense de l'URSS, de la démocratie, de l'anti-fascisme ou de libération nationale), ont effectivement participé, d'une façon ou d'une autre, à la guerre impérialiste de 1939-45.
De tels groupes, quelles qu'aient pu être leur origine et leur tendance initiale, ont été happés dans l'engrenage de l'idéologie capitaliste et ont cessé d'être des foyers de fermentation et de formation de militants prolétariens.
D/ Il est un point acquis pour le programme de classe du prolétariat, c'est la nécessité de la destruction violente de l'État capitaliste. La signification historique d'Octobre 1917 et sa portée décisive résident dans la démarcation qu'elle a faite entre la position bourgeoise de maintien et de réforme de l'État capitaliste et la position du prolétariat luttant pour sa destruction. En ce sens, Octobre 1917 reste un critère fondamental de toute organisation se réclamant du prolétariat.
Ces 4 critères que nous venons d'énoncer n'ont pas pour but de résoudre les problèmes se posant au prolétariat pour son émancipation, ni de définir les tâches propres aux groupes révolutionnaires. Ces critères ne font que marquer les frontières de classe séparant le prolétariat du capitalisme.
Seules les rencontres entre les groupes se trouvant sur la base de ces critères, c'est-à-dire sur la base de classe du prolétariat, peuvent présenter un réel intérêt et la discussion peut être une oeuvre utile et féconde pour la renaissance du mouvement révolutionnaire international.
Salutations révolutionnaires.
Gauche Communiste de France
[Fraction interne du CCI]