Internationalisme (GCF) - N° 3 - Mai 1945 | Retour |
Nous publions ci-dessous un document qui date d’un an et demi. Ecrit et présenté par le groupe de M. un an avant la conférence constitutive de la Fraction Française de la Gauche Communiste, ce document présente aujourd’hui encore tout son intérêt. Il indique d’une façon nette l’esprit avec lequel notre organisation entend aborder le grave problème du regroupement des forces révolutionnaires en France, en se gardant d’un sectarisme stérile autant que d’unification et de blocs sans principes propres aux opportunistes, que des méthodes de noyautage et de grignotage. C’est par la discussion politique, par la confrontation critique constante des positions principielles que les groupes et militants révolutionnaires parviendront à faire œuvre utile et féconde, en dégageant les bases programmatiques pour la fondation du futur parti. |
La découverte de votre existence en tant qu’organisation a été, pour nous, la source d’un réel réconfort. Réconfort, parce que se vérifie, dans les faits, enfin l’hypothèse que nous avons émise, il y a longtemps déjà, selon laquelle, au fur et à mesure que, d’une part, mûrirait la situation et que, d’autre part, deviendrait plus apparent et plus néfaste le désarroi, la confusion et la trahison des organisations qui prétendent former l’avant-garde, se dégageraient de leur sein des forces et des militants qui considèreraient que la première condition pour réaliser la rupture avec la bourgeoisie, c’est d’abord de briser avec les formations qui, consciemment ou non, sont à son service.
Quelles que soient les conclusions à propos de l’analyse de la situation et des tâches qui selon vous en découlent, vous serez certainement d’accord avec nous pour dire que nous nous trouvons maintenant à la veille d’événements qui pourront être gros de conséquences et au cours desquels sera mis en jeu le sort de la révolution pour les plus proches années. Nous assistons à une maturation de plus en plus rapide des facteurs objectifs et, en même temps, nous devons enregistrer le retard des facteurs subjectifs, la prise de conscience par les prolétaires des divers pays, de leur mission historique, et l’extrême faiblesse, le manque de cohésion et de préparation de l’avant-garde révolutionnaire sans laquelle les mouvements de demain seront noyés dans le sang et arrachés du terrain de classe, comme ils le furent en Espagne en 1936 et, plus près de nous, en Italie il y a quelques mois.
La tâche essentielle, urgente, est donc l’édification, dans les principaux pays, de l’organisation révolutionnaire, embryon du nouveau parti, et la liaison à l’échelle internationale.
Cette édification, nous sommes convaincus qu’elle devra passer – pour obtenir un résultat certain et durable – par le stade des fractions communistes de gauche, c’est pourquoi nous nous sommes quant à nous appuyés sur l’armature principielle dégagée par la Fraction Italienne de la Gauche Communiste au cours des 20 dernières années d’élaboration critique, d’étude et de lutte contre l’opportunisme. Nous ne sommes pas de ceux qui recherchent une formule d’organisation plus ou moins originale, plus ou moins démocratique, dont la stricte application mettrait ses inventeurs à l’abri de la dégénérescence et leur assurerait une vie longue et féconde. La fraction n’est pas pour nous un système de structure organisationnelle mais elle est le seul lien où peut subsister la conscience ouvrière au moment où la chute du parti dans l’opportunisme et son passage du côté de la contre-révolution marquent la disparition du prolétariat, en tant que classe, de l’arène politique. C’est alors dans la fraction exclusivement que peuvent être tirées les leçons d’une expérience ayant abouti à la défaite, leçons qui constitueront les matériaux nécessaires pour une nouvelle mise au point des principes, pour continuer la refonte permanente du programme et de la tactique révolutionnaires. C’est enfin la fraction qui donnera naissance au parti lorsque seront réalisées les conditions nécessaires :
1°- le programme et la tactique s’appliquant à la nouvelle situation,
2°- l’ébranlement des rapports des classes, marquant le passage du prolétariat de l’état de catégorie économique à celui de classe consciente.
Nous avons pu prendre connaissance de quelques numéros de votre organe et regrettons de ne pas posséder des documents théoriques de vous qui nous permettraient de nous rendre mieux compte de vos positions de principes sur les problèmes primordiaux. Néanmoins, votre journal marque une nette volonté de rupture avec la guerre impérialiste, le capitalisme sous toutes ses formes – ses formes démocratique, soviétique aussi bien que fasciste – et tous les soutiens de la bourgeoisie : débris social-impérialistes de la 2ème Internationale, social-chauvins du stalinisme, du côté de la 4ème Internationale mort-née, opportunismes et courant anglophile, centristes rétrogrades partisans de la défense de l’URSS, confusionnistes de la gauche « orthodoxe », sans parler du Bureau de Londres, nouvelle opposition de Sa Majesté britannique, et des derniers vestiges de l’anarchisme qui accommode très bien leur conception anti-étatique avec le soutien des Etats impérialistes les plus rapaces.
Votre indépendance vis-à-vis de toutes ces formes de la contre-révolution nous engage à vous proposer une prise de contact en vue d’établir une liaison suivie entre nos deux organisations dans les buts :
1° de prendre connaissance des positions programmatiques respectives, de déceler et discuter les divergences qui nous séparent ou peuvent nous séparer, plus particulièrement sur les problèmes suivants :
organisation politique de la classe ouvrière (parti, fraction, internationale),
question de l’Etat,
front unique,
URSS,
question nationale,
la guerre impérialiste ;
2° d’examiner la situation actuelle, les perspectives et l’édification du parti de classe de demain ;
3° de préparer, avec les fractions italienne et belge de la Gauche Communiste et les RKD, la réunion d’une Conférence de liaison internationale.
Recevez, camarades, nos salutations communistes.
N.F. (groupe M.)
janvier 1944
[Fraction interne du CCI]