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"Le coup de pied de l'âne"

"Un coup de pied de l'âne envers le CCI", voilà comment l'article "L'abandon par Battaglia Comunista du concept marxiste de décadence d'un mode de production, 2e partie", (Revue internationale 120, 1e trimestre 2005) qualifie la comparaison que nous avons faite de la théorie de la décomposition sociale de l'actuel CCI avec la théorie de "l'effondrement automatique du capitalisme" de Grossmann et autres. Quelque chose aura touché l'actuel CCI !

Malheureusement, l'ensemble de l'article (qui est centré sur la critique de Battaglia Comunista), et pas seulement les passages "fleuris" dédiés à notre fraction, montre que les critiques que nous avons faites à la théorie de la décomposition, au lieu de servir au CCI actuel pour réfléchir ou au moins pour être plus prudent lorsqu'il s'exprime, l'enfonce encore plus dans les positions de "l'effondrement" que nous avons critiquées. En outre, l'article évite "habilement" le noyau central de notre critique en se lançant dans une polémique qui n'existe que dans la tête de son auteur, polémique selon laquelle notre fraction (ou BC) soutient l'idée que la révolution communiste est "inéluctable" (1) :

"Précisons qu’à son 15e congrès, sur le fond, le CCI n’a fait que réaffirmer ce que le marxisme a toujours défendu depuis le Manifeste Communiste à savoir que «une transformation révolutionnaire de la société toute entière» (Marx) n’avait rien d’inéluctable car, disait-il, si les classes en lutte ne trouvaient pas les forces nécessaires pour trancher les contradictions socio-économiques, la société s’enfoncerait alors dans une phase où c’est la «ruine des diverses classes en lutte» (Marx). Marx ne défendait pas là une fantasmagorique «troisième voie» ; il était tout simplement conséquent avec le matérialisme historique qui réfute la vision fataliste selon laquelle les contradictions sociales se résoudraient "automatiquement" par la victoire d’une des deux classes fondamentales en lutte. En effet, pour la FICCI, nous refuserions de reconnaître que «l’impasse historique ne pouvait qu’être momentanée» (Bulletin Communiste n° 26, "Commentaire..."). Effectivement, avec Marx nous refusons de n’envisager unilatéralement qu’une «impasse historique momentanée» et avec lui, nous pensons qu’un blocage du rapport de forces entre les classes peut aussi perdurer et aboutir à «la ruine des diverses classes en lutte» Dès lors, pour paraphraser la FICCI, nous lui retournons sa question : l’introduction par la FICCI de l’idée que «l’impasse historique ne peut être que momentanée» est-elle oui ou non une révision du marxisme ? " (2)

("L'abandon par Battaglia Comunista du concept marxiste de décadence. 2e partie", souligné dans l'article original, Revue internationale 120).

Voyons donc, de nouveau, si nous pouvons préciser la critique que nous faisons à la théorie de la décomposition. Durant des années, dans de nombreux articles (et pratiquement dans tous nos articles théoriques sur la décadence du capitalisme), nous avons défendu que l'alternative historique actuelle continue à être guerre ou révolution. Si nous pensions que la révolution était "inéluctable" ou "inévitable", nous ne parlerions même pas d'une "alternative"( 3).

Ce que nous critiquons dans la théorie de la décomposition du CCI actuel n'est pas l'idée que le capitalisme puisse mener la société à sa destruction, mais la notion que cette destruction puisse venir d'une "troisième alternative" (notion qu'a introduit le CCI lui-même) selon laquelle le capitalisme s'effondrerait sans l'intervention des classes sociales fondamentales, c'est-à-dire sans lutte de classes, sans révolution ou sans guerre généralisée, mais seulement comme produit et prolongement de... la "Décomposition sociale" : "le processus de destruction de l'humanité, sous les effets de la Décomposition [c'est-à-dire sans lutte de classes, note de la fraction], bien que lent et sournois, est irréversible" ("Comprendre la décomposition du capitalisme, les racines marxistes de la décomposition", Revue internationale 117, 2004).

Telle est la notion que nous comparons avec la théorie de "l'effondrement automatique", dans le sens où les deux concluent que les rapports économiques de production en soi conduiraient à l'effondrement du capitalisme. C'est cela que nous rejetons comme a-historique et antimarxiste (et c'est cela d'autre part que rejettent aussi BC et le BIPR). Nous dénonçons le fait que, par l'introduction d'une "troisième voie", nouvelle position adoptée à son 15e congrés international (4),le CCI abandonne objectivement non seulement sa propre théorie sur la décadence du capitalisme mais aussi les fondements mêmes du marxisme.

Cet article de la Revue internationale 120 franchit même un nouveau pas. Il ne cesse de donner crédit à l'idée selon laquelle le capitalisme va, par lui-même, vers son effondrement, son autodestruction, sans aucune intervention des classes antagoniques. A cette fin, il a recours à l'utilisation tendancieuse de citations de Marx, d'Engels et d'autres auteurs marxistes. Si nous en croyons l'article, la théorie de la décomposition se trouverait déjà formulée dans le... Manifeste communiste de 1847 !

Que dit le Manifeste communiste ?

"L'histoire de toute société jusqu'à nos jours n'a été que l'histoire de luttes de classes. (...) Oppresseurs et opprimés, en opposition constante, ont mené une guerre ininterrompue, tantôt ouverte, tantôt dissimulée, une guerre qui finissait toujours soit par une transformation révolutionnaire de la société tout entière, soit par la destruction des deux classes en lutte."

Que nous offre de son côté le CCI ?

"Aujourd'hui, le prolétariat est confronté à une menace à plus long terme mais non moins dangereuse d'une 'mort à petit feu' où la classe ouvrière serait toujours plus écrasée par ce processus de décomposition jusqu'à perdre sa capacité à s'affirmer en tant que classe, tandis que le capitalisme s'enfonce de catastrophe en catastrophe" ("Comprendre la décomposition du capitalisme", Revue internationale 117).

La différence radicale entre les deux positions n'est-elle pas claire ? Le Manifeste nous dit que le moteur de l'histoire est la lutte des classes (qui peut conduire à une transformation révolutionnaire ou à l'effondrement des classes dans cette lutte). Le CCI des liquidateurs, au contraire, nous dit que la société peut s'effondrer car ces classes perdent leur capacité à s'affirmer comme telles ! C'est-à-dire parce qu'elles cessent d'agir comme des classes, qu'elles cessent de lutter ! Le prolétariat est écrasé non pas par la bourgeoisie mais par la "Décomposition". Le capitalisme s'effondre, non par la lutte des classes mais par les catastrophes de la... "Décomposition". C'est-à-dire que maintenant la "Décomposition" est devenue le moteur de l'histoire. C'est ce que dit aujourd'hui le CCI après avoir souligné durant des décennies la nature spécialement révolutionnaire du prolétariat par rapport aux autres classes du passé.

D'autre part, malgré la profusion de citations, malgré tous les détours autour du sujet, l'article évite de se prononcer clairement sur les citations et les contresens que nous avons mis en évidence dans notre article sur les théories de l'effondrement, entre les déclarations du CCI d'aujourd'hui selon lequel "la Décomposition signifie un lent processus d'anéantissement des forces productives jusqu'à un point où la construction du communisme devient désormais impossible" (idem) et la contradiction fondamentale du capitalisme telle qu'elle fut énoncée, de multiples fois, par Marx et Engels, pour lesquels "le système de production capitaliste implique une tendance à un développement absolue des forces productives" (Marx, Le Capital, Tome 3, ch. 15, Conflit entre l'extension de la production et la mise en valeur, Editions sociales).

Selon Marx, la tendance au développement inconditionnel des forces productives est dans l'essence du capitalisme. Mais, selon le CCI, le capitalisme est entré dans un processus d'anéantissement des forces productives qui conduit à la destruction de la société. Alors qui a raison ? En tout cas, le CCI se trouve devant un dilemme, face à un véritable choix entre deux positions diamétralement opposées, auquel il lui faut apporter une réponse. Nous attendons cette réponse.

Voyons pour finir la "foudroyante" question de la fin de la citation reproduite plus haut - "l’introduction par la FICCI de l’idée que "l’impasse historique ne peut être que momentanée" est-elle oui ou non une révision du marxisme ?". L'auteur de l'article devra nous pardonner si, à notre tour, nous lui retournons sa question. Car ce n'est pas notre fraction qui a "introduit l'idée que l'impasse historique était momentanée" comme il l'affirme, mais le CCI, le véritable CCI, celui dont nous nous revendiquons et avec lequel le CCI actuel a rompu et qu'il veut liquider, lorsqu'il a formulé, à l'origine, la théorie de la décomposition : "Cette phase de décomposition est déterminée fondamentalement par des conditions historiques nouvelles, inédites et inattendues : la situation d'impasse momentanée de la société, de «blocage», du fait de la «neutralisation» mutuelle de ses deux classes fondamentales qui empêche chacune d'entre elles d'apporter sa réponse décisive à la crise ouverte de l'économie capitaliste" ("La décomposition, phase ultime de la décadence du capitalisme", Revue internationale 62,1990, nous soulignons).

Si le CCI considère actuellement que l'impasse historique qui s'est produite à la fin des années 1980 à cause de la "neutralisation" mutuelle des deux classes fondamentales - ce qui est justement ce dont nous parlons et non la bouillie ["revoltijo" en espagnol - note du traducteur] que nous sert l'article ! - non seulement n'appartient pas au passé (Cf. les manifestations concrètes de lutte de classes et la tendance à la guerre que nous observons ces dernières années) mais même qu'elle a cessé d'être momentanée comme le CCI le défendait à l'origine (et si notre mémoire est bonne, au moins jusqu'à notre exclusion définitive de l'organisation en en mars 2002), et s'il considère que cette impasse tend à devenir (l'est-elle déjà devenue ?) un phénomène permanent, alors le CCI doit répondre clairement au lieu de tourner autour du pot. S'il a "découvert" que l'impasse historique est devenue permamente, il doit le déclarer clairement et franchement face à la classe ouvrière.

Et dire qu'ils s'indignent quand on les qualifie de "partisans de l'effondrement automatique du capitalisme", de "fatalistes" et de... "liquidationnistes" !

Mai 2005


Notes:

1. De toute manière, nous "remercions" le CCI d'aujourd'hui pour cette critique car, au moins pour une fois, elle ne se réduit pas aux habituelles accusations de voleurs, de flics, de mouchards et d'assassins. Au moins, maintenant nous avons été élevés à la catégorie d'adulateurs serviles, opportunistes et révisionnistes !

2. Cette "précision" est répétée à maintes reprises dans l'article : « (…) Le marxisme ne dit pas que la révolution est inéluctable. Il ne nie pas la volonté comme facteur de l’histoire, mais il démontre qu’elle ne suffit pas, qu’elle se réalise dans un cadre matériel produit d’une évolution, d’une dynamique historique dont elle doit tenir compte pour être efficace. (…) Ce qu’affirme le marxisme, ce n’est pas que le triomphe de la révolution communiste est inévitable suite aux contradictions mortelles. »

3. "Alternative = Choix entre deux possibilités" (Dictionnaire, Petit Larousse).

4. "Mais contrairement à la période de 1968 à 1989, alors que l'issue de ces contradictions de classe ne pouvait être que la guerre ou la révolution, la nouvelle période [de la "Décomposition"] ouvre la voie à une troisième possibilité : la destruction de l'humanité" ("Résolution sur la situation internationale", Revue internationale 113).


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