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Lorsqu'en 1927 Perrone prit, comme tant d'autres révolutionnaires italiens, le chemin de l'exil, un désastre pour longtemps irréparable finissait de s'accomplir. Toute l'Internationale en était frappée. Dès le début de 1926, en Italie, le courant marxiste radical qui, en 1921, avait donné à celle-ci sa meilleure section hors de Russie se trouvait réduit au silence, vilipendé, désorganisé par une série de mesures organisationnelles illégales. Comme il fallait s'y attendre Moscou rejetait son recours contre la fraction centriste, instrument du ravage qu'elle avait inspiré. Au cours de l'année 1927, en Russie, l'opposition qui résistait au nouveau cours du «socialisme dans un seul pays» dans la politique intérieure comme internationale du Parti russe était non seulement expulsée et bassement calomniée, mais arrêtée et déportée. En Novembre, son chef, le créateur de l'Armée rouge, était à son tour envoyé en exil. Dans tous les pays, une aile gauche sans homogénéité, mais qui, en refusant de condamner Trotsky et l'opposition russe, gênait la liquidation du communisme, était flétrie et chassée.
L'orientation qui était en train de triompher, Trotsky la définissait en trois traits cinglants devant la Commission de Contrôle qui l'avait exclu : baillonnement du noyau prolétarien - fraternisation avec les conciliateurs de tous les pays - capitulation devant la bourgeoisie mondiale. Huit ans seulement s'étaient écoulés depuis la fondation de l'Internationale Communiste, née pour conduire à la victoire les révolutions du XXème siècle et en tous cas pour opposer son vivant et formidable obstacle au Capital sur la route sanglante de la guerre....
Pour affronter pareil désastre, il fallait aux militants une loyauté envers le prolétariat, un désintéressement, un mépris de la popularité et même, devant les méthodes de voyou de l'adversaire, un courage absolument sans limites. L'expérience montra que ces vertus révolutionnaires ne fleurissent que très difficilement dans le terreau d'une société mercantile et individualiste : pour un Perrone qui choisissait sans balancer une vie laborieuse de salarié et la poursuite obscure d'une lutte difficile, combien de centaines de petits Togliatti optèrent, dans tous les pays, pour les postes de fonctionnaires en vue et pour la domestication politique ?
Il y fallait surtout une force de conviction qui pouvait moins encore relever de ressources purement individuelles que les qualités ci-dessus et que seule une forte tradition collective, une tradition de classe et donc de Parti, était en mesure d'engendrer.
Celle qui avait formé politiquement et moralement Perrone s'apparentait à la grande tradition révolutionnaire russe, par ce qui en avait été la caractéristique essentielle : la lutte impitoyable contre l'opportunisme. En Occident, c'était la seule tradition bolchevique. Elle l'avait prouvé par toute la préparation - qui remontait à 1915 - de la scission d'avec le réformisme et le centrisme social-démocrate de Serrati et par la fondation, en 1921, d'un véritable parti marxiste. Elle l'avait confirmé, aussi paradoxal que cela puisse paraître, justement par la lutte qu'elle mena de 1921 à 1926 contre la direction russe de l'Internationale.
Qu'opposait-elle en effet à la politique «du plus pressé» des bolcheviks d'après la victoire ? Rien d'autre que les trois grands principes de la victoire bolchevique : parti sévèrement sélectionné - tactique sans compromis garantissant, en cas de défaite, la possibilité de se préparer à de nouvelles batailles en même temps que l'intégrité de l'organisation et de son programme - stratégie invariable parce que définie pour une période historique qui ne prendrait fin qu'avec la victoire totale du prolétariat.
A quoi tendait sa lutte ? A conjurer la renaissance d'un opportunisme qui, s'il l'emportait dans la III° Internationale, aboutirait par la loi historique au même résultat fatal que l'opportunisme social-démocrate qui avait détruit la II°. Que proposait-elle dans pareille éventualité ? Dès 1924, au Vème congrès mondial, le chemin de Lénine : la formation de fractions.
Le véritable bolchevisme avait changé de pays. Exposés au sommet du pouvoir à une terrible pression intérieure et extérieure des classes ennemies du prolétariat, les révolutionnaires russes n'étaient déjà plus en condition de reconnaître dans la jeune et courageuse Gauche marxiste italienne l'image de leur propre passé, et encore moins celle du communisme occidental de l'avenir. Mais les «marxistes» improvisés et les demi-communistes des autres Partis de l'Ouest le pouvaient encore moins. L'émigration italienne abordait donc la lutte à l'étranger dans un isolement complet.
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