Internationalisme (GCF) - N° 5 - Juillet 1945 Retour 

PROJET DE RÉSOLUTION SUR LES PERSPECTIVES ET TACHES DE LA PÉRIODE TRANSITOIRE

Nous publions ci-dessous un document qui était soumis à la discussion dans la Gauche Communiste. Ce document, écrit en fin juillet 1943, abordait les problèmes qui apparaissaient avec l'ouverture d'un cours historique nouveau, le cours de rupture de la guerre impérialiste par l'irruption de mouvements de classe du prolétariat commencée en Italie.

Nous estimons que ce document garde encore aujourd'hui sa valeur essentielle ; en le reproduisant, nous souhaitons susciter une discussion publique entre les groupes et militants révolutionnaires, une discussion la plus large possible sur les problèmes brûlants du moment présent.


Les perspectives d'avenir résultent non seulement d'une étude de la situation présente mais aussi et surtout de la situation du cours historique des vingt dernières années.

PERSPECTIVES

1) Au moment de la déclaration de la guerre 1914-18, la situation s'exprimait par : "La société capitaliste est entrée dans l'ère des guerres et des révolutions."

La société bourgeoise est caractérisée par une production de plus-value. Tant que le capitalisme pouvait, par des débouchés sur des terres non encore colonisées, réaliser la plus-value et solder sa production qu'elle élargissait en accumulant du capital, nous nous trouvions dans la période ascendante de l'économie capitaliste. La viabilité du capitalisme résultait de la possibilité d'une production élargie par accumulation du capital et élargissement de ses débouchés.

Du jour où le capitalisme se trouvait devant un marché inextensible, du fait du partage du monde entre capitalistes et de l'intégration des économies arriérées dans le système de production capitaliste, il entrait dans ce qu'on appelle : la crise permanente du capitalisme.

Les crises cycliques exprimant un décalage entre la production et la consommation, décalage abolit par une extension du marché tant qu'il en existait, dans la crise permanente de l'impérialisme, la crise cyclique perd son importance. L'impérialisme n'est que la forme supérieure du capitalisme, c'est-à-dire l'extension des marchés à réalisation de plus-value. A la veille de 1914, l'impérialisme se trouve dans une impasse. Les marchés à réalisation de plus-value n'existant plus et, par là, le capital social ne pouvant plus augmenter, le capitalisme a dû chercher une solution, dans le cadre de son économie, pour se maintenir : la guerre.

Historiquement, la guerre résulte de cette impossibilité capitaliste à faire progresser sa production. Il est obligé, tout en ne pouvant augmenter son capital social, de détruire dans son propre clan impérialiste un secteur de son économie pour réaliser l'accumulation dans un autre secteur et détruire un impérialisme concurrent. Cette auto-destruction ne peut se faire que par la réduction de la production des moyens de consommation au bénéfice de la production des moyens de destruction. La guerre n'est que ce phénomène d'économie de destruction qui est la forme terminale du capitalisme. Par là, 1914 inaugure l'ère des guerres et des révolutions.

Guerre ou auto-destruction de l'économie et, par là, anéantissement de toute la société ; révolution pour l'instauration de l'économie socialiste comme réponse historique aux contradictions internes d'un capitalisme décadent.

2) La guerre, ne représentant pas que le mode de fonctionnement du capitalisme à son époque décadente et terminale, ne peut être le résultat d'une volonté concertée des capitalistes mais le déroulement historique de la production impliquant l'exacerbation des impérialismes et la disparition de la scène historique du prolétariat. Seule la destruction par le capitalisme de la conscience révolutionnaire de la classe ouvrière permet le déclenchement de la guerre, de sorte que le cours même de la guerre ne peut être arrêté par une solution capitaliste. Une forme supérieure d'économie détruisant le mode de production de plus-value par la socialisation des moyens de production et de consommation peut abolir la guerre.

Arrêter le cours de la guerre, seule la volonté de la classe prolétarienne - historiquement appelée à réaliser une économie socialiste - peut le faire. Faire supposer que le cours de la guerre peut être arrêter avant l'expression de la volonté révolutionnaire du prolétariat, c'est admettre la possibilité d'une nouvelle forme viable du capitalisme, possibilité inexistante par le jeu historique de l'économie bourgeoise. C'est, en définitive, donner dans le panneau de la démagogie démocrate. Le mot d'ordre "transformer la guerre impérialiste en guerre civile" ne fait qu'exprimer un déroulement dialectique de l'histoire.

Le prolétariat, ayant pris conscience de sa mission historique et, par là, tendant à accomplir cette mission, doit abattre le système capitaliste actuel, donc la guerre.

La guerre civile représente la première étape de la lutte du prolétariat contre le capitalisme.

3) Un clan capitaliste domine le monde dans la mesure où il peut réprimer tout mouvement violent de lutte de classe. Dans la deuxième période de l'entre-deux-guerres, l'Allemagne a été déléguée par le capitalisme pour assurer la police en Europe et permettre le jeu de l'économie bourgeoise, c'est-à-dire la guerre.

Après trois années de guerre, l'Allemagne et, par là, l'Europe présentent les premiers signes de faiblesse. Parce que l'Europe - berceau du capitalisme ayant atteint le plus haut degré de centralisation industrielle et de concentration prolétarienne - est le lieu où les contradictions ont leur expression maximum, l'Allemagne - le meilleur agent de répression du capitalisme des dernières décennies - se trouve actuellement usée.

Si l'on considère, après trois années de centralisation économique de l'Europe, l'Allemagne comme le chaînon le plus faible de la chaîne capitaliste dont le talon d'Achille serait l'Italie, on peut dire que les conditions objectives ouvrent l'ère de la révolution.

Les événements italiens prouvent de quelle façon le capitalisme peut se débarrasser d'une forme politique de domination qu'est le fascisme et détruire le mythe de l'antifascisme. La politique anglo-saxonne tend à prévenir les conséquences révolutionnaires du premier essai de brisure du prolétariat d'avec l'idéologie bourgeoise.

Par une politique du prolétariat européen, en attribuant des privilèges économiques à certains secteurs du chaînon par rapport à d'autres secteurs, les anglo-américains et russes vont essayer de briser la solidarité révolutionnaire du prolétariat européen. C'est ainsi qu'il faut comprendre la politique de "libération nationale" dans les pays tels que la France, la Tchécoslovaquie, la Pologne, la Yougoslavie et la Crète.

Par une politique de "liberté syndicale", le capitalisme va essayer de refaire entrer le prolétariat dans une organisation qu'il a désertée ou qui a disparu depuis plusieurs années et qui représentera une soupape de sécurité pour le régime bourgeois. C'est un essai d'encasernement du prolétariat.

Le jeu des luttes économiques n'est qu'une expression de la loi du marchandage propre au système capitaliste. Dans l'époque décadente de l'économie bourgeoise, les organisations syndicales - par leur nature, par leur structure verticale, par leur bureaucratie et par leurs frontières nationales étroites - ne peuvent que paralyser l'action insurrectionnelle du prolétariat.

La campagne de presse, en Italie, pour les libertés syndicales dessine déjà nettement cette manoeuvre démagogique du capitalisme, tendant à ligoter le prolétariat et à restreindre ses objectifs de lutte pour la révolution en une poussière de revendications étroitement économiques.

Il résulte de tout ceci que l'ennemi le plus redoutable pour la classe ouvrière est le bloc impérialiste anglo-américano-russe. Nous allons assister, pendant les mouvements insurrectionnels de liquidation de la guerre, à des reproductions des gouvernements Kérensky et Noske-Scheidemann. Mais la rapidité du processus révolutionnaire pourra faire que la bourgeoisie brûlera assez vite ses atouts démagogiques pour s'opposer, démasquée, au prolétariat en ayant recours directement à la violence.

4) Les révoltes révolutionnaires qui arrêteront le cours de la guerre impérialiste créeront en Europe une situation chaotique des plus dangereux pour la bourgeoisie.

D'un côté des millions de travailleurs verraient leurs usines fermer, des millions de soldats démobilisés, inaptes à rentrer dans l'économie d'autre part, une production diminuée au point de ne pouvoir assurer le minimum vital des individus.

Donc des chômeurs dont chaque revendication prendrait forcément une expression sociale et même d'organisation sociale (exemple : assurer la fabrication et la répartition ne fut-ce que du pain). Des soldats, par bandes armées, traversant les régions en pillant et saccageant tout, comme ceci s'est vu dans l'aventure de D'Annunzio et l'affaire des pays baltes en 1920.

Une Europe où le capitalisme, en tant que système, s'évanouirait sans pour cela être remplacé immédiatement par le socialisme, (aboutirait à) un carnage, une tuerie, une confusion dans les réactions de lutte du côté capitaliste comme du côté ouvrier.

Dans cette Europe en pleine anarchie sanglante, les luttes pour les revendications économiques sur le lieu de travail perdent de leur acuité et de leur signification.

Chômeurs et soldats vont chercher, par la politique du fait accompli et en débordant le cadre bourgeois, à se procurer leurs moyens d'existence. Donc, seule l'énonciation des problèmes politiques, et non des revendications économiques, peut briser tout confusionnisme du côté ouvrier et exprimer la lutte en la coordonnant aux divers secteurs révolutionnaires. Le capitalisme, présentant des formes assez redoutables en Amérique et en Russie, va tendre à perpétuer ce chaos saignant jusqu'à être assez fort pour réinclure l'Europe dans le système bourgeois, c'est-à-dire dans la guerre.

Si, en Amérique, les luttes revendicatives économiques peuvent présenter des possibilités révolutionnaires du fait d'une production maintenue et, en dehors de la guerre civile, en Europe ces luttes revendicatives ne vont servir que la bourgeoisie et diviser le prolétariat.

La transformation politique de ces revendications permettra à la classe ouvrière de résister efficacement à la répression capitaliste.

STRATÉGIE ET TACTIQUE DE L'ÉPOQUE TRANSITOIRE

Contrairement à la politique du parti bolchevik russe s'attachant à la formation du parti dans un seul pays et recherchant, dans les autres pays, des "planches pourries" leur permettant d'accéder au prolétariat, les fractions internationales devront assumer la tâche de réaliser le regroupement politique en parti révolutionnaire en Allemagne et dans les autres secteurs du monde. De plus, l'Internationale ne résultera pas de la victoire révolutionnaire du secteur italien ; mais la révolution vaincra en Italie du fait des liaisons internationales permettant la généralisation du mouvement dans les autres secteurs de l'Europe d'abord, du monde ensuite.

La tactique générale sera d'oeuvrer pour la formation d'un embryon d'Internationale pour ce qui est de son organisation, vu les conditions de répression du capitalisme. Idéologiquement, cet embryon d'Internationale présentera un programme net, intransigeant, exprimant la volonté du prolétariat mondial à s'organiser en vue de la lutte pour la révolution.

Cette Internationale poussera à fond le développement où l'éclosion des partis révolutionnaires dans les pays possédant ou ne possédant pas des noyaux révolutionnaires.

Nous serons amenés à combattre idéologiquement, et les armes à la main, tout gouvernement, quelle que soit sa couleur apparente : gaulliste, social-patriote ou stalinienne.

Aucun compromis à admettre au cours de la lutte, donc pas de tactique opportuniste, entre autres pas de front unique, quels que soient ses objectifs limités.

Dénoncer et combattre les organismes et corpuscules rejetés au dehors des frontières de classe par les conditions objectives et tendant à se regrouper et à créer le bloc centriste, au cours de la période transitoire de la révolution.

Dénoncer d'une façon absolue toute auto-détermination des peuples. L'auto-détermination ne fait que livrer un prolétariat jeune et affaibli aux coups du capitalisme. Cette condamnation doit s'énoncer surtout en Grèce et dans les Balkans.

Combattre tout confusionnisme tendant à naître au travers de la guerre civile.

Les mots d'ordre devront être directs et ne pas emprunter de soi-disant étapes intermédiaires, c'est ce qui nous différenciera, dans la lutte, des organisations traîtres et démagogiques.

En Europe on peut miser uniquement sur les revendications économiques qui ne peuvent trouver d'écho que dans une minorité infime de la classe ouvrière. Nous devrons soutenir, comme ayant de plus grandes possibilités progressives vers la révolution, tout mouvement à caractère général et social et lutter pour le dégager d'une idéologie démocratico-bourgeoise. Le prolétariat - du fait de la guerre civile, pour n'importe lequel de ces problèmes - se posera, dès le début de la lutte, sur le terrain des transformations sociales ; et le rôle du parti est de politiser la solution sociale de ces problèmes.

En conséquence, le parti devra oeuvrer pour le développement des nouvelles formes unitaires organisationnelles de la classe ouvrière exprimant un nouveau contenu dans une situation nouvelle. Les syndicats ne pourront servir que dans une période post-révolutionnaire comme organe exprimant les revendications face à l'Etat ouvrier.

De par leur échafaudage en professions, de par la lenteur de leur décision, les syndicats, en période révolutionnaire, détermineront un ralentissement de la riposte ouvrière à la répression capitaliste dans les secteurs locaux de l'insurrection, secteurs qui acquerront une importance du fait de la guerre civile, c'est-à-dire de la désorganisation de la production centralisée.

De plus, par l'inexistence des syndicats due à des années de répression en Europe, le parti devra combattre la manoeuvre démagogique tendant à museler la conscience révolutionnaire en le faisant réintégrer dans les syndicats, organismes réfléchissant un contenu de rapports économiques capitalistes.

Le mot-d'ordre central sera les "soviets" sur la base des conseils d'usines, des conseils de soldats, des conseils de chômeurs et des conseils d'ouvriers agricoles.

Les comités de chômeurs lutteront pour la réouverture des usines fermées.

Le prolétariat industriel luttera seul dans son secteur, sans collaborer avec le restant des classes moyennes déchues et qui conservent leur idéologie.

Le prolétariat agricole devra s'assurer la neutralité bienveillante de la petite paysannerie à production familiale et luttera contre la grosse masse de la moyenne et grosse paysannerie (fermage et métayage).

Revendications actives du pouvoir à la classe ouvrière par l'intermédiaire du parti révolutionnaire pour ce qui est de la direction (politique, sociale, économique) et des soviets pour ce qui est de l'organisation et du contrôle.

Accaparement immédiat, par l'intermédiaire du Soviet, de tout stock et réserve d'intérêt vital.

Armement général du prolétariat.

Désarmement total de la bourgeoisie.

Formation de milices de choc ouvrières et encadrement de tout le prolétariat en milices.

De par la guerre civile européenne, la lutte du prolétariat doit rejeter la notion de frontières nationales européennes. La victoire du prolétariat ne sera pas le résultat d'un rapport de force militaire mais le développement généralisé de la conscience révolutionnaire sous la direction du parti.

Seule cette conscience révolutionnaire généralisée dans le prolétariat pourra créer la technique capable d'assurer militairement la victoire.

L'armement technique du prolétariat ne peut résulter qu'après la brisure d'avec tous les éléments bourgeois et idéologiquement non-révolutionnaires.

Détruire et rejeter toute armée permanente ne pouvant exprimer qu'un mode de répression capitaliste.

Pousser à fond la solidarité politique, économique et militaire entre tous les secteurs révolutionnaires.

Dès la prise du pouvoir, interdire les manifestations et le fonctionnement de tous les partis traîtres à la classe ouvrière.

Les partis - qui, de nos jours, représentent une arme démagogique du capitalisme - continueront demain leur besogne de laquais de la bourgeoisie.

Oeuvrer pour la libre expression, au sein des soviets, des syndicats et des courants ayant lutté pour la révolution.

Liberté fractionnelle permettant au parti, par le jeu des discussions, de relever la conscience des secteurs prolétariens retardataires.

Condamnation de toute violence contre le prolétariat par l'Etat ouvrier.

Terreur ouvrière contre l'ennemi de classe avec le maximum de rigueur.

M.


[Fraction interne du CCI]