Internationalisme (GCF) - N° 1 - Janvier 1945 | Retour |
1. Nature et fonction du syndicat
Les syndicats, première forme d'organisation de la classe ouvrière, surgissent dans la période ascendante du capitalisme pour lutter pour la hausse des salaires et l'amélioration des conditions de vie des ouvriers.
Pendant la période d'industrialisation croissante et de développement du système capitaliste, la hausse des salaires était possible en fonction de l'augmentation de la plus-value globale : malgré la tendance de la bourgeoisie à diminuer le capital variable pour réaliser des sur-profits et compenser les pertes subies pendant les crises périodiques, la lutte des syndicats se développe donc sur un terrain favorable.
A partir de l'époque où la croissance du capital social global atteint un plafond limité par l'inexistence de nouveaux marchés, les conditions objectives deviennent de moins en moins favorables au développement victorieux de la lutte des syndicats sur le terrain purement économique. La bourgeoisie ne peut plus tolérer une hausse des salaires. Le système économique capitaliste étant entré dans la période de la décomposition, la classe dominante essaie au contraire de rattraper ses pertes sur le dos des salariés et elle intensifie l'oppression économique du prolétariat.
Mais aussi bien dans la période ascendante que dans celle que nous vivons actuellement, la lutte du prolétariat pour la satisfaction de ses besoins vitaux se concrétise et se développe au travers de ces organisations syndicales. La crise permanente du régime capitaliste se traduisant par une augmentation de la misère des masses, la lutte pour des conditions de vie humaines et supportables est l'objectif immédiat qui se présente d'abord aux masses travailleuses.
Les organisations syndicales surgies du contrastes capital-travail sont la seule forme au travers laquelle s'est concrétisée historiquement la nécessité d'un regroupement des grandes masses pour l'engagement et la poursuite de ces combats.
Elles offrent la possibilité à la classe ouvrière de se constituer en un corps organique au travers d'un vaste réseau d'organismes de lutte qui s'oppose au réseau économique et répressif du système capitaliste.
Elles offrent ainsi la possibilité à l'avant-garde révolutionnaire d'influencer les plus larges couches d'ouvriers industriels et agricoles jusqu'à transformer, dans une situation révolutionnaire, ces organismes syndicaux en une véritable école révolutionnaire de masses et en un instrument non seulement de lutte sur le terrain économique mais de destruction du système économique capitaliste.
C'est seulement par l'intervention du parti et l'existence d'une organisation communiste internationale qu'au travers de la maturation des situations la lutte du prolétariat sur le terrain des revendications économiques peut se hausser au niveau d'une lutte politique organisée et généralisée menant à la destruction du pouvoir bourgeois.
C'est pourquoi les communistes combattent les théories "syndicalistes" qui prétendent que l'action des organisations syndicales suffit pour aboutir à l'écroulement du système capitaliste et à l'édification d'une nouvelle organisation sociale.
L'expérience historique a démontré que si la lutte revendicative économique des ouvriers offre la meilleure base pour l'organisation des plus larges masses, elle ne peut par elle-même abattre le pouvoir de la classe capitaliste. Au contraire, la lutte économique ne dépassant pas les cadres de l'Etat bourgeois, cet Etat peut à un certain moment détruire toutes les conquêtes économiques du prolétariat et briser pour une longue période les possibilités de reprise des mouvements et la capacité combative de ce prolétariat en détruisant ses organismes unitaires.
Mais par contre nous devons aussi combattre les tendances qui, partant du fait de l'existence d'une bureaucratie syndicale extrêmement forte, formant une couche réactionnaire avec des intérêts homogènes opposés aux intérêts de classe du prolétariat et à la révolution prolétarienne, affirment que les organisations syndicales sont dépassées en tant qu'instruments de lutte anti-capitalistes. Du fait que l'appareil bureaucratique dans les syndicats a souvent réussi à freiner les mouvements revendicatifs de la classe ouvrière, que d'autre part, dans des périodes de dégénérescence idéologique du mouvement ouvrier et de cours vers la guerre, les syndicats ont pu être utilisés comme auxiliaires de la démagogie bourgeoise dans le prolétariat, ils concluent à la faillite des organisations syndicales en tant qu'organismes unitaires permettant le développement de la lutte prolétarienne. Par là même ils concluent soit à une politique d'abandon des syndicats par les ouvriers et l'avant-garde et à la nécessité de nouvelles formes d'organisation unitaire, soit à la non-nécessité de ces formes, l'action du parti communiste devant suffire pour entraîner les masses ouvrières au combat.
Mais l'expérience de l'entre deux guerres nous a montré l'erroné de ces conceptions. La formation d'une couche de bureaucrates syndicaux serviteurs des intérêts bourgeois est une phénomène découlant des conditions historiques mêmes. La constitution de puissantes organisations syndicales entraîne inévitablement la formation d'un appareil de fonctionnaires. Mais le passage en bloc de ces fonctionnaires dans le camp de la bourgeoisie, tout en conservant la direction des syndicats, ne peut être expliqué que par l'absence ou la faiblesse de l'influence de l'avant-garde révolutionnaire sur la classe ouvrière, soit en fonction d'une situation objective défavorable soit en fonction d'erreurs politiques.
Le freinage des mouvements spontanés du prolétariat par les directions bureaucratiques est la conséquence de la non-transformation de ces mouvements spontanés de revendications économiques en mouvements politiques embrassant l'ensemble des masses travailleuses. La décroissance de la vague révolutionnaires d'après 1914-18 – dont nous avons trop souvent analysé les cause pour répéter ici cette analyse -, les erreurs des partis communistes et leur dégénérescence ensuite peuvent seuls expliquer ces freinages et cette puissance bureaucratique. De la même manière que la disparition politique du prolétariat dans le cours vers la guerre après 1933 et dans la guerre elle-même explique la possibilité offerte à la bourgeoisie d'utiliser l'appareil syndical pour des buts capitalistes. Ce ne sont pas les facteurs de réaction dans les organismes syndicaux qui ont déterminé en dernier lieu les échecs du prolétariat mais ces échecs qui ont permis l'existence et le renforcement de ces facteurs.
D'autre part la naissance de nouvelles formes organisationnelles unitaires du prolétariat n'est pas un phénomène découlant de la volonté de l'avant-garde et ne peut être créée d'une manière artificielle à côté des syndicats déjà existants.
Le rôle et la formation des Soviets en Russie – comme forme d'organisation nouvelle de la classe prolétarienne – découle de la situation particulière de la société capitaliste russe : développement très rapide créant les conditions pour l'existence des syndicats et répression politique entraînant l'illégalité presque permanente et empêchant ceux-ci de s'étendre, d'établir des liaisons sur le plan national et de se fortifier. C'est dans ces conditions que les "Conseils de délégués ouvriers" naissent comme forme de lutte. Ils interviennent en 1905. En 1917, la rapidité de l'évolution de la situation amène le prolétariat à les utiliser comme arme politique et économique à la fois – les deux phases de la lutte s'entremêlant mais le caractère politique passant rapidement au premier plan. Ce qui permit au parti bolchevik de leur donner de plus en plus un caractère politique de classe se concrétisant dans le mot d'ordre de "Tout le pouvoir aux Soviets".
Nous ne devons donc pas, en répétant les erreurs de l'IC, généraliser et schématiser la formule des Soviets sur modèle russe, et encore moins vouloir les substituer de par la volonté de l'avant-garde aux organisations syndicales déjà existantes. L'expérience des Soviets – ainsi que celle des Conseils en Allemagne et en Italie – nous montre surtout la nécessité pour le prolétariat de pouvoir disposer dès le début de la période insurrectionnelle d'un instrument plus souple et plus direct que le syndicat sous sa forme traditionnelle, permettant en même temps le regroupement de toutes couches prolétariennes jusqu'aux plus arriérées avec les alliés du prolétariat, les paysans pauvres et les ouvriers agricoles, en un seul front d'action et l'engagement de ces forces sur le plan insurrectionnel.
La naissance de ces Conseils, leur forme structurelle concrète, leur rôle précis dans le déroulement du cours révolutionnaire ne peuvent être fixés d'avance vu l'impossibilité de déterminer les conjonctures futures dans chaque pays. Tout ce que nous pouvons affirmer dès aujourd'hui c'est qu'ils ne naîtront qu'à un stade avancé du processus révolutionnaire, qu'ils ne peuvent se substituer aux syndicats dans les luttes revendicatives économiques et qu'au contraire leur action devra être étroitement liée à celle des organisations syndicales. Leur rôle sera essentiellement politique et par là ils deviendront forcément les organes du pouvoir prolétarien face au pouvoir de l'Etat capitaliste.
Cette conception sur le rôle des syndicats et des conseils est en opposition avec celle du parti révolutionnaire seul face aux masses prolétariennes inorganisées. Le processus révolutionnaire n'étant pas le déroulement d'une lutte entre une minorité révolutionnaire et une autre minorité bourgeoise mais le combat de deux classes antagonistes, le prolétariat (entraînant à sa suite les autres couches exploitées de la société) contre la bourgeoisie, l'organisation de la classe ouvrière apparaît lentement et progressivement comme un résultat de cette lutte même. Elle est une nécessité historique ne dépendant pas de la volonté d'une minorité mais des conditions du développement capitaliste. L'existence de ce réseau d'organisation est une condition indispensable pour que l'avant-garde puisse influencer et diriger le cours de la lutte, l'orientant vers la prise du pouvoir.
2. Le parti communiste et les syndicats
Certes, le parti révolutionnaire ne trouve pas tout prêts les instruments de cette lutte. Son rôle et sa tâche sont précisément d'aider le prolétariat à les forger.
Il faut qu'il travaille dans le sein de toutes organisations syndicales existantes pour le regroupement et la fusion de ces organisations sur le plan national. Pour la disparition de l'esprit étroitement professionnel, alimenté par la bureaucratie qui s'en sert pour diviser le prolétariat, et pour l'organisation par industrie, c'est-à-dire un seul syndicat pour tous les ouvriers de la même entreprise.
Les fractions syndicales du parti doivent tendre à créer les liens de solidarité les plus étroits entre tous les syndicats professionnels, à l'unification de toutes les revendications partielles en revendications embrassant tous les ouvriers de la même branche d'industrie et à l'élargissement des mouvements des mouvements par la présentation simultanée de revendications dans plusieurs branches d'industrie.
Dans ce rôle de regroupement et d'organisation de la classe ouvrière, l'avant-garde révolutionnaire doit s'occuper spécialement du problème du chômage industriel et agricole.
La formation d'une imposante couche de travailleurs ayant perdu leurs moyens de subsistance constitue évidemment un grand danger pour l'Etat bourgeois mais met aussi en péril l'existence même des organisations syndicales dont la raison d'être fondamentale est de lutter sur le terrain de la production pour l'obtention d'un meilleur niveau de vie des producteurs. Si le syndicat ne comprend pas la nouvelle situation découlant de l'aggravation du chômage et n'emploie pas les moyens appropriés de lutte, les masses d'ouvriers sans emploi se détachant de ces organisations syndicales devenues inutiles, ne pouvant plus se regrouper sur leur terrain naturel de lutte, deviennent un facteur de désagrégation du mouvement prolétarien.
En effet, il arrive alors que la couche la plus misérable des prolétaires, celle qui souffre le plus des conséquences de la crise et des contradictions capitalistes, et qui par ce fait devrait être à la première place dans le processus révolutionnaire, n'y participe pas en tant que classe organisée et peut devenir par contre un poids négatif, facilement utilisable pour la bourgeoisie, sur les luttes revendicatives des ouvriers producteurs.
Nous avons dit plus haut que l'existence d'une organisation unitaire de la classe ouvrière est un facteur indispensable pour que l'avant-garde puisse influencer et orienter le cours du processus révolutionnaire vers la prise du pouvoir. Il ne peut donc y avoir d'équivoque : le parti ne peut s'adresser et influencer des éléments prolétariens sortis de la production, se désagrégeant en une foule inconsciente et manoeuvrable, et prétendre l'entraîner telle quelle sur la voie révolutionnaire.
Seuls l'organisation et l'encadrement de ces couches de travailleurs industriels et agricoles dans les syndicats, leur étroite union au travers cet encadrement avec les ouvriers travaillant dans la production, permettront de les intégrer à la lutte révolutionnaire de l'ensemble du prolétariat et les transformeront en un des ferments plus actifs de la décomposition et de l'écroulement du régime capitaliste.
Il revient au parti d'accomplir cette tâche au travers des syndicats et au moyen d'une action de solidarité efficace et réelle. Les fractions syndicales communistes doivent œuvrer pour l'adoption par les assemblées et les comités syndicaux des mesures propres à la réaliser effectivement.
Sans refuser les subsides que l'Etat peut accorder aux chômeurs, tout au contraire en luttant pour l'obliger à les rapprocher le plus possible du niveau des salaires des autres catégories d'ouvriers, les syndicats doivent s'orienter vers des formes de lutte plus directes. Les fractions syndicales doivent proposer aux comités d'usine d'exiger de leur entreprise l'entretien de ses ouvriers en chômage. L'entreprise doit leur verser le salaire complet. Les syndicats ne doivent pas accepter la politique défaitiste et de trahison qui justifie le licenciement d'ouvriers et le refus de leur payer des allocations par suite de la diminution des bénéfices de l'entreprise.
A un stade plus avancé du cours révolutionnaire et en liaison avec les mouvements prolétariens pour le contrôle de la production, la lutte des masses de chômeurs pourra être orientée vers l'occupation et la mise en marche forcée, sous la direction des Comités d'usine, des entreprises fermées.
C'est à l'avant-garde révolutionnaire, suivant le développement de la situation et l'accroissement de sa propre influence sur le prolétariat, que revient la tâche d'orienter (au travers des fractions syndicales) les syndicats dans cette voie et d'établir à chaque phase de la lutte la tactique correspondante.
Pour que le parti puisse jouer ce rôle d'organisateur de la classe prolétarienne et en vue de la conquête des syndicats – ce qui ne veut pas dire conquête des postes bureaucratiques mais des masses de syndiqués et des organes de base – il faut que les rapports entre l'avant-garde et les organismes unitaires du prolétariat prennent la forme d'un réseau de groupes adhérant à l'ensemble de la structure syndicale. Ce réseau est formé par les fractions syndicales communistes de chaque syndicat et doit s'élargir à chaque usine ou entreprise.
La fraction syndicale communiste est formée par tous les militants de l'organisation communiste appartenant au même syndicat.
En tant que partie intégrante du syndicat, ses rapports avec les autres ouvriers syndiqués sont ceux d'un groupement défendant des positions de classe. En tant que fraction politique, elle représente et défend la politique du parti sur le terrain syndical.
Si, à l'intérieur des syndicats, elle accepte la discipline démocratique, reconnaissant les décisions de la majorité, elle ne peut en aucun cas renoncer à sa liberté de critique et de propagande.
Ses rapports avec d'autres groupements qui, incidemment, peuvent être en opposition avec les directions bureaucratiques doivent s'appuyer sur les bases principielles de l'organisation communiste. Les fractions syndicales peuvent donc établir des accords avec ces groupements pour des buts concrets immédiats, en sauvegardant leur liberté de critique et d'action mais en aucun cas conclure des pactes permanents comportant une plateforme syndicale d'action, même si ces groupements ne présentent pas apparemment un caractère politique, et encore moins se dissoudre dans leur sein ou fusionner avec eux. La fraction syndicale communiste est une organe du parti comme sa politique est la politique du parti.
Les fractions syndicales communistes se relient localement et nationalement formant des Comités pour chaque syndicat, Union syndicale locale et Fédération nationale. Elles dépendent et sont subordonnées aux comités locaux et à la CE du parti.
Le réseau des fractions syndicales et Comités syndicaux n'est pas seulement constitué en vue de la conquête des organisations syndicales mais il doit être considéré comme une institution permanente qui subsistera et aura un rôle après l'avènement de la dictature du prolétariat.
[Fraction interne du CCI]