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DEBAT AU SEIN DU CAMP PROLETARIEN

Nous publions avec son autorisation la lettre que le BIPR a envoyée au camarade T. au Mexique. Nous avons déjà reproduit les impressions de ce camarade suite à la réunion publique du CCI dans ce pays (cf. notre bulletin précédent). Il nous semble que cette lettre ne se contente pas de s'adresser au camarade T., mais à tous les militants et ex-membres du CCI dont nous - en tant que fraction - faisons partie, et plus largement à l'ensemble des éléments révolutionnaires. Nous aurons l'occasion de répondre sur les questions soulevées dans ce courrier. Nous avons jugé important de le publier sans attendre afin qu'il soit à la disposition de tous et que chacun puisse y réfléchir sans attendre. Pour notre part, et bien que nous ayons des désaccords politiques avec les positions défendues, nous saluons l'esprit fraternel de cette lettre et son contenu politique qui tourne le dos à toute polémique stérile et s'attache à poser les questions politiques de fond.


Lettre du BIPR au camarade T. (Mexique)

Milan le 23/10/02

Au camarade T, México,
BUREAU INTERNATIONAL POUR LE PARTI REVOLUTIONNAIRE

Qu'entend le BIPR par l'idéalisme du CCI ? Nous entendons l'idéalisme "philosophique". Ton interprétation est dans l'usage littéral du terme, mais lorsque nous disons idéalisme nous entendons vraiment le courant de pensée (les courants) qui d'une manière ou d'une autre, pose la pensée, l'idée comme moteur de l'histoire. Il est vrai que celle-ci est une généralisation que des philosophes et des historiens de la philosophie n'acceptent pas. Mais depuis toujours dans le mouvement communiste, c'est le terme qui veut décrire comment d'une manière ou d'autre, on fait abstraction de la réalité des rapports de classes, en faisant dériver tactiques et stratégies d'"idées" plus ou moins originales.

Quelles sont les raisons, de méthode ou de position politique qui, dans le cas du CCI, nous font définir le CCI même comme idéaliste ? (il y a peu encore, nous avions l'habitude de définir le CCI comme la forme actuelle de l'aile idéaliste du mouvement prolétarien qui existe et existera toujours).

1. La méthode de périodisation historique par des cours historiques (contre-révolutionnaire, révolutionnaire) ;

2. La méthode de périodisation de la nature et du rôle des syndicats ;

3. Les positions (à la vérité aujourd'hui peut-être changée) sur la période de transition.

1. Pourquoi la méthode de périodisation historique est-elle idéaliste ? Parce qu'elle définit le cours historique de manière rigide sur la base de deux qualifications simples (révolutionnaire, contre-révolutionnaire) qui sont des généralisations de situations souvent très différentes. En voulant ensuite aller voir ce que sont les aspects de base pour définir la période par exemple contre-révolutionnaire, on découvre qu'un des principaux aspects est la condition de défaite prolétarienne. Quand le prolétariat sort-il de cette condition ? Ici le CCI - la méthode du CCI - commence à montrer toute son inconsistance.

Que la classe ait commencé à réagir à la guerre impérialiste, au moins en Italie, avec des puissantes grèves qui avaient bloqué les usines de tout le Nord de l'Italie, n'est pas suffisant - ou mieux n'a pas existé. Non, "le prolétariat est vaincu" - déclare la Gauche Communiste de France devancière du CCI - et donc la période est contre-révolutionnaire, et donc le parti ne peut pas se constituer ; si naît un parti, il ne peut être qu'opportuniste.

Il est évident par contre, que le fait qu'on n'ait pas fait la révolution n'est pas une raison suffisante pour déclarer la période contre-révolutionnaire. Par contre, voulons-nous dire par-là que la période était révolutionnaire ? En fait, pas du tout. Nous voulons seulement montrer que ces périodisations ne servent à rien sur le terrain politique sinon à risquer à chaque fois de réaliser des erreurs colossales.

Ensuite arrive 68 et, selon le CCI, la période contre-révolutionnaire se termine : le prolétariat n'est plus vaincu et sa conscience de classe recommence à mûrir (à partir de là ensuite une des discussions plus amusantes : le mûrissement était-il plus ou moins souterrain ?). Le stalinisme est encore le point de référence - même si souvent de manière critique - de l'immense majorité des prolétaires dans le monde ; les partis et les groupes staliniens occupent solidement le terrain, reléguant les minorités révolutionnaires déjà opérantes dans des espaces très limités et le capitalisme doit encore entrer dans la période de la crise de cycle d'accumulation. Le seul fait qu'apparaissent en 68 des groupes qui ensuite s'unissent aux militants d'Internacionalismo du Venezuela venus en Europe pour former le CCI est suffisant pour que le CCI déclare que la période s'est renversée et que nous sommes entrés dans la période révolutionnaire. (A la vérité, elle fut d'abord déclarée révolutionnaire, ensuite de grands conflits de classe, et maintenant elle est devenue... période de décomposition (?)).

C'est, parmi d'autres, est une des raisons de la crise, ou mieux des crises récurrentes récentes du CCI : que le schéma des grandes périodes ne résiste pas est évident. Car on ne peut pas penser à une période qui s'ouvre comme révolutionnaire avant la crise capitaliste et qui se retourne en stagnant pendant la crise du cycle d'accumulation et alors que le capital attaque frontalement et brutalement la classe ouvrière à l'échelle mondiale. Et continuer à défendre comme valable cette méthode de périodisation. Les questions soulevées sur les "années de vérité" durant les années 80 et sur les perspectives de mûrissement niées par les faits ont induit les deux crises/scissions précédentes à l'actuelle.

2. Dans le cas des syndicats, on répète la même méthode des schémas dans lesquels on contraint la réalité historique. Le schéma du CCI est le suivant : au XIXe siècle, phase d'ascendance du capital, les syndicats sont l'expression de la classe, ce sont les organisations de défense de la classe au sein desquelles les révolutionnaires doivent, justement et par devoir, être et travailler ; avec l'entrée du capitalisme dans l'époque de la décadence (autre catégorie entièrement idéaliste dans l'acception du CCI), les syndicats cessent d'être une expression de la classe et deviennent des moyens du capitalisme même à l'intérieur desquels il est impossible pour les révolutionnaires de travailler, sous peine de cesser d'être révolutionnaires.

En réalité, les syndicats sont nés comme expression de la classe mais avec la caractéristique essentielle de moyens de négociation (du prix et des conditions de vente de la force de travail). Pour ceci - et Engels l'avait déjà reconnu au début des années 1870 - ils sont intimement conservateurs parce qu'en défendant nécessairement la base même de leur existence, la négociation entre capital et travail, ils défendent la continuité du capitalisme. Et en effet, jamais dans l'histoire les syndicats ont été de quelque manière que ce soit des moyens ou des éléments des processus révolutionnaires. Le fait que la Troisième Internationale, le mouvement communiste des années 1920, et même notre parti italien dirigé par la gauche communiste, pensaient aux syndicats comme courroie de transmission entre parti et classe et donc comme organisation à gagner à la direction communiste, ne signifie pas en soi que l'idée était juste. Même l'expérience de la révolution russe contredit ces hypothèses, sauf que pour le cas exceptionnel et minoritaire du syndicat des cheminots. Ce qui change dans les années 1920 et par la suite, dans l'ère de l'impérialisme, ce n'est pas la fonction essentielle des syndicats - qui restent ce qu'ils sont - mais le rôle qu'ils développent au sein des rapports capitalistes. Ils deviennent un instrument très important d'administration du capital parce que la modulation du salaire et des conditions de travail en accord avec le développement de la productivité et du marché est un facteur crucial de la sauvegarde du profit et de ses taux. En ce qui concerne l'intervention des révolutionnaires dans les syndicats, il est évident qu'il est conditionné par des éléments concrets et précis :

a) la possibilité physique d'effectuer son travail politique qui est antithétique à celui des syndicats mêmes ;

b) la présence dans les syndicats de parties significatives, et non d'arrière-garde, du prolétariat ;

c) la possibilité de s'adresser à eux ;

d) la cohérence (non contradictoire) entre le contenu de notre intervention et la présence dans le syndicat.

L'absence d'un, ou de plusieurs, de ces éléments s'oppose de fait à la présence de nos camarades dans le syndicat alors que la présence simultanée de ces trois éléments permet en différents cas le développement du travail premier à l'intérieur du syndicat. Nous pourrions montrer quelques exemples de "travaux en cours" comme démonstration des différents espaces d'intervention, dans et hors des syndicats, traditionnels et/ou "radicaux de gauche".

Quel est le contenu de l'intervention (encore, dans ou hors des syndicats) ? Sans entrer dans les détails qui peuvent varier d'une situation à l'autre, dans l'actuelle situation, arriérée et éloignée de la phase révolutionnaire, la ligne générale est celle-ci :- la défense intransigeante de l'intérêt de classe ;

- l'indication que seulement avec l'organisation autonome des travailleurs, hors et contre les syndicats, une réelle défense de classe est possible ;

- la défense du soviet, ou du conseil ouvrier, comme la forme d'organisation de la classe en lutte contre le capital ;

- que, dans le rapport politique avec le parti de classe, on pourra conquérir l'émancipation prolétarienne.

Il est évident qu'il y a une grande différence entre les simplifications schématiques du CCI et la difficile impulsion d'une ligne politique révolutionnaire dans le corps réel de la classe, en différents domaines et espaces dans lesquels c'est possible, en reconnaissant les caractéristiques et les limites de ceux-ci.

Sur le 3° point, l'Etat de [la période de] transition, je me réfère aux positions exprimées par le CCI il y a longtemps et dont je ne suis pas sûr qu'elles soient encore aujourd'hui soutenues. En tout cas, à propos de phase de transition, le CCI voit l'Etat comme quelque chose de distinct de la dictature du prolétariat. En d'autres termes, le CCI ne tire pas sa conception du concept essentiel du matérialisme historique selon lequel l'Etat est l'expression de la domination d'une classe sur l'autre. Mais de fait, il en vient plutôt à s'inspirer du concept idéaliste combattu par Marx d'un Etat organe de la société.

Nous disons ceci sur la base de ce qui est affirmé dans la Résolution sur la période de transition du Congrès du CCI du juin 1979 à laquelle nous avions dédiée à un article dans le n.°3 de Prometeo série IV de décembre 1979. Je ne me souviens pas - mais je peux aussi me tromper - qu'il y ait des résolutions suivantes corrigeant ce qui a été défendu par ce congrès ; mais il me semble que ceci soit suffisant pour cataloguer comme idéaliste la méthode du CCI. Et aux questions de méthode, on ne remédie pas avec des ajustements (petites réparations) de type "politique".

Je me suis limité à ces quelques notes parce que je pense que l'idéalisme du CCI est un des problèmes cruciaux auxquels doivent répondre d'une manière ou d'une autre soit les différentes fractions/scissions qui se sont succédées, soit les camarades qui souvent oscillent entre le CCI et ses critiques. Mais les réponses peuvent être seulement deux : ou le rejet de cette méthode fondamentalement idéaliste (et donc pas inutile pour la construction du parti révolutionnaire), ou sa reconnaissance comme valable de toute façon. Dans le premier cas, la conséquence immédiate ne peut être que la révision critique globale dans un processus qui, avec beaucoup de probabilités, mène au BIPR. Dans le second cas, il serait correct de rentrer dans le CCI pour conduire la bataille tactique qu'on pense nécessaire, bien que d'une importance secondaire. Malheureusement la pratique montre qu'est plus courante la défense de la méthode et des positions de fond et la création de nouveaux groupes de l'aire, chacun revendiquant l'orthodoxie du CCI. C'est la même triste chose avec Programme Communiste d'origine qui a semé derrière de lui un nombre élevé de Partis Internationaux, chacun revendiquant l'orthodoxie bordiguiste, en donnant une image de l'aire internationaliste plutôt pauvre. Nous espérons que l'actuelle FICCI échappe à cette logique.

Fraterni saluti internazionalisti

Mauro jr 23 ottobre 2002


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