Internationalisme (GCF) - N° 1 - Janvier 1945 Retour 

RESOLUTION SUR LES TACHES POLITIQUES

1- Parti ou fraction

La situation de la France se caractérise par une double contradiction : tout d'abord une aggravation de la crise économique issue de la brisure de l'économie de guerre française d'avec l'économie allemande et qui se relie à l'impossibilité pour la bourgeoisie de reconstruire une économie de paix une fois la production de guerre interrompue, qui a contrasté avec le maintien du cours politique de guerre impérialiste, c'est-à-dire avec l'absence du prolétariat sur l'arène politique.

Cette contradiction a conduit à une réintégration du capitalisme français dans la guerre permettant une reprise partielle de l'industrie mais qui, à son tour, ne va servir qu'à exacerber le contraste de classe qui éclatera demain dans l'opposition directe du prolétariat à la guerre impérialiste.

Cela signifie que, malgré la gravité de la situation économique, la bourgeoisie française est parvenue à instaurer une dictature militaire qui interdit toute expression révolutionnaire légale et à poursuivre, groupée derrière son gouvernement, une politique impérialiste sans rencontrer une opposition nette dans le prolétariat par la reprise de la lutte des classes.

Nous ne nous trouvons donc pas actuellement en France devant une situation révolutionnaire.

En conclusion, les tâches politiques qui se présentent à nous ne peuvent pas être centrées autour de la formation du parti de classe, de la mobilisation et de la direction des grandes masses prolétariennes sur des directives révolutionnaires, mais autour d'un travail de fraction, d'élaboration programmatique et politique du parti de demain et de la formation de ses cadres.

2- Le travail de la fraction

Ces tâches de la fraction de la Gauche Communiste en France doivent s'effectuer par la double voie du travail théorique interne, de la lutte idéologique et de la propagande générale de l'idéologie marxiste d'une part, de l'élaboration d'une politique communiste spécifique répondant à cette lutte d'autre part.

a) Nos tâches théoriques : le travail fractionnel reste notre première tâche, non pas dans un sens chronologique mais dans le sens qu'il représente la condition nécessaire à l'établissement d'une politique communiste, à la polarisation des forces révolutionnaires dont la naissance doit nécessairement accompagner l'évolution objective vers la reprise de la lutte aiguë des classes, en un mot la formation d'un véritable parti communiste en France.

Ce travail ne doit pas porter seulement sur les problèmes que nous avons besoin de résoudre aujourd'hui pour établir notre tactique mais sur les problèmes qui se poseront demain à la dictature du prolétariat.

En synthèse, notre tâche de fraction est :

  1. de dégager l'armature principielle d'ensemble qui nous guidera dans l'établissement de la tactique au cours de la lutte des classes jusqu'à la prise du pouvoir. C'est-à-dire qu'il faut raffermir ou développer, selon les cas, les positions de principe de la Gauche Communiste Internationale concernant les rapports de l'avant-garde révolutionnaire avec les organismes unitaires de la classe ouvrière et son attitude devant les organes de défense surgissant de sa lutte ; sur les rapports de l'avant-garde révolutionnaire avec les organisations politiques se réclamant du prolétariat ; enfin la position du prolétariat vis-à-vis des autres couches exploitées et de la lutte d'émancipation nationale dans les colonies et les pays opprimés.

  2. De rétablir et développer les notions principielles du marxisme sur la dictature du prolétariat et sur le socialisme, en précisant les normes économiques et sociales de la période transitoire, en dégageant les rapports entre le parti, l'Etat et les organismes de la classe ouvrière, entre l'Internationale et l'Etat après la prise du pouvoir.

Il ne s'agit ni de prétendre "résoudre tout à l'avance" ni de vouloir substituer le travail du cerveau à l'expérience mais d'utiliser les matériaux fournis par l'histoire de la révolution russe et de sa dégénérescence ainsi que des luttes ouvrières dans la période de l'entre deux guerres impérialistes qui ont été laissés inexploités par la trahison de ceux qui prétendaient constituer le nouveau mouvement communiste.

Ce travail représente la seule possibilité de transformer ces événements historiques en expérience du prolétariat. Il nous incombe la tâche de cristalliser le processus d'édification du prolétariat en classe en lui rendant ses propres expériences révolutionnaires, soit la responsabilité de le laisser retomber dans de nouvelles défaites en ne tirant pas les leçons de ses luttes.

b) La lutte idéologique : le travail théorique, étant donné la nature antagoniste de la société capitaliste et les formes variées de l'influence bourgeoise au sein du prolétariat, est lié indissolublement à la lutte idéologique et politique contre les partis qui trahissent la classe ouvrière et les tendances qui jettent la confusion en son sein.

Actuellement cette lutte doit être dirigée principalement sur trois points :

  1. contre l'idéologie de guerre impérialiste,

  2. contre le néo-réformisme du capitalisme d'Etat,

  3. contre la confusion dans la question du regroupement de la nouvelle avant-garde révolutionnaire.

L'idéologie de guerre impérialiste et le néo-réformisme s'infiltrant surtout dans le prolétariat par le canal de la défense de l'URSS et de l'illusion de l'Etat russe considéré comme Etat prolétarien, cette lutte doit s'attacher à souligner le rôle contre-révolutionnaire joué par la Russie à mesure qu'il se dégage des événements.

En ce qui concerne le troisième point, notre attitude vis-à-vis des organisations néo-trotskistes doit marquer sans équivoque notre délimitation principielle sur la notion du travail de fraction.

c) La propagande générale : la propagande générale du programme maximum et de l'idéologie marxiste est une tâche qui répond au problème de la formation des cadres révolutionnaires et non de la mobilisation des masses prolétariennes pour la lutte contre le capitalisme.

Elle ne peut remplacer l'œuvre du parti "participant à tous les conflits, profitant de ces conflits pour apprendre au prolétariat à lutter et pour le conduire vers la révolution", ni se substituer à la maturation de la situation objective qui fait surgir ces conflits.

On ne doit donc en aucun cas sacrifier son expression intégrale aux illusions d'un large travail dans les masses. Dans la situation actuelle, cela signifie qu'elle ne peut se faire qu'au travers d'organes illégaux. La légalité ne peut être demandée à la bourgeoisie par la minorité révolutionnaire et c'est en s'appuyant sur le prolétariat que cette minorité peut conquérir son droit de libre expression.

De la même manière l'extension de cette propagande dépend du développement de la lutte prolétarienne et de notre capacité à nous relier à cette lutte.

Elle doit être faite, dans chaque situation, le plus largement possible en tenant compte de son rôle propre et des possibilités de l'organisation.

d) Le travail politique : mais c'est essentiellement dans la participation aux mouvements ouvriers et dans l'établissement d'une politique communiste par rapport à ces mouvements que la Fraction trouve le chemin pour relier son programme à la lutte des classes et les bases de son développement et de son renforcement en tant qu'organisation.

C'est au travers de cette tâche qu'elle réalise pleinement son rôle d'avant-garde révolutionnaire.

La situation économique et politique actuelle de la France ouvre la perspective, à brève échéance, de mouvements prolétariens. Entraînant comme conséquence les bas salaires, la persistance et même l'aggravation des restrictions alimentaires, des moyens de chauffage, des transports ainsi que du chômage – même partiel – et aussi l'obligation pour les jeunes travailleurs de se faire tuer sur le front impérialiste, elle met dès aujourd'hui en évidence les bases d'où ils surgiront.

Le marasme économique provient à la fois de la destruction des moyens de production – appareil productif et capital – et de l'inexistence d'un marché intérieur capable d'animer une véritable reprise économique.

La reprise de la guerre est donc liée, pour la bourgeoisie française, à la reconquête de ses positions internationales du point de vue économiques, en particulier de son empire colonial.

C'est là l'objectif qu'elle tente et tentera d'opposer aux revendications du prolétariat.

En ligne générale donc, notre lutte doit tendre à préparer le prolétariat, au travers de ses luttes, à opposer sa solution révolutionnaire à la solution capitaliste de la crise.

Ainsi, à tous les stades de la lutte, la Fraction doit poser clairement comme la perspective centrale des communistes : la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile.

La situation semble avoir dépassé, en France, le stade des manifestations anti-prolétariennes, du genre des insurrections de "libération". Précisons que, dans ce cas, la Fraction doit opposer sa position de principe à la guerre impérialiste, dénoncer le caractère impérialiste des mouvements, quelles que soient les couches d'ouvriers qui y participent, et appeler les ouvriers à les abandonner en leur démontrant que ces manifestations - loin de présenter un danger pour la bourgeoisie, d'être un stade nécessaire de la lutte révolutionnaire - ne sont qu'une confirmation de l'emprise de la bourgeoisie sur le prolétariat. De tels mouvements – qui ne représentent pas une rupture du cous de la guerre, qui ne sont pas des mouvements de classe du prolétariat et présentent une nature essentiellement différente de ceux qui demain inaugureront le cours de la Révolution – n'offrent aucune base pour développer une intervention de l'organisation politique de la classe ouvrière (Fraction ou Parti) car ils ne surgissent pas du contraste capital-travail, quelles que soient les causes qui déterminent la participation subjective des ouvriers.

Par contre, l'éventualité de l'intervention de regroupements à nature de classe (syndicats) sur la base du mécontentement du prolétariat contre la situation économique, dans des manifestations à origine nationaliste (Belgique, Grèce) peut se présenter à nouveau en France sous d'autres formes. Dans ce cas, la Fraction ne doit pas s'opposer aux grèves mais prendre nettement position contre l'orientation donnée à celles-ci.

Elle doit s'efforcer de détacher les ouvriers des deux positions bourgeoises en présence en établissant une démarcation nette entre les revendications prolétariennes posées et les revendications bourgeoises. Elle doit appeler les ouvriers à l'indépendance d'action en posant leurs revendications spécifiques comme seul objectif à la lutte.

Dans la perspective d'une série de mouvements prolétariens surgissant directement de la crise économique et contre le chômage et les bas salaires, la tâche de la Fraction est d'intervenir pour mettre en évidence la signification de classe de ces mouvements et les unifier sur le but immédiat et contingent de la lutte contre la guerre impérialiste.

Elle devra toujours opposer le principe de la lutte de classes à la politique réformiste et de collaboration avec le capitalisme et l'appliquer dans sa politique sur chaque question contingente (comités de gestion, nationalisations, …).

La Fraction réalisera ces tâches au travers du travail syndical et de la propagande proprement politique.

En conclusion, ce travail d'extériorisation des positions politiques doit strictement correspondre au rôle spécifique de la Fraction qui est celui de former les cadres du parti de classe de demain et non de conquérir les masses.

Le travail de masses ou "le large travail dans les masses" correspond à un stade ultérieur du développement de la situation, marqué par une série de prise de position par le prolétariat qui posent déjà les conditions politiques pour la transformation de la fraction en parti.

e) Travail international : sur le terrain international, notre tâche devra consister à conserver et consolider les liaisons internationales et, au besoin, aider au regroupement politique des militants isolés dans l'émigration.


[Fraction interne du CCI]