Internationalisme (GCF) - N° 22 - 15 Mai 1947 Retour 

INTERVENTION DU CAMARADE DE LA GAUCHE COMMUNISTE,
MEMBRE DU COMITÉ DE GRÈVE,
À LA SÉANCE DU SAMEDI 3 MAI 1947

Camarades,

Il faut sérier les questions le plus possible, avec un sens des responsabilités qui nous incombe.

I/ Éviter la confusion que représente le débat. Pas de mots ronflants. Pas de phrases à courte vue. Pas d'enchaînement du mouvement dans des tractations épuisantes avec les dirigeants syndicaux.

Les 11000 ouvriers, qui ont voté la grève hier, ont exprimé, bien que confusément, leur volonté de soutenir le comité de grève. Confusément parce que c'est à nous de leur expliquer, nettement et sans avoir peur des mots, que la bataille s'est faite hier entre la CGT voulant la reprise du travail et la majorité des ouvriers, Comité de grève en tête, voulant la grève. Si nous ne nous rendons pas compte de la signification du vote d'hier, si nous poussons les ouvriers à s'enliser dans la procédure de nouvelles élections de délégués comme le propose une partie du Comité, la vapeur sera renversée par les staliniens qui cloisonneront de nouveau l'usine, montrant par là, bien que nous soyons majoritaires, notre incapacité impardonnable. Les staliniens tendent à isoler l'usine par départements et, alors, ils feront peut-être voter, après plusieurs jours de discussions stériles, de perte de temps et de procédure qui seront funestes. Ils parviendront, comme dans la grève des postiers à reprendre les postes de direction et à étrangler le mouvement.

Il ne faut pas oublier que, de samedi à lundi, la CGT et les staliniens vont faire un battage énorme par des discours, par leurs journaux, lus même par ceux qui ont voté la grève, et surtout par la réunion de la Chambre où le groupe stalinien va déployer une démagogie redoublée à la suite du vote d'hier.

Attention dans notre lutte, attention dans nos buts, ne devenons pas les esclaves d'un cadre étroit qui pourrait étouffer la lutta des ouvriers. Voyons juste et ne faisons pas les vierges affolées, à piétiner sur place car nous ne sommes rien qu'un organisme parasitaire en plus.

Les ouvriers, confusément peut-être, ont voté pour nous. Nous exprimons réellement le mécontentement général des ouvriers de chez Renault et des ouvriers des autres usines qui sont venus nous témoigner leur solidarité. Contrairement à la grève des postiers et de la presse qui n'avaient soulevé aucun élan dans la population, notre grève, elle, rencontre la sympathie de toute la population travailleuse qui nous comprend, parce qu'elle est apte à nous comprendre avec 1a baisse du ravitaillement. Et ce point est aussi important, sinon plus, que toutes les revendications corporatives et d'usines. Ne l'oublions pas ou nous allons à la défaite certaine.

II/ Deux points à traiter immédiatement comme tâche urgente et de première importance :

a) L'organisation de la grève : plus de cohérence, plus de fermeté, plus de clarté. Cette tâche nous incombe car c'est nous qui voyons clair et devons, non nous maintenir dans la confusion de la situation, mais éclairer les ouvriers par des réunions multiples où nous viendrons plus avec un programme de lutte et de défense qu'avec des mots d'ordre hurlés, non dirigés et non compris par les ouvriers. Il faut éviter les phrases où l'on essaie de faire patte de velours aux staliniens et à la CGT. Ils nous attaquent, ils nous insultent, à nous de riposter. Pas moyen de composer avec les dirigeants staliniens et la CGT qui se sont déclarés les pires ennemis de la grève. Si nous ne comprenons pas cela, alors autant démissionner de suite plutôt que de leur chercher des excuses à notre existence" qu'ils considéreront toujours, avec leur mauvaise foi habituelle, comme une division.

Les diviseurs, ce sont eux ; les provocateurs, ce sont eux ; ceux qui font le jeu de la réaction, ce sont encore eux. Nous le savons. Pourquoi ne pas le dire aux ouvriers nettement et sans ambages ? Nous n'avons rien à cacher aux ouvriers. Que ceux qui ont à cacher quelque chose le disent et s'en aillent.

b) Et maintenant, voilà ce que je propose :

Il n'y a pas de forteresses impénétrables ; le secteur Collas peut retomber sous l'influence de la. CGT et des staliniens. Il faut nous étendre dans toute l'usine.

A- Dans le secteur Collas, constituons un corps de 50 ou 100 ouvriers. Allons, de suite, dans tous les secteurs, parler et constituer des corps dans chaque secteur. Pourquoi ces corps ? Pour nous défendre contre la brutalité des briseurs de grève, pour permettre à chaque ouvrier de s'exprimer librement, pour ou contre. Il n'y a pas de monopole de la parole et il faut s'insurger contre cela. Ces corps doivent empêcher le cloisonnement de l'usine. Nous sommes sortis hier vainqueurs malgré le cloisonnement. Mais attention que le cloisonnement ne nous étouffe. Les briseurs de grève essayeront de l'appliquer. Il faut les en empêcher ou alors nous ne pourrons rien et nous n'aurons aucune raison d'exister.

Dans chaque secteur, créons des permanences par un système d'estafettes ; relions-les entre elles et nous, pour répondre, dans le calme, à toute demande de renfort et de discussion.

B- Activons les réunions de discussion et d'éclaircissement dans chaque secteur. Tout le monde a droit à la parole, même ceux qui ne sont pas d'accord avec la grève, démocratie dont nous devons donner l'exemple.

C- Ne pas créer un blocus autour de Renault. Que les rapports entre Renault et les usines extérieures se fassent librement. Il n'y a pas la grève propre à Renault. C'est une fumisterie ou un aveuglement. Pour cela les piquets de grève doivent être renforcés afin de faciliter l'accès de tout ouvrier venant du dehors et désirant se renseigner et prendre contact avec les grévistes. On crie au danger d'infiltration de provocateurs. C'est une fumisterie stalinienne. En réalité, les provocateurs individuels ont toujours la possibilité de pénétrer et de se cacher parce qu'ils ont, pour s'introduire, la direction, la CGT, les policiers de Renault avec eux. Nous ne devons pas nous aveugler et nous couper plus ou moins des ouvriers des autres usines. Au contraire, nous devons les inviter à venir nous rendre visite.

D- Envoyons des délégations massives d'ouvriers grévistes dans le plus grand nombre possible d'usines de la région parisienne pour les inviter à se solidariser.

Mot d'ordre : pour la réussite de la grève, GÉNÉRALISATION DE LA GRÈVE

But : meilleur ravitaillement, maintien de l'ancienne ration de pain, 10 Frs de plus de l'heure, et ceci donnant donnant, sans discussion. Sans ravitaillement et sans les 10 Frs de l'heure en plus, pas de travail. Nous n'avons pas à chercher à être entendus par Lefaucheux qui connaît très bien la raison du mouvement et ce que nous revendiquons. Ou il cède, c'est-à-dire que le gouvernement cède, et nous le saurons sans avoir besoin de nous réunir en chambre avec lui - qu'il vienne le dire aux ouvriers -, ou il ne cède pas et toute discussion est inutile. Ce ne sont pas des postes de dirigeants que nous briguons mais ceux de défenseurs intransigeants.

Liberté totale, pour les journaux et les tracts, d'être vendus et distribués ; et ceci, à la seule condition que cette liberté s'étende à tous, à toutes les tendances.

Aux portes principales, les grévistes, constitués en corps, doivent défendre les vendeurs contre les agressions de ceux qui emploient la force physique pour faire taire leurs adversaires. Il n'y a pas de grève propre et n'intéressant que les ouvriers de Renault. La crise gouvernementale en est un brillant exemple.

Enfin, le but à atteindre : il faut que la population travailleuse se rende compte que nous exprimons son mécontentement et pas seulement les revendications propres de nos usines. Chaque ouvrier travaille et fait la queue pour le ravitaillement.

Notre action sera centrée sur :

a) un meilleur ravitaillement (pain, viande, vin, sucre) ;

b) 10 Frs de l'heure pour tous les ouvriers, indépendamment de leur profession et du rendement du travail ;

c) pas de reprise du travail sans la satisfaction complète des 2 revendications.

La sympathie de la population peut, seule, nous tirer de l'isolement et du piétinement. Elle doit être intéressée par notre lutte et nous aider car c'est sa propre lutte. Il n'y a pas d'ouvrier qui travaille séparé de l'ouvrier qui mange.

Sans meilleur ravitaillement, les 10 Frs iront engraisser le marché noir ; avec un meilleur ravitaillement, les 10 Frs diminueront la famine des ouvriers.

Si on ne comprend pas cela, on s'enlise jusqu'au cou, on s'étouffe soi-même, on s'isole. Et alors, si nous ne savons pas puiser, dans la lutte, les meilleurs atouts, les forces les plus sures, autant reprendre le travail plutôt que d'essuyer une défaite dans la confusion, créée et alimentée par la CGT. Je propose une solution qui, si elle était votée, doit être imprimée au nom du Comité de grève et distribuée aussitôt aux ouvriers.

RÉSOLUTIONS

Par 11000 voix contre 8.000, les ouvriers de chez Renault ont repoussé pour la troisième fois la manoeuvre subtile de la CGT, visant à interrompre la grève et à réintégrer le travail aux anciennes conditions à peine modifiées.

Pour la troisième fois, en votant en masse pour la continuation de la grève, les ouvriers ont signifié qu'ils entendent lutter jusqu'au bout pour la défense de leurs intérêts, sans céder aux chantages de quelques côtés qu'ils viennent.

Pour la troisième fois, les ouvriers ont manifesté leur ferme volonté de ne pas servir de champ de manoeuvre aux politiciens corrompus qui se disent de gauche ou de droite et qui tentent d'exploiter la lutte des ouvriers pour leurs combines parlementaires et intrigues gouvernementales.

Les ouvriers ne sont pas dupes de ces maîtres-chanteurs, ni de leurs flatteries intéressées, ni de leurs menaces. Une certaine presse, qui manifestait au début sa "sympathie" à notre égard parce qu'elle y voyait un bon tour à jouer aux bureaucrates et parlementaires de la CGT et du PCF, déchante aujourd'hui. Devant notre ferme décision de faire triompher nos revendications, elle découvre que les revendications des ouvriers mettent en péril l'équilibre du Franc et s'oppose avec acharnement et haine à notre mouvement de lutte.

La CGT et le PCF, de leur côté, n'ont cessé de combattre la grève. Pour briser notre lutte, ces prétendus défenseurs des ouvriers ont recouru à leurs odieuses calomnies classiques qui leur ont déjà servi contre la grève des postiers, des rotativistes et des ouvriers de la Presse. Ils ont essayé d'intimider les ouvriers en exhibant l'épouvantail de la réaction. Ils ont jeté les plus infâmes suspicions et insultes contre les grévistes qu'ils présentaient comme des provocateurs. Ils ne se sont point gênés pour recourir à la force physique.

CAMARADES,

Par votre vote massif, vous avez fait justice de ces manoeuvres indignes. La CGT voulait une épreuve de force, elle l'a eue. Par 11000 voix, vous avez repoussé cette proposition de capitulation, de reprise du travail sur la base de 3 francs d'augmentation de prime au rendement. Votre vote, c'est une déclaration de méfiance aux politiciens de la CGT ; c'est un vote de confiance à votre Comité de grève. La CGT ne représente plus les ouvriers de chez Renault, elle n'a désormais plus aucune autorité pour parler ou pour traiter en leur nom.

QU'ELLE S'EN AILLE. LA LUTTE DES OUVRIERS APPARTIENT AUX OUVRIERS EUX-MÊMES.

En reprenant à son compte notre revendication d'augmentation de 10 Frs, tout en poussant les ouvriers à reprendre le travail sur la base d'une augmentation de 3 Frs au rendement, la CGT a nettement prouvé que ce ne fut là qu'une vulgaire manoeuvre destinée à torpiller notre magnifique grève, tout en cherchant, par ailleurs, à s'en servir pour des intrigues politiques propres à ses ministres auprès de leurs compères au gouvernement.

CAMARADES,

Après 8 jours de grève, notre mouvement ne fait que se renforcer. Il est fort de la combativité de chaque ouvrier. Il est fort de la sympathie générale qu'a rencontrée la grève auprès de centaines de milliers d'ouvriers de la région parisienne qui le manifestent par les adresses et collectes qu'ils nous font parvenir. Notre mouvement est fort parce qu'il a, derrière lui, toute la population travailleuse qui se révolte contre les conditions de famine que le gouvernement entend imposer aux ouvriers. Il est fort par le désarroi qu'il a jeté parmi nos dirigeants et gouvernants.

Mais attention ! La CGT ne se tiendra pas pour battue ; elle n'acceptera pas le verdict du vote démocratique qui l'a démasquée et rejetée. La plus grande vigilance de tous les ouvriers est nécessaire, car elle multipliera les manoeuvres et les provocations pour reprendre la grève en main et la briser.

Pour faire triompher rapidement notre lutte, organisons-nous et précisons clairement notre but.

ORGANISONS-NOUS

Défense de la grève par tous les ouvriers unis et décidés autour du Comité de grève.

Toutes les décisions seront prises par les ouvriers eux-mêmes, réunis le plus souvent possible en assemblée générale.

Chaque ouvrier gréviste est un défenseur actif de la lutte commune contre la famine.

Notre grève doit faire appel à la solidarité effective de tous les ouvriers de la région parisienne, parce qu'elle exprime non un mécontentement particulier à Renault mais un mécontentement général de la population travailleuse.

La grève ne peut réussir qu'en se généralisant. Prenons contact directement avec nos camarades des autres usines et invitons-les à débrayer.

Le Comité de grève, fort de l'appui de la majorité des ouvriers en grève, conscient que cette grève est le point de départ de la lutte générale de toute classe ouvrière contre les conditions de famine, décide :

1- l'envoi immédiat de délégations massives de grévistes aux grandes usines pour expliquer à leurs frères de classe le sens, les buts de la grève et pour les inviter à se joindre à eux en débrayant ;

2- d'adresser un appel de solidarité à toute la population laborieuse pour qu'elle nous soutienne moralement et financièrement ;

3- que le travail ne reprendra qu'après obtention effective et complète des revendications suivantes :

VIVE LA GRÈVE GÉNÉRALE DE CHEZ RENAULT !

À BAS LES CALOMNIATEURS ET LES BRISEURS DE GRÈVE !

VIVE LA LUTTE GÉNÉRALISÉE CONTRE LA MISÈRE ET LA FAMINE !


[Fraction interne du CCI]