Internationalisme (GCF) - N° 15 - Novembre 1946 | Retour |
Ce n'est pas un hasard qui a déterminé la Fraction Française des Lucain – la claque de Vercesi, la Fraction opportuniste de la GCI en France – à prendre pour titre de leur journal le même que celui de leurs camarades de Belgique.
On y retrouve, en mieux, toujours les mêmes méthodes de discussion, toujours les prises de position qui laissent le loisir d'avoir toutes les positions qu'on veut.
A chaque fois qu'un Lucain a à prendre position sur un sujet où la GCI avait des positions bien avant eux et plus nettes, (voir Bilan) par exemple sur la constitution des Partis ou sur le Parlementarisme, il se trouve devant la situation présente :
justifier l'abandon des positions traditionnelles, non en prenant franchement une autre position (ce qui est toujours du domaine de la discussion) mais en prenant une position opportuniste et en affirmant qu'on est plus que tout autre dans "la ligne" ;
démontrer que les "aventuriers", les usurpateurs, les "aigrefins", enfin nous, que nous avons des positions "sectaires" ;
faire oublier qu'eux, les Lucain, sont toujours en retard de quelques mois sur nous et faire oublier nos critiques justifiées.
Aujourd'hui le journal des Lucain français, l'Internationaliste, contient un bon nombre de lucâneries dont l'article de la camarade Frédéric n'est pas des moindres : "Pourquoi sommes-nous Abstentionnistes ?" En effet, quand on a lu cet article, on se demande pourquoi finalement ils sont abstentionnistes, et on se demande aussi qui est abstentionniste chez eux.
Comment se présente la chose exactement ?
Au dernier Référendum et aux élections, en mai 1946, nous avons sorti un numéro de l'Etincelle entièrement axé sur le problème du Parlementarisme (N° 12). La Fraction a voté une résolution sur le Parlementarisme, résolution qui est reproduite dans ce numéro de l'Etincelle. Pour les camarades qui ont eu ou qui peuvent avoir ce journal devant les yeux l'équivoque n'est pas possible sur nos positions.
Quelques temps après, les élections se présentent en Italie (nous savons tout ce que signifie cette grêle d'élections sur le monde : instabilité impitoyable du régime bourgeois et tendance de celui-ci vers une stabilité hypothétique, mobilisation idéologique du prolétariat derrière les différents partis bourgeois, cours réactionnaires, etc.). Le parti italien, la majorité et le CC étant lucanisés, prend position pour la participation aux élections (voir notre critique à cette époque).
Leurs intentions étaient pures, aussi pures que celles des PC à la belle époque de l'IC, aussi pures aussi que celles des trotskistes.
Mais, pour nous, la question n'est pas de savoir si tel ou tel a de bonnes intentions ou s'il est sincère ; notre critique porte sur des positions politiques, sur des principes politiques. Nous voulons espérer que toujours ceux qui ont une position, quelle qu'elle soit, sont sincères mais les sentiments des hommes sont très difficilement contrôlables, tandis que leurs actes et leurs écrits le sont (et dans ce domaine, se rappeler la comédie vercesienne du Comité Antifascistes de Bruxelles et "L'Italie de Demain").
A ce moment-là, la position du PCI d'Italie avait été accueillie chaleureusement par certains Lucain français (exemple Raymond/Gaspard), beaucoup plus fraîchement par d'autres (dont Frédéric).
Mais, de toutes ces conceptions, aucune n'a été affichée, écrite. On s'est contenté de grands palabres justificatifs ou de timides critiques orales.
Aujourd'hui que les Lucain du monde entier tentent de fabriquer une Internationale à eux, ils se trouvent devant la nécessité où tous les fabricants d'Internationales se sont trouvés avant eux : montrer l'unité de vue des Lucain entre eux même si cela n'est pas, et pour cela démontrer que deux positions contradictoires peuvent être en réalité identiques (en y mettant de la bonne volonté).
En l'occurrence, il s'agit non seulement pour Frédéric d'affirmer "Pourquoi elle est abstentionniste" mais, en même temps, de montrer que son abstentionnisme n'est nullement en contradiction avec la position des italiens participant aux élections. C'est ce que Frédéric elle-même eut pu appeler, il n'y a pas si longtemps, de l'abstentionnisme honteux.
Très curieux d'ailleurs son article qui a l'air de sabrer à droite, sabrer à gauche, qui finit par une jolie phrase : "… voilà pourquoi nous sommes abstentionnistes", mais qui, en réalité, permet tous les doutes possibles ; et, après la lecture de cet article, on peut se demander en effet pourquoi Frédéric est abstentionniste en France alors qu'elle ne l'est pas en Italie. Les influences climatiques sur la politique ne nous sont pas expliquées ; Frédéric nous dit simplement : "… nous n'avons aucune honte à concéder aux anarchistes…", en l'occurrence on met notre position sur le même plan que celle des anarchistes (Bordiga en serait très flatté) histoire d'éclaircir la discussion ; "… nous n'avons aucune honte à concéder aux anarchistes…" (et à nous) que, en effet, nous ne faisons pas une question de principe d'UNE PARTICIPATION ELECTORALE AINSI COMPRISE MAIS EXCLUSIVEMENT AINSI.
Après cela, on ne comprend pas du tout pourquoi Frédéric théorise contre "Une tactique périmée : le parlementarisme révolutionnaire". Sa position affirmée est relativement assez voisine de la notre, du moins dans ce court passage ; mais comme pour elle ce n'est pas une question de principe et comme c'est en contradiction flagrante avec la position des italiens (justifiée par elle), on finit réellement par se demander pourquoi elles est abstentionnistes ? On se demande aussi, quand elle dit "nous", si elle entraîne la responsabilité d'un Gaspard par exemple qui ,lui, n'est que la copie conforme de la position du CC italien.
Finalement on se rend compte que le lucanisme n'est pas une plaisanterie mais une maladie typique des nouveaux constructeurs de partis et d'Internationales. On comprend qu'après cela quelqu'un qui vient avec des positions politiques sérieuses et qui parle de principes soit accueilli comme un chien dans un jeu de quilles.
Par contre, il nous apparaît nécessaire de souligner que le mouvement ouvrier n'est pas, malgré tout, complètement pourri. Des militants sérieux se trouvent mêlés aux Lucain. Il est intéressant de noter que ce sont presque toujours de vieux militants. Eux ont au moins la franchise de leurs positions. Ils ne cherchent pas à démontrer qu'ils sont toujours dans "la ligne" en étant complètement à l'opposé.
Ils ont des idées qui, pour nous, sont fausses mais qui, affirmées et développées comme le fait par exemple Chazé dans "La formation du Parti de classe : hier non, aujourd'hui oui", n'es constituent pas moins des (…) possibles de discussion. Nous ne sommes pas d'accord mais nous sommes prêts à discuter sue ce plan franchement et ouvertement.
La seule raison qui fait voisiner ces éléments sérieux – tels Chazé et quelques vieux militants italiens de la minorité avec qui nous sommes en désaccord et avec qui, nous tenons à le faire remarquer, la GCI a toujours été en désaccord pour Chazé et, depuis l'affaire espagnole pour la minorité – avec les Lucain, c'est que ces éléments hétérogènes sont sans bases politiques de principes et n'ont jamais pu assimiler ce que l'on a pour habitude d'appeler le bordiguisme dans le mouvement ouvrier.
Quelle différence entre le crétinisme omnipotent d'un Gaspard alias Raymond Bourt, le lucanisme de Frédéric et la franchise et l'honnêteté politique d'un Chazé ; l'orgueil et la bêtise de jeunes chefaillons en herbes et la discrétion d'un militant.
PHIL
[Fraction interne du CCI]