Home | Bulletin Communiste FICCI 47 | |
L'occupation du terrain tant politique que social par un ensemble d'organisations gauchistes, en particulier trotskistes est une donnée de la situation. Dans les luttes à venir, le prolétariat sera contraint d'affronter les idéologies réformistes et les pratiques de noyautage véhiculées par ce type d'organismes. Quelle que soit la conscience et la volonté des militants qui, individuellement, sont fermement convaincus de faire oeuvre révolutionnaire au sein de la mouvance trotskiste, il n'en reste pas moins qu'en tant qu'organisations politiques celles-ci sont depuis longtemps et irrémédiablement passées avec armes et bagages dans le camp de la bourgeoisie comme n'ont cessé de le démontrer les communistes authentiques. L'échange de correspondance avec un lecteur proche des positions de la Gauche communiste que nous publions ici vient illustrer une interrogation de plus en plus aiguës quant à la nature du trotskisme en général, appuyée par l'expérience amère vécue par ce lecteur à l'occasion de la naissance, en France, du NPA (Nouveau Parti Anticapitaliste) surgi récemment sur les cendres de la (LCR) Ligue Communiste Révolutionnaire. Cet échange de courrier n'était à l'origine pas destiné à être publié, cependant GR a ultérieurement donné son accord pour publication : outre le fait que cette expérience ne représente pas un cas isolé, nous avons la conviction que les enseignements à en tirer concernent, au-delà de cet exemple précis, toute une frange de la jeune génération encore empreinte de naïveté et d'inexpérience politique, confiante à priori dans ces organisations qu'on leur présente comme "radicales" "démocratiques" et "révolutionnaires" aux seules fins de capter et vicier leur jeune volonté militante. Que la jeunesse soit plus intéressée à se tourner vers l'action aux dépens de la réflexion et par conséquent, qu'elle "se tourne plus facilement vers les systèmes tout faits et adopte de préférence les opinions aux conclusions faciles" (Bilan, "Le problème de la jeunesse", octobre 1934), voilà une réalité que la bourgeoisie utilise et exploite contre la classe ouvrière. |
Bonjour,
Lecteur de votre publication presque depuis l’origine, je suis toujours attentif à vos travaux et en profite pour vous féliciter pour l’effort remarquable d’analyse, d’approfondissement des concepts marxistes et de critique politique que vous faites. Votre petit nombre (je suppose…) ne facilitant pas les choses.
J’aimerais vous interroger sur un point d’actualité que vous n’avez pas encore abordé (me semble-t-il…) c’est la « naissance » du NPA.
J’ai eu l’occasion de participer (...) à quelques réunions du Comité de formation. L’idée venait alors d’être lancée de sacrifier la LCR sur l’autel de la révolution pour laisser émerger du bûcher (forcément sanctificateur) un nouveau Phénix.
L’intérêt pour moi était grand car il allait me permettre d’entrer en contact avec des militants que je ne connaissais pas et des éléments extérieurs au mouvement, motivés et forcément en interrogation sur bien des points politiques. Le mouvement se présentait, qui plus est, comme un modèle d’ouverture et de discussion et paraissait donc comme une opportunité salutaire de débat de fonds. Mon souhait était de connaître de l’intérieur cette volonté, dans les termes assez jubilatoire, « d’inventer » un nouveau parti. Concrètement, je n’en attendais rien d’autre que la participation à une discussion et, au mieux, un bout de chemin dans une aile gauche d’opposition à une tendance que je savais déjà se construisant sur un opportunisme de bon aloi… Je n’insiste pas sur cette idée curieuse de construire « ex nihilo » un parti qui se prétend révolutionnaire et au service des masses… sans aucun programme politique mais avec la volonté, en quelques réunions, « d’inventer le socialisme du XXIème siècle » (c’est l’expression utilisée par la LCR). Ni sur le ridicule de l’appellation de ce « nouveau » parti dont on se demande bien encore quel était « l’ancien » ! Lors d’un meeting de Krivine (...), je lui avais parié que le terme de révolutionnaire n’apparaîtrait plus dans le nom du nouveau mouvement : pour l’instant, j’ai gagné mon pari. (...)
Je vous passe volontiers des détails que vous soupçonnez aisément : marxiste convaincu, défendant la lutte des classes et une position de classe dans les analyses politiques (sans forcément toujours être capable de la définir, cette position de classe, d’ailleurs), (...)j’ai tenu 4 ou 5 réunions avant de m’éclipser.
Qu’en ai-je retenu ?
- l’affligeant niveau politique de la première (et à ma connaissance la seule) contribution de la LCR à la définition du programme politique du nouveau mouvement (juin 2008). Lors de la réunion ou la lecture de ce document a été faite, aucun des membres de la LCR n’a émis la moindre remarque sur l’indigence d’analyse, la somme vertigineuse de contradictions, d’ambiguïtés, de termes et d’expressions vagues, sur l’absence de toute référence à l’existence de classes sociales, de lutte de classe… et jusqu’au terme même de révolution noyé dans la formule interprétable à souhait de « transformation révolutionnaire » ! Après discussion pourtant, ces éléments ont émergé et ont été notés… mais pour être aussitôt oubliés lors des réunions suivantes. Le responsable LCR s’est expliqué sur le texte en disant qu’il ne fallait pas le prendre pour un « texte fondateur », qu’il avait sans doute été écrit un peu vite, « sur un coin de table » fut son expression !!!
- Je n’analyserai pas ici la teneur des textes qui ont suivi, émanant du CAN (Comité d’Animation Nationale si mes souvenirs sont bons) : très enrichis en quantité, ils gardent en qualité exactement les mêmes faiblesses, les mêmes ambiguïtés…
- J’ai personnellement expérimenté la volonté affichée de boucler le débat lorsqu’une opposition de gauche apparaît. Car le NPA est ouvert à la discussion, mais pas sur sa gauche. Il accueille des réformistes patentés et qui ne s’en cachent pas, des antilibéraux, des féministes et antiracistes de tout poil (et il faut l’être, bien sûr) mais en aucun cas révolutionnaires et qui voient en tout marxiste un bolchévique en puissance (celui avec le couteau entre les dents des affiches de propagande !) J’ai ainsi rédigé un document sur la « pensée LCR », sévère certes, mais respectueux des militants et en termes « choisis », avec citations et indications des sources (souvent des déclarations de la LCR et de ses dirigeants) que j’ai envoyé (...) et qui a été diffusé aux membres du Comité. J’y interrogeais notamment sur la question du débat démocratique et sur la liberté de critique au sein du NPA. Le résultat ne s’est pas fait attendre… Un courrier cinglant du dirigeant de la LCR, litanie d’insultes personnelles sans aucun argument politique Qu’on en juge : en 27 lignes on m’accuse :
. De donner un texte « écœurant » et qui « dépasse les bornes », « donneur de leçons » et où tout est « négatif »,
. D’être « méprisant » et « agressif » vis-à-vis des militants LCR et NPA
. D’empêcher tout débat démocratique par « les accusations portées, le ton utilisé, les mensonges, les sous-entendus, l’utilisation de phrases tronquées »
. De développer des « polémiques stériles [qui] n’intéressent personne » et qui risquent de « faire fuir la nouvelle génération »,
. De proposer un texte « gauchiste, illisible, grotesque »,
. De copier « ces sectes politiques au verbiage pseudo-révolutionnaire, qui passent leur temps à insulter tout le monde, à diviser […], à intriguer, voire à faire de l’entrisme pour une chapelle »,
. De « revenir en arrière et perdre son temps dans les querelles intestines de petites sectes aussi ultragauchistes que sectaires ».
Bref, un absolu chef-d’œuvre de procès stalinien, ce qui, venant d’un trotskyste, est un pur délice. (...)
A la réunion suivante, (...) je me suis retrouvé, fort logiquement, en présence du ban et de l’arrière ban LCR, avec un procureur-président de séance désigné que je voyais pour la première fois et, bien entendu, aucune mention de mes demandes à l’ordre du jour. Evidemment, j’ai fait ce que j’ai pu, relançant malgré tout les sujets (notamment toutes les faiblesses du texte initial de la LCR), avançant des arguments contre une opposition prête à mordre. Ce fut sympathique… mais court car on ne me laissa guère parler !
Le résultat à cependant été au-delà de mes espérances puisque depuis lors je sais que certains militants sont plus que circonspects devant le programme du NPA, les discussions sur le programme, qui jusque là n’étaient qu’épisodiques, sont devenus hebdomadaires…
Mais surtout, j’ai entendu, lors de la dernière réunion à laquelle j’ai assisté, des militantes jeunes et motivées, déclarer clairement qu’elles ‘s’emmerdaient » dans ces réunions à l’ordre du jour pléthorique, surchargées de comptes-rendus d’autres réunions, de bilan de collectifs, etc. alors que le NPA n’était toujours pas créé et que les questions essentielles n’étaient abordées qu’en fin de réunion du Comité…
Bref, je vous fais grâce des détails, mais constatant (ce dont je ne doutais pas depuis le début) que le débat était verrouillé et que le programme du NPA ne serait qu’une tiède LCR-bis (houlà, ne jamais dire ça devant la LCR, ils n’aiment pas), j’ai arrêté là ma bonne œuvre.
J’en ai pourtant un mauvais arrière goût… Car ces assemblées (et la LCR elle-même) sont remplies de personnes sincèrement en révolte, en questionnement, souffrant très concrètement de l’exploitation capitaliste au quotidien. La véritable tromperie idéologique du NPA fait mal à entendre et cette récupération de la détresse et de la sincère révolte pour un programme de réformisme et de collaboration de classe mérite d’être dénoncée. C’est pourquoi je vous interroge par ce courrier : ne pensez-vous pas qu’il est important d’y consacrer une analyse dans vos publications ?
Il y a par ailleurs une impression de manipulation idéologique à laisser dans des textes programmatique des formules ambigües, interprétables et, pour le moins, une malhonnêteté flagrante… si ce n’est une volonté délibérée de tromperie.
Ce qui est frappant, de plus, c’est le trotskysme honteux du NPA. Car enfin, tout y est sans jamais être avoué : le programme de transition, le Front unique… (Je ne peux m’empêcher de repenser à cette formule qui paraissait être un acte fondamental de militantisme prolétarien pour la LCR : le NPA sera totalement « indépendant » du PS ! On croit rêver. Sans être le moins du monde un spécialiste du trotskysme, la formule apparait déjà au moins dans un texte du « vieux » daté de 1922 (Le Front unique et le communisme en France) a une époque où l’indépendance avec les sociaux-démocrates méritait encore qu’on la définisse clairement et qu’on la proclame. Nos NPA d’aujourd’hui ne se rendent visiblement même pas compte que les « socialistes » ont sombré corps et bien dans la fange idéologique bourgeoise (mais on ne parle jamais de « bourgeoisie » au NPA, dans aucun texte ce mot n’est utilisé) et que l’heure n’est plus à être « indépendant » mais à combattre le PS…
Ce trotskysme rampant est un élément important également à mettre en évidence et à dénoncer. J’avoue qu’à titre personnel, vos arguments seraient utiles car je reste en contact épisodique avec quelques éléments en rupture ou « déçus » du NPA et je ne me sens pas suffisamment « armé » pour discuter ces questions politiques qui ont pour elles quelques arguments qui peuvent motiver des personnes en recherche : ne pas laisser le prolétariat seul dans ces luttes, chercher à obtenir malgré tout des résultats concrets, « retrousser ses manches » plutôt de que de rester dans une position de retrait critique…
Merci de me donner votre point de vue à ce sujet et, si vous ne souhaitez pas y apporter un prolongement par le biais d’une publication ; j’aimerais beaucoup en tout cas avoir votre avis sur ces quelques questionnements ainsi que des éléments de réponse.
Je précise que ce document n’a pas vocation à être publié mais que je vous autorise éventuellement à en reprendre des éléments si vous le jugez utile.
Sincères salutations communistes.
G..
Home | Bulletin Communiste FICCI 47 | |