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« Bas les pattes... »

Cela fait plusieurs numéros que nous dénonçons la participation active d'éléments et groupes ou cercles politiques se revendiquant de la Gauche communiste, aux campagnes anti-communistes menées par la propagande bourgeoise (cf. nos bulletins 7 et 8 1). Ces campagnes s'acharnent à porter leurs principales attaques contre l'héritage inestimable fourni, à la classe ouvrière, par l'expérience de la Révolution Russe de 1917 et surtout contre le rôle irremplaçable qu'y a joué le parti bolchevique de Lénine. Tant Octobre 17 que Lénine et les siens seraient, selon ces campagnes, à l'origine de la contre-révolution stalinienne à partir des années 1920 : Staline ne serait que le fidèle continuateur du supposé dictateur Lénine. Ainsi, la perspective révolutionnaire communiste, dont le prolétariat est le porteur, serait à jeter dans les poubelles de l'histoire car forcément vouée à l'échec et à la dictature sanguinaire. La faillite et l'écroulement de l'URSS, à la fin des années 1980, aurait donc signé la victoire définitive du capitalisme et de la « Démocratie » bourgeoise.

Certes, aujourd'hui, la mystification idéologique que représente cette dernière s'affaiblit rapidement sous les coups de la faillite économique du capitalisme mondial et de l'explosion de l'exploitation salariale, du chômage et de la misère. Mais le retour, dans les rangs du prolétariat international, classe révolutionnaire et antagonique au capital et à la bourgeoisie, de la perspective de la révolution et du communisme comme une nécessité et une possibilité réelles – aussi confuses puissent-elles apparaître dans les consciences individuelles – continue à être fortement entravé par les campagnes passées et... présentes. Avec les conséquences négatives – les limites qu'elles imposent aux luttes ouvrières – sur le développement des réactions ouvrières de plus en plus massives que nous voyons se développer partout, conséquences que nous soulignons dans l'article éditorial de ce bulletin.

Tout au long de son histoire, la Gauche communiste – d'autres courants politiques du prolétariat ont pu aussi défendre la même position un certain temps – n'a eu de cesse de dénoncer la trahison des idéaux de la révolution russe de 1917 et des principes du parti bolchevique de Lénine ; de dénoncer (bien avant que ne le fasse perfidement la bourgeoisie) la trahison accomplie par Staline et le stalinisme comme cœur et fer de lance de la contre-révolution tant en Russie qu'au niveau international, dès la fin des années 1920.

Alors, lorsque des individus et cercles politiques se réclamant plus ou moins (et souvent faussement) de la Gauche communiste - dans la mesure où ils s'appuient en apparence sur ses positions, sa tradition et son héritage politiques (nombre d'entre eux ont connu cette Gauche pour avoir milité quelque temps au sein des groupes qui la composent, notamment dans le CCI) – reprennent la thèse du « Staline=Lénine », nous devons les dénoncer avec encore plus de force ; et, avouons-le, nous le faisons non sans une certaine rage parce que ces gens-là ont l'indécence d'asperger une calomnie bourgeoise puante d'un "parfum" qui se prétend prolétarien et communiste.

C'est notamment le cas de ces "ex-" qui font vivre aujourd'hui la revue Controverses et qui font de celle-ci un vecteur de plus de l'offensive anti-communiste. En prétendant animer des débats et une réflexion au sein du Camp prolétarien, cette revue s'est attaquée à la "Gauche communiste" (qu'elle a le culot de vouloir représenter) et à ses actuels représentants2 dont elle a déclaré la faillite et appelé à la disparition. Maintenant, elle s'en prend au "communisme historique" en s'attaquant à la révolution russe et au parti bolchevik de Lénine. Il suffit de lire la préface rédigée par un de ses principaux membres – en commun avec un autre ancien militant du CCI – au livre sur la revue Komunist de la fraction éphémère de Boukharine, de 1918, au sein du parti bolchévique3.

Aujourd'hui, le site de cette revue ouvre ses pages à une soi-disant présentation du « communisme de conseil » – Le communisme des conseils – dont le véritable objet est d'apporter sa petite pierre « éclairée » aux campagnes anti-communistes. Selon l'auteur, ce courant politique qu'il assimile sans aucune réserve au conseillisme comme tel4 – inutile de revenir ici sur les différences que l'on peut faire entre les deux – est l'héritier direct de la « grève de masse » et des apports théoriques de Rosa Luxemburg sur le sujet. «Ce courant trouve son origine dans le mouvement de grèves de masse, tel qu’il s’est développé depuis le début du XXème siècle, en particulier dans la première révolution russe de 1905. Il eut pour premiers théoriciens Henriette Roland-Holst et Anton Pannekoek aux Pays-Bas et Rosa Luxemburg en Allemagne (Grève de masses, parti et syndicats) ». Cette assertion est déjà une ânerie en soi car le courant du communisme de conseil prend sa source dans le recul de la révolution russe d'abord, son isolement international suite à l'échec des tentatives révolutionnaires en Europe centrale et particulièrement en Allemagne. Nombre de ses positions politiques propres en sont l'expression en tant que réaction, plus ou moins confuse, à ce recul de la révolution internationale, puis au cours contre-révolutionnaire qui l'a suivi.

Mais notre objet n'est pas de rentrer ici dans cette discussion car cette assertion n'est présente que pour porter le coup de grâce et reprendre de manière à peine voilée le mensonge bourgeois sur la révolution russe :

« Le communisme de conseils s’oppose donc au ’communisme de parti’ et en particulier au ’léninisme’ (ou ses ’dérivés capitalistes d’État’ : trotskysme, maoïsme, stalinisme, titisme, castrisme, etc.), selon lequel les conseils doivent être soumis à la seule autorité du parti communiste qui doit diriger la révolution, s’emparer du pouvoir étatique et ’construire’ la société socialiste. »

Que de manière "délicate" ou frileuse, en tout cas « faux-cul », notre auteur rejette dans le même camp ce qu'il appelle le « communisme de parti », sous-entendu la tradition du parti bolchevique et de Lénine, à la contre-révolution stalinienne. Non seulement Lénine aurait donné naissance à Staline, mais aussi à Mao, à Tito et même à Fidel Castro ! Quelle nouvelle ignominie !


Avant de rafraîchir la mémoire de notre auteur pour sa plus grande honte d'historien émérite, il convient de rappeler à nos lecteurs qui est ce monsieur et quel est son titre de gloire. Il se glorifie d'être l'auteur des livres du CCI La Gauche communiste italienne et La Gauche hollandaise. C'est à ce titre qu'il se vend dans les cénacles intellectuels et universitaires de « gauche ». C'est un peu son gagne-pain, sa carte de visite. En fait, ces deux ouvrages auxquels il a pris, il est vrai, une part importante – c'est sans aucun doute « l'individu » qui y a le plus travaillé en « quantité » - sont des ouvrages collectifs auxquels de nombreux militants du CCI de l'époque ont activement participé et sans lesquels ils n'auraient vu le jour – en tout cas pas tels qu'ils ont finalement été conçus et rédigés. Les deux livres ont été planifiés, discutés et corrigés collectivement au sein du CCI, en particulier au sein de son organe central. Dans ces discussions et dans la définition des orientations politiques de ces livres, l'auteur n'était certainement pas l'élément le plus actif et le plus déterminant. Nous passons sur les facilités d'accès aux archives diverses et variées que le CCI et le camarade MC en particulier ont pu fournir pour ce travail. Nous passons aussi sur les nombreuses « petites mains » militantes qui ont réalisé techniquement ces livres – tapages par exemple. Notre camarade auteur de l'époque en a profité pour présenter « ses » travaux à l'Université et obtenir un diplôme et ainsi "se faire un nom". Cela ne gênait personne au sein de l'organisation jusqu'au moment où, ayant quitté le CCI, il a menacé celui-ci des tribunaux bourgeois si notre organisation de l'époque continuait à publier les deux livres sans son autorisation !

Depuis, ces ouvrages sont devenus pour lui une véritable rente sur laquelle il vit, qui l'autorise à « être une autorité en matière d'histoire de la Gauche », et qu'il essaie de faire fructifier dans certains milieux. De l'utilité et de l'usage d'avoir été un temps militant communiste pour faire carrière... Le fait n'est pas nouveau et notre historien éclairé n'a rien inventé. Revenons à notre propos.

Le communisme de conseil serait issu, en ligne directe, du concept de grève de masse et de la pensée de Rosa Luxemburg ; et, depuis ses prétendues origines, il s'opposerait au « communisme de parti » de Lénine. Voilà la thèse de notre ami que Controverses accueille à bras ouvert puisqu'il rejoint sa propre action politique d'attaque contre la révolution russe et contre Lénine. Opposer Rosa Luxemburg à Lénine est une vieille antienne qu'aussi bien les staliniens que les « démocrates » ont repris à foison. Les conseillistes ne sont pas en reste. Or la réalité est tout autre et c'est le mérite de la Gauche communiste – celui de Trotsky aussi d'ailleurs, dans les années 30 – d'avoir crié à tous ces opposants de la révolution prolétarienne qui tentaient de s'accaparer la grande révolutionnaire à leur profit et pour leur sale besogne : « bas les pattes devant Rosa Luxemburg ! ».

Et pourquoi ne pas laisser parler la principale intéressée, Rosa Luxemburg elle-même ? Comment se positionne-t-elle devant la révolution russe et les bolcheviques ? Il suffit de lire des extraits de son article sur La Révolution russe  :

« Dans cette situation, c'est à la tendance bolcheviste que revient le mérite historique d'avoir proclamé dès le début et suivi avec une logique de fer la tactique qui seule pouvait sauver la démocratie et pousser la révolution en avant. Tout le pouvoir aux masses ouvrières et paysannes, tout le pouvoir aux soviets -c'était là en effet le seul moyen de sortir de la difficulté où se trouvait engagée la révolution, c'était là le coup d'épée qui pouvait trancher le nœud gordien, tirer la révolution de l'impasse et lui ouvrir un champ de développement illimité.

Le parti de Lénine fut ainsi le seul en Russie qui comprit les vrais intérêts de la révolution; dans cette première période, il en fut la force motrice, en tant que seul parti qui poursuivit une politique réellement socialiste.

C'est ce qui explique également pourquoi les bolcheviks, au début minorité calomniée et traquée de toutes parts, furent en peu de temps poussés à la pointe du mouvement, et purent rassembler sous leurs drapeaux toutes les masses vraiment populaires : le prolétariat des villes, l'armée, la paysannerie, ainsi que les éléments révolutionnaires de la démocratie, à savoir l'aile gauche des socialistes-révolutionnaires.

Au bout de quelques mois, la situation réelle de la révolution russe se trouva résumée dans l'alternative suivante : ou victoire de la contre-révolution ou dictature du prolétariat, ou Kalédine ou Lénine.

(…) Le parti de Lénine a été le seul qui ait compris le devoir d'un parti vraiment révolutionnaire, et qui, par son mot d'ordre : "Tout le pouvoir aux ouvriers et aux paysans !", a fait, presque du jour au lendemain, de ce parti minoritaire, persécuté, calomnié, "clandestin", dont les chefs étaient comme Marat, obligés de se cacher dans des caves, le maître absolu de la situation.

Les bolcheviks ont, de même, posé immédiatement comme but à cette prise du pouvoir le programme révolutionnaire le plus avancé : non pas défense de la démocratie bourgeoise, mais dictature du prolétariat en vue de la réalisation du socialisme. Ils ont ainsi acquis devant l'histoire le mérite impérissable d'avoir proclamé pour la première fois le but final du socialisme comme un programme immédiat de la politique pratique.

Tout ce qu'un parti peut apporter, en un moment historique, en fait de courage, d'énergie, de compréhension révolutionnaire et de conséquence, les Lénine, Trotsky et leurs camarades l'ont réalisé pleinement. L'honneur et la capacité d'action révolutionnaire, qui ont fait à tel point défaut à la social-démocratie, c'est chez eux qu'on les a trouvés. En ce sens, leur insurrection d'Octobre n'a pas sauvé seulement la révolution russe, mais aussi l'honneur du socialisme international. »

On ne peut être plus clair pour démentir les propos des historiens et idéologues anarcho-conseillistes, apôtres de la « Démocratie ». On ne peut être plus clair pour dévoiler quelles sont leurs intentions réelles : apporter leur contribution aux campagnes anti-communistes, entraver autant que possible l'émergence, dans les rangs ouvriers, de la conscience de la perspective révolutionnaire, ainsi que l'éclosion parmi les révolutionnaires d'une minorité d'avant-garde marchant résolument sur les pas de Lénine, sur la voie du « communisme de parti », c'est-à-dire sur la voie de la dictature prolétarienne des conseils ouvriers sous la direction politique du parti communiste de demain. Et, afin de couper court à toute utilisation des critiques qu'elle pouvait porter aux bolchéviques, précisons, si besoin était après la lecture de ce passage, qu'elle ne développait résolument ses critiques vis-à-vis de la révolution d'Octobre et des bolcheviks qu'en se situant tout aussi résolument du même côté de la frontière de classe que les bolcheviks.

Pour finir, nous n'avons pas la place ici pour démontrer comment dans son ouvrage sur la Grève de masse, Rosa Luxemburg, loin de s'éloigner ou de diminuer la nécessité du parti politique, vient au contraire en définir et en préciser la tâche essentielle et indispensable, répondant ainsi, avant l'heure, aux « communistes de conseil » et aux conseillistes. Nous nous contenterons d'une seule citation qui, dès 1906, place résolument Rosa Luxemburg aux côtés du parti bolchevique et surtout de son rôle d'avant-garde politique, de direction politique, tout au cours de la période révolutionnaire :

« Ainsi nous parvenons, pour l'Allemagne, aux mêmes conclusions en ce qui concerne le rôle propre de la « direction » de la social-démocratie par rapport aux grèves de masse que dans l'analyse des événements de Russie. En effet, laissons de côté la théorie pédante d'une grève de démonstration mise en scène artificiellement par le Parti et les syndicats et exécutée par une minorité organisée, et considérons le vivant tableau d'un véritable mouvement populaire issu de l'exaspération des conflits de classe et de la situation politique, explosant avec la violence d'une force élémentaire en conflits aussi bien économiques que politiques et en grèves de masse alors la tâche de la social-démocratie consistera non pas dans la préparation ou la direction technique de la grève, mais dans la direction politique de l'ensemble du mouvement.

La social-démocratie est l'avant-garde la plus éclairée et la plus consciente du prolétariat. Elle ne peut ni ne doit attendre avec fatalisme, les bras croisés, que se produise une « situation révolutionnaire » ni que le mouvement populaire spontané tombe du ciel. Au contraire, elle a le devoir comme toujours de devancer le cours des choses, de chercher à le précipiter. Elle n'y parviendra pas en donnant au hasard à n'importe quel moment, opportun ou non, le mot d'ordre de grève, mais bien plutôt en faisant comprendre aux couches les plus larges du prolétariat que la venue d'une telle période est inévitable, en leur expliquant les conditions sociales internes qui y mènent ainsi que ses conséquences politiques. Pour entraîner les couches les plus larges du prolétariat dans une action politique de la social-démocratie, et inversement pour que la social-démocratie puisse prendre et garder la direction véritable d'un mouvement de masse, et être à la tête de tout le mouvement au sens politique du terme, il faut qu'elle sache en toute clarté et avec résolution, fournir au prolétariat allemand pour la période des luttes à venir, une tactique et des objectifs. » (souligné par Rosa Luxemburg).

Monsieur Bourrinet et consorts, à notre tour de vous jeter à la figure : Bas les pattes devant Rosa Luxemburg ! Bas les pattes devant les conseils ouvriers ! Bas les pattes devant la grève de masse ! Elle n'est pas du même côté de la barricade de classe que vous !

La FGCI, août 2012.

Lénine et l'opportunisme

« Et maintenant nous demandons : qu'ont donc apporté de nouveau à cette théorie ces tonitruants "rénovateurs" qui font tant de tapage à l'heure actuelle et qui se groupent autour du socialiste allemand Bernstein ? Absolument rien ! Ils n'ont pas fait avancé d'un pas la science que Marx et Engels nous ont recommandé de développer ; ils n'ont enseigné au prolétariat aucun nouveau procédé de lutte ; ils n'ont fait que reculer en empruntant les bribes de théories arriérées et en prêchant au prolétariat non pas la théorie de la lutte mais celle des concessions ; concessions aux pires ennemis du prolétariat, aux gouvernements et aux partis bourgeois qui cherchent inlassablement de nouveaux moyens de traquer les socialistes. (...)

Nous savons que ces mots nous vaudront une avalanche d'accusations ; on criera que nous voulons faire du Parti socialiste un ordre d'"orthodoxes", persécutant les "hérétiques" qui s'écartent du "dogme", qui ont une opinion indépendante, etc. Nous les connaissons toutes ces phrases cinglantes à la mode. Mais elles ne contiennent pas un grain de sens ni de vérité. Il ne saurait exister de Parti socialiste fort sans une théorie révolutionnaire qui unisse tous les socialistes, d'où ils tirent toutes leurs convictions et qu'ils appliquent à leurs méthodes de lutte et à leurs moyens d'action. Défendre une telle théorie, que l'on considère comme profondément vraie, contre les attaques injustifiées et les tentatives de l'altérer ne signifie nullement qu'on soit l'ennemi de toute critique. Nous ne tenons nullement la doctrine de Marx pour quelque chose d'achevé et d'intangible ; au contraire, nous sommes persuadés qu'elle a seulement posé les pierres angulaires de la science que les socialistes doivent faire progresser dans toutes les directions s'ils ne veulent pas retarder sur la vie. »

(Lénine – Notre programme - 1899)

1.Voir A propos d'une publication par les Editions Smolny : La défense du caractère prolétarien de la révolution d'Octobre est toujours une frontière de classe ! Ou encore notre Présentation du Bulletin Communiste International n°8

2.Nous renvoyons nos lecteurs à la prise de position des camarades des CIK dans ce numéro qui reviennent sur leur appréciation – influencée par Controverses justement – sur l'état de la Gauche communiste aujourd'hui.

3.Nous renvoyons à la note 1 A propos d'une publication par les Editions Smolny : La défense du caractère prolétarien de la révolution d'Octobre est toujours une frontière de classe !

4.La référence à Otto Rülhe, à Cajo Brendel, au groupe français ICO, y suffit. Juste un exemple : «  Le communisme des conseils, même dans ses expressions ’libertaires’ (Otto Rühle), s’est considéré comme un courant marxiste, se réclamant particulièrement de Rosa Luxemburg et Anton Pannekoek ».


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