Internationalisme (GCF) - N° 20 - Avril 1947 Retour 

OPTIMISTES ET PESSIMISTES

Le fait que nos positions commencent à se répandre dans les milieux de la gauche socialiste, trotskistes et anarchistes nous a valu de nombreuses critiques. Il en est une cependant qui surnage au dessus, très loin de toutes les autres, qui viennent de tous ces milieux apparemment si différents : nous sommes des pessimistes, nous voyons tout en noir et toutes nos positions politiques, tout notre "sectarisme" sont basés sur ce pessimisme et cette vue en noir.

Que répondre à tous ces "optimistes" ? Ils commencent eux-mêmes à se rendre compte du tragique de la situation, dont nous analysons tous les mois ici l'évolution, depuis bientôt deux ans. Où sont les pessimistes ? Où sont les optimistes ? En réalité c'est sous un angle politique et non sentimental que se résout le problème. Notre objectivisme nous a valu le titre de "pessimistes" ; de même que nos positions, ayant trait à l'activité d'un groupe révolutionnaire dans la période présente, devaient nous valoir le nom de "sectaires". Mais où sont tous les "Z'optimistes" sur commande, les faiseurs de grève générale à la petite semaine, les découvreurs de révolutions, tous les agités, les nerveux ?

Les socialistes de gauche, qui ont enfin compris que la guerre approchait, forment le "3ème front" derrière Marceau Pivert qui a fait ses preuves dans cette guerre-ci, comme soutien moral de la Résistance (voir la lettre de celui-ci à De Gaulle).

Les trotskistes, eux, sont pris d'une vraie panique : ce coup-là, ça y est, la Russie est menacée de mort ! Staline et Molotov "ne font pas appel aux travailleurs du monde entier" pour la défendre ; ils conduisent l'URSS à sa perte, disent les trotskistes ; à nous de la sauver et de la défendre !

Quant aux anarchistes, si ils voient la situation qui évolue vers la guerre, n'en continuent pas moins à montrer leur impuissance. Cette impuissance de l'anarchisme dans la période actuelle de décadence du capitalisme est caractérisée par des appels à la grève générale, à l'insurrection, appels adressés à un prolétariat qui semble vouloir donner raison au proverbe qui dit que "ventre affamé n'a pas d'oreilles", ou tout au moins qui n'en a pas pour ceux qui l'encasernent. Appels donquichotesques à un prolétariat qui ne répond pas. Battage dans le vide qui conduit à l'illusion qu'un tel battage, que de tels moyens conduisent à la révolution, qu'ils la déterminent.

Nous n'avons cessé de montrer le chemin que prenait la politique mondiale, d'une conférence des grands à une autre conférence (de Postdam à Londres particulièrement), d'un discours à un autre discours (notamment ceux tels celui de Trumann devant la flotte américaine l'année dernière, ceux de Churchill, les réponses de Staline etc.).

De même, dans les événements qui ont successivement agité l'Indonésie, la Chine, l'Inde, l'Iran, la Palestine, l'Indochine, la Grèce et qui plusieurs fois de suite se sont renouvelés, nous avons montré combien ridicules et criminels étaient ceux qui, en partant de ces événements, les prenaient pour des indices d'une montée révolutionnaire, pour des mouvements révolutionnaires et qui, basant leur vie politique sur une telle chimère, sur une telle illusion, participaient à entretenir dans la classe ouvrière ces chimères et ces illusions. Mais ces chimères et ces illusions à propos de luttes qui en réalité opposent différents clans de la bourgeoisie, qui en réalité opposent le bloc anglo-américain et le bloc russe, leurs satellites et acolytes, permettent à ces luttes de se perpétrer sur le terrain-même de luttes d'influences et d'intérêts capitalistes et engagent la classe ouvrière à y participer. La conclusion de ces luttes devant être la guerre entre les deux blocs, l'illusion de la révolution partant de ces luttes conduit directement soit à la participation pure et simple à la guerre (et les trotskistes y vont), soit à l'abandon du mouvement ouvrier ; et l'avant-garde connaît depuis 20 ans cette philosophie du désespoir dont Koestler s'est fait un des chefs de file, philosophie qui la mine et brise ses forces déjà restreintes. C'est la conclusion et les caractéristiques d'une époque historique et des illusions qu'elle produit.

Aujourd'hui, peu à peu les illusions commencent à tomber, mais avec elles disparaissent les apparences révolutionnaires que ces organisations tentaient de conserver. Nous avons vu, dans d'autres articles, où mènent les tendances de la gauche socialiste. Nous voyons le rôle du trotskisme qui mobilise pour défendre l'URSS contre l'impérialisme anglo-américain le peu d'ouvriers qu'il a pu rafler aux staliniens grace à la surenchère dans la lutte économique.

Les uns et les autres sont ennemis à mort, d'un côté (du côté anglo-américain) les socialistes de tout poil, de l'autre les pro-russes (staliniens et trotskistes). Les uns n'ont qu'une critique à sens unique du bolchevisme qui vise la Russie d'aujourd'hui et ses défenseurs, les autres, ici et là, partout où les intérêts du capitalisme anglo-américain entrent en jeu, n'ont d'yeux que pour la trahison de la 2ème Internationale. Les anarchistes appellent à une lutte stérile un prolétariat embrigadé, enrégimenté, exsangue et écoeuré, tout en continuant à entretenir des illusions profondément retardataires et devenues contre-révolutionnaires, telles "l'anti-fascisme", "le sabre et le goupillon" et un pacifisme petit-bourgeois qui n'a d'autre effet que d'accepter la guerre quand elle est là, la dénoncer ensuite.

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En fait, la situation mondiale, si elle n'a fait que s'aggraver à chaque étape déjà citée, marque surtout un chaos grandissant.

Les différents faits économiques et politiques, que nous avons voulu relever pour marquer l'évolution de la situation, marquent seulement une réalité, celle du chaos, d'un chaos qui s'accentue chaque jour et qui trouve son expression dans des phénomènes qui sont toujours plus accentués, chaos qui ne peut que s'aggraver tant que le cours historique actuel ne sera pas renversé.

Il n'appartient pas à un groupe de militants, ayant toute la bonne volonté du monde concentrée en lui, de renverser une situation historique. Il ne peut faire qu'une seule chose, c'est lutter contre le courant afin d'être prêt le jour de ce renversement. Toute illusion finit par faire transformer une idée de volonté de transformation en cette transformation elle-même ; et, quand la guerre éclatera, nous verrons les socialistes de gauche jubiler de l'écrasement de la Russie et les trotskistes penser que la révolution est là du côté de la Russie.

Dans la crise actuelle, il convient de noter une aggravation des rapports entre le bloc anglo-américain et le bloc russe. En parallèle à cette aggravation des rapports politiques et diplomatiques, la crise économique mondiale s'accentue.

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L'événement politique marquant le plus proche est la conférence de Moscou. Mais sans parler de la conférence elle-même, il est important de noter quelques faits qui ont un rapport très important avec elle.

Tout autour de la Russie, les américains viennent d'ouvrir une véritable offensive afin de chasser les russes des positions acquises à la faveur de la guerre contre l'Axe, et que les guérillas et les assauts diplomatiques n'avaient pas encore liquidées. La guerre larvée qui couve dans la situation présente prend plusieurs formes. C'est tantôt l'intimidation, le jeu d'influences économiques, tantôt l'emploi direct de la violence. L'impérialisme américain est devenu la vivante figure du capitalisme-militariste qui emploie, là où il faut, l'or et, là où il faut, la poudre.

La Suède avait passé des accords commerciaux avec l'URSS, chez qui les échanges bilatéraux chassaient, pour une grande part, les importations des États-Unis. Ceux-ci, mécontents, ont fait savoir qu'ils ne l'entendaient pas ainsi et, sous prétexte de "liberté des échanges", menacent de couper leur marché à la Suède (c'est-à-dire refus d'acheter et de vendre) si cell-ci ne révise pas son commerce extérieur (c'est-à-dire si elle n'apporte pas des modifications restrictives aux accords commerciaux passés avec la Russie).

En Grèce et en Turquie, Trumann, dans son discours "bombe", a fait entendre au monde entier que "c'est avec l'or, les techniciens et les soldats américains qu'il faudra compter désormais".

Dans le Moyen-Orient, le jeu subtil de la politique anglo-américaine a mis les russes en déroute dans leurs expériences d'Afghanistan et resserre à son profit les liens entre les 7 États arabes.

Aux Indes, c'est sous les cris de "Mort au Pakistan" que se sont faites les dernières manifestations meurtrières. L'espoir russe de voir se constituer, à leurs frontières communes avec les Indes, un État indépendant qui leur serait favorable semble s'exclure de plus en plus et c'est ce qui permet aux anglais d'envisager de quitter l'Inde (quoi que cela ne soit pas encore réalisé).

En Chine enfin, ce sont les bombardiers de l'armée gouvernementale qui résolvent les différends entre les "communistes" et eux, en attaquant Yenan à la bombe, Yenan qui est la capitale des "communistes" chinois. Ajoutez à cela la livraison de leur zone, par les russes, au profit d'avantages économiques et l'on voit le recul que ceux-ci effectuent.

Que ce soit en Grèce ou en Chine, les guerillas soutenues par les russes reçoivent des coups très durs et maintenant, ouvertement, les États-Unis mènent la guerre.

Il n'est personne, jusqu'à la France avec... la Bulgarie, qui n'ait des rapports violents (incidents diplomatiques, gifles et expulsion).

L'ambassadeur des États-Unis en Pologne qui donne sa démission, cela fait bénin et, pourtant, cela montre le caractère et le degré des rapports internationaux au moment de la conférence de préparation à la paix, la 5ème ou 6ème. On croirait que c'est hier quand Chamberlain partait discuter amicalement avec Hitler, pendant que les troupes allemandes se préparaient à envahir la Pologne et quand la mobilisation générale était décrétée en France.

Mais, en fait, l'armée turque est toute entière sur le pied de guerre, l'armée anglaise n'a pu être démobilisée que dans une faible part et l'on sait très bien que l'on ne peut rien savoir d'exact sur l'état des armées russe et yougoslave.

Il s'agit en réalité des préambules à la paix. Il n'y a que quelques malentendus d'ordre tout à fait banal sur les modalités de cette paix.

En réalité la bourgeoisie mondiale est incapable d'assurer la vie de la société et pallie au plus pressé, ayant une seule chose en vue : ses intérêts et ses privilèges. Elle préférera un autre massacre que d'en abandonner un pouce. C'est l'enseignement principal de toute cette série de conférences : l'impuissance sanguinaire des tyrans de ce monde dont la conférence de Moscou est une expression flagrante et une étape vers le conflit armé.

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Les russes reculent, avons-nous dit. Certes, la position des guerillas en Chine et en Grèce est peu favorable. Certes, l'annonce de Trumann semble écarter tout espoir pour la Russie, de faire changer en sa faveur le statut des détroits et d'avoir une influence en Grèce.

Cependant si Trumann a été contraint de "mettre les pieds dans le plat" d'une manière aussi énergique, c'est parce que, pour la première fois, le bloc américain était obligé de marquer des points faibles dans son jeu. Ces points faibles sont constitués d'une part par le renforcement de la politique économique de l'URSS en Europe où elle prend la place que l'Allemagne y occupait et évince le bloc anglo-saxon (notamment au travers de traités commerciaux avec la Finlande, la Pologne, la Tchécoslovaquie, la Roumanie, la Bulgarie, la Yougoslavie, l'Albanie etc.), grace au contrôle exclusif de la navigation du Danube et grace aussi à l'avantage d'échanges entre pays proches, à cause de la pénurie des transports et de l'économie réalisée sur eux. D'autre part le chaînon faible est constitué par la Grande-Bretagne à qui la guerre de 1914 puis celle de 1939 ont porté des coups, sinon mortels comme pour la France, du moins fort néfastes, et dont elle a beaucoup de mal à se relever.

L'Angleterre ne peut plus assurer le contrôle militaire de ses colonies de l'Inde, de la Palestine, de la Grèce et de la Turquie ; elle ne peut plus supporter les frais énormes que cela entraîne ; et elle a besoin, pour son économie défaillante, des hommes qui sont immobilisés dans le monde. Les États-Unis sont là ; ce sont leurs intérêts communs, l'état-major est le même ; il s'agit tout simplement beaucoup plus d'un "choc psychologique" que d'une relève des anglais par les américains. Les dollars ne cessent d'affluer en Turquie, en Chine, en Iran, en Grèce, partout où cela peut être utile au bloc anglo-américain. Les commissions de techniciens et de "conseillers politiques" sillonnent ces pays depuis longtemps déjà. Mais les discours comme celui de Trumann sont plus des sondages de l'opinion publique que la marque d'un "tournant" dans la politique anglo-américaine ; au contraire, il semble tout à fait logique à celui qui suit la politique anglo-américaine depuis la fin de la guerre.

En réalité, à Moscou, chacun vient montrer les dents et tout le monde se retirera sans qu'autre chose que des points d'interrogations restent posés pour ce qui est des problèmes de la paix ; et quels points d'interrogations !

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Au premier plan des préoccupations de la conférence de Moscou, il y a l'Allemagne.

Les "alliés" se penchent avec sollicitude sur le sort futur des allemands. Les russes et les américains, pour des raisons différentes, voudraient une Allemagne centralisée. Les français préconisent le morcellement tel que Jacques Bainville le demandait après l'autre guerre. Les français demandent aussi la déportation d'allemands pour pallier à la surpopulation en Allemagne. Mais tout ceci cache le désarroi profond qui règne dans le camp des impérialistes vainqueurs au sujet de la carcasse du vaincu. Pour un pays qui entreprend une guerre et qui fait des dépenses énormes dans ses armements, il joue sur l'unique possibilité de victoire. Pour lui, la guerre doit être rentable. C'est le but de se payer des frais de guerre sur le dos du vaincu, l'Allemagne et que les "alliés" cherchent une combinaison qui les satisfasse. Inutile de dire que, dans les réparations comme ailleurs, ce sont les plus forts qui se servent d'abord ; aux autres après, si il en reste.

Pour les américains, une Allemagne démocratique centralisé c'est une Allemagne qui peut se relever économiquement et remplir le double avantage de concurrencer la Russie en Europe centrale et de payer ses dettes de guerre.

Si, pour les américains, la centralisation de l'Allemagne et son relèvement économique conditionnent les prélèvements à titre de réparations, pour les russes leurs réparations passent avant tout parce que, dans le fond, s'ils acceptent le principe de l'unification de l'Allemagne, ils ne sont pas prêts de se retirer de leur zone. Ils n'en partiront qu'après avoir raflé le plus possible et quand il n'y aura plus moyen de faire autrement (il est certain du reste que l'unification de l'Allemagne ne veut pas dire l'abandon de l'occupation militaire, du moins les russes comptent bien l'occuper quelques décades). Toute leur politique consiste à accepter le principe des accords mais à les mettre dans l'impossibilité de se réaliser.

Pour la France il n'y a qu'une seule chose qui puisse à la fois garantir sa sécurité et lui donner des garanties que des réparations économiques lui seront versées, c'est l'occupation de la Ruhr et le monopole sur son industrie et son sous-sol. Mais les anglais ne tiennent pas à perdre la Ruhr. Mais l'Allemagne sans la Ruhr et sans l'Est industriel occupé par les russes n'est plus l'Allemagne rentable que désirent les américains. Et sachant que les russes, en réalité, n'ont pas intérêt à ce que l'état de choses actuel change, on voit que la conférence de Moscou a de grandes chances d'aboutir à une autre conférence qui, elle-même... et puis un beau jour ça se gâtera.

L'Allemagne n'en reste pas moins un fardeau, un problème insoluble. L'administration des zones américaine et anglaise coute. Les américains sont pressés d'arriver à leurs fins de rentabilité de l'économie allemande. Les russes veulent garder ce qu'ils ont et tergiversent. Pendant ce temps-là, et malgré la famine, l'augmentation de la population en Allemagne et le surnombre des femmes (7 millions maximum, 5 millions minimum) posent un problème démographique aigu que la déportation des hommes - préconisée par Bidault et pratiquée, plus que de mesure, par Staline - n'est pas faite pour arranger.

En relation avec la conférence de Moscou, d'importantes manifestations se sont produites dans la Ruhr, groupant plusieurs centaines de milliers d'ouvriers. Au sujet de ces manifestations, on a déjà beaucoup écrit. Il est certain que la situation de famine qui règne n'a pas été créée volontairement par les occupants. Mais il est curieux que ce soit justement à ce moment que le mouvement éclate (d'ailleurs ce ne sont pas les premiers mouvements ; on a beaucoup moins parlé des plus anciens, faits il est vrai sur une échelle moins large ; également la famine n'existe pas d'aujourd'hui, et pas seulement dans la Ruhr mais dans toute l'Allemagne). Il n'en reste pas moins vrai que ces manifestations ont été exploitées par les partis politiques allemands. Il est difficile de dire qu'ils ont été "fomentés", cependant il est si facile de trouver des raisons de mécontentement en Allemagne, dans sa situation actuelle qu'il suffit que, soudain, les partis politiques allemands et les syndicats qui doivent se montrer "bons administrateurs", "capables de gouverner" à la place des "alliés" un jour prochain, pour l'instant en les secondant servilement, aient senti le moment favorable pour laisser la bride sur le cou à leurs administrés, en leur suggérant au besoin ce qu'ils attendaient d'eux ; et voilà que naît un mouvement spontané, mouvement dont tous les politiciens s'emparent : les anglais contre les allemands, les russes contre les anglais, les socialistes allemands pour l'unification de l'Allemagne etc. C'est là que les staliniens se sont employés activement, se servant de leurs postes syndicaux.

Mais le mouvement dépasse les espérances et les gouts des politiciens. Les uns et les autres tentent d'endiguer, en leur faveur, le mouvement le plus important depuis la fin de la guerre.

Une première conclusion s'impose : ils n'y ont pas réussi totalement et ont commencé, depuis le début de la semaine suivante, à lancer leurs appels au calme (si connus chez nous). Les mouvements se sont poursuivis et, laissant de côté les problèmes politiques mis en avant par les politiciens, les ouvriers ont de nouveau posé leurs revendications au sujet d'une amélioration du ravitaillement.

Mais il faut être extrêmement prudent au sujet de ces mouvements. Ils se placent à la point extrême de la politique de préparation à la guerre :

- D'une part ils peuvent se développer et s'affranchir de l'emprise des partis politiques allemands, de la politique allemande et devenir un foyer de lutte de classe important, capable de donner une nouvelle orientation au cours historique qui va vers la guerre, et notamment s'appuyer sur un mouvement italien qui pourrait y trouver des raisons de renaître.

- D'autre part ils peuvent au contraire servir aux partis politiques allemands, notamment au parti "communiste" stalinien en faveur de la politique russe, et ne faire qu'accélérer le cours vers la guerre, en donnant aux impérialistes des bases nouvelles de désaccord qu'ils auront un plaisir immense à exploiter.

Inutile de dire que le jeu est extrêmement dangereux. Pour l'instant, puisque nous ne sommes pas des prophètes, bornons-nous d'en marquer l'importance, et surtout l'importance du développement de tels mouvements qui peuvent, dans un sens comme dans un autre, donner une nouvelle tournure à la politique. Cela peut en tous cas reposer bien des problèmes pour la bourgeoisie.

L'avenir de la lutte de classe ne peut qu'y gagner à sentir toute l'importance du développement de la lutte du prolétariat allemand et à la suivre de prés.

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Et c'est la ronde infernale. Le chaos politique et économique à la fin de l'hiver s'est soldé par une famine qui a envahi l'Europe après avoir fait des milliers de morts en Roumanie et dans la partie orientale de la Russie d'Europe. L'Allemagne, l'Espagne et l'Italie, ensuite la France, sont dans une situation catastrophique. C'est chaque jour plus la famine, et l'hiver prochain ne s'annonce pas meilleur, sinon pire. A ces graves situations alimentaires s'ajoute, pour tous ces pays, une situation monétaire catastrophique ; l'inflation accompagne presque toujours la misère et la famine, amenuisant encore le niveau du pouvoir d'achat des classes pauvres.

En France, la situation est très grave. On a voulu y remédier par une série de décrets et de mesures "psychologiques", par un 10% d'impôt de solidarité nationale, peine perdue. Tandis que les ministres passent leur dimanche à parler à la radio pour démontrer que tout va bien (la méthode Coué) et que les finances n'ont jamais été aussi saines, l'institut d'émission tourne à plein rendement, la guerre d'Indochine coute 100 millions par jours, le budget n'est même pas débattu, c'est le chaos dans les affaires et on se dit chaque jou : "Encore un jour de gagné..."

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Oui, encore un jour de gagné... pendant que l'on fait des compromis, que l'on discute en conseils des minitres "restreints", le massacre d'Indochine continue. Tant que les staliniens ne seront pas évincés du Viet-Minh, le gouvernement ne traitera pas.

Le massacre continue en Chine. Les maladies et la famine envahissent l'Europe. Des ouvriers sous-alimentés doivent fournir un travail plus grand, sur un matériel industriel vétuste, pour ne gagner même pas de quoi vivre, pendant que surproduction et chômage guettent les États-Unis, l'Australie et d'autres pays encore.

D'un tel chaos ne peut sortir qu'un chaos encore plus grand. L'offensive que les États-Unis mènent contrer la Russie, sous une forme larvée aujourd'hui, y trouvera demain un terrain favorable.

Dans une telle situation, l'avant-garde révolutionnaire doit resserrer ses liens et ses contacts, lutter contre le courant par tous les moyens possibles. Les camarades doivent à la fois serrer les coudes et faire oeuvre de solidarité révolutionnaire là où c'est nécessaire et prévoir les nécessités futures ; l'avant-garde doit être prête politiquement à jouer le rôle historique qui est le sien contre la guerre impérialiste et se préparer aux luttes que le prolétariat révolutionnaire est susceptible d'engager par la suite. Il s'agit d'être sérieux et réfléchis et non agités et nerveux, enthousiastes à s'essouffler pour rien. Pour nous, il s'agit plus de ne pas courir vite et de savoir partir à point, tout en gardant bien en vue l'état effectif de nos forces, en s'en servant à bon escient et non en s'essoufflant dans un bluff grossier et donquichotesque.

PHILIPPE


[Fraction interne du CCI]