Internationalisme (GCF) - N° 10 - Avril 1946 Retour 

A LA GAUCHE COMMUNISTE INTERNATIONALE

Nous publions ci–dessous une lettre que nous avons adressée le 15 mars dernier à tous les groupes se réclamant de la Gauche Communiste.

Nous constatons avec regret que, jusqu'à ce jour, nous n'avons reçu aucune réponse. La politique du silence est la pire qui puisse exister.

Nous rendons cette lettre publique – 1 afin de permettre à tout militant révolutionnaire ayant à cœur le problème du regroupement international de l'avant–garde, de mieux connaître la situation de celle–ci à l'heure actuelle, –2 parce que nous considérons qu'il faut en finir avec la voie de "la diplomatie secrète". Le prolétariat ne peut forger son Parti qu'au travers de la discussion et de la controverse publique sur tous les problèmes.

Dans le prochain Internationalisme nous répondrons à des critiques que divers camarades nous ont objectées individuellement.


Au Parti communiste Internationaliste d'Italie

A la Fraction belge

Au Groupe 2 de la Fraction française de la Gauche Communiste

Chers camarades,

Sans vouloir reproduire l'ensemble des critiques que nous avons formulées dans nos documents nous nous proposons, dans cette lettre, de préciser quelques points que nous estimons indispensables pour la compréhension de nos positions et de la situation générale dans laquelle se trouve la Gauche Communiste Internationale.

La Gauche Communiste Internationale et les autres groupes révolutionnaires

Ce serait une grave erreur de prétendre que la Gauche Communiste Internationale présente l'unique courant de gauche issu de la 3ème Internationale après la dégénérescence et la trahison de cette dernière. Une telle affirmation ne relève que d'une prétention suffisante digne d'une chapelle ou d'une secte et présente le plus grand handicap dans la voie du regroupement national et international des forces de la révolution.

La Gauche Communiste Internationale présente, à notre avis, la tendance la plus conséquente aux principes programmatiques les plus achevées du courant de la Gauche dont historiquement et politiquement elle n'est qu'une partie.

A côté de la Gauche Communiste Internationale existent, dans de nombreux pays, des groupes et des militants révolutionnaires qui font partie intégrante du courant de la Gauche – qui va de la 3ème Internationale à la future Internationale –, tout comme les fractions de Trotsky, des spartakistes, des abstentionnistes en Italie et les tribunistes hollandais faisaient partie du même courant de la Gauche – qui allaient de la 2ème à la 3ème Internationale et qui trouvaient en la Fraction bolchévique son expression historique la plus conséquente.

Evidemment il ne peut être question, dans ce courant de Gauche, de comprendre les diverses formations politiques qui, à l'instar du Trotskisme, ont été happées dans l'engrenage de l'idéologie bourgeoise et ont cessé depuis longtemps de présenter des moments du processus de reconstitution de l'organisation politique de la classe. Aucun de ces groupes n'a résisté aux épreuves historiques décisives. Par leur retour dans les rangs de la 2ème Internationale ou par leur adhésion à l'idéologie antifasciste et la participation, d'une façon directe ou indirecte, à la guerre impérialiste mondiale, soit au nom de la défense de l'URSS, soit au nom de la "libération nationale" et des "droits des peuples à disposer d'eux–mêmes", soit au nom de la lutte contre le "fascisme", ces groupes se sont définitivement liquidés politiquement en tant qu'expression du prolétariat.

En parlant des groupes révolutionnaires qui sont dans le camp prolétarien et qui font partie du courant historique de la Gauche, nous entendons exclusivement les groupes qui, à aucun moment, n'ont trempé dans la guerre et qui ont résisté à l'idéologie capitaliste de l'antifascisme. Tels sont les groupes des Communistes Révolutionnaires en France, le RKD, les Communistes des Conseils en Hollande etc.

La Gauche Communiste Internationale ne peut s'acquitter de sa tâche de formation des cadres et de base programmatique des futurs partis qu'en s'orientant résolument vers une discussion internationale, vers une confrontation politique publique et fraternelle avec tous ces groupes révolutionnaires. Cette discussion et confrontation internationale ne peut être laissée au hasard des circonstances mais doit être recherchée, organisée et, dans la mesure où l'intérêt de la discussion rendra possible et nécessaire, on devrait s'orienter vers l'organisation de contacts, de discussion et de publication de Bulletins internationaux de discussion et documentation, et de conférences internationales.

La Gauche Communiste Internationale

Il est nécessaire de reconnaître que la GCI, si elle présente une ligne politique générale, ne présente pas toutefois une homogénéité politique. Il ne s'agit pas de monolithisme, impossible dans une organisation et qui ne peut être qu'un étouffement bureaucratique détruisant toute possibilité de vie politique idéologique. En parlant d'homogénéité nous parlons d'une base de principes fondamentaux indispensables pour que l'organisation ne se transforme pas en un rassemblement éclectique. La guerre a révélé des divergences et oppositions au sein de la GCI et portant sur des questions de principes.

Ces divergences ont eu pour résultat la brisure de l'unité organisationnelle de la GCI, des scissions et exclusions et la formation de divers groupes qui défendaient publiquement des positions politiques diamétralement opposées. Il serait indigne de la part de révolutionnaires honnêtes de vouloir fermer les yeux ou de jeter un voile pudique sur cette réalité.

On peut réussir pendant un temps à tromper soi–même et le prolétariat mais on ne peut construire par cette méthode un véritable parti de classe capable de s'acquitter de sa tâche. Le mensonge de l'homogénéité, basé sur l'écartement de toute question en divergence, ne peut avoir finalement que le même résultat : celui du monolithisme bureaucratique, l'étouffement de toute possibilité de vie idéologique de l'organisation.

Nous ne citerons que les points les plus importants où se sont manifestées des divergences dans la GCI :

  1. La nature de la guerre, exacerbation ou disparition des antagonismes inter–impérialistes.

  2. La théorie révisionniste de l'économie de guerre avec tout son aboutissement des positions opportunistes.

  3. La question de l'antifascisme : la participation à la guerre impérialiste en Espagne, la participation à la guerre mondiale au travers du Comité de Coalition Antifasciste de Bruxelles.

  4. La question de l'Etat russe ; la défense de la théorie de la nature prolétarienne de l'Etat russe ou capitalisme d'Etat en Russie.

Questions subsidiaires

  1. La question des syndicats : les syndicats sont–ils encore des organismes de classe ou des casernes de l'Etat capitaliste ?

  2. La question parlementaire : doit–on participer aux élections ?

  3. Appréciation de 1943 en Italie : absence totale du prolétariat ou manifestation de l'apparition du prolétariat italien ?

  4. Tendance actuelle du capitalisme : négation du caractère économique des nationalisations ou tendance vers un capitalisme d'Etat ?

  5. Analyse de la situation présente et la perspective centrale : sommes–nous dans un cours montant de la lutte de classe ou dans un cours vers la 3ème guerre impérialiste mondiale ?

  6. La notion de l'Etat après la victoire de la révolution : nature prolétarienne, Etat ouvrier ou nature capitaliste–Etat fléau, instrument entre les mains du prolétariat mais qui ne s'identifie pas avec lui.

Mais il ne suffit pas d'énumérer les questions en divergences. Nous devons encore constater et déplorer que, depuis un certain temps, il se manifeste une tendance, dans la GCI, à abandonner toute discussion politique et théorique et à vouloir créer une fiction d'une homogénéité à l'extérieur en escamotant et en esquivant le débat sur les problèmes les plus fondamentaux à l'intérieur.

Le Parti Communiste Internationaliste d'Italie

Le PCI présente cette particularité d'être le reflet d'une situation qui a imposé la formation du Parti mais sans que le Parti reflète suffisamment, par une prise de conscience claire, la situation…

L'exemple le plus frappant de cet état contradictoire est donné par l'énonciation, d'une part, de cette règle principielle juste que la construction du Parti n'est possible que dans une situation montante de reprise, de lutte offensive du prolétariat et l'affirmation, d'autre part, que les événements de 1943 en Italie (moment où fut fondé le Parti) ne signifiaient pas une manifestation de reprise de lutte du prolétariat italien. Ainsi on aboutit à une série de contradictions inextricables.

Ou la règle principielle est valable pour tous les pays sauf l'Italie ou bien la règle reste valable aussi pour l'Italie et c'est le PCI qui devient alors une création artificielle ; ou bien encore la fondation du Parti correspondait à la règle principielle et alors c'est l'analyse des événements de 1943 qui est erronée.

Le plus surprenant c'est que le PCI affirme simultanément les trois choses à la fois et à tour de rôle sans même se douter de la contradiction.

L'insuffisance des travaux de la Conférence n'apparaît pas tellement dans les débats qui ont eu lieu mais surtout dans le fait d'avoir laissé de côté et passé outre les problèmes fondamentaux de l'heure. Le problème du capitalisme d'Etat et les caractères de la phase décadente du capitalisme n'ont même pas été effleurés. Pas plus d'ailleurs que la question de la nature de classe de la société russe.

Mais le plus grave est que la Conférence de Turin a, par-dessus tout, évité de toucher aux questions qui ont déchiré la Fraction italienne en trois groupes : la minorité qui a participé et a préconisé la participation à la guerre impérialiste en Espagne, le groupe Vercesi qui a révisé les notions fondamentales de la Fraction par ses théories de l'«Economie de guerre» et sa participation dans le Comité de Coalition Antifasciste à Bruxelles, et le groupe de Marseille qui seul a maintenu la position communiste de la Fraction durant la guerre.

Il est inconcevable pour tout militant révolutionnaire honnête que ces trois groupes, la minorité exclue en 1937, le groupe Vercesi exclu au début de 1945 et le groupe de M. se retrouvent, fin juillet 1945, dans une même organisation en maintenant chacun sa position mais en évitant, d'un commun accord, de porter le débat publiquement ni de donner d'explication au prolétariat.

Il est plus particulièrement inadmissible que les camarades comme Butta et Tullio qui ont signé "la déclaration politique votée à la Conférence de la Fraction italienne en mai 1944 qui dénonçait le révisionnisme et l'opportunisme du groupe Vercesi, que ces camarades qui ont voté et signé la résolution d'exclusion de Vercesi en janvier 1945 pour son activité "antifasciste" aient pu se retrouver avec Vercesi à la Conférence de Turin sans porter le débat publiquement.

Ces documents politiques – que ces camarades ont voté mais qui, pour des raisons inexplicables (pudeur ou sentimentalité) ont été tenu cachés jusqu'à ce jour – sont publiés dans Internationalisme n° 7. Si aujourd'hui ils renient ces documents, ces camarades sont tenus de donner de donner une explication politique publique de leur nouvelle position. Le silence est inadmissible. Les documents politiques dans le mouvement ouvrier ne sont pas des chiffons de papier de la diplomatie bourgeoise. On ne peut pas sans inconvénient bafouer avec cette désinvolture ses propres positions. Une telle attitude de légèreté ne peut que déconsidérer ces camarades, porter le discrédit sur toute l'organisation et inciter avec raison les ouvriers à la plus grande méfiance à l'égard du Parti quant à sa sincérité et à son sens de responsabilité.

Et qu'on ne vienne pas invoquer la résolution contenant la condamnation de la politique "antifasciste". Cette condamnation vague et générale – incluse en passant dans une résolution traitant de contacts à prendre avec des groupes dans les autres pays –, de par les conditions dans lesquelles elle fut faite, de par l'unanimité sans débat avec laquelle elle fut votée, ne nous rassure nullement.

N'oublions pas que cette résolution fut apportée et présentée à la Conférence par… Vercesi ! On ne peut s'empêcher de penser aux belles résolutions pompeuses votées par la 2ème Internationale contre la guerre au moment même où les chefs se préparaient consciemment à pratiquer les plus infâmes trahisons. On ne peut pas ne pas évoquer la récente Conférence de la SFIO maintenant les articles du programme sur la lutte de classe contre l'Etat capitaliste au moment même où le Parti Socialiste est à la tête de l'Etat.

Ce ne sont pas les affirmations verbales qui comptent. C'est uniquement l'accord qui existe entre le verbe et l'action qui peut nous garantir sur la sincérité de la parole.

Dans le cas concret de Vercesi, il ne s'agit pas seulement de ses théories révisionnistes mais de son activité concrète pendant la guerre. Il faut en finir avec le silence pudique et la déformation de la vérité. Le Comité de Coalition Antifasciste de Bruxelles – dans lequel Vercesi au nom de la Fraction jouait un rôle prépondérant – était comme son nom l'indique une coalition de tous les partis politiques "antifascistes" de la bourgeoisie italienne. Quelle a été l'activité de ce Comité ? Il suffit d'ouvrir l'organe du Comité, l'Italia di Domani, paru en pleine guerre, pour s'en apercevoir. Dans ce journal, où Vercesi était l'éditorialiste "marxiste", s'étale la plus infecte propagande pour la guerre des démocraties contre l'Allemagne fasciste, le souhait que le bloc démocratique saura reconnaître les sacrifices du "peuple" italien participant dans la guerre contre l'Allemagne, pour laisser à l'Italie son "indépendance", sa "grandeur" et ses colonies. Vous trouverez, dans ce journal infâme, la glorification d'un héros "antifasciste" qui a fait sauter tant de trains et occasionné la mort de tant de "boches". Vous trouverez aussi des appels pour s'engager dans l'Armée pour la Libération nationale.

"L'ITALIA DI DOMANI" EST UNE EDITION 1944–45 DU "POPOLO D'ITALIA" DE MUSSOLINI DE 1915. Il poursuit en effet les mêmes buts, la participation à la guerre impérialiste aux côtés des "démocraties". Que la sympathie des gouvernements "démocratiques" alliés lui était acquise, tout le prouve.

La sauce marxiste de Vercesi trouvait sa raison d'être, comme on le comprend bien, pour mieux faire avaler toute cette infâme nourriture aux ouvriers italiens.

Le PCI d'Italie doit se rendre compte de la gravité des faits. Il n'aura d'autorité pour condamner les staliniens et autres qu'après avoir, sans aucune réticence et publiquement, fait le procès politique de l'activité de Vercesi et du Comité de Coalition Antifasciste de Bruxelles. Sinon tout ouvrier paraît en droit de COMPRENDRE LE SILENCE DU PCI COMME UNE SOLIDARISATION AVEC CETTE ACTIVITÉ.

Dans un article, "une déléguée française" à la Conférence de Turin caractérise celle–ci comme le nouveau "Livourne". Livourne c'est le Congrès de fondation du PC d'Italie en 1921. Quoi qu'on ait pu dire de "la rupture à gauche" de Livourne, ce ne fut qu'une traduction atténuée du Congrès de la Halle (unification avec les Indépendants allemands) et du Congrès de Tous (unification avec Frossard, Cachin et tutti quanti). Livourne c'est l'amalgame avec "Ordino Nuovo", les Serrati, les Pombacci et les Grazideï. C'est la corde au cou passée par l'IC à la Gauche abstentionniste de Bordiga. Ce n'est pas Livourne que la Fraction s'est proposée de refaire mais une sélection révolutionnaire plus sévère sur des bases programmatiques ne laissant pas de place à l'opportunisme.

La Conférence de Turin, comme nous venons de le voir, se situe, sur un certain nombre de points, sur une ligne qui n'est même pas celle de Livourne mais celle de Serrati, celle de l'unité de tout le monde.

C'est précisément ce que cette "singulière déléguée" glorifie sous le nom de Livourne que nous critiquons et condamnons dans la Conférence de Turin et dans le PCI d'Italie.

La Fraction en Belgique

Depuis la reprise de son activité, la Fraction belge a accompli un travail extrêmement précieux. Son effort continu dans la publication régulière de L'Internationaliste est une preuve réconfortante de sa vitalité. Mais il est regrettable que nous n'assistions pas à une correspondance dans le travail théorique et dans la netteté de ses positions politiques.

Aucun des problèmes en divergences dans la GCI n'a été abordé ouvertement et directement. Aussi trouvons–nous dans L'Internationaliste des positions contradictoires sur un même problème. Sur l'analyse des événements de 1943 par exemple, la Fraction belge s'est niée au moins trois fois dans l'intervalle de quelques mois. Et cela sans le moindre trouble comme si c'était tout naturel. Dans la question de l'Etat, les contradictions les plus frappantes sont présentées tout naïvement comme des "errata". Dans les autres questions brûlantes comme "la nature de l'Etat russe", les nationalisations, la nature de la guerre, l'économie de guerre, on remarque un manque de précision qui permet au lecteur averti de saisir des appréciations fort différentes et opposées.

Mais ce qui, dans l'activité de la Fraction belge, nous paraît le plus critiquable c'est son attitude envers la crise dans les Fractions italienne et française.

Dans la crise de la GCI, la Fraction belge semblait vouloir occuper la position de la Suisse entre les blocs belligérants, avec un préjugé favorable pour la tendance Vercesi. S'efforçant d'amoindrir les conclusions les plus absurdes et les plus choquantes de la théorie de Vercesi, elle manifestait sa méfiance envers "l'intransigeance «exagérée»" et croyait pouvoir attribuer cela au malentendu et aux mauvaises interprétations. Au lieu de participer activement dans la discussion, prendre carrément et ouvertement position, elle n'a fait que minimiser le débat et garder le silence. Ainsi s'explique cette situation paradoxale où la Fraction belge persiste, malgré notre insistance et celle de la FI avant sa dissolution, à se taire sur le Comité de Coalition Antifasciste, qui pourtant agissait en Belgique, et à réussir à ne souffler mot, ni pour, ni contre.

Dans la crise de la Fraction française la FB, qui déplore le malentendu et la scission survenue en mai, commence par déclarer ne pouvoir se prononcer sur le fond. Mais cette réserve politique ne l'empêche pas de nous traiter, un beau jour dans une lettre aux CR, de dissidents de la GC et cela sans qu'aucune discussion et clarification politique n'aient eu lieu.

On pourrait demander peut–être à la FB quels sont les critères politiques qui lui ont servi pour distinguer entre la Gauche Communiste et la "dissidence" ? Croit–elle que pour être de la GCI il faut faire partie de la Fraction Internationale de Vercesi ? Ne confond–elle pas un peu trop hâtivement l'une avec l'autre ? La fraction belge a proposé au mois de mai une conférence internationale de tous les groupes de la GCI avec un ordre du jour portant sur toutes les questions en divergence et la constitution d'un Bureau International.

La Fraction française, alors encore unie, a accepté cette proposition en soumettant la question d'un Bureau International et sa fonction au résultat des débats. Après la scission, nous avons maintenu net renouvelé notre accord avec la proposition. Mais entre temps c'est la FB, sans explication, qui a renoncé à sa proposition. Peut–on savoir la raison exacte ?

Nous ne pouvons que déplorer cette attitude quelque peu trouble de la FB correspondant d'ailleurs à son attitude politique. Décidément la "neutralité" ne vaut rien en politique. Sans mettre en doute les bonnes intentions de la FB, son attitude n'a pas éliminé les "malentendus" mais n'a fait qu'entretenir l'état dans lequel se trouve la GCI. La FB porte ainsi sa part de responsabilité.

La Fraction en France

Deux groupes existent actuellement en France qui se réclament de la GCI et prétendent chacun représenter la Fraction en France.

Cette situation, à première vue paradoxale, n'est en réalité qu'une manifestation particulière de ce qui est l'état "normal" dans l'ensemble de la GCI. Deux courants fondamentaux se heurtent dans la GCI. En France, ces deux courants apparaissent sous la forme d'organisations séparées, indépendantes et opposées.

Nous répétons ici, une fois de plus, ce que nous avons déclaré maintes fois, que NOUS ETIONS CONTRE LA SCISSION parce que

  1. les divergences qui nous séparaient n'étaient pas exclusives à la Fraction française et, en conséquence, ne pouvaient être résolues sur le plan étroit de la Fraction française mais uniquement sur le plan international de la GCI ;
  2. la solution des divergences ne peut réellement présenter un moment de dépassement qu'après maturation et clarification politiques suffisantes ;
  3. nous répudions le système qui consiste à provoquer des divergences imaginaires sur des points secondaires pour camoufler des divergences réelles et qui substitue à la confrontation politique loyale l'arme empoisonnée des intrigues organisationnelles et les cancans de concierge.

C'est brusquement, après le retour de S de B et avant même qu'elle ait pu rendre compte de son mandat, que se déclenche une campagne faisant feu de tout bois. Cette campagne aboutit avec une rapidité extraordinaire (4 semaines) au départ de trois camarades quittant l'organisation (nous avouons avoir été surpris par ce blitzkrieg).

Pour entretenir la confusion à l'extérieur, ces trois camarades, constitués en organisation, continuaient à s'intituler "Fraction française" et publiaient un journal avec le même titre que celui de la majorité de l'organisation. Ces procédés, qu'il est préférable de s'abstenir de qualifier, sont devenus des faits courants dans le mouvement ouvrier depuis l'avènement du stalinisme. Nous ne pouvons que protester contre de tels procédés et constater que le prolétariat n'a pas encore la force de les extirper et d'imposer un minimum de probité intellectuelle et une morale révolutionnaire. Après des mois, ce groupe fusionne avec des camarades de l'ancienne minorité exclus de la Fraction Italienne en 1937 et des éléments dirigeants de l'ancienne UC (Union Communiste).

Nous n'allons pas faire ici la critique des positions de l'ancienne minorité de la FI. Ce sont de vieux militants incontestablement dévoués à la cause du prolétariat, absolument intègre qui, tôt ou tard, peuvent et doivent trouver leur place dans les rangs de l'organisation révolutionnaire. Mais il n'en reste pas moins que les positions prises par ces camarades lors de la guerre impérialiste en Espagne sont des positions anti–prolétariennes et que, de ce fait, ces camarades ne pourraient reprendre place dans la GCI (qui s'est constituée contre eux) que dans la mesure où ils auraient abandonné leur position en la dépassant critiquement.

Mais il n'en est rien. Dans une déclaration faite dans une réunion publique, un camarade de la minorité pouvait affirmer que l'entrée de la minorité dans un groupe de la Fraction n'impliquait pas de leur part l'abandon de leur position sur la guerre espagnole qu'ils maintenaient intégralement.

Ce qui est le cas pour la minorité s'applique également aux camarades de l'UC, organisation à laquelle la minorité adhérait depuis 1937.

Il est possible, pour des raisons historiques, que la construction de l'organisme de classe ne se fasse pas toujours et partout par le développement régulier de la Fraction. Il est possible que la construction du Parti nécessitera d'emprunter un chemin plus tortueux que celui théoriquement et idéalement entrevu (le chemin de la fraction) et se réalisera au travers d'un regroupement avec des militants d'autres groupes. Mais, dans cette éventualité, la condition fondamentale restera la discussion franche et honnête entre les divers groupes aboutissant à un accord sur une base principielle.

C'est exactement le contraire qui s'est produit à Paris. Au lieu de convier à une discussion politique générale entre les divers groupes, on a intentionnellement écarté les groupes existants, comme les RKD, les CR, les CR dissidents et nous–mêmes, pour se livrer à des tractations avec des individualités dans le plus grand secret. Cette méthode de racolage individuel, employée naguère par Trotsky et combattue par la Fraction Italienne, a l'avantage de substituer l'attachement sentimental à des personnalités à la confrontation politique. Mais aussi, ce n'est pas une organisation qu'on crée mais simplement un amalgame politique.

La nouvelle "Fraction" non seulement a fait place en son sein aux positions de la minorité italienne et de l'UC sur la guerre espagnole mais encore elle a rejeté la "Déclaration de principes" qui fut le document de base à la constitution de la Fraction en France. On peut se demander, après cela, ce qui reste encore de Gauche Communiste, hormis le nom susurré, dans cet amalgame.

La "Déclaration de principes" (document de base de la FF) abandonnée sans explication, les thèses et résolutions de la Conférence constitutive de la FF rejetées sans débats, les statuts de l'organisation oubliées, sur quoi donc, sur quelles bases s'est faite cette singulière unification ? A ce jour, aucune résolution, aucune déclaration politique n'a encore été faite, et pour cause ! ON NE PEUT PARLER DE CE QUI N'EXISTE PAS.

Cependant ce groupe – qui fuit lamentablement toute discussion et confrontation politiques avec les autres groupes – semble jouir d'une certaine faveur auprès de certaines tendances dans la GCI. Ce fait, surprenant à première vue, s'explique cependant quand on constate que ce groupe s'est transformé en une "claque" applaudissant et justifiant tout ce qui se fait, toute politique portant formellement le nom de GCI.

Il serait trop long d'énumérer toutes les contradictions et tournants opérés par ce groupe depuis un an. Mais au travers de tous ces zigzags, une tendance générale se dégage : le retour aux positions révisionnistes de la tendance Vercesi. On a ravalé la résolution votée condamnant le révisionnisme de la théorie de l'Economie de guerre, on a ravalé la condamnation de la participation au Comité Antifasciste et le vote d'exclusion pour ce fait de la tendance Vercesi. Rien ne traduit mieux la désorientation et la crainte de se trahir ou de "déplaire" que l'incapacité absolue où se trouve ce groupe de publier un seul numéro de la revue de discussion théorique.

Quant à nous, nous ne prétendrons pas n'avoir pas commis de fautes ou d'avoir résolu tous les problèmes. Il est possible que nous ayons commis des erreurs. Mais en publiant, en plus du journal, une dizaine de numéros de notre revue Internationalisme, nous avons fait preuve de notre effort d'aborder les problèmes, de chercher à donner une réponse communiste sans nous occuper de plaire ou de déplaire.

Le prestige de tel ou tel individu voulant jouer le rôle de "chef" nous occupe fort peu. Les individus, quels qu'ils soient, ne nous intéressent pas. Ce sont des positions politiques que nous défendons ou combattons et la passion avec laquelle nous le faisons n'a d'autre justification que la conviction profonde de servir la classe et de contribuer à l'armement idéologique de l'avant–garde.

Le Bureau International de la GCI

La Conférence du PCI a à nouveau posé le problème de la reconstitution du BI de la GCI. Rappelons que, durant toute la guerre, nous avons œuvré pour cette reconstitution contre tous ceux qui ne voyaient pas de possibilité d'existence de l'organisation pendant la guerre et faisaient tout pour qu'elle n'existe pas. Ainsi, se trouvait ressuscitée en 1939–45 la vieille théorie de Kautsky de 1914–18 de l'Internationale organisation dans la période de paix et non dans la période de guerre.

L'expérience nous a montré que la reconstruction du BI ne pourra avoir lieu qu'après une Conférence internationale des Fractions, après une discussion approfondie sur les divergences. Nous avons souscrit aux propositions d'une telle conférence faite par la Fraction belge en mai 1945.

Or, en ce moment, nous assistons à des tentatives de précipiter la formation d'un BI en dehors de toute conférence et de toute confrontation politique internationale. On manigance, on se dépense en voyages, en tractations individuelles, en diplomatie secrète. Il paraîtrait que le BI est déjà un fait ou sur le point de le devenir et la lutte se fait autour du nombre de "sièges" réservés à chacun de ces groupes.

Notre Fraction est évidemment tenue à l'écart. Dans tout ceci, nous ne voyons simplement qu'une volonté d'éliminer organisationnellement notre Fraction.

Il existe, camarades, deux méthodes de regroupement : il y a celle qui a servi au 1er Congrès de l'IC qui a invité tous les groupes et partis se réclamant du Communisme pour participer à la confrontation de leur position ; il y a celle de Trotsky qui, en 1931, "réorganisait" l'Opposition internationale et son secrétariat en prenant bien soin d'éliminer, préalablement et sans explication, la Fraction italienne et d'autres groupes qui auparavant en faisaient partie. Les vieux camarades se souviendront d'une lettre de protestation, envoyée par la Fraction italienne à toutes les sections de l'Opposition internationale, stigmatisant cet acte arbitraire et bureaucratique de Trotsky.

Vercesi et ses amis reprennent aujourd'hui la vieille méthode de Trotsky. Même le procédé de la formation d'une deuxième, d'une nouvelle fraction en France n'est pas une trouvaille originale ? C'est la copie du procédé de Trotsky constituant une nouvelle Opposition italienne (KOI) en 1931 pour faire pièce à la fraction "bordiguiste". Même procédé pour cacher une même intention. On n'ose pas exclure politiquement la tendance de Gauche intransigeante de crainte de révéler sa propre couleur opportuniste. On a recours à de savantes "réorganisations" en prenant soin d'éliminer préalablement la tendance de gauche. C'est plus habile et moins gênant.

Camarades, il faut prendre garde. Si un tel procédé, si une telle méthode triomphait dans la GCI, cela ne manquerait pas d'avoir des conséquences graves. Cela signifierait non seulement que l'opportunisme a triomphé dans la GCI mais qu'il étouffe déjà la vie politique à l'intérieur, qu'il est déjà assez fort pour passer à l'exclusion bureaucratique des éléments de gauche.

Nous nous adressons à tous les groupes, à tous les militants qui se réclament de la GCI. Nous élevons notre protestation contre la volonté et l'intrigue de nous éliminer de l'organisation internationale. Aucun critère politique, aucun statut organisationnel ne peut être invoqué pour justifier notre élimination. D'avance nous dénonçons la manœuvre qui consistera demain à nous présenter comme des "dissidents" qui se sont retirés de la GCI par leur propre volonté.

Nous reprenons la proposition de la Fraction belge d'une Conférence internationale de tous les groupes de la GCI avec l'ordre du jour tel qu'il a été accepté. Nous nous proposons en outre d'inviter à assister, à titre consultatif, à cette conférence tous les groupes communistes qui, sans être de la GCI, ont eu toutefois une attitude révolutionnaire internationaliste pendant la guerre et n'ont, à aucun moment, trempé dans des coalitions et idéologiques antifascistes. Ceci peut se rapporter aux spartakistes de Hollande, les CR et RK en France et peut–être d'autres encore.

La situation intérieure de la GCI et du mouvement ouvrier en général nous paraît être très grave. Le devoir de chaque fraction est de prendre nettement position. En formulant ici nos propositions et en les soumettant à tous les groupes de la GCI, nous espérons qu'elles seront examinées attentivement. Nous sommes prêts à examiner et discuter toute proposition ou suggestion opposée.

Dans l'attente d'une rapide réponse, veuillez recevoir, chers camarades, nos salutations révolutionnaires.

LA FRACTION FRANÇAISE DE LA GAUCHE COMMUNISTE INTERNATIONALE
(GCF)
Paris le 15 mars 1946


[Fraction interne du CCI]