Internationalisme (GCF) - N° 15 - Novembre 1946 | Retour |
En ce mois de novembre, la classe ouvrière est appelée à se souvenir de deux événements importants. D'une part la Révolution prolétarienne russe, d'autre part la fin de la guerre 1914-18.
Deux événements dont la signification aujourd'hui n'échappe pas à la bourgeoisie. Aussi voit-on célébrer le 7 novembre tel une fête folklorique russe sans grand apparat, tandis que le 11 novembre, avec son soldat inconnu, est célébré avec toute la pompe et la propagande nécessaires pour perpétuer le massacre du prolétaire au plus grand profit du capitalisme.
Et ceci même pendant l'occupation où la police nazi savait réprimer violemment les anniversaires des luttes ouvrières (tels le 1er mai, le 7 novembre) et disperser quelques paltoquets qui, le 11 novembre, voulaient ranimer la flamme du soldat inconnu avec l'espoir qu'il y en ait encore beaucoup.
Et de toutes parts, la classe ouvrière ne rencontre que partis et idéologies tendant à lui faire oublier la glorieuse révolution russe et à lui faire sanctifier les massacres impérialistes.
Le PC, malgré son attachement à l'Etat capitaliste russe, tente de repousser au rang de fête folklorique le 7 novembre pour carillonner à toute volée le 11 novembre. "Tactique, répond-on, simple manœuvre, noyautage jésuitique. Quand nous serons forts, nous déclencherons la révolution". Pourtant 5 millions et demi d'électeurs, les syndicats en mains, toute la classe ouvrière encasernée par le PC, la masse paysanne sympathisante, voilà le bilan des forces staliniennes en France. Attend-on que la bourgeoisie française prenne la tête de la révolution prolétarienne ? Car c'est peut-être par cette alternative que l'on doit comprendre la force prolétarienne.
Si nous dressons ce tableau, si nous posons des questions, si nous recherchons des solutions, c'est que quelque chose a changé entre le 7 novembre 1917 et le 11 novembre 1946. Peut-être l'idéologie du PC, peut-être la classe ouvrière elle-même, peut-être la bourgeoisie devenue révolutionnaire après son passage au maquis, peut-être aussi parce qu'on a tout fait pour effacer l'expérience du 7 novembre, pour en faire une tradition comme la fête des Catherinettes.
Demandez aujourd'hui à un ouvrier ce qu'a été le 7 novembre 1917 pour le prolétariat international, il répondra, parce qu'on l'a forcé à le croire : la fête nationale russe.
Il semble, à la fin de cette guerre, que la phrase célèbre de Marx se vérifie : "L'histoire se répète deux fois, une fois en tragédie. La deuxième fois en comédie."
C'est ce qui nous arrive avec les bouffonneries de révolutions nationales en Yougoslavie, en Bulgarie, Albanie, etc. Hier, le parti révolutionnaire contre le monde capitaliste entier osait lever l'étendard de la révolte internationale des opprimés ; aujourd'hui, les divers PC se réfugient derrière la non-exportation de la révolution pour créer à l'intérieur des frontières nationales des systèmes autarciques proches du fascisme et, à l'extérieur, marchander diplomatiquement les prolétariats des pays démocratiques. Oui, la révolution n'est pas un article d'exportation mais ce n'est pas un article national non plus. La révolution ne s'exporte pas car elle exprime une situation internationale tendue vers la lutte de classe franche et déclarée.
La révolution n'est pas nationale car ce n'est pas une espèce de grâce quoi frappe un prolétariat plutôt qu'un autre. Que de fois on entende des staliniens dire que le prolétariat américain ou anglais trahit.
Enfin, la révolution et les menaces de guerre entre impérialistes ne peuvent cohabiter car la révolution pose la lutte de classe contre classe, et la guerre impérialiste l'antagonisme capitaliste avec le sang indifférencié des ouvriers. En d'autres termes, la révolution recule quand la guerre approche et ce n'est pas du bla-bla comme on en trouve dans la presse, de la gauche stalinienne bourgeoise à la droite PRL.
Le socialisme n'est pas une conception morale ; ce n'est pas non plus une suite de privations ; ce n'est surtout pas un désir réalisable (…) génériquement.
Avant de parler de socialisme, libérons-nous des mots "démocratie", "liberté", "égalité" qui n'expriment qu'un contenu bourgeois. Ne parlons surtout pas d'individu, ni de violence et de brutalité. C'est choquant au premier abord, mais la révolution russe n'a réussi que parce qu'elle s'était libérée de ces mots vides de sens.
La nécessité du socialisme résulte de l'impossibilité qu'a la société bourgeoise de satisfaire les besoins minimum des masses travailleuses et de la société en général.
La possibilité du socialisme ne se fait sentir et ne s'applique qu'une fois que l'ancien état de chose a été détruit, non dans un secteur isolé mais dans l'ensemble des secteurs les plus industrialisés du monde.
C'est-à-dire que le problème du socialisme passe par le stade de la lutte de classe violente ; une classe, les prolétaires, exprime dans sa lutte la volonté farouche d'abattre le capitalisme, d'instaurer sa dictature, non pour créer une nouvelle classe d'opprimés mais pour éliminer les vestiges de classes et permettre le socialisme, une société sans classe en vue de la consommation et non de la destruction.
Tous ces prémices actifs du socialisme, cette lutte ardente et consciente, ne repose pas sur une infrastructure économique déjà existante mais sur une conscience politique de classe et ne se réalise qu'en fonction des conditions objectives de crise aiguë politique du système bourgeois.
Et c'est sous ces signes indiscutablement révolutionnaires que, le 7 novembre, le prolétariat russe a ouvert le cycle de révolutions qui devaient déferler sur le monde jusqu'en 1927.
La guerre de 1914-18 avait ébranlé économiquement et politiquement l'ordre bourgeois. Partout se dessinaient des soubresauts de révoltes, Verdun, Kiel, Février 1917 ; ce n'était que cris désespérés. En Russie le tsar abdique ; en France la bourgeoisie, par la bouche de Caillau, recule, parle de paix, a peur. En Allemagne le Kaiser espère en une paix de compromis.
A cet ordre bourgeois ébranlé, les Kerensky essaient d'apporter des palliatifs qui ne résistent guère à l'épreuve.
En France, en Allemagne, la répression féroce entre en jeu ; l'Etat est encore fort. En Russie, la bourgeoisie trop jeune succombe à ce qu'elle appelle l'anarchie, qui n'est autre que son impossibilité de répression.
L'insurrection du 7 novembre n'est pas la prise du pouvoir d'une clique de politiciens, c'est la destruction de l'Etat bourgeois aux cris de : Paix immédiate, le pouvoir aux Soviets, la terre aux paysans. Et ces cris de conscience encore infantile, manifestations politiques d'une volonté de socialisme, devaient se raffermir et s'éclaircir au travers de la lutte qu'entreprennent immédiatement les capitalistes contre la révolution russe. Ce n'est plus le mot-d'ordre de paix qui est claironné mais de "guerre civile du prolétariat contre la bourgeoisie". Et les échos dans les pays en guerre se font entendre de plus en plus.
C'est Liebknecht, Luxemburg en Allemagne, la gauche socialiste en Italie et en France, la Commune hongroise, etc. Le 7 novembre, ce n'est pas seulement les préludes de pouvoir politique du prolétariat en Russie mais surtout les préludes de la révolution internationale. Du stade défensif et syndicaliste, la classe ouvrière passe au stade offensif et politique. Ce n'est pas de constitution socialiste que l'on parle mais de prise de pouvoir de la classe ouvrière dans le monde entier.
Contre nos camarades utopistes qui veulent critiquer le 7 novembre 1917 au travers des mesures économiques et politiques prises par l'Etat ouvrier en Russie, nous avons toujours affirmé que le problème – vu dans les frontières russes, en dehors de son contenu seul, l'international – devait prêté à toutes les critiques ; mais ces critiques tombaient dans le vide car ils acceptaient tacitement la possibilité d'un pouvoir ouvrier politiquement et économiquement constructif dans les limites nationales. Ils rejoignaient ainsi les droitiers de l'Internationale qui parlaient déjà de construction socialiste en Russie.
Nous nous refusions à subordonner la révolution mondiale au besoin de l'Etat ouvrier en Russie.
Aux problèmes techniques et d'ordre courant que les détracteurs voulaient nous présenter comme un début de socialisme, nous posions tout d'abord la nécessité de subordonner ces problèmes intérieurs à la résolution et l'aide à la révolution allemande, italienne, hongroise, chinoise, etc.
La NEP et tous les pas en arrière n'étaient pas, pour nous, des échecs du socialisme en Russie mais les échecs de la Révolution dans le monde, car on ne devait ni ne pouvait parler de socialisme en Russie.
Et cette erreur de vouloir réfléchir la révolution mondiale sur la fausse conception de construction socialiste en Russie a provoqué une série d'erreurs de la part de l'Internationale. La consolidation de l'Etat Ouvrier en Russie était fonction de la victoire prolétarienne internationale. On a agi autrement, on a voulu consolider l'Etat ouvrier en Russie, même au dépens de la Révolution Mondiale ; et l'on a réussi qu'à consolider l'Etat tout court et permettre la bouffonne comédie du "socialisme dans un seul pays" de prendre corps et de l'emporter en 1928, faisant de la Russie le prototype du capitalisme d'Etat et le monde entier un champ de bataille du prolétariat vaincu.
Et la guerre impérialiste devenait la perspective historique.
Le 7 novembre n'est pas une tradition mais un exemple, un enseignement. Nous ne fêtons pas le 7 novembre tel le 14 juillet, nous appelons le prolétariat à saisir l'aspect international de la Révolution d'Octobre. Si aujourd'hui il se trouve à la remorque de sa bourgeoisie, si – délaissant la voie de l'internationalisme et de la lutte directe de classe contre classe – il voit poindre une nouvelle guerre et naître un capitalisme d'Etat plus monstrueux, plus exigeant, qu'il se rappelle que le 7 novembre fut une brisure de la guerre impérialiste, une volonté du prolétariat international d'en finir avec les guerres.
L'étincelle partie en Russie enflamme le monde ; les Staline, Tito et autres "petits pères des peuples" n'enflamment plus personne, ils ont fini par faire croire que le 7 novembre est une légende pour petits enfants. Au prolétariat de se réveiller pour continuer le 7 novembre par sa lutte contre la guerre et son rejet et refus de tout Etat bourgeois démocratique ou dictatoriale.
L'INTERNATIONALISME
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