Internationalisme (GCF) - N° 22 - 15 Mai 1947 Retour 

TRACTS DE LA GCF

1er tract

CAMARADES,

Depuis vendredi 25, des ouvriers du département 6, secteur Collas, ont déclenché la grève pour une augmentation horaire de 10 Frs. Le mouvement s'est développé et, mardi 29, il englobe la presque totalité des usines Renault.

Depuis les mesures gouvernementales sur le ravitaillement, la situation est la suivante : diminution de la ration de pain, pas de viande, moins de matières grasses. On est au même point qu'aux jours les plus sombres de l'Occupation. La vie reste aussi chère malgré la baisse fictive de 10 %. Il faut toujours compléter le marché officiel par le marché noir.

LE MÉCONTENTEMENT EST GÉNÉRAL DANS TOUTE LA CLASSE OUVRIÈRE.

Les ouvriers de chez Renault, eux, ne veulent pas travailler sans manger.

La CGT est en émoi. La grève s'est développée contre sa volonté. La CGT est l'organisme du gouvernement. Ses chefs sont aussi les chefs de l'État. Croizat, secrétaire de la Fédération des métaux, briseur de grève, est ministre du TRAVAIL. Ils dressent tous, comme toujours devant la poussée ouvrière, l'épouvantail de la "RÉACTION". La "réaction" ne vient que parce que les capitulards sont là. Et les capitulards et la "réaction" forment ensemble un tout anti-ouvrier, où De Gaulle, Schumann, Herriot, Blum, Thorez et Jouhaux lanceront demain les flics et les mobiles contre nous. La CFTC cherche à exploiter cette grève pour ses combines politiques. CGT et CFTC sont compères et complices au gouvernement et au conseil national économique, sur le modèle des Corporations fascistes.

La CGT, débordée, va faire tous les compromis et tiraillements pour servir le gouvernement et tenter de conserver son influence. La clique de la CGT a les moyens et le personnel nécessaire pour berner les ouvriers.

À toutes ces manoeuvres de la bourgeoisie et de ses laquais (compromis et arbitrages), comme les manoeuvres des grèves précédentes l'ont prouvé, il est insuffisant d'opposer simplement les 10 Frs de l'heure du Comité de grève.

Le gouvernement, dirigeant la vie économique, interdit toute augmentation de salaire. La direction de Renault se retranche derrière cela. C'EST L'ÉTAT QUE LES OUVRIERS ONT DEVANT EUX. Mais l'État a à faire face, dans le chaos du monde capitaliste actuel, à des besoins grandissants : les frais de la guerre 39-45, la préparation de la prochaine, le massacre aux colonies, CE SONT LES OUVRIERS QUI DOIVENT TOUT PAYER en travaillant beaucoup, pour pas cher, en mangeant peu, ET GARE A EUX SI LEUR VENTRE CRIE FAMINE !

La revendication de 10 Frs est plus que justifiée, mais le pain sera encore plus cher demain au marché noir. Face à l'État, les ouvriers de chez Renault sont isolés. Pour assurer la victoire, un seul moyen : ÉLARGIR la grève.

Les ouvriers de chez Renault, qui ont pris l'initiative de la grève, doivent ENVOYER IMMÉDIATEMENT DES DÉLÉGATIONS DE 25 À 50 OUVRIERS DANS TOUTES LES GRANDES USINES DE LA RÉGION PARISIENNE POUR LES APPELER À LA LUTTE.

Action directe, dirigée par les ouvriers eux-mêmes, libérés de tous les organismes de collaboration de classe : partis, syndicats, commissions gouvernementales.

ÉLARGISSEMENT DE LA GRÈVE AXÉE SUR CETTE REVENDICATION CENTRALE : CONTRE TOUTE DIMINUTION DU RAVITAILLEMENT ET POUR SON AMÉLIORATION. Seule revendication susceptible de mobiliser tous les ouvriers.

Contre le blocage des salaires et pour leur augmentation réelle.

C'est seulement en agissant dans cette direction que la grève de chez Renault peut avoir un sens, être le but d'une action généralisée et arriver à des résultats réels pour la classe ouvrière.

VIVE LA GRÈVE DES OUVRIERS DE CHEZ RENAULT ! VIVE LA LUTTE DU PROLÉTARIAT CONTRE L'EXPLOITATION DE LA BOURGEOISIE ET DE SON ÉTAT !

Gauche Communiste de France


2ème tract (distribué le vendredi 2 mai)

PREMIERS ENSEIGNEMENTS DES PREMIERS JOURS DE GRÈVE

Le mercredi 30 avril à 9 heures du matin, une réunion des grévistes s'est tenue au carrefour Émile Zola et la volonté de continuer la grève, en l'étendant et la généralisant dans la région parisienne, a été exprimée par différents orateurs et acclamée par l'ensemble des grévistes. Le point sur lequel, confusément, les ouvriers se sont sentis soudés était surtout celui du RAVITAILLEMENT qui faisait d'eux les porte-paroles et les premiers défenseurs du mécontentent de la population, contre une SITUATION DE FAMINE comparable à celle de l'Occupation.

La revendication de 10 Frs n'était plus un simple rajustement de salaire des ouvriers de Renault, mais la lutte obscure et certaine de TOUS LES TRAVAILLEURS contre la faim GRANDISSANTE.

Dans l'après-midi, par une démonstration de force qui ressemblait fort à une opération de police, la CGT et le PCF ont essayé D'INTIMIDER LES GRÉVISTES soit par la persuasion DÉMAGOGIQUE et JÉSUITIQUE, soit par des TROUPES DE CHOC entraînées à ÉLIMINER TOUTE VOIX QUI N'ÉTAIT PAS STALINIENNE. Les dirigeants syndicaux et le PCF ont parlé de provocation, de division, d'unité, de réaction. Autant de faux dieux et de faux diables pour défendre une cause mauvaise.

PROVOCATION, de qui ? 10000 puis 20000 ouvriers, qui touchent des salaires et un ravitaillement bien bas, peuvent-ils être des provocateurs ? L'individu arrêté avec un revolver peut-il transformer ces 20000 ouvriers en provocateurs ? LE RAVITAILLEMENT ET LES SALAIRES SONT-ILS ÉLEVÉS POUR NE PAS ÊTRE LA CAUSE DIRECTE DE LA GRÈVE DES OUVRIERS DE RENAULT ?

DIVISION de quoi ? Parce que les ouvriers ont faim, et que les premiers OSENT le dire et lutter, qu'on peut les traiter de diviseurs ? Ce qu'ils ont ressenti, la classe ouvrière en général le ressent. S'il y a des diviseurs, ce ne peut être que CEUX QUI PACTISENT OU PARTICIPENT AU GOUVERNEMENT, malgré les ronflantes manifestations oratoires d'opposition. Diviseurs sont ceux qui participent aux débats de politique bourgeoise, de guerre et de rapine, avec un vote de confiance ou d'abstention - comme si on peut s'abstenir pour décider de la mort de milliers d'hommes -, car autant de canons en Indochine, autant de pain en moins.

UNITÉ sur quoi ? Sur un mot vidé de son contenu de classe. Unité autour d'un parti et d'une organisation syndicale qui sont devenus membres de l'État qui dirige la famine. Au nom de quelle unité se fait l'unité ? Pas celle du gouvernement, car il faudra s'épuiser de travail, serrer plusieurs crans et envoyer plus de canons en Indochine et à Madagascar.

L'unité ne peut se faire que sur un programme de lutte directe, sans compromis et sans délibération avec le gouvernement. Dans le PCF et la CGT, l'unité se transforme en comité de la faim. Hors de ces organismes traitres, l'unité, même en subissant une défaite dans les premières luttes, trouve le ciment pour se renforcer dans la haine contre l'État capitaliste, le cuisinier de la faim.

De qui se moque-t-on ? Ces mots n'existent que pour cacher l'opposition, dans le gouvernement, entre ceux qui penchent vers l'impérialisme EU (la SFIO) et ceux qui penchent vers l'impérialisme russe (le PCF).

Il ne faut pas avoir peur des mots et continuer à se duper ou à se laisser duper. Ceux qui s'opposent aux luttes et aux revendications des ouvriers, luttant contre la famine, ce sont eux les provocateurs, les diviseurs, les réactionnaires.

Cette vérité est dure mais juste, et ce qui s'est passé ces jours-ci chez Renault prouve, encore une fois, le rôle de POIGNARDEUR DE LA LUTTE DE CLASSE QUE CES PARTIS (SFIO, PCF, CGT) JOUENT DANS LA CLASSE OUVRIÈRE, car un gouvernement tel que le nôtre exprime les intérêts de la France capitaliste et ne peu être composé que de partis ou organismes exprimant forcément et uniquement les intérêts capitalistes.

Et maintenant, posons-nous la question de savoir ce qui a permis à ces partis traîtres de la classe ouvrière de semer le désarroi dans les rangs des grévistes et d'arrêter provisoirement la généralisation qui devait se faire.

Le Comité de grève a sa part de responsabilité. N'ayant pas compris le sens réel de la lutte des ouvriers de Renault, il s'est confiné dans sa revendication première de 10 Frs de plus, sans s'apercevoir que cette revendication était dépassée et s'était transformée confusément en une revendication pour un meilleur ravitaillement, intéressant par là toute la population.

Les PCF et CGT, eux, l'ont compris et, pour reprendre de l'influence sur les ouvriers en grève, ils ont repris à leur compte les revendications du Comité de grève. CES REVENDICATIONS, COMME TANT D'AUTRES, IRONT SE PERDRE DANS LES COMMISSIONS, SOUS-COMMISSIONS ET PALABRES GOUVERNEMENTALES.

Ce que les ouvriers doivent comprendre, c'est :

PAS DE RAVITAILLEMENT, PAS DE TRAVAIL ; et ceci, sans discussion avec le gouvernement. DONNANT, DONNANT.

AUGMENTATION DE 10 FRS DE L'HEURE IMMÉDIATEMENT, sinon PAS DE REPRISE DU TRAVAIL ; autant d'hommes morts et de canons en Indochine en moins.

DÉMOCRATIE DANS LES RANGS OUVRIERS ; opposer la force organisée à ceux qui veulent employer la force pour abattre et insulter les grévistes.

LE PREMIER MAI N'EST PAS CELUI DU DÉFILÉ DE JEUDI, GOUVERNEMENT EN TÊTE POUR MANIFESTER CONTRE LE GOUVERNEMENT, MAIS LES JOURNÉES DE GRÈVE DES OUVRIERS DE RENAULT CONTRE LA FAMINE QUI S'INSTALLE A DEMEURE CHEZ NOUS, CONTRE LES PARTIS QUI INSULTENT ET CALOMNIENT LA FAIM DES OUVRIERS.

La Gauche Communiste de France


3ème tract

CAMARADES,

La CGT vient d'accomplir un de ses tournants brusques à 180°.

Au début de la grève et pendant 8 jours, la CGT a tout fait pour briser notre mouvement. Elle a insulté, elle a calomnié, elle a accusé les ouvriers en grève de faire le jeu de la réaction, et d'être même des provocateurs.

Cette même CGT, qui a déversé des monceaux d'ordures contre les grévistes, se prétend aujourd'hui être le défenseur des grévistes. ALLONS DONC...!

Hier, nous étions des agents de la réaction, aujourd'hui, nous sommes des "braves" qui luttent pour de justes revendications. Hier, on nous accusait d'être financés par "l'extérieur", aujourd'hui, la CGT octroie généreusement un million de francs pour "le secours de solidarité".

COMMENT CELA ? QUE S'EST-IL PASSÉ ?

Il s'est passé ceci : que les ouvriers de chez Renault étaient décidés à la lutte. Par trois fois, ils ont repoussé les manoeuvres des politiciens de la CGT qui les exhortaient à reprendre le travail. Par trois fois et dans un vote massif, ils ont repoussé l'aumône de la CGT de 3 Frs de prime à la production.

Il s'est passé ceci : notre grève a trouvé une chaude sympathie dans toute la classe ouvrière, parce que notre lutte exprimait le mécontentement de tous les ouvriers contre les récentes mesures iniques de famine prises par le gouvernement solidaire, RÉDUISANT LE RAVITAILLEMENT DES OUVRIERS AU NIVEAU DES PLUS SOMBRES JOURS DE L'OCCUPATION.

Mais surtout, il s'est passé encore ceci : depuis la conférence de Moscou, pour des raisons de politique impérialiste internationale, les staliniens se sont vus forcés de passer momentanément dans une opposition parlementaire.

Pour les staliniens et leur succursale la CGT, CE SONT TOUJOURS DES RAISONS GOUVERNEMENTALES ET LES INTÉRÊTS POLITIQUES DE LEUR PARTI QUI DICTENT LEUR ATTITUDE. LES GRÈVES ET LES LUTTES OUVRIÈRES NE SONT, POUR EUX, QUE MONNAIE D'ÉCHANGE, DES MOYENS DE CHANTAGE ET DE PRESSION POUR LEUR INTÉRÊT PROPRE.

Hier ministres, ils étaient les plus acharnés briseurs de grève.

Aujourd'hui dans l'opposition, ils tentent de s'emparer de la lutte ouvrière pour s'en servir à leurs propres fins.

La CGT est une ORGANISATION POLITIQUE ANTI-OUVRIÈRE. Sous sa direction veule et hypocrite, les grèves ne pourront jamais servir à la classe ouvrière. Laisser la CGT s'emparer de la grève, c'est déjà le signe que la grève sera déformée et défaite. LES OUVRIERS NE PEUVENT SE DÉFENDRE QUE PAR EUX-MÊMES.


Une grande responsabilité de la situation présente de désarroi de la grève pèse incontestablement sur le Comité de grève. Il s'est avéré autant incapable organiser les forces de défense de la grève à l'intérieur de l'usine que d'assurer son élargissement et son orientation.

Débordé, le Comité de grève s'est constamment traîné à la remorque des manoeuvres de la CGT. Hésitant et craintif, le Comité de grève ne savait ni ce qu'il voulait ni où il allait. IL N'Y AVAIT QU'UNE ORIENTATION SUSCEPTIBLE D'ASSURER LE TRIOMPHE DE NOTRE LUTTE, C'ÉTAIT :

LE DÉPASSEMENT DU PLAN ÉTROIT DE L'USINE ET DE LA CORPORATION POUR CELUI GÉNÉRAL DE LA CLASSE OUVRIÈRE.

Dès le premier jour de grève, et dans notre tract du mercredi 30 avril, notre groupe de la Gauche Communiste, par la voix de notre camarade au Comité de grève, a formulé, dans ses interventions, le programme de lutte suivant :

1) AUGMENTATION SENSIBLE DU RAVITAILLEMENT en pain, viande, vin, sucre ;

RETRAIT IMMÉDIAT des dernières restrictions de famine du gouvernement.

2) AUGMENTATION IMMÉDIATE pour tous les ouvriers, indépendamment de la PROFESSION et du RENDEMENT, de 10 Frs par heure du salaire de base.

3) PAIEMENT INTÉGRAL des journées de grève.

Nous précisions : "Sans meilleur ravitaillement, les 10 Frs iront engraisser le marché noir ; avec un meilleur ravitaillement, les 10 Frs diminueront la famine des ouvriers."

Ce programme, seul, offrait un terrain de lutte intéressant tous les ouvriers. Sur cette base, seule, une action ardente par l'envoi de délégations massives de chez Renault à toutes les usines, et ceci dès les premiers jours de grève, par des appels à toute la population travailleuse, on pouvait et on devait entraîner tous les ouvriers dans une lutte généralisée. UNE TELLE LUTTE, SEULE, POUVAIT FAIRE RECULER LE PATRONAT ET L'ÉTAT.

Le Comité de grève a repoussé systématiquement nos propositions. Ce programme lui semblait par trop audacieux. Il a préféré se confiner à la revendication étroite de 10 Frs sur le terrain de l'usine. L'unique appel, qu'il a lancé à l'extérieur, ne parle que de l'échelle mobile, cette panacée réformiste inefficace, qui consacre à jamais les conditions de famine présentes.

Avec un programme de revendications étriqué, à la mesure exacte de leur courte vue, les dirigeants du Comité de grève n'étaient pas à la hauteur de leur tâche, ne savaient pas aller de l'avant ; et ils ont ainsi perdu 10 jours précieux à piétiner lamentablement sur place. Si le Comité de grève continue sa politique étriquée et impuissante, la grève se perdra immanquablement dans la confusion.

La critique, que nous élevons ici, n'est pas faite par vain goût de dénigrement. La grève de Renault portait en elle de grandes espérances. Les yeux de tous les ouvriers étaient fixés sur elle. Aujourd'hui où elle est sur le point d'être dévoyée, torpillée par la CGT, il est du devoir de chaque ouvrier, d'une part, de reconnaître ceux qui essayent de les dérouter et, d'autre part, de comprendre les faiblesses, les erreurs, tant organisationnelles que dans l'orientation de la lutte, qui ont permis la situation d'impasse dans laquelle se trouve la grève.

Gauche Communiste de France

5 mai 1947


[Fraction interne du CCI]