Internationalisme (GCF) - N° 23 - 15 Juillet 1947 | Retour |
Tandis que, pour les ouvriers de chez Renault, cette grève se termine par une augmentation de la semaine de travail de 45 h à 48 h, les divers groupes et les révolutionnaires se donnent pour tâche d'inviter les ouvriers à tirer les leçons de ce mouvement. C'est dans ce but que le Comité de grève, le PCI et la FFGC ont organisé plusieurs réunions.
Influencé par des camarades de "Lutte de classe" -groupe apparenté aux trotskistes -, le Comité de grève pose désormais le problème du rapport de force. Le Comité de grève se donne pour tâche de "remonter", par l'organisation, le sabotage stalinien au sein du mouvement ouvrier. Le travail consisterait à noyauter les éléments ouvriers sur le terrain économique en vue des prochaines offensives qui finalement mèneront à la grève générale.
La réunion PCI rejoint le thème défendu par les minorités syndicales-socialistes, Front Ouvrier ainsi que les représentants des bureaux de Renault :
- présentation d'une liste de délégués autonomes ;
- utilisation du jeu de l'abstention au premier tour pour remporter finalement la victoire ;
- le remplacement de la direction défaillante de la CGT.
Il résulte également, pour le PCI, que le succès de toute grève est conditionné par sa généralisation autour des 10 Frs d'augmentation sur le taux de base, de la politique de l'échelle mobile et du minimum vital préconisé par "La Vérité" dès 1944.
La FFGC se félicite de la confirmation de son analyse qui voyait une accentuation du cours révolutionnaire : postiers, presse, Renault. Elle déclare que les conditions pour une action prolétarienne existent sur le terrain économique mais pour cela, dit-elle, cette action ne peut devenir effective sans une saine compréhension des moyens et des objectifs de la lutte : lutte pour les 10 Frs sur le taux de base et organisation de la lutte au travers des comités.
Un premier point qu'il importe de souligner en particulier : en quelque lieu et quel que soit la tendance politique qui organise la réunion, la classe ouvrière, dans son ensemble, en était absente. Ainsi, dans toutes ces réunions, nous avons assisté, non à la représentation directe des éléments qui avaient eux-mêmes participé à la lutte mais aux représentants des diverses minorités syndicales ou groupes politiques. Cette réalité incontestable confirme à nouveau notre position dans la grève de Renault qui nous a amenés à constater 2 phases bien distinctes dans ce mouvement :
- dans la 1ère phase, la lutte prolétarienne s'exprime sur un plan social et, par là même, extra-syndical. Elle se caractérise par la lutte des ouvriers contre les différentes mesures de famine prises par un gouvernement solidaire PC/PS/MRP ;
- dans la 2ème phase, la lutte s'oriente, au travers d'une direction inconséquente, sur le terrain de la réforme économique dans le cadre du régime actuel. Le Comité de grève devait normalement se faire grignoter - salaire de base confondu avec la prime de rendement - pour finir par être avalé sur le terrain politique en raison de l'inexistence de la conscience de classe parmi les travailleurs.
La position du trotskisme dans toutes les prochaines luttes de classe tendra à faire dévier les mouvements ouvriers vers cette 2ème phase. Cette politique trotskiste - d'où ne peut résulter qu'un freinage de la lutte de classe par la confusion qu'elle ne peut qu'amener - s'étale en long et en large dans leurs journaux, dans leur bulletin, dans la majeure partie de leur matériel d'agitation et plus particulièrement concernant la grève de Renault. Les trotskistes ont pris l'habitude de propager et de défendre l'idée que les 10 Frs avec l'échelle mobile des salaires devaient mettre fin, une fois pour toutes, à la misère grandissante du régime capitaliste. Cette position du minimum vital assuré à la classe ouvrière découle de leur opposition à la politique économique du PCF, sans se demander un instant si l'on suit une politique révolutionnaire ou une politique réformiste. Leur mot d'ordre n'est pas "Reconstruction" mais, tenons-nous bien, "Reconstruction au service de la classe ouvrière et sous son contrôle".
On pourrait, à priori, prendre ces mots d'ordre au sérieux, comme des postulats de classe ; mais, si en apparence la forme peut paraître révolutionnaire, son contenu est tout autre. En effet, depuis plusieurs décades, la politique économique de la France n'a pas varié d'un pouce et ne s'est qu'enfoncée davantage dans la faillite ; et cela malgré toute la bonne volonté des politiciens de droite ou de gauche et des trotskistes si jamais ils se trouvent à la tête du gouvernement. Ce qui est valable pour la bourgeoisie française l'est aussi pour les autres bourgeoisies.
Pourquoi le contenu des mots d'ordre trotskistes est d'une autre nature ?
Dire que la lutte économique, au travers des 10 Frs et de l'échelle mobile, mettra fin une fois pour toutes aux conditions de famine du régime capitaliste1, cela revient à cacher la vérité parce que les statistiques sont toujours en retard sur les prix et toute action prolétarienne se trouvera brisée pour permettre l'arbitrage dans la collaboration des organismes bourgeois responsables. Prétendre ensuite qu'il existe un rapport invariable entre salaire et coût de la vie signifie qu'il n'y a pas de crise réelle et que l'on peut résoudre les problèmes dans le cadre du régime. En réalité, le véritable problème consiste à démontrer aux ouvriers qu'il n'y a aucune issue à la crise du régime et, par conséquent, il s'agit de développer le rapport de force entre prolétariat et bourgeoisie.
De la part des trotskistes, la politique rapportée plus haut n'a rien de surprenant. Elle explique assez bien, par elle-même, pourquoi les trotskistes entendent utiliser syndicats et parlement bourgeois. Mais ce qui relève d'un mal beaucoup plus grand, c'est de constater avec quel zèle la FFGC appuie cette politique opportuniste.
Dans ses réunions comme dans sa presse, la FFGC déclare que les conditions pour une action prolétarienne existent sur le terrain des revendications économiques et elle se félicite d'avoir diffusé le bulletin trotskiste "La voix des travailleurs"? La FFGC peut ensuite dénoncer les trotskistes comme des centristes et, à chaque instant de la lutte, sanctionner leur politique en soutenant leurs réformes sans les réfuter. Elle croit avoir fait un pas décisif en se prononçant pour la lutte au travers des comités, sans poser la nécessité, pour ces comités, de délimiter leur politique d'avec les réformistes, ce qui fut le cas de la grève de Renault.
Pour nous, il ne suffit pas de crier à la généralisation de la lutte, comme le PCI trotskiste ; il faut encore donner un contenu à cette lutte. Puisque nous avons la mauvaise habitude d'appeler un chat un chat, donnons-nous le droit de dire que la FFGC n'a rien compris à la lutte, bien qu'elle emplisse les colonnes de son journal d'explications aux travailleurs : "Sans une saine compréhension de moyens et des objectifs, aucune action ne peut être effective."2
Une fois cette perspective reconnue, la position révolutionnaire consiste à dénoncer, au travers de la lutte ouvrière, les préparatifs impérialistes au nouveau carnage qui menace le monde. C'est dans ce sens que le 2ème objectif n'est pas la mobilisation organique de la classe autour de revendications économiques dont la surenchère peut aussi venir des partis bourgeois tels le PCF ou la SFIO, mais la délimitation avec des courants entrainant les ouvriers à l'aide de l'agitation économique vers des positions bourgeoises.
En d'autres termes, le programme révolutionnaire consiste à élever la conscience politique de la classe à partir des revendications économiques pour la lutte sociale et politique. Au travers d'un travail de propagande et de dénonciation des buts et intérêts impérialistes, les révolutionnaires ont pour tâche de forger l'idéologie prolétarienne pour les luttes présentes et futures.
Leurs mots d'ordre sont :
Contre toute politique de famine qui ne sert que la préparation de la prochaine guerre mondiale.
Contre le syndicalisme devenu une idéologie servant les intérêts bourgeois et encasernant la classe ouvrière.
Contre le parlementarisme démocratique ou dictatorial.
Contre les idéologies, hier fascistes ou antifascistes, aujourd'hui pro-soviétique ou anti-soviétique.
Si la politique trotskiste, suivie de près par la FFGC, rejoint dans son essence la position stalinienne pour entraîner le prolétariat vers la guerre, il appartient à la Gauche Communiste de France de les dénoncer comme tels.
RENARD
1Voir la "Vérité" sur la grève de Renault.
2Voir "L'internationaliste" (mai 1947).
[Fraction interne du CCI]