Internationalisme (GCF) - N° 20 - Avril 1947 | Retour |
Comme disait un haut-fonctionnaire : "Le grand avantage de la démocratie sur le fascisme, c'est que, dans la première, on laisse éclater les scandales qu'on étoufferait dans le dernier."
En fait, il n'en demeure pas moins que le scandale est une forme de vie de la société capitaliste démocratique ou fasciste ; le rationnement, la haute bureaucratisation de l'État, l'existence normale de deux marchés ne peuvent qu'aggraver les scandales, rendre leur détection plus grande et leur imbroglio plus inextricable.
Le premier principe sur lequel s'assoit généralement le scandale est, d'une façon certaine, le désir du commerçant de pallier à la liberté de commerce par l'octroi de priorités, de bons de déblocage au travers de pots de vin touchant le plus de gens possibles en raison de la paperasserie inter-ministérielle. Un bon de déblocage ne dépend pas d'un ministère mais de plusieurs ministères qui, tous, régissent, sous un angle différent, une même activité commerciale.
Ce premier principe se trouve être accru en importance par un deuxième principe contradictoire. Tout en voulant conserver la notion de bénéfice dans le procès de circulation et d'échanges de marchandises, on veut en réglementer les prix. Nous savons où nous mène une telle politique.
Les prix défient la réglementation et chaque scandale permet de consacrer d'une part, de cacher à l'opinion publique d'autre part, la hausse des prix qu'une décision gouvernementale confirme.
Toute l'erreur de la politique actuelle en matière de scandale économique provient d'une façon bien petite-bourgeoise d'envisager le problème. Le principe de la marge bénéficiaire étant, et continuant d'être, admis, même par la CGT et le parti "communiste", ce qu'on veut surtout, ce n'est pas sa suppression mais sa réduction, en imaginant par là provoquer une baisse qui revaloriserait les salaires.
Seulement la marge bénéficiaire de toute entreprise ne cesse de baisser depuis pas mal d'années - et il ne faut pas se laisser impressionner par la valeur nominale de celle-ci - et le besoin d'économie dans la production se faisant sentir, le salaire subit la même compression en vue de la reproduction élargie.
Ce qui, en définitive, ne nous permet pas de sortir du cercle vicieux qu'est le problème des prix, salaires et production dans un système capitaliste.
Dénoncer les scandales économiques devrait ramener les économistes et les hommes politiques à dénoncer le système de production en vigueur. Et les journaux - qui, par besoin démagogique, réclament des sanctions exemplaires - portent tout l'accent sur les personnalités incriminées et non sur le fond réel du problème.
On se rend bien compte, à ce moment, que cette confusion sciemment organisée et propagée tend à mettre hors de cause le système capitaliste, surtout quand l'État se fait capitaliste et permet aux rivalités politiques de s'abreuver de discussions discriminatrices quand la discrimination sur le plan de classe est inexistante.
Les scandales économiques viennent tenir l'honorabilité non tellement de telle ou telle personnalité mais de tel ou tel parti qui détenait le ministère ou qui en avait profité au travers d'homme de paille ; mais pour mieux alimenter l'atmosphère de pseudo-discussions "élevées", on a recours aux scandales politiques.
Dans l'affaire Hardy, d'un côté les "souteneurs"sont entachés de gestapisme, de l'autre côté les accusateurs sont les "vrais résistants". Dans l'affaire du général Alamichel, le même critère existe. Seulement les rôles sont inversés ; Hardy est accusé par le Parti "communiste" mais Alamichel doit sa promotion à ce même parti ; Frenay du MRP défend Hardy mais accuse Alamichel.
Depreux, dont l'anti-stalinisme est connu, découvre et exploite l'affaire Joanovici et le groupe "Honneur et police" fortement stalinien, pour répondre à l'exploitation du scandale "Gouin-Malafosse".
A cette cadence, tous les partis sont entachés de scandale ; demain, toutes les personnalités représentatives de la France le seront.
Seulement tous les scandales, soit politiques soit économiques, ont débuté sous l'occupation et sont intimement liés à la résistance. Des millions de victimes innocentes sont mortes sans se rendre compte des scandales que leurs chefs préparaient.
Ce n'est pas eux "la glorieuse résistance" car ils n'en ont été que les dupes mêmes, au même titre que les soldats morts dans cette 2ème guerre impérialiste. La vraie "résistance", c'est ces chefs et ses partis bourgeois, des PRL aux staliniens qui ne vivent que par l'exploitation du scandale et par le double-jeu politique.
A tous les partis bourgeois qui ne vivent que par cette démocratie "purifiée", qu'ils sachent que sur leur lutte scandaleuse se forge le pouvoir encore plus scandaleux d'un homme qui s'isole aujourd'hui, espérant mieux sauter demain.
Aux ouvriers, à ceux qui chaque jour n'ont comme maigre pitance que ces scandales, il serai bon qu'ils se demandent si cette démocratie bourgeoise n'est pas aujourd'hui un seul et unique scandale que seule la révolution prolétarienne et la suppression du régime capitaliste peuvent y mettre fin.
Tous ces scandales, toutes les manifestations dans l'ordre républicain pour le salaire minimum vital, pour la réduction des marges bénéficiaires, pour le travail forcé des oisifs ne sont que des décisions servant à cacher le vrai problème de lutte politique de classe, de lutte de sociétés, pour mieux ainsi protéger le règne de l'anarchie capitaliste.
Comprendre ceci, faire comprendre ceci est un premier pas et la seule voie d'un redressement révolutionnaire de la lutte émancipatrice de la classe ouvrière.
L'étape suivante sera immanquablement le détachement effectif et non illusoire de la classe ouvrière des partis socialistes et staliniens ; et c'est à partir de ce point que le problème de la formation du parti révolutionnaire et de la lutte offensive du prolétariat prend son plein essor.
Sur les événements d'Indochine, la presse a donné une assez large audience aux incidents parlementaires qui ont eu lieu à propos d'eux. Il est inutile d'en faire un récapitulatif. Mais un fait reste désormais acquis : c'est le double-jeu des staliniens.
D'une part leur présence au gouvernement leur semble indispensable, soit en raison du noyautage qu'ils font, soit en raison de la Conférence de Moscou, soit surtout en raison de leur nature bourgeoise qui les fait aujourd'hui jouer le rôle de garde-chiourme de l'État capitaliste.
D'autre part leur mainmise sur les masses ouvrières les obligent à des simulacres d'opposition anti-impérialiste. Mais aussi ne faut-il pas trop que cette mise en scène ne dépasse les limites de simple comédie bouffonne.
L'opposition à la politique indochinoise de Moutet s'exprimera non par un vote de défiance net et clair mais par une ambiguïté qui caractérise toujours le parti stalinien.
Le groupe parlementaire stalinien s'abstient de voter les crédits militaires, tandis que les ministres staliniens, pour ne pas rompre la responsabilité collective gouvernementale, les votent.
Et ce double-jeu, dignes des meilleurs "collaborationnistes", permet de rester au gouvernement et de faire figure, pas directement mais au travers de la CGT, de défenseur des droits des peuples à disposer d'eux-mêmes.
Pour la circonstance, Benoît Frachon n'était pas membre du bureau politique du PC mais secrétaire général de la CGT.
Ce qui devrait faire réfléchir dans cette comédie parlementaire est le fait que Ramadier, intraitable au début de la discussion sur l'Indochine, accepte, en fin de débat, ce compromis. C'est qu'il est fort à croire que, de compromis, il n'y en eut vraiment pas- le rôle de l'assemblée donne libre jeu à la politique (...) avec l'alliance des staliniens - mais une merveilleuse entourloupette avec revendications ouvrières luttant sporadiquement contre la famine.
Ce compromis, digne de la meilleure époque de la 3ème République, s'est fait sur le dos de la classe ouvrière indochinoise et française, en étouffant les problèmes essentiels du moment et en ressoudant à nouveau la classe ouvrière des deux pays à leur bourgeoisie respective.
Cette comédie parlementaire et le discours de Bruneval ne font que renforcer encore la solidité gouvernementale. Demain, aux cris de famine des masse ouvrières, on répondra que la république "une et indivisible" est un danger. Si la classe ouvrière se mêle à ce simulacre de lutte pour la liberté, c'est l'expérience espagnole qui se reproduit, mais avec des conséquences plus néfastes pour le prolétariat.
Sadi
[Fraction interne du CCI]