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TEXTES DU MOUVEMENT OUVRIER

L'Appel rédigé par Trotski et adressé à l'Internationale communiste que nous reproduisons ici date de 1928. Il revient sur tout le processus des mesures disciplinaires adoptées à l'encontre de l'opposition russe. Apparaît ainsi clairement un parallèle tout à fait saisissant avec la politique systématique adoptée par la faction liquidationniste, une fois son coup d'Etat réussi au 14e congrès international du CCI (et que notre Historique du SI révèle sans contestation à ce jour), contre les opposants, individus d'abord, puis regroupement minoritaire en "collectif", puis enfin contre notre fraction, opposés à la nouvelle politique qu'on essayait d'imposer en cachette à notre organisation :

- "L'âpreté exceptionnelle de la lutte au sein du parti, qui a amené notre exclusion de celui ci (...) trouve précisément sa cause dans notre aspiration à faire connaître notre point de vue au parti et à l'I.C.". C'est exactement notre volonté, au lendemain du 14e congrès, de faire connaître notre point de vue au CCI qui a été la cause de la violence de la lutte qui a mené jusqu'à notre exclusion en mars 2002 ;

- "Nous, Oppositionnels, nous avons brisé les normes de la vie du parti. Pourquoi ? Parce que nous avons été dépouillés illégalement de la possibilité d'exercer nos droits normaux de membres du parti". C'est exactement l'interdiction illégale d'exercer nos droits normaux de membres du CCI (défendre nos positions dans les réunions et dans les bulletins internes, participer aux réunions et aux interventions, droit de constituer une fraction, droit de payer nos cotisations, etc...) qui nous a amenés à ne pas respecter la nouvelle discipline contraire aux statuts et imposée dès la fin du 14e congrès. Mais c'est cette nouvelle discipline qui a brisé les normes de la vie du CCI, c'est-à-dire ses principes organisationnels dont la discipline communiste, tout comme, et contrairement à ce dit Trotski, c'est la bolchévisation, puis le stalinisme, qui ont "brisé les normes de la vie du parti" ;

- "De son côté, sans délibération et en brusquant les débats, le XV° congrès a adopté une résolution selon laquelle les congrès se réuniront dorénavant tous les deux ans". C'est aussi sans délibération, souvent sans avoir été lus, parfois même sans être rédigés (texte sur la confiance, résolution d'activités de septembre 2001) et en brusquant les débats que des "textes d'orientation", que des rapports, des résolutions, que des condamnations et des "suspensions sans limite" (exclusion en fait) de militants, engageant précipitamment l'organisation et les militants sur des aspects aigus de la crise organisationnelle, sans retour possible, ont été "adoptés". C'est toujours sans délibération que la décision de constitution d'une commission d'enquête permanente, "d'investigation", sur les militants, sans contrôle et sans mandat, a été votée en septembre 2001 ;

- " il est apparu nécessaire, dix ans après la révolution d'Octobre, d'arracher au parti son droit élémentaire de contrôler, au moins une fois par an, l'activité de ses organes et avant tout de son comité central". C'est exactement ce même droit élémentaire qui a été bafoué et liquidé lorsqu'on a interdit l'utilisation et la garde des notes de l'organe central, y compris pour ses membres, qui démentaient les accusations personnelles, et qu'on a interdit la diffusion à tous les militants de l'Historique du SI rédigé à partir de ces notes.

Nous pourrions continuer ainsi la liste des mesures de même nature - seules les conséquences personnelles étaient différentes et, bien sûr, moins dramatiques en 2001 malgré les pressions sur les individus et les familles et malgré les menaces et les tentatives réelles, même si finalement ridicules, d'agression physique - qui montre un parallèle et une similitude de méthode. "Quelles forces contraignent donc [à ce type de politique] ? Ces forces ne sont pas celles du prolétariat. Elles sont la résultante d'une pression étrangère à celui-ci" dit Trotski.

Enfin, Trotski, après la Gauche italienne et Bordiga, réaffirme la méthode communiste dans les situations de crise des organisations en affirmant que "les questions litigieuses ne seront pas réglées par de nouvelles méthodes de répression". C'est exactement ce que le BIPR et le PCInt-Le Prolétaire ont répondu au CCI des liquidationnistes en refusant de céder à leurs pressions directes, ou indirectes par l'envoi de lettres de ses sympathisants, pour qu'ils condamnent et cessent "toute relation" avec notre fraction.


Appel des déportés à l'Internationale communiste (L. TROTSKY)
(13 janvier 1928)

Nous soussignés, exclus des rangs du parti communiste de l'Union soviétique avant le XV° congrès de ce parti ou par décision de ce congrès, avons estimé nécessaire de faire appel en temps utile de cette exclusion auprès de l'organe suprême du mouvement communiste international, à savoir le VI° congrès du l'Internationale communiste. Cependant, sur ordre du G.P.U. (ou en partie sur résolution du comité central du parti), nous, vieux bolcheviks, sommes exilés dans les régions les plus éloignées d'Union soviétique sans qu'aucune accusation soit portée contre nous, dans le but unique d'empêcher notre liaison avec Moscou et les autres centres ouvriers, et, par conséquent, avec le VI° congrès mondial. Nous estimons donc nécessaire, à la veille de notre départ forcé vers des régions lointaines de l'Union, d'adresser la déclaration présente au présidium du comité exécutif de l'Internationale communiste, en le priant de le porter à la connaissance des comités centraux de tous les partis communistes.

Le G.P.U. nous exile sur la base de l'article 58 du Code criminel, c'est à­-dire pour « propagande ou agitation en faveur du renversement, de la sape ou de l'affaiblissement du pouvoir soviétique ou pour commettre des actes individuels contre-révolutionnaires ».

Avec un calme dédain, nous rejetons la tentative d'appliquer cet article à des dizaines de bolcheviks léninistes qui ont beaucoup fait pour établir, défendre et consolider le pouvoir soviétique dans le passé et, qui, à l'avenir aussi, consacreront toutes leurs forces à défendre la dictature du prolétariat.

La déportation administrative de vieux militants, sur ordre administratif du G.P.U., est tout simplement un nouveau maillon de la chaîne des événements qui ébranlent le P.C. soviétique. Ces événements auront une importance historique immense pour une série d'années. Les divergences de vues actuelles sont parmi les plus importantes de celles que connut l’histoire du mouvement révolutionnaire international. Il s'agit en substance de savoir comment ne pas mener à sa perte la dictature du prolétariat qui fut conquise en octobre 1917. La lutte dans le P.C. de l'U.R.S.S. se déroule dans le dos de l'I.C. ; celle­-ci n'y participe pas, elle l'ignore même. Les documents principaux de l'Opposition consacrés aux grandes questions de notre époque continuent à être inconnus de l'Internationale communiste. Les partis communistes sont toujours placés devant le fait accompli et ne font qu'apposer leur estampille sur des décisions adoptées d'avance. Nous estimons qu'une telle situation est issue du régime absolument faux en vigueur dans le P.C. de l'U.R.S.S. et dans l'I.C. tout entière.

L'âpreté exceptionnelle de la lutte au sein du parti, qui a amené notre exclusion de celui ci (et actuellement notre exil, sans qu'aucun fait nouveau puisse être invoqué pour le motiver), trouve précisément sa cause dans notre aspiration à faire connaître notre point de vue au parti et à l'I.C. Tant que Lénine était là, une telle activité était considérée comme normale et logique. Les discussions se développaient à cette époque sur la base de la publication et de l'examen intégral de tous les documents concernant les questions litigieuses. Faute d'un tel régime l'I.C. ne peut devenir ce qu'elle doit être. La lutte pour le pouvoir du prolétariat international contre la bourgeoisie, extrêmement puissante, est encore entièrement devant lui. Cette lutte présuppose, du côté des partis communistes, une direction forte, jouissant d'une autorité morale, et capable d'agir par elle-même. Une telle direction ne peut être créée qu'au cours de nombreuses années, en sélectionnant les représentants les plus fermes, les plus aptes à déterminer leur action d'une façon autonome, les plus conséquents, les plus vaillants de l'avant garde du prolétariat. Dans l'exécution de leur tâche, des fonctionnaires, même les plus consciencieux, ne peuvent remplacer les guides de la Révolution. La victoire de la révolution prolétarienne en Europe et dans le monde entier dépend, dans une très large mesure, de la solution du problème de la direction révolutionnaire. Le régime intérieur de l'I.C. empêche de choisir et d'éduquer une pareille direction. Cela se manifeste surtout de façon éclatante par l'attitude des partis communistes étrangers en présence des procédures internes du P.C. de l'U.R.S.S. dont le sort est intimement lié au destin de l'I.C.

Nous, Oppositionnels, nous avons brisé les normes de la vie du parti. Pourquoi ? Parce que nous avons été dépouillés illégalement de la possibilité d'exercer nos droits normaux de membres du parti. Pour porter notre point de vue à la connaissance du congrès, nous avons été contraints de prendre sur nous d'utiliser une imprimerie d'État. Pour réfuter devant la classe ouvrière la falsification de notre point de vue, et, en particulier, la vile calomnie relative à notre prétendue liaison avec un officier de Wrangel(i) et la contre révolution en général, nous avons arboré, à la manifestation du X° anniversaire, des pancartes portant les inscriptions suivantes :

« Feu à droite, contre les Koulaks, les Nepmen et les Bureaucrates ! »

« Réalisons les dernières volontés de Lénine ! »

« Pour une véritable démocratie dans le Parti ! »

Ces mots d'ordre, incontestablement bolcheviques, furent déclarés non seulement hostiles au parti, mais contre révolutionnaires. De nombreux signes montrent qu'il faut s'attendre également, dans l'avenir, à des tentatives de créer de toutes pièces de prétendus liens entre l'Opposition et les organisations de gardes-blancs et de mencheviks dont nous sommes plus éloignés que quiconque.

Pour forger un tel amalgame, point n'est besoin de donner de motifs, pas plus d'ailleurs que pour nous déporter.

Dans la déclaration que nous avons adressée au XV° congrès, signée des camarades Smilga(ii), Mouralov(iii), Rakovsky(iv) et Radek(v), nous avons annoncé notre soumission aux décisions du XV° congrès et notre détermination à cesser le travail fractionnel. Néanmoins, on nous a exclus et l'on nous déporte à cause de nos opinions. Mais, par dessus tout, nous avons déclaré, et nous répétons ici, que nous ne pouvons pas renoncer aux opinions exprimées dans nos thèses et dans notre plate forme, car le cours des événements confirme leur justesse.

La théorie de la construction du socialisme dans un seul pays conduit inéluctablement à séparer le sort de l'U.R.S.S. de celui de la révolution prolétarienne internationale dans son ensemble. Poser ainsi la question, c'est saper, dans le domaine théorique et politique, les fondements même de l'internationalisme prolétarien. La lutte contre cette nouvelle théorie foncièrement anti marxiste, inventée en 1925   c'est à dire notre lutte pour les intérêts fondamentaux de l'I.C.  c'est ce qui a amené notre exclusion du parti et notre déportation administrative.

La révision du marxisme et du léninisme, dans la question fondamentale du caractère international de la révolution prolétarienne, provient du fait que la période de 1923 à aujourd'hui a été marquée par de dures défaites de la révolution prolétarienne internationale (1923 en Bulgarie et en Allemagne, 1925 en Estonie, 1926 en Angleterre, 1927 en Chine et en Autriche (1). Ces défaites ont créé à elles seules la possibilité de ce qu'on a nommé la stabilisation du capitalisme, car elles ont consolidé provisoirement la situation de la bourgeoisie mondiale; par la pression renforcée de celle ci sur l’U.R.S.S., ces défaites ont ralenti l'allure de l'édification socialiste; elles ont renforcé les positions de notre bourgeoisie à l'intérieur; elles ont donné à celle ci la possibilité de se lier plus fortement à beaucoup d'éléments de l'appareil d'État soviétique; elles ont accru la pression de cet appareil sur celui du parti, et elles ont conduit à l'affaiblissement de l'aile gauche de notre parti. Au cours de ces mêmes années, il s'est produit en Europe une renaissance provisoire de la social-démocratie, un affaiblissement provisoire des partis communistes, et un renforcement de l'aile droite à l'intérieur de ces derniers. L'Opposition dans le P.C.R., en tant qu'aile gauche ouvrière, a subi des défaites en même temps que s'affaiblissaient les positions de la révolution prolétarienne mondiale.

Si les partis de l'I.C. n'ont eu aucune possibilité d'apprécier exactement la signification historique de l'Opposition, la bourgeoisie mondiale, en revanche, a déjà émis son jugement sans ambiguïté. Tous les journaux bourgeois plus ou moins sérieux, dans tous les pays, considèrent l'Opposition du P.C.R. comme leur mortelle ennemie et envisagent au contraire la politique de la majorité actuellement dirigeante comme une transition nécessaire à l'U.R.S.S. vers le monde « civilisé », c'est à dire capitaliste.

Le présidium de l'I.C. devrait, selon nous, rassembler les opinions exprimées par les chefs politiques et par les organes principaux de la bourgeoisie, en ce qui concerne la lutte intérieure du P.C.R., afin de permettre au VI° congrès la possibilité de tirer les conclusions politiques nécessaires sur cette question primordiale.

L'issue et les leçons de la révolution chinoise, révolution qui constitue un des plus grands événements de l'histoire mondiale, ont été tenus dans l'obscurité, écartés de la discussion, et n'ont pas été assimilés par l'opinion publique de l'avant garde prolétarienne. En réalité, le comité central du P.C.R. a interdit la discussion des questions relatives à la révolution chinoise. Mais, sans l'étude des fautes commises, fautes classiques de l'opportunisme, il est impossible de ­concevoir dans l'avenir la préparation révolutionnaire des partis prolétariens d'Europe et d'Asie !

Indépendamment de la question de savoir sur qui retombe la responsabilité immédiate de la direction des événements de décembre à Canton2, ces événements fournissent un exemple frappant de putschisme lors du reflux de la vague révolutionnaire. Dans une période révolutionnaire, une déviation vers l'opportunisme est souvent le résultat de défaites dont la cause immédiate réside dans une direction opportuniste. L'Internationale communiste ne peut faire aucun nouveau pas en avant sans avoir tiré préalablement les leçons de l'expérience de l'insurrection de Canton, en corrélation avec la marche d'ensemble de la révolution chinoise. C'est là une des tâches essentielles du VI° congrès mondial. Les mesures de répression prises contre l'aile gauche, non seulement ne répareront pas les fautes déjà commises, mais, ce qui est plus grave, n'apprendront rien à personne.

La contradiction la plus flagrante et la plus menaçante de la politique du P.C.U.S. et de l'I.C. tout entière est constituée par le fait suivant : après quatre années de processus de stabilisation équivalant à un renforcement des tendances de droite dans le mouvement ouvrier, le feu continue à être, comme auparavant, surtout dirigé contre la Gauche. Dans la période qui vient de s'écouler, nous avons été témoins de fautes et de déviations opportunistes monstrueuses dans les partis communistes d'Allemagne, d'Angleterre, de France, de Pologne, de Chine, etc. Entre temps, l'aile gauche de l'I.C. a été l'objet d'un travail d'anéantissement qui se poursuit encore. Il est incontestable qu'actuellement les masses ouvrières d'Europe s'orientent  politiquement vers la gauche, en raison des contradictions inhérentes au processus de stabilisation. Il est difficile de prédire à quelle allure se déroulera ce développement vers la gauche et quelle forme il prendra dans le proche avenir. Mais la campagne permanente contre les éléments de gauche prépare, pour le moment où s'aggravera la situation révolutionnaire, une nouvelle crise de direction semblable à celle que nous avons connue ces dernières années en Bulgarie, en Allemagne, en Angleterre, en Pologne, en Chine, etc., etc. ! Peut on exiger que des révolutionnaires, des léninistes, des bolcheviks, se taisent devant de telles perspectives ?

Nous n'estimons pas nécessaire de réfuter à nouveau l'affirmation absolument fausse que nous nierions le caractère prolétarien de notre Etat, la possibilité de l'édification socialiste, ou même la nécessité de la défense inconditionnelle de la dictature prolétarienne contre ses ennemis de classe de l'intérieur et de l'extérieur. Ce n'est pas là dessus que porte la discussion; elle porte sur l'appréciation des dangers qui menacent la dictature du prolétariat, sur les méthodes pour combattre ces dangers, et comment distinguer entre les véritables et faux amis, les véritables et faux ennemis.

Nous affirmons qu'au cours des dernières années, sous l'influence de causes intérieures et internationales, le rapport des forces s'est modifié d'une manière défavorable pour le prolétariat; que la place tenue par lui dans l'économie, dans la vie politique, économique et culturelle du pays, s'est amoindrie au lieu de grandir; nous affirmons que, dans le pays, les forces de réaction thermidorienne se sont consolidées, et qu'en sous-estimant les dangers qui en découlent, ces dangers s'aggravent dans une proportion extraordinaire. En chassant l'Opposition du parti, l'appareil, inconsciemment, mais avec d'autant plus d'efficacité, rend service aux classes non prolétariennes qui ont tendance à se renforcer et à se consolider aux dépens de la classe ouvrière. C'est de ce point de vue que nous nous plaçons pour juger notre déportation, et nous ne doutons pas que dans un avenir prochain, l'avant garde du prolétariat mondial portera sur cette question le même jugement que nous.

Les représailles contre les Oppositionnels coïncident avec une nouvelle aggravation des difficultés économiques sans précédent dans les dernières années. La pénurie de produits industriels, la perturbation de la collecte des grains après trois bonnes récoltes, la menace grandissante contre le système monétaire   tout cela ralentit le développement des force productives, affaiblit évidemment les éléments socialistes de l'économie et empêche d'améliorer les conditions de vie du prolétariat et des paysans pauvres.

Dans les conditions d'une aggravation de la situation en ce qui concerne les biens de consommation sur le marché, les ouvriers repoussent inévitablement les tentatives de réviser les conventions collectives dans le sens d'une baisse des salaires.

Le G.P.U. assure que ces échecs colossaux du cours qui prévaut actuellement relèvent de la responsabilité criminelle des Oppositionnels exilés, dont le véritable crime a été de prédire à plusieurs reprises, au cours des dernières années, que toutes les difficultés actuelles seraient l'inévitable conséquence d'un cours économique erroné, et d'avoir réclamé à temps un changement de ce cours.

La préparation du XV° congrès du parti   convoqué après un intervalle d'un an et demi, en violation des statuts du parti   a été elle-même une manifestation éclatante et grave de la violence croissante de l'appareil, s'appuyant de plus en plus sur des mesures de répression gouvernementale. De son côté, sans délibération et en brusquant les débats, le XV° congrès a adopté une résolution selon laquelle les congrès se réuniront dorénavant tous les deux ans.

Dans un pays de dictature prolétarienne, dont le parti communiste est l'expression, il est apparu nécessaire, dix ans après la révolution d'Octobre, d'arracher au parti son droit élémentaire de contrôler, au moins une fois par an, l'activité de ses organes et avant tout de son comité central.

Même dans les conditions les plus défavorables créées par la guerre civile et par la famine, les congrès se réunissaient parfois deux fois par an, mais jamais moins d'une fois. Alors le parti délibérait et décidait réellement, sur toutes les questions, ne cessant jamais d'être maître de son propre sort. Quelles forces contraignent donc maintenant à considérer les congrès comme un mal nécessaire qu'on cherche à réduire au minimum ?

Ces forces ne sont pas celles du prolétariat. Elles sont la résultante d'une pression étrangère à celui ci, exercée par son avant garde. Cette pression a conduit à l'exclusion de l'Opposition et à la déportation des Vieux­-bolcheviks en Sibérie et dans d'autres pays perdus.

Nous repoussons l'accusation d'aspirer à créer un nouveau parti. Nous disons par avance que les éléments d'un dit deuxième parti se rassemblent en réalité à l'insu des masses du pli parti et avant tout de leur noyau prolétarien, au point de rencontre des éléments dégénérés de l'appareil du parti et de l'Etat et des nouveaux propriétaires. Les pires représentants de la bureaucratie, munis ou non de la carte du parti, n'ayant absolument rien de commun avec la révolution prolétarienne internationale, se groupent toujours davantage, créant ainsi des points d'appui pour un deuxième parti qui commence à se dessiner et qui, au cours de son développement, peut devenir l'aile gauche des forces thermidoriennes.

L'accusation selon laquelle, nous, les défenseurs de la ligne historique du bolchevisme, aspirerions à créer un deuxième parti, sert en réalité inconsciemment à couvrir le profond travail souterrain des forces historiques hostiles au prolétariat. En face de ces processus, nous mettons l'I.C. en garde; tôt ou tard, un jour viendra où ces processus seront évidents pour tous, mais chaque jour perdu compromet incontestablement le succès de la résistance.

Il faut préparer le VI° congrès de l'I.C. selon les voies et moyens selon lesquels les congrès étaient préparés du temps de Lénine : publier tous les documents principaux se rapportant aux questions litigieuses, en finir avec la persécution des communistes coupables seulement d'avoir exercé leur droit de membres du parti; dans la discussion d'avant congrès, poser dans toute son ampleur la question du rapport des forces à l'intérieur du P.C. R., ainsi que la question de la ligne politique suivie par ce dernier.

Les questions litigieuses ne seront pas réglées par de nouvelles méthodes de répression. De telles mesures peuvent jouer un grand rôle positif lorsqu'elles servent à soutenir une ligne politique juste et à liquider plus facilement les groupements réactionnaires. En tant que bolcheviks, nous connaissons la valeur des mesures de répression révolutionnaires, et nous les avons appliquées à plusieurs reprises contre la bourgeoisie et ses agents, les s.r. et les mencheviks.

Aussi ne pensons nous pas un seul instant à renoncer à ces mesures contre les ennemis du prolétariat. Mais nous nous souvenons avec fermeté que la répression dirigée par les partis ennemis contre les bolcheviks est demeurée impuissante. En fin de compte, c'est la politique juste qui est décisive.

Pour nous, soldats de la révolution, compagnons d'armes de Lénine, notre déportation est l'expression la plus claire des changements dans le rapport des forces de classes dans ce pays et de la dérive opportuniste de la direction. En dépit de tout cela, nous demeurons fermement convaincus que la base du pouvoir soviétique est encore le prolétariat. Il est encore possible, au moyen d'un changement décisif dans la ligne de la direction, en corrigeant les erreurs déjà commises, par de profondes réformes, sans un nouveau soulèvement révolutionnaire, de renforcer et de consolider le système de la dictature prolétarienne. Cette possibilité peut devenir réalité si l'Internationale communiste intervient de façon décisive.

Nous en appelons à tous les partis communistes et au VI° congrès de l'Internationale, demandant avec instance l'examen de toutes ces questions, ouvertement, et avec la participation de tous les membres du parti. Le Testament de Lénine n'a jamais paru plus prophétique qu'en ce moment. Personne ne sait combien de temps le cours des événements historiques va nous laisser pour corriger les erreurs qui ont été commises. Nous soumettant à la force, nous quittons nos postes dans le parti et les soviets pour un exil absurde et futile. Ce faisant, nous ne doutons cependant pas une minute que chacun d'entre nous et nous tous serons encore nécessaires au parti et qu'il aura besoin de nous, mais encore qu'à l'heure des grandes batailles qui sont devant nous, nous retrouverons tous nos places dans les rangs combattants du parti.

C'est sur la base de tout ce qui vient d'être dit que nous demandons instamment au VI° congrès de l'Internationale communiste de nous réintégrer dans le parti.

Signatures : M. Alsky   A. Beloborodov(vi)   A. Ichtchenko - L. Trotsky   K. Radek   Kh. Rakovsky   E. A. Préobrajensky(vii)   I. N. Smirnov(viii)   L. Sérébriakov(ix)   I. Smilga - L Sosnovsky(x)   N. I. Mouralov   G. Valentinov(xi) – Nevelson-Man(xii)   V. Eltsine(xiii)   V. Vaganian(xiv)   V. Maliouta   V. Kasparova(xv)  S. Kavtaradzé   Vilenskij (Sibiriakov).



1. Trotsky fait allusion ici à différentes défaites de l'I.C. ou du mouvement ouvrier, dans lesquelles la responsabilité des dirigeants de Moscou était engagée différemment. En Allemagne, après s'être décidé très tard à admettre l'existence d’une situation révolutionnaire, après avoir contribué à freiner les masses par une politique de « grand soir », l'I.C. avait sous estimé l'ampleur du recul d'Octobre et de la renonciation à l'insurrection. En Bulgarie, elle avait fait préparer un putsch qui fut réprimé dans le sang; la Lettonie fut aussi le théâtre d'une insurrection manquée en 1925 ; en 1926, la grève générale britannique fut écrasée sans que le P.C. de l'U.R.S.S. ait jugé bon de rompre les relations au sein d'un comité syndical anglo russe avec les dirigeants réformistes qui cautionnaient et avaient la responsabilité de cet écrasement ; en Chine, Tchiang Kaï chek avait massacré les communistes à partir du « coup de Shanghai » et les forces du gouvernement chrétien social de Vienne avaient mitraillé en pleine capitale des manifestants ouvriers, faisant plus de trente morts.

2. Après avoir porté pendant des mois la responsabilité de la politique de soutien au Guomindang et d'alliance avec Tchiang Kaï chek, et, après le début de la répression de celui-ci, après avoir continué cette politique avec ce qu'elle appelait « le Guomindang de gauche », la direction Staline Boukharine avait fait un brutal virage à gauche, sans doute dans la perspective du XV° congrès et pour étouffer les critiques de l'Opposition. Une fois de plus, son « gauchisme » avait revêtu la forme du putschisme, les militants communistes, seuls, se soulevant le 11 décembre 1927 au nom d'un « soviet de Canton » désigné par l'appareil. L'insurrection, privée du soutien populaire par sa conception même, ne dura que trois jours mais fut suivie d'une répression féroce. Trotsky nuancera plus tard son appréciation, notamment dans sa correspondance avec Préobrajensky.


Notes bibliographiques :

i. Piotr N. Wrangel (1878 1928), général du tsar, avait été le dernier chef de l'armée blanche avec le soutien du gouvernement français en 1920. L'épisode de « l'officier de Wrangel » s'était produit l'année précédente. Un individu prétendant se nommer Stroilov s'était présenté aux dirigeants de l'Opposition qui cherchaient les moyens d'imprimer la plate forme de cette dernière. Le G.P.U. « révéla » que Stroilov   qui ne fut pas officiellement « retrouvé »   était un ancien officier de l'armée Wrangel. Mais l'Opposition démontre sans réplique que cet ancien officier de Wrangel était aussi agent du G.P.U. en service.
Selon les services secrets polonais, Stroilov aurait été en réalité le célèbre Oupeninch, dit Opperput, l'homme qui noyauta puis décapita les organisations d'émigrés blancs et construisit le Trust. (cf. P. Broué, « La Main-d’œuvre blanche de Staline », Cahiers Léon Trotsky n° 24).

ii. Ivar T. Smilga (1892 1.938), letton, fils de paysan, bolchevik en 1907, avant été le benjamin du C.C. à partir d'avril 1917 et le « complice » de Lénine dans la préparation de l'insurrection. Il avait fait partie de la Nouvelle Opposition, mais avait rompu avec les zinoviévistes lors de la capitulation de ces derniers.

iii. Nikolaï I. Mouralov (1887 1937), également fils de paysan, agronome, bolchevik en 1903, dirigeant de l'insurrection de Moscou en 1905 avait été condamné à mort pour « meurtre » à cette époque. En 1917, il avait commandé l'assaut du Kremlin. Membre de l'état major de Trotsky pendant la guerre civile, il avait été commandant militaire de la région de Moscou, puis inspecteur général de l'Armée rouge.

iv. Khristian G. Rakovsky (1873 1941), socialiste international autant qu'internationaliste, ancien militant en Bulgarie, Roumanie; Russie, France, avait été pendant la guerre chef de l'administration politique de l'Armée rouge puis désigné comme président du conseil des commissaires du peuple d'Ukraine, d'où Staline l'avait écarté en l'envoyant comme ambassadeur à Londres, puis Paris. Déclaré persona non grata par le gouvernement français – il avait signé un texte de l'Opposition de gauche disant qu'en cas de l'intervention étrangère, il faudrait appeler les soldats à la fraternisation  , il était revenu en U.R.S.S. et avait été au XV° congrès le porte parole de la fraction trotskyste de l’Opposition unifiée en train de se décomposer.

v. Karl B. Sobelsohn, dit Radek (1885 1939) ancien militant social démocrate en Pologne, puis en Allemagne, avait rejoint les bolcheviks en 1917. Il avait été secrétaire de l'I.C., puis recteur de l’université Sun Yat sen à Moscou. Il était déporté à Tomsk. Le texte de leur déclaration au XV° congrès est traduit dans Cahiers Léon Trotsky, n' 6, 1980.

vi. Aleksandr G. Belborodov (1891-1938) : électricien dans les mines, bolchevik en 1907. Joue un rôle important durant la guerre civile, notamment en prenant la responsabilité de l’exécution de la famille royale. Commissaire à l’intérieur de la R.S.F.S.R. (1921-1927). Capitule en 1928 et disparaît durant les grandes purges.

vii. Evgenii Aleksadrovitch Preobrajensky (1886-1937) : Vieux-bolchevik, secrétaire du Parti en 1919. Dirigeant oppositionnel, spécialisé dans la critique de la politique économique de Boukharine-Staline. Capitule en 1928. Fait plus tard partie du groupe d'opposition clandestin d'I.N. Smirnov. Exécuté sans procès en 1937, ce qui semble indiquer qu'on n'avait plus lui extorquer d'aveux.

viii. Ivan Nikititch Smirnov (1881-1936). Mécanicien, social-démocrate en 1899, bolchevique dès 1903, organisateur de l'insurrection de Moscou en 1905, plusieurs fois arrêté ou déporté. Après 1917, il est membre du C.C., dirigeant militaire durant la guerre civile, surnommé "la conscience du Parti", puis dirigeant de la Sibérie soviétique.
Lié à Trotsky, membre de l'Opposition dès 1923 et commissaire du peuple aux P.T.T. jusqu'en 1927. Exclu du parti par Staline en 1927, puis déporté, il capitule en 1929. Réintégré dans le P.C., il renoue rapidement le contact avec les trotskystes et est de nouveau arrêté en 1933. Il sera fusillé lors du premier procès de Moscou (1936), à l'occasion duquel il sera l'un des rares accusés à tenir tête à l'accusation.

ix. Leonid Sérébriakov (1888-1937). Métallo, puis chemineau, bolchevik en 1905. Déporté en 1912.
Membre du C.C. du P.C. en 1919, vice-commissaire aux transports en 1921-22. Militant de l'Opposition de la première heure, dirigeant de l'Opposition Unifiée Trotsky-Kaménev-Zinoviev en 1926. Arrêté et déporté en 1927, il capitule face à Staline en 1929.
Réintégré en 1930, il sera accusé de sabotage, réincarcéré puis fusillé lors du second procès de Moscou.

x. Lev S. Sosnovsky (1886-1937). Vieux-bolchevik, l'un des plus populaires journalistes de la Russie soviétique au lendemain de la révolution, surtout du fait de ses brillantes attaques contre l'état d'esprit bureaucratique.
Membre dirigeant de l'Opposition de gauche dès sa fondation en 1923, déporté en 1928. Ses Lettres d'Exil à Trotsky qui lui vaudront six années d'isolement total. Sosnovsky capitule avec Rakovsky en 1934. Il sera éxécuté lors des purges de 1937.

xi. Georgi N. Valentinov : bolchevik en 1915, journaliste à Troud, l’organe des syndicats, avant sa déportation.

xii. Man Nevelson (199-193 ?) : lycéen lors de la révolution, s’engage dans la Garde Rouge puis l’armée. Chef du département politique de la 5° armée fin 1920. Ensuite économiste, marié à la fille de Trotsky, Nina. Nevelson était l’un des piliers de la jeune génération de l’Opposition.

xiii. V. Eltsine. Fils de Vieux-bolchevik, membre du parti en 1917. Commissaire de division durant la guerre civile, puis professeur rouge et secrétaire de Trotsky. Déporté en 1928. On perd ensuite sa trace.

xiv. Vagarchak Arutinovitch Ter-Vaganian(1893-1936). Bolchevik en 1917, un des espoirs de la jeune génération, éditeur de "Sous la bannière du marxisme".
Oppositionnel dès le début, déporté en 1928, il capitule en 1929 dans la foulée d'I.N. Smirnov. Mais, avec celui-ci, il reprend rapidement l'activité politique contre le stalinisme et est de nouveau déporté en 1933. Ter-Vaganian sera un des accusés du premier procès de Moscou, où il sera un des derniers inculpés à céder. Il sera fusillé à la suite du procès.

xv. Varsenika D. Kasparova (1875-1937). Bolchevique en 1904, secrétaire à la propagande du bureau des commissaires politiques, liée à Trotsky. Membre du groupe tampon puis de l'Opposition de Gauche, déportée en 1928, capitule en 1935.


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